Devant la CNDA, le récit d’une mère ayant sauvé sa fille de l’excision
En début d’été, les juges de la CNDA, à Montreuil (93) entendaient une mère de famille tchadienne, ayant fui son pays pour éviter à son bébé d’être excisée. L’OFPRA avait accordé le statut de réfugié à la petite fille mais pas à sa mère.
C’est une femme de 35 ans, aux joues rondes, qui porte une robe longue jusqu’aux sandales et un large foulard coloré sur la tête. Elle a l’air timide, regarde souvent ses pieds. Madame W. est Tchadienne. Elle sollicite la protection de la CNDA car elle craint les représailles de sa belle-famille. La raison ? Elle a pris la fuite avec sa fille encore bébé sous le bras, pour lui éviter d’être excisée.
Madame W. a réussi à protéger son enfant. Un certificat de l’UMJ de Rennes en atteste : la petite fille a conservé « son intégrité physique ». La fillette s’est également vue reconnaître le statut de réfugiée par l’OFPRA. Mais pas sa mère, qui se présente devant les juges ce matin de juin 2024. « Pour la Cour, le risque de persécution pour un enfant ne constitue pas un risque pour son parent », résume la jeune rapporteure en charge de ce dossier, en préambule de l’audience. Afin de prétendre à la protection subsidiaire, Madame W. devra donc démontrer qu’elle-même courrait des risques de persécution si elle rentrait dans son pays.
Aux débuts de cette histoire tchadienne, il y a un mariage arrangé mais plutôt heureux, aux dires de la requérante. Son mari est ingénieur en génie civil, « une très bonne situation », souligne la présidente de l’audience, Nadia Marik-Descoings, une femme blonde et élégante. Il est arabe, comme un peu plus d’un quart de la population du Tchad. La requérante le décrit comme un homme respectueux, d’elle comme de sa fille. Son problème, ce n’est pas son mari, mais la mère et les deux sœurs de celui-ci. Trois femmes qui ont fait front pour que la petite fille soit mutilée, explique Madame W. « J’ai tout de suite parlé à ma belle-mère des dangers pour la santé de notre fille. Elle m’a dit : « C’est obligé chez nous, les Arabes, sinon elle ne pourra pas se marier avec un Arabe », dit-elle, précisant que sa belle-mère a toujours vu d’un mauvais œil l’union de son fils avec une jeune femme non arabe.
– « Et votre mari, que pensait-il de l’excision ? », demande l’assesseur HCR.
– « Il n’était pas d’accord mais il écoutait sa mère. Il avait beaucoup de respect pour elle. Il essayait de trouver une solution sans nous blesser, ni moi ni elle ».
La requérante raconte une vie dans laquelle, comme dans un conte de Perrault, la belle-mère et la belle-sœur se liguent contre elles. Dès lors, tous les moyens sont bons pour la faire craquer et qu’elle accepte de faire exciser sa fille « « Une fois, dans un mariage, elles m’ont kidnappée, frappée devant tout le monde, arraché les cheveux ». La jeune femme explique craindre d’autres attaques de ce genre si elle rentrait. « Les Arabes se battent au couteau et cela crée des dangers », affirme-t-elle dans une formule un peu sibylline que personne ne lui demande d’expliciter.
La présidente de la Cour ne semble pas comprendre la vie de cette femme qui ne connaît même pas la date de son mariage – « ça change quand même une vie, de passer de jeune fille à femme mariée ! », s’indigne-t-elle. Mais Madame W. ne se souvient plus, ni le mois ni l’année. En revanche, elle affirme clairement qu’elle subit à son domicile la présence régulière de ses belles-sœurs qu’elle déteste. À l’OFPRA, elle a même déclaré qu’elles habitaient toutes deux sous son toit. Les relations entre les femmes de la famille vont concentrer l’essentiel des questions de la présidente et de ses assesseurs.
« Pourquoi vivaient-elles chez vous ? Elles n’étaient donc pas mariées ? », s’étonne la présidente de la Cour.
– « Si, elles étaient mariées au village, mais comme le veut la tradition, elles étaient souvent en visite chez nous. Notre maison était grande, on avait plusieurs salons. Elles venaient trois ou quatre mois avec leurs enfants mais sans leur mari », balbutie la requérante.
La présidente sort de ses gonds. « Madame, vous nous dites il y a un instant que vos belles-sœurs vivaient avec vous dans une partie de la maison. Maintenant, elles sont en visite. Ce n’est pas clair du tout ! Je ne comprends plus rien à la vie de votre pays, moi ! »
La présidente s’intéresse ensuite à un point qui lui semble crucial : la relation entre la belle-mère et le mari de Madame W. La requérante indique que son conjoint, bien qu’âgé de 49 ans, a toujours suivi le mode de vie imposé par sa mère.
– « Comment expliquez-vous que votre belle-mère, si rigoriste, ait accepté que son fils épouse une femme qui n’était pas arabe et pas excisée ? », interroge la présidente.
– « Elle ne m’aimait pas ».
– « Justement, j’essaie de comprendre. En vous épousant, votre mari n’a pas obéi à sa mère, alors qu’à vous entendre il le fait tout le temps ».
« Le mariage avait été arrangé par mon père et le père de mon mari », argumente la requérante en guise d’explication. Sa belle-mère avait bien dû se plier aux volontés de son mari. Cela ne satisfait pas la présidente, qui ne semble pas envisager que cette femme obéisse à son mari tout en tyrannisant son fils. Elle fulmine : « Bon, tant pis, je n’aurai pas la réponse à ma question ! »
Me Hannah Fournier, conseil de Madame W., prend la parole en fin d’audience « Je serai brève. L’OFPRA a rejeté la demande de ma cliente en considérant qu’elle se fondait sur le seul fait que sa fille risque l’excision. Mais ce n’est pas le cas. Madame W. nous parle bien des propres violences qu’elle a subies. Et même si le stress de l’audience n’aide pas, elle a décrit les brimades et les agressions physiques qu’elle a vécues de manière constante ». L’avocate insiste sur un point important : Madame W. a réussi à soustraire sa fille à l’excision en lui faisant quitter le pays. La réussite de cette entreprise aura certainement eu pour effet de décupler les envies de vengeance de la belle-mère et des belles-sœurs de Madame W. Pendant la plaidoirie de son avocate, de grosses larmes roulent sur les joues rondes de Madame W. Cette maman qui a su protéger son enfant a alors l’air d’une petite fille. Alors que l’audience prend fin, la présidente, qui s’est souvent montrée impatiente et autoritaire, s’adresse à elle dans un sourire : « Je comprends votre émotion. On a conscience que ce ne sont pas des moments agréables que nous vous faisons revivre. Mais cela fait partie de notre travail. »
Au bout d’un peu plus d’une heure, l’audience est levée. Madame W chancelle dans le couloir, appuyée sur son avocate qui la tient par l’épaule. « Je sais que ce n’est pas facile, dit-elle à sa cliente. Mais ça y est. C’est terminé. » Le 18 juillet, la Cour a rejeté la demande de Madame W.
Référence : AJU015d3