Val-de-Marne (94)

La Grange, un tiers-lieu transitoire et ambitieux à Fontenay-sous-Bois

Publié le 26/10/2021
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La Grange
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Parmi le paysage urbain baigné dans son camaïeu de gris, on voit un vaste hangar, coloré, œuvre de l’artiste fontenaysien, Papa Mesk, puis en s’approchant, après avoir passé des bacs de fleurs et de tomates… apparaît une porte grande ouverte et l’on aperçoit un joyeux remue-ménage. La Grange est un nouveau tiers-lieu situé à Fontenay-sous-Bois (94), s’inscrivant dans l’urbanisme transitoire. Il a vocation à redynamiser économiquement le quartier industriel des Alouettes, tout comme offrir des opportunités de développement pour des artistes, créateurs et artisans éloignés de l’immobilier classique.

Dans le vaste hangar de plusieurs mètres de hauteur, garni d’un joyeux bric-à-brac, de containers, de planches, d’étagères et d’ateliers ouverts au passage, on s’active de toute part. Nous sommes à La Grange, un tiers-lieu temporaire implanté dans le quartier des Alouettes à Fontenay-sous-Bois (94). « Jeff, tu fais marcher la boîte à poèmes ? ». Devant nos yeux, suite à une simple pièce glissée dans la fente de son ingénieuse invention, sort un poème imprimé. « La mélancolie du toucan » s’avère être un hymne dédié au mystère de cet oiseau au bec multicolore. Lucile Vareilles, gestionnaire du site, remercie chaleureusement ce locataire polyvalent, à la fois poète et fabriquant-réparateur de vélos, savonneur à ses heures, mais aussi producteur de fruits séchés, et parfois figurant. C’est tout l’esprit de ce tiers-lieu officiellement lancé en mars dernier et qui abrite déjà une trentaine de porteurs de projets créatifs et audacieux. En quelques mois, les affinités tout comme l’envie de faire avancer collectivement le lieu ont vu le jour. « Cette mezzanine n’était pas encore construite il n’y a ne serait-ce que trois semaines », se réjouit la gestionnaire du site en désignant le local de Kid Shaker, une start-up qui imagine, avec les enfants, les métiers de demain.

Ce bâtiment de 1 300 m² était, il y a encore quatre ans, une ancienne entreprise de peinture et de désamiantage. Depuis la fermeture de l’entreprise, les lieux avaient été laissés à l’abandon. Propriétaire du lieu, la société publique locale SPL MAB, experte en développement urbain sur les collectivités des bords de la Marne, ne « voulait pas laisser le bien vacant », explique Natacha Renaud, la directrice des opérations immobilières. Cependant, son cœur de métier restant l’aménagement et la construction, et non l’activation d’un lieu, elle décide de faire appel à la coopérative Plateau Urbain, spécialiste de la création d’activités dans des bâtiments vacants. Le tout s’inscrit dans un projet d’urbanisme temporaire puisqu’une convention d’occupation temporaire a été signée pour une durée de trois ans. Une fois la forme administrative définie, restaient les futurs occupants à trouver, ceux qui allaient « faire vivre ce projet », précise Lucie Vareilles, de Plateau Urbain.

Donner vie aux utopies

Pas une mince affaire, au départ. Plusieurs défis se présentent à Lucile Vareilles.  » Tout d’abord, nous ne connaissions pas du tout le territoire, ensuite, il s’agissait d’une typologie de bâtiment peu commune à cette échelle, bien plus petite que la Padaf, autre site que nous gérons à Antony « . Mais elle respire en évoquant le bail de trois ans. « En moyenne, sur de l’urbanisme transitoire, on est plutôt sur 18 mois. Trois ans, ça laisse le temps que les occupants s’emparent des lieux, l’aménagent et que les synergies se créent ».

Natacha Renaud abonde dans son sens en dégainant une photo prise avant l’ouverture du site : on y voit le hangar en friche, rempli d’une montagne de sable, des câbles électriques dénudés hors d’état de fonctionner. Pour elle, il est clair que les occupants se sont appropriés le lieu et le font d’ores et déjà vivre. « Il y a toujours un investissement financier pour les occupants », rappelle-t-elle, « nécessaire pour monter des parois ou réaliser le raccordement électrique, alors trois ans permettent plus facilement passer le cap ».

Afin de trouver les futurs occupants, Lucile Vareilles met en ligne un appel d’offre. Aux candidats, elle pose un certain nombre de questions : pourquoi veulent-ils s’installer à La Grange ? Comment comptent-ils participer au projet collectif ? En termes d’activités, il fallait « qu’elles soient cohérentes avec nos valeurs ». Ici, pas de traders et autres capitalistes aux dents acérées. Les projets portent surtout sur l’économie sociale et solidaire, le recyclage, des activités culturelles et sociales…

Ils sont actuellement 38 porteurs de projet pour un total de 70 personnes impliquées. Chapelière, savonnière, couturière, architecte, ébénistes, designers, graphiste, magicien, journaliste ou encore structure associative (Mamans sans frontières), les profils sont variés. Mais l’émulation fonctionne. Depuis la création du lieu, les occupants ont achevé d’aménager l’espace commun, fabriqué et installé des jardinières extérieures, déjeunent ensemble le midi, imaginent déjà des collaborations ensemble et n’hésitent pas à se prêter du matériel ou à échanger sur leurs pratiques.

Parmi les occupants, Cynthia Sou, fondatrice et présidente de Bina Way, une des premières arrivées à la Grange. Grâce à sa structure certifiée Qualiopi, elle accompagne des entreprises dans leur démarche sociale. Mais attention, pas de risque de greenwashing chez elle, elle s’intéresse à leur authenticité. « Avant même de connaître La Grange, je voulais travailler dans un espace collaboratif. Ici, on compte de nombreux projets dans l’économie sociale et solidaire (ESS), cela permet de renforcer son réseau, d’échanger, et d’être alignés sur notre philosophie ». Ce qu’elle apprécie le plus ? « La cohésion. L’inauguration du lieu en septembre a montré une vraie cohésion de groupe. On commence à collaborer sur certaines choses. On travaille bénévolement pour le lieu, on achète du matériel en commun, il se dégage une vraie énergie ».

Il y a aussi Bernard Lemoine, artiste nogentais, qui récupère de vieilles casses d’imprimerie pour les transformer en tables basses ou en lampes et qui a trouvé en La Grange un lieu idéal pour assembler ses pièces. Ou encore Kilian Connan, designer attiré par l’expérimentation. Fort de sa passion pour le bois, « matériau organique qui travaille, véritable être vivant », il rêvait de travailler à son compte. « La Grange favorise les échanges. Même si on a chacun nos espaces, il y a ces parties communes. On sait qu’on peut construire, démarrer des projets, et des affinités, des échanges d’outils. On peut mutualiser notre équipement », se réjouit-il.

À l’étage, nous retrouvons Lyly, qui fait partie de l’équipe de l’Atelier du Ride, entreprise de réparation de voiles de kitesurf. « Avant d’arriver ici, nous avions un tout petit local, nous devions déployer les voiles dans la cour parisienne de notre local. Quand il pleuvait ou neigeait, ce n’était pas dingue ! On est très contents d’être là », explique-t-elle, désignant une allée longiligne qui facilite le dépliage des voiles. Ce soir, elle anime un atelier qui permettra aux participants de diagnostiquer un souci et le cas échéant, de sauver une session de kitesurf.

Redynamiser un territoire

Le maire de Fontenay-sous-Bois, Jean-Philippe Gautrais, ne tarit pas d’éloges sur l’impact positif de La Grange. « Le quartier des Alouettes est une zone en pleine reconversion. C’est majoritairement un quartier tertiaire et bancaire, qui compte beaucoup de bureaux, avec un tissu de PME très nombreuses. Mais il vit encore peu la nuit, avec peu de restaurants ou de commerces. Nous aimerions dynamiser ce type d’activités », explique l’édile qui est aussi vice-président du Conseil territorial de Paris Est Marne et Bois et conseiller métropolitain de la Métropole du Grand Paris. Natacha Renaud est, elle aussi, convaincue que cette « zone remplie de chantiers, pas très agréable à vivre pour les habitants » mérite un autre destin. Ce n’est pas le street artist Papa Desk, désormais résidant de La Grange, après avoir passé dix ans dans les locaux de l’association Midi 6, qui dirait le contraire. Mandaté par BNP Paribas pour réaliser une fresque le temps que duraient les travaux mettant sur pied un bâtiment de la RATP, le peintre fontenaysien a été le témoin de la transformation du quartier des Alouettes ces dernières années. L’ancienne entreprise, il la connaissait et il lui arrivait même d’y acheter des peintures. « Avoir vu cette société vide puis de nouveau remplie, cette fois, d’artistes, d’artisans, ça fait plaisir », reconnaît-il. Lui-même a réalisé la fresque d’entrée de La Grange, colorée et représentant deux alouettes, « un clin d’œil au quartier ».

Preuve que le projet avait sa pertinence, Jean-Philippe Gautrais témoigne qu’« en tant que maire d’une ville de la petite couronne, je suis sur-sollicité ». Pour les locataires, l’offre est très intéressante, aux alentours de 12 euros le m² « ce qui est plus qu’attractif. En plein cœur de la métropole, et en petite couronne, la question des loyers et du foncier sont de vraies problématiques. C’est un vrai sujet pour les acteurs publics », reconnaît-il.

La Grange a également pour but « de donner accès à des locaux à des gens qui ne peuvent prétendre à l’immobilier classique mais veulent quand même avoir un site bien placé à proximité du RER », précise Natacha Renaud. « Et on valorise l’ancrage local », ajoute Lucile Vareilles, puisque presque la moitié des occupants sont de Fontenay-sous-Bois. Jean-Philippe Gautrais est aussi enthousiaste, car il espère également des retombées économiques. « Ce genre d’initiative favorise les dynamiques d’un territoire. Peut-être qu’il y aura du turn over – de toute façon, le projet est temporaire –, que cela permettra à certains occupants de se développer et de continuer ailleurs, après leur passage, puis de les inscrire dans le territoire à plus long terme », espère-t-il. Car, le rappelle-t-il, Val-de-Fontenay est le premier pôle de développement économique de l’Est parisien et la deuxième gare en Île-de-France après La Défense.

Dans le quartier, les transformations du tiers-lieu ont été aperçues par les voisins. « Cela leur a permis d’identifier qu’il était en train de se passer un truc », se rappelle Lucile Vareilles, actant une forme de renouveau ». Papa Mesk appuie ses propos. « Quand j’ai peint – pendant environ une dizaine de jours – tous les gens qui passaient ont dit qu’ils étaient heureux de voir arriver des couleurs dans leur quartier » !

Avant son ouverture, La Grange était un garage à ciel ouvert et un dépotoir, de l’aveu de Lucile Vareilles et Natacha Renaud. Aujourd’hui, c’est un lieu qui respire la vie et les projets. « Les voisins passent régulièrement et demandent ce que nous faisons. Quand nous le leur expliquons, ils sont en général très enthousiastes ». La preuve que La Grange a réussi la transition d’un bâtiment inhabité en un lieu de tous les possibles. Avec une plus-value économique, solidaire et culturelle.