Paris (75)

Quand l’Île-de-France se prépare au changement climatique

Publié le 10/05/2023
Changement climatique ville
VectorMine/AdobeStock

Le dernier rapport du GIEC annonce un climat nord-africain, en France, d’ici 2100 ! Les espaces urbains sont fortement impactés par ce changement. Comment l’empêcher ou, pire, comment y faire face ? La région Île-de-France déploie des efforts sans précédents et d’autres initiatives, comme l’outil Bat’adapt, lancé en partenariat avec la mairie de Paris, qui permet aux petits propriétaires comme aux magnats de l’immobilier de se confronter directement aux défis à venir.

Aucune région ne sera épargnée par les impacts du changement climatique et la perte de biodiversité, mais la région la plus urbanisée de France est particulièrement concernée : depuis les années 1950, elle a déjà vu son microclimat augmenter de 2°. En avril 2022, le sixième rapport du GIEC (groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat) a fait l’effet d’une bombe : il annonce une hausse de 3,2° si aucun renforcement des politiques climatiques actuelles n’est appliqué urgemment. La majorité des Franciliens vivent en milieu urbain dense et sont particulièrement surexposés aux effets d’îlots de chaleur urbains, qui peuvent entraîner des problématiques de santé pour toute la population (maladies infectieuses et allergies respiratoires) et une surmortalité pour les populations fragiles (comme la canicule de 2003 l’a bien montré). Le temps de la prise de conscience doit laisser place à celui de l’action.

La région Île-de-France est particulièrement exposée aux extrêmes climatiques qui vont se multiplier à l’avenir, à savoir des vagues de chaleur et des sécheresses plus longues et plus intenses, des précipitations extrêmes en durée ou en intensité, des pics de gel nulles ou tardives (au moment des premiers bourgeons). Des extrêmes accompagnés d’effets boule de neige : les vagues de chaleur dégradent la qualité de l’air, les pluies extrêmes participent à la survenance des inondations, favorisées elle-même par l’artificialisation à outrance des sols (entre autres dans les souterrains et les couloirs du métro). La sécheresse apparaît comme un super-aléa accentuant les risques d’incendies dans les zones boisées, et bien sûr réduisant la ressource en eau (pour l’eau de consommation mais aussi pour les agriculteurs et les équipements nucléaires, entre autres).

Le retrait-gonflement des argiles (RGA) est, quant à lui, le deuxième risque naturel le plus fréquent en région parisienne (derrière les inondations) et la première source d’indemnisation (devant les inondations). Ces mouvements du sous-sol fragilisent les constructions, voire les rendent inhabitables. « Plus de 80 % du territoire francilien hors Paris [83,4 % précisément] est exposé aux phénomènes de RGA, soit 997 800 hectares, révèle Ludovic Faytre, responsable des études sur les risques majeurs à l’Institut Paris Région, auprès de nos confrères du JDD. Quasiment toute la petite couronne est concernée. Et les trois quarts de l’Île-de-France [76,6 %] sont situés en zone d’exposition moyenne à forte. À l’échelle nationale, on est à 48 %. »

COP, GIEC et GREC

Face à ce constat, la région avait adopté 192 mesures pour faire de l’Île-de-France une région ZAN (zéro artificialisation nette) et ZEN (zéro émission nette) à l’horizon 2040 à l’occasion de la COP Île-de-France, en septembre 2020. En février 2021, le GREC (groupe régional d’expertise sur l’évolution climatique) francilien, tout juste créé, avait, quant à lui, été lancé avec trois objectifs.

Le premier : la mise à jour régulière et rigoureuse des connaissances, à destination des acteurs de la région parisienne, sur les changements environnementaux en cours et les moyens de réduire les risques qu’ils engendrent. Les grandes lignes du changement climatique, les extrêmes et aléas climatiques, le bilan carbone de la région, la biodiversité et ses interactions avec le climat, les pollutions, les ressources en eau, l’énergie, l’agriculture et les sols, l’alimentation, les transports, l’habitat et l’urbanisme, les évolutions de la santé et des inégalités sociales de santé, les vulnérabilités territoriales et les dynamiques sociales face aux changements environnementaux… Les décisionnaires de la région avaient toutes les infos.

Le second objectif du GREC francilien est de contribuer à rendre l’Île-de-France résiliente face au réchauffement et aux extrêmes climatiques, à la fragilisation des écosystèmes, aux perturbations des circuits économiques et aux impacts socialement inégaux de tous ces bouleversements. En collaboration avec les parties prenantes, il travaille à l’élaboration de scénarios de transition environnementale de l’Île-de-France susceptibles d’éclairer les décisions que les pouvoirs publics sont amenés à prendre ou à suivre. Cela s’inscrit dans des démarches déjà lancées par ailleurs, comme la révision du schéma directeur environnemental de la région Île-de-France (SDRIF-E) ou le plan climat de la Ville de Paris dont la dernière version, le plan Climat air énergie a été dévoilé en début d’année et prévoit de diviser par deux les consommations énergétiques de Paris et atteindre 100 % d’énergies renouvelables en 2050.

Le troisième objectif du GREC est également de promouvoir des recherches nouvelles, permettant de compléter le faisceau de connaissances sur les changements environnementaux, leurs effets, les potentiels d’adaptation et la transition en région francilienne. Et, à ce jeu-là, un acteur créé sur le territoire a su tirer son épingle du jeu… et mettre son outil entre toutes les mains : du promoteur immobilier de La Défense, soucieux de faire des économies en isolant ses bâtiments, au petit propriétaire de Rosny, inquiet de voir apparaître de vilaines fissures sur sa façade.

Un outil pour se confronter au futur

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, l’Observatoire de l’immobilier durable (OID) n’est pas né de la dernière pluie. L’association loi 1901, basée à Paris et soutenue entre autres par l’Ademe et l’Agence parisienne du climat, a été lancée en 2012 par l’entrepreneur Lois Moulas, quand le décret relatif aux diagnostics de performances énergétiques pour les bâtiments publics a été adopté… sans qu’aucun outil de diagnostic indépendant n’existe vraiment. « L’OID entend collecter des données énergétiques réelles et produire des statistiques en toute indépendance », nous explique son fondateur. Depuis son lancement, il compte près de 120 acteurs de l’industrie immobilière, les gestionnaires, les bailleurs sociaux et privés, les sociétés foncières et les promoteurs immobiliers. Ainsi, le groupe Crédit Mutuel a confié à l’OID l’audit de tout son patrimoine immobilier afin de le rendre plus résilient dans les années à venir.

En 2018, la mairie de Paris adoptait son plan Climat air énergie territorial (PCAET) afin de rendre la capitale résiliente et neutre en carbone d’ici 2050. Un objectif qui doit se construire à plusieurs niveaux : celui des décideurs politiques, des entreprises privées et des simples citoyens. Elle subventionne alors l’OID pour travailler sur un outil innovant, Bat-adapt. Accessible sur internet depuis 2020, cette cartographie analyse les risques climatiques à une adresse donnée, avec des projections temporelles à 2030, 2050, 2070 et 2090. Vagues de chaleur, sécheresses, inondations, submersions marines et même gonflements des sols argileux y sont évalués. Une analyse croisée des risques climatiques et de la sensibilité du bâtiment permet d’obtenir en quelques clics et sur une échelle de 1 à 5 la vulnérabilité aux différents aléas. Une adresse saisie en plein Paris montre par exemple que le risque de vagues de chaleur et de sécheresse explose à partir de 2050.

Au-delà du simple constat, Bat-adapt propose un volet contenant des solutions d’adaptation, ainsi qu’un guide des solutions adaptatives, sorti en 2021. Les entrées du guide sont organisées par nature de risques et présentent à chaque fois des solutions adaptatives (parfois inattendues) qui peuvent être personnalisées suivant le type de logement ou de bâtiment : vagues de chaleur (rafraîchir le bâtiment par le sol, installer des brise-soleil), sécheresse (végétaliser), tempête (favoriser l’autoproduction électrique), inondation (créer une toiture végétalisée), submersion marine (définir une stratégie : éviter, résister ou céder à l’eau), feu (réemployer les eaux pluviales).

Des prévisions du GIEC qui accélèrent l’urgence à créer une synergie

Depuis la sortie en 2020 de cet outil, son utilité est devenue d’autant plus prégnante. Les différentes catastrophes qui ont émaillé l’actualité ont forcé les grands acteurs de l’immobilier comme les petits propriétaires à se confronter à la réalité. En 2023, une extension de l’outil Bat-ADAPT Territoire, permettra aux acteurs territoriaux de réaliser des diagnostics de risques climatiques et d’entrer en contact, avec d’autres confrontés aux mêmes enjeux. Une synergie cruciale.

Conscient du besoin d’homogénéiser ses outils pour l’international, l’OID a également lancé Bat Adapt Europe (via la plateforme Resilience for real estate) avec un financement de l’Ademe. Une nouveauté intéressante pour les dirigeants dans le secteur immobilier qui disposent de biens en Europe et dans le monde (une version mondiale sera bientôt lancée). L’OID va également travailler plus précisément sur l’impact biodiversité avec l’outil Biodibat, qui analysera quatre indicateurs d’état de la biodiversité à un moment donné, sur un territoire donné. Des étudiants du Museum d’histoire naturelle planchent dessus. Lois Moulas est heureux d’être au rendez-vous des défis du siècle : « Notre vocation c’est d’accélérer la transition écologique. Nos outils mis à disposition gratuitement et en open source donnent à chacun et chacune les clés pour y participer » !

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