La portée de la déclaration de candidature à un marché public à la lumière du principe d’intangibilité du groupement
Le Code de la commande publique pose un principe d’intangibilité du groupement candidat à un marché public. Si la permanence du groupement durant l’exécution du contrat est abordée devant le juge administratif, elle ne semble guère retenir l’attention des parties aux contentieux de la passation des marchés publics. Or se pose la question de la faculté de régularisation des candidatures à l’aune de ce principe. Précisément, l’erreur dans la déclaration de candidature (DC1), sauf à alléguer de la commission d’une erreur purement matérielle, ne semble guère ouvrir la voie à la régularisation autorisée lorsqu’une pièce de la candidature est « absente ou incomplète ». Cela étant, des cas limites sont à noter. Il s’agit par exemple de la régularisation d’une DC1 incomplète en ce qu’elle ne fait pas mention d’un cotraitant dont toutes les pièces administratives ont pourtant été fournies. Notons également la situation dans laquelle une compétence exigée, supposant l’adjonction d’un cotraitant, a tout simplement été oubliée. Le mandataire pourra alors vraisemblablement, après demande de compléments, non pas modifier la composition du groupement – qui est prohibé – mais déclarer une sous-traitance.
L’exécution de certains marchés publics suppose la réunion de compétences déterminées se traduisant par l’exigence d’une composition plus ou moins précise du candidat. Cette condition vient s’ajouter à la forme que doit revêtir un groupement après l’attribution d’un marché, qui peut être imposée par l’acheteur en vertu de l’article R. 2142-22 du Code de la commande publique (CCP)1. Il est alors attendu du candidat, sauf à disposer de l’ensemble des compétences seul, la présentation d’une candidature faisant état de la détention de l’ensemble des facultés requises. Cette réponse à la demande de l’acheteur peut se traduire par deux procédés non exclusifs l’un de l’autre : la cotraitance et la sous-traitance.
Or, en ce qui concerne la cotraitance, il faut d’abord rappeler le principe d’intangibilité du groupement, sauf cas limitativement prévus par le CCP. Cette question a d’ailleurs fait l’objet d’une décision récente aux termes de laquelle le Conseil d’État a statué sur la permanence du titulaire constitué en groupement dans le cadre de l’exécution d’un marché public2. En l’espèce, le juge était saisi d’un contentieux de l’exécution du contrat, tandis que la période comprise entre la date limite de remise des candidatures et l’attribution du marché ne semble guère avoir retenu la jurisprudence sur le sujet. Or, cette phase suspendue dans laquelle le candidat est engagé sans que l’acheteur n’ait encore décidé de l’être également à son égard laisse en suspens certaines interrogations en ce qui concerne la composition du candidat. En effet, la conjugaison entre, d’une part, le principe d’intangibilité du groupement et, d’autre part, la faculté encadrée de régulariser les candidatures, réserve quelques « cas limites » ouverts à l’interprétation du juriste.
Si la faculté de la régularisation des candidatures est encadrée par le CCP (I), cette réglementation doit encore être appréhendée à l’aune de dispositions propres aux candidatures présentées en groupement (II) dont l’intangibilité de la forme peut néanmoins être contournée (III).
I – Les limites de la régularisation d’une candidature
Pour mémoire, dans le cadre de la passation des marchés publics, le règlement de la consultation est obligatoire dans toutes ses mentions, sauf exigence manifestement dépourvue de toute utilité pour l’examen des candidatures ou des offres3 ou encore, si la méconnaissance d’une exigence résulte d’une erreur purement matérielle, d’une nature telle que nul ne pourrait s’en prévaloir de bonne foi dans l’hypothèse où le candidat verrait son offre retenue4. Ainsi, un concurrent évincé ayant, par ailleurs, remis une offre régulière se trouve directement lésé dans ses intérêts par l’attribution du contrat à son concurrent dont l’offre était irrégulière et aurait dû être écartée5.
Toutefois, dans une logique de loyauté des relations contractuelles et empruntant une flexibilité mesurée de l’achat public, le CCP a prévu des cas de régularisation des candidatures et/ou des offres. Ces situations dans lesquelles l’acheteur est autorisé à faire preuve de mansuétude à l’égard d’un l’opérateur économique ayant omis une information ou commis une erreur dans sa réponse à une consultation restent néanmoins soumises, d’une part, à des limites règlementaires et, d’autre part, au bon vouloir de l’acheteur6. En ce sens, l’article R. 2144-2 du Code de la commande publique permet à l’acheteur, au titre de la vérification des candidatures, lorsqu’il constate que des pièces ou informations dont la présentation était réclamée au titre de la candidature sont absentes ou incomplètes, de demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié et identique pour tous. Il s’agit ici d’une simple faculté ouverte à l’acheteur dont l’exercice doit respecter les principes de transparence et d’égalité de traitement des candidats. Surtout, cette régularisation ne semble pouvoir intervenir qu’en cas de pièces ou informations « absentes ou incomplètes ».
Qu’en est-il d’une pièce mal renseignée qui n’est, par définition, ni absente, ni incomplète, et dont l’imperfection ne procède pas d’une erreur purement matérielle ? Si dans cette circonstance, en vertu de l’article R. 2144-6 du Code de la commande publique, l’acheteur peut demander au candidat de compléter ou d’expliquer les documents justificatifs et moyens de preuve fournis ou obtenus, cette disposition ne semble pas ouvrir la voie à la simple modification d’un document. Un document de la candidature qui n’est ni absent ni incomplet, mais qui est faux dans les données qu’il contient sans qu’il ne soit possible d’y voir une erreur purement matérielle, doit alors faire l’objet de l’application de l’article R. 2144-7 du Code de la commande publique. Il en résulte que, dans la mesure où le candidat a produit, à l’appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, sa candidature doit être déclarée irrecevable et le candidat éliminé. Si cette solution semble sévère, la candidature en groupement présente encore quelques spécificités au travers desquelles les facultés de régularisation doivent s’entendre.
II – La question de la régularisation de la déclaration d’une candidature en groupement
D’emblée, il convient de souligner qu’est prévu à l’article R. 2142-25 du Code de la commande publique que l’appréciation des capacités effectuée lors de l’analyse des candidatures est globale lorsqu’il s’agit d’une soumission en groupement d’opérateurs économiques. Par conséquent, une évolution au sein de l’équipe, qu’elle concerne le mandataire ou non, affecte nécessairement les conditions de la mise en concurrence. Et si les aléas de la vie contractuelle ont conduit le législateur à encadrer des situations dans lesquelles un changement de titulaire est permis en cours d’exécution d’un marché public (CCP, art. R. 2194-6), les textes sont plus restrictifs en ce qui concerne la phase de consultation. L’article R. 2142-26 du Code de la commande publique pose en ce sens que, sauf exception7, la composition du groupement ne peut être modifiée entre la date de remise des candidatures et la date de signature du marché. Il en va autrement seulement en cas d’opération de restructuration de société, notamment de rachat, de fusion ou d’acquisition ou, si le groupement apporte la preuve qu’un de ses membres se trouve dans l’impossibilité d’accomplir sa tâche pour des raisons qui ne sont pas de son fait, il peut demander à l’acheteur l’autorisation de continuer à participer à la procédure de passation en proposant, le cas échéant, à l’acceptation de l’acheteur, un ou plusieurs nouveaux membres du groupement, sous-traitants ou entreprises liées. Inéluctablement, l’intangibilité – sauf exception – de la composition d’une équipe déclarée au titre de la candidature et les conditions de régularisation sont des données à combiner lors de l’analyse des candidatures.
De la sorte, la question des limites de la régularisation se pose à l’acheteur lorsqu’une déclaration de candidature (DC1 – déclaration des membres) est erronée en ce qu’elle désigne par exemple un membre dont les pièces de la candidature ne sont pas remises et dont la participation n’est finalement plus souhaitée par le mandataire du groupement. Dans ce premier cas, étant donné que l’erreur matérielle ne saurait s’entendre comme une simple négligence, rectifier la DC1 en supprimant le cotraitant annoncé semble peu recommandé, tandis qu’il apparaît en revanche possible de régulariser la candidature malheureuse en sollicitant de la part du mandataire la transmission des pièces manquantes de son cotraitant. Réciproquement, il est des situations dans lesquelles toutes les pièces de la candidature d’un cotraitant sont fournies alors qu’il n’a pas fait l’objet d’une déclaration sur la DC1. Dans ce second cas, le document semble pouvoir être considéré comme incomplet et donc régularisable pour erreur matérielle, la composition du groupement se déduisant de l’ensemble du dossier remis.
Ces cas limites rejoignent les questions que la mise en œuvre du formalisme propre au droit de la commande publique génère telles que le traitement des cotraitants et/ou compétences additionnels. Un tel ajout spontané procède-t-il d’une mauvaise définition du besoin par l’acheteur ou traduit-il, au contraire, la remise d’une candidature irrecevable ? Incontestablement, le droit encadre fermement la vie d’un groupement d’opérateurs économiques en phase de consultation comme en cours d’exécution du marché public. Une faille est toutefois ouverte dans le recours à la sous-traitance, lequel n’a vraisemblablement pas fait l’objet d’un encadrement identique, qu’il s’agisse de la réglementation ou de la jurisprudence.
III – La sous-traitance au secours de l’intangibilité du groupement en phase de candidature
Un sous-traitant peut être déclaré dès la candidature. Cela permet au mandataire de s’appuyer sur les capacités d’autres opérateurs économiques, sous réserve d’en justifier des capacités et d’apporter la preuve qu’il en disposera pour l’exécution du marché. Surtout, la sous-traitance, prévue aux articles L. 2193-1, R. 2193-1 et suivants du Code de la commande publique, permet à tout moment au titulaire de faire participer une autre personne à l’exécution d’un marché, sous sa responsabilité. Et, tout comme la sous-traitance présentée en cours d’exécution du marché porte potentiellement atteinte aux règles de publicité et de mise en concurrence puisqu’elle altère virtuellement et a posteriori l’analyse des candidatures voire des offres, la sous-traitance présentée en cours de consultation – qui ne semble pas prohibée – pourrait permettre de contourner l’irrecevabilité qu’encourt un groupement mal déclaré. C’est-à-dire que bien que la composition d’un groupement soit intangible, il reste toujours la possibilité de procéder par demande de complément en application de l’article R. 2144-6 du Code de la commande publique8. Afin de détourner la limite posée par l’article R. 2142-26, l’opérateur économique pourra alors compléter les documents justificatifs – sans toutefois modifier la composition du groupement – et préciser qu’il entend sous-traiter cette compétence oubliée. Il fournira par la même occasion les documents relatifs à la sous-traitance en application de l’article R. 2144-2 du Code de la commande publique.
Notes de bas de pages
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1.
CCP, art. R. 2142-22 : « L’acheteur ne peut exiger que le groupement d’opérateurs économiques ait une forme juridique déterminée pour la présentation d’une candidature ou d’une offre. L’acheteur peut exiger que les groupements d’opérateurs économiques adoptent une forme juridique déterminée après l’attribution du marché dans la mesure où cela est nécessaire à sa bonne exécution. Dans ce cas, l’acheteur justifie cette exigence dans les documents de la consultation ».
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2.
CE, 16 mai 2022, n° 459408, Sté hospitalière d’assurances mutuelles : Lebon T. ; JCP A 2022, act. 362.
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3.
CE, 22 mai 2019, n° 426763, Sté Corsica Ferries : Lebon T. ; AJDA 2019, p. 1137 ; BJCP 2019, p. 340, concl. G. Pellissier – CE, 28 mars 2022, n° 454341, Cne de Ramatuelle et Sté Tropezina Beach Development : Lebon T. ; AJDA 2022, p. 657 ; JCP A 2022, act. 262.
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4.
CE, 20 juill. 2022, n° 458427, Cne du Lavandou : Lebon T. ; AJDA 2022, p. 1532.
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5.
CE, 21 juill. 2022, n° 456472.
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6.
Sur la faculté ouverte au pouvoir adjudicateur quant à la régularisation, v. CE, 18 déc. 2020, n° 429768, Sté Architecture Studio : Lebon T. ; AJDA 2020, p. 2527.
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7.
CCP, art. L. 2141-13 : « Lorsque le motif d’exclusion de la procédure de passation concerne un membre d’un groupement d’opérateurs économiques, l’acheteur exige son remplacement par un autre opérateur économique qui ne fait pas l’objet d’un motif d’exclusion, dans un délai de dix jours à compter de la réception de cette demande par le mandataire du groupement, sous peine d’exclusion du groupement de la procédure ».
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8.
CCP, art. R. 2144-6 : « L’acheteur peut demander au candidat de compléter ou d’expliquer les documents justificatifs et moyens de preuve fournis ou obtenus ».
Référence : AJU009h7