L’actualité du contentieux du référé-liberté

Publié le 23/10/2018

L’actualité du référé-liberté devant le juge administratif est particulièrement féconde ces derniers mois, portant sur des affaires emblématiques comme celles des migrants de Calais avec au cœur du débat la possible émergence d’un droit à l’accès à l’eau comme liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, l’occupation du site « Pierre Mendès France – Tolbiac » de l’université Paris I, la grande roue de la Concorde, le fichier STARTRAC, l’affaire du Levothyrox. Manière de voir préciser par le juge son office et ses pouvoirs, de vérifier si la liste des libertés fondamentales s’étend ou non, de s’interroger sur des questions moins classiques comme celle de l’exécution des décisions du juge du référé-liberté. D’où la grille d’analyse proposée.

I – La compétence du juge du référé-liberté

La question de la compétence du juge des référés s’est posée à l’occasion de l’affaire dite du fichier STARTRAC, mis en œuvre par le service à compétence nationale Tracfin. En discussion devant le juge, l’accès aux données du fichier STARTRAC qui n’intéressent pas la sûreté de l’État notamment au regard de l’article L. 841-2 du Code de la sécurité intérieure, issu de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui donne compétence au Conseil d’État pour connaître de certaines requêtes. Saisi par le dirigeant d’une société qui s’était vu refuser un prêt par diverses banques et qui avait saisi la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) afin de pouvoir accéder aux données le concernant contenues dans le fichier STARTRAC et d’une demande de suspension du refus du ministre de lui donner accès au fichier, le juge des référés du tribunal administratif de Paris écarte l’exception d’incompétence soulevée par le ministre en relevant que la procédure particulière prévue par l’article L. 841-2 du Code de la sécurité intérieure ne donne compétence au Conseil d’État qu’en ce qui concerne les données intéressant la sûreté de l’État. Le juge des référés a considéré qu’en l’absence de procédure équivalente pour les autres données des fichiers informatiques concernant, a contrario, « la défense et la sécurité publique », il pouvait être saisi par la voie du référé-liberté du litige concernant la communication de ces données1.

II – Référé-liberté ou référé-suspension : il faut choisir !

Étonnant que le Conseil d’État soit encore obligé en 2018 de rappeler que les demandes formées devant le juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative sont présentées, instruites, jugées et, le cas échéant, susceptibles de recours selon des règles distinctes de celles applicables aux demandes présentées sur le fondement de l’article L. 521-2 de ce code et « qu’elles ne peuvent par suite pas être présentées simultanément dans une même requête »2. Une requête unique qui mêle les genres est évidemment irrecevable.

III – Urgence et atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale : cumul des conditions ou conditions alternatives ?

Sans surprise, le juge du référé-liberté du tribunal de Lille a rappelé que les conditions relatives à l’urgence et à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, présentent un caractère cumulatif3, dans la ligne du Conseil d’État4.

IV – La condition d’urgence

Le mode d’emploi du référé-liberté est rappelé par le juge administratif énonçant « qu’il appartient ainsi au requérant, qui saisit le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, de justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier à très bref délai d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article »5. La formulation du tribunal de Paris n’est guère différente : « Lorsqu’un requérant fonde son action sur la procédure instituée par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d’urgence particulière qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par cette disposition soient remplies, qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise à très bref délai »6. On rappelle la grille fixée par le Conseil d’État dans son arrêt du 28 juillet 2017, Section française de l’observatoire international des prisons : « Le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ». Au-delà de cette grille l’appréciation est toujours affaire d’espèce.

A – Admission de l’urgence

L’urgence est caractérisée dès lors que le requérant démontre sa situation économique et financière obérée. Ainsi d’une entreprise privée de toute compétitivité et dont les 80 emplois existants sont menacés7. De même l’urgence a été retenue en matière de demande d’asile au motif particulier qu’« en l’absence de toute autre voie de recours effective et rapide lui permettant de se prévaloir de l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 29 du règlement du 26 juin 2013 qui serait intervenue postérieurement à l’adoption de l’arrêté de transfert du 21 juillet 2017, M. M., alors même qu’il n’a pas contesté cette décision dans les conditions prévues par l’article L. 742-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est recevable à saisir le juge des référés sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ; que compte tenu de ce que la mesure d’éloignement est susceptible d’être exécutée dès le 20 novembre 2017, date à laquelle l’intéressé est convoqué à la préfecture de police, ainsi qu’il a été confirmé à l’audience par le représentant de la préfecture de police, la condition d’urgence est remplie »8.

B – Absence d’urgence

L’affaire du Levothyrox en donne une bonne illustration en ce que le juge a estimé qu’il n’est pas établi que les quantités de boîtes auxquelles s’ajoutent les stocks issus des précédentes importations, ne seraient pas suffisantes pour éviter à très bref délai une pénurie et garantir aux requérants comme aux autres patients intéressés des dosages conformes à leurs prescriptions médicales. En outre, l’Administration a fait état de ce que si la fabrication de l’ancienne formule du Levothyrox devrait être prochainement abandonnée dans l’ensemble de l’Europe, l’arrêt de la production devrait être progressif, rendant ainsi le cas échéant envisageable, la poursuite d’importations en France au-delà du 31 décembre 2018.

En matière de droit d’asile, l’urgence a pu ne pas être caractérisée eu égard à l’absence de risque que la personne soit transférée vers l’Italie ou fasse l’objet d’une mesure d’éloignement faisant échec à un éventuel traitement en France de sa demande d’asile, dans l’immédiat et jusqu’à ce qu’une cour administrative d’appel se soit prononcée, la condition d’urgence posée par les dispositions précitées ne pouvant être regardée comme remplie, nonobstant les problèmes de santé allégués par l’intéressé.

V – L’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale

À noter que l’invocation d’une liberté fondamentale n’est pas le monopole du requérant en référé liberté. Ainsi, la commune de Dunkerque avait-elle fait valoir, en défense, dans l’affaire du Bal des Noirs que les demandes des associations portent en revanche atteinte à la liberté de réunion protégée par l’article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales9. Le Conseil d’État a fixé la grille d’appréciation du caractère manifestement illégal de l’atteinte à la liberté fondamentale « en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a, dans ce cadre, déjà prises »10.

A – La caractérisation d’une « liberté fondamentale »

Jugé « qu’en l’absence d’atteinte à une liberté fondamentale qui conditionne l’application des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, les autres moyens soulevés par l’association “Le monde festif en France” sont inopérants et ne peuvent qu’être écartés »11. Dès lors, la question de savoir si une « liberté fondamentale » est mobilisable devant le juge est… fondamentale12. Rappelé récemment que le principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui découle de la liberté d’entreprendre est une liberté fondamentale13. Il est évidemment intéressant de relever les tentatives, voire les audaces des requérants pour faire juger tel droit, principe, liberté comme « fondamental ». Ainsi, dans l’affaire dite de La nuit des Noirs, les requérants avaient-ils invoqué outre le principe de dignité de la personne humaine « la cohésion nationale et à la convention de New-York relative à la protection des droits de l’enfant en véhiculant des stéréotypes discriminatoires qui encouragent le racisme et portent atteinte à la mémoire des descendants des victimes de l’esclavage, de la déportation des Africains et du travail forcé, et en dénigrant dans des postures humiliantes une partie de la nation française ayant des origines africaines ou antillaises ». Le juge n’a toutefois pas eu besoin de se prononcer sur ces textes et principes14. En dernière date, soulignons la tentative de plusieurs associations pour faire ériger, par le juge du référé-liberté, « le droit à l’accès à l’eau » comme liberté fondamentale dans l’affaire dite des migrants de Calais. Le juge des référés n’a pas fait droit à cette sollicitation mais au visa du principe de dignité a fait néanmoins droit à une partie des demandes15. On ne saurait passer sous silence l’ordonnance du juge du tribunal de Besançon du 28 août 2018 qui déduit des articles 2 et 72-3 de la constitution de 1958 ainsi que de son préambule d’une part l’existence d’un principe de fraternité qu’il érige en liberté fondamentale16, d’autre part juge que cette liberté fondamentale implique « le droit d’aider autrui dans un but humanitaire ». Précision faite dans cette même décision que cette liberté fondamentale n’implique pas « le droit de mendier ».17

B – La caractérisation de l’atteinte à une liberté fondamentale

Le Conseil d’État, dans son arrêt du 26 juillet 201818, précise que : « 7. Le juge des référés ne peut faire usage des pouvoirs que l’article L. 521-2 du Code de justice administrative lui confère qu’en cas d’illégalité grave et manifeste commise par une autorité administrative. À supposer même que la demande d’aide juridictionnelle formée par M. B. en vue de demander le renvoi pour cause de suspicion légitime de l’affaire enregistrée au greffe de la cour administrative d’appel de Paris sous le n° 16PA1251 de cette cour à une autre cour administrative d’appel serait nouvelle, il est manifeste qu’une telle demande serait en tout état de cause irrecevable dès lors qu’il est constant que le président de la troisième chambre de cette cour a déjà statué sur cette affaire par une ordonnance du 8 janvier 2018. Les autres moyens soulevés par M. B. sont à l’évidence inopérants ou dénués de fondement. Il suit de là que M. B. n’établit aucune atteinte grave et manifestement illégale à son droit à un recours effectif »19.

1 – L’absence d’atteinte à une liberté fondamentale

a – Au regard de l’intérêt général

C’est cette considération qui conduit à juger « Dès lors qu’il appartient à la ville de Paris de gérer son domaine tant dans l’intérêt du domaine et de son affectation que dans l’intérêt général, l’association “Le monde festif en France”, ainsi qu’il a été dit au point 2, ne peut utilement opposer au refus contesté aucun droit, fondé sur le principe de la liberté du commerce et de l’industrie, à exercer une activité économique sur ce domaine public »20.

b – Au regard de la situation du requérant ou son attitude

Ainsi en matière de droit d’asile, à défaut pour un requérant de justifier de sa situation personnelle ou familiale de nature à faire obstacle à son transfert en Italie et alors que c’est à tort que le préfet de police l’a regardé comme étant « en fuite », il ne peut se prévaloir de l’expiration du délai de 6 mois prévu à l’article 29 du règlement à compter de l’acceptation par les autorités italiennes de la demande de reprise en charge pour soutenir que la France est à nouveau responsable du traitement de sa demande d’asile. En conséquence, est jugé qu’en le convoquant le 20 novembre 2017 pour procéder à l’exécution de la mesure d’éloignement qui le vise le préfet de police n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile. Toujours en cette matière, jugé que le refus du préfet d’enregistrer une demande d’asile ne peut être regardé comme portant une atteinte grave et manifestement illégale au droit constitutionnel d’asile « dès lors que les intéressés ne s’étant pas présentés à l’embarquement de leur vol à destination de l’Italie ils ont été placés en fuite et ne pouvaient dès lors plus se prévaloir de l’échéance du délai de 6 mois prévu à l’article 29-1 du règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 »21.

c – Au regard des risques pour la sécurité des personnes

Un étudiant à l’université Paris I et l’Union nationale interuniversitaire avaient saisi le juge aux fins d’enjoindre au préfet de police de faire cesser l’occupation du site « Pierre Mendès France – Tolbiac » soutenant que cette occupation portait atteinte à la liberté personnelle, la liberté d’aller et venir et au droit à l’éducation. Le juge pointant notamment qu’aux étudiants qui occupent irrégulièrement les locaux se mêlent « des personnes extérieures à l’université, dont le comportement, au regard des actes de violence déjà commis, peut être imprévisible, de sorte que toute opération comporte, en l’état, des risques, notamment pour la sécurité des étudiants, des personnes, qui procèdent à l’occupation irrégulière des locaux mais aussi des membres des forces de l’ordre » décide qu’« au regard de ces considérations, et en dépit des difficultés conséquentes qu’entraîne cette occupation pour la scolarité des étudiants, le préfet de police n’a pas fait une appréciation manifestement erronée de la situation en refusant de donner suite, à la date de la présente décision, à la demande du président de l’université »22.

d – Au regard de l’ordre public

Dans son arrêt du 26 juillet 201823, le Conseil d’État précise que : « 4. Il appartient au juge des référés de s’assurer, en l’état de l’instruction devant lui, que l’autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public notamment la sécurité publique, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans la détermination des modalités de la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance. Le juge des référés, s’il estime que les conditions définies à l’article L. 521-2 du Code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute mesure qu’il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte ». On se souvient entre autres de l’affaire Association Génération identitaire visant à la suspension de l’exécution de l’arrêté par lequel le préfet de police a interdit la manifestation qu’ils avaient l’intention d’organiser en vue d’une « marche pour la défense de l’Europe contre le terrorisme islamiste ». Le juge des référés rappelant que « le respect de la liberté de manifestation, qui a le caractère d’une liberté fondamentale, doit être concilié avec le maintien de l’ordre public » et qu’il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police (…) d’apprécier le risque de troubles à l’ordre public et, sous le contrôle du juge administratif, de prendre les mesures de nature à prévenir de tels troubles dont, le cas échéant, l’interdiction de la manifestation si une telle mesure est seule de nature à préserver l’ordre public » considère au regard des faits de l’espèce que la mesure d’interdiction ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté de manifester, faisant application comme le souligne le communiqué du tribunal du principe dégagé par le Conseil d’État selon lequel le respect de la liberté de manifestation ne fait pas obstacle à ce que l’autorité investie du pouvoir de police interdise une activité si une telle mesure est seule de nature à prévenir un trouble à l’ordre public24.

e – La liberté fondamentale à l’épreuve du « burlesque » !

Le juge a estimé que l’organisation de la soirée intitulée « La nuit des Noirs » « au cours de laquelle les participants se griment en noir et revêtent les tenues traditionnelles des tribus africaines, s’inscrivant délibérément dans l’iconographie colonialiste, est de nature à choquer ; que, toutefois, l’abstention puis le refus du maire de Dunkerque, du sous-préfet de l’arrondissement et du ministre de l’Intérieur de faire usage de leurs pouvoirs de police pour y mettre fin, ne constituent pas en eux-mêmes, compte tenu du contexte burlesque général des festivités du carnaval de Dunkerque et eu égard à l’absence de justifications de risques de commission d’infractions à caractère racial et de troubles à l’ordre public qui pourraient en résulter, une illégalité manifeste portant atteinte à une liberté fondamentale qu’il appartiendrait au juge administratif des référés de faire cesser »25.

2 – L’atteinte à une liberté fondamentale

Le juge suspend la décision par laquelle le ministre chargé des Finances a refusé l’accès aux données ne concernant pas la sûreté de l’État susceptibles de le concerner figurant dans le traitement automatisé de données STARTRAC du service à compétence nationale Tracfin au motif que « si les dispositions législatives et réglementaires précitées aménagent les conditions de communication des informations en litige et si le principe du contradictoire peut être limité afin de donner pleine efficacité à ces mêmes dispositions, le ministre ne justifie pas, dans les circonstances de l’espèce, l’atteinte grave et immédiate portée par son absence de toute réponse, y compris dans le cadre de la procédure aménagée devant le juge administratif, à la liberté d’entreprendre qui est une liberté fondamentale garantie par la constitution et notamment son préambule. À cet égard, si la loi peut limiter les libertés fondamentales dans l’intérêt de la défense et de la sécurité publique, elle ne peut être invoquée par l’Administration pour se soustraire à tout contrôle du juge dans le cadre d’une procédure aménagée afin de garantir à la fois les libertés fondamentales et les intérêts nationaux de défense et de sécurité publique »26.

VI – Les mesures susceptibles d’être ordonnées par le juge du référé-liberté

A – L’office du juge

Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du Code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés-liberté de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. La lecture des requêtes illustre l’imagination et l’audace parfois des requérants. Rappelé qu’« il incombe au juge des référés d’apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l’administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l’article L. 521-2 »27. Le Conseil d’État précise encore dans sa décision du 30 août 201828 : « Considérant que, pour apprécier si le comportement des autorités publiques est constitutif d’une carence susceptible de justifier l’intervention du juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2, il y a lieu, notamment, de prendre en compte les ressources et moyens dont disposent les personnes concernées elles-mêmes pour prévenir ou faire cesser la situation à laquelle elles sont ou se sont exposées ».

B – La diversité des mesures proposées au juge

On peut demander au juge du référé-liberté la suspension d’une décision, de délivrer des injonctions dont le juge apprécie au cas par cas si elles sont nécessaires ou pas. On peut évidemment lui demander de prononcer des expulsions. Ainsi de l’affaire des troubles à l’université Paris I et de l’occupation du site « Pierre Mendès France – Tolbiac » à l’occasion de laquelle il a été demandé d’enjoindre au préfet de police de Paris de mettre en œuvre l’évacuation sollicitée par le président de l’université Paris I afin de faire cesser l’occupation du site « Pierre Mendès France – Tolbiac » et de faire libérer l’accès aux locaux d’enseignement de la faculté, au besoin avec l’usage de la force publique, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l’ordonnance, sous astreinte de 500 € par jour de retard. Et en tant que de besoin, d’ordonner l’expulsion de toute personne occupant sans droit ni titre les locaux de l’université Paris I Sorbonne du site « Pierre Mendès France – Tolbiac » à la date de la notification de l’ordonnance. Enfin, subsidiairement d’ordonner au préfet de police de faire fermer sous la surveillance des forces de l’ordre tous les accès à l’université du site de Tolbiac afin que n’y pénètre aucun moyen de subsistance permettant la continuation de l’occupation et, plus largement, de prendre toute mesure utile permettant aux étudiants de recouvrer la liberté d’aller et venir dans les locaux du centre Tolbiac, d’y suivre les enseignements et d’y passer leurs examens29. Plus originale la demande faite dans l’affaire dite La nuit des Noirs où les requérants ont demandé d’enjoindre au sous-préfet de Dunkerque de faire cesser le trouble à l’ordre public résultant de l’organisation de la soirée prévue le 10 mars 2018 et – là est l’originalité voire l’audace – d’enjoindre aux organisateurs de cette soirée d’en modifier le thème en concertation avec le Défenseur des droits.

Originale aussi cette affaire ayant conduit un requérant à saisir le juge pour voir ordonner à un CHU de procéder à son admission en urgence et de réaliser l’intervention chirurgicale concernant son escarre, en particulier à la date prévue ainsi que d’assurer sa prise en charge post-opératoire soit directement, soit dans un centre de soins et réadaptation dans la région de Montpellier jusqu’à la guérison de l’escarre et la cicatrisation30.

C – Les mesures prises par le juge sont provisoires (mais pas tout le temps)

Les mesures demandées et in fine prises par le juge doivent en principe présenter un caractère provisoire. Toutefois, le juge peut aller au-delà dès lors qu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte31. Dans cette affaire, le juge du référé-liberté a estimé qu’en l’espèce, « aucune mesure de nature provisoire n’est susceptible à brève échéance de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté d’entreprendre à laquelle il est porté atteinte. Dans ces conditions, il est enjoint au ministre de l’Action et des Comptes publics de mettre en œuvre toutes mesures afin de répondre à la demande d’information du requérant ».

D – La mesure prise par le juge ne peut jamais être une annulation

La jurisprudence est ici bien arrêtée. Aux termes de l’article L. 511-1 du Code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ». Et pour ce qui concerne le référé-liberté, cela va donc de soi : « Considérant qu’il n’appartient pas au juge des référés qui ne peut prendre que des mesures provisoires d’annuler une décision administrative ; que, par suite, les conclusions, présentées à titre subsidiaire, tendant à l’annulation de la soirée intitulée “La nuit des Noirs” ne peuvent qu’être rejetées »32.

VII – L’exécution et la modification des décisions du juge du référé-liberté

A – Le souci de permettre le plein effet des décisions du juge des référés-liberté

Ayant rappelé qu’il incombe aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu’implique le respect des décisions juridictionnelles, le Conseil d’État a précisé que « si l’exécution d’une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier les articles L. 911-4 et L. 911-5, la personne intéressée peut également demander au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-4 du même code, d’assurer l’exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte. En revanche, il n’appartient pas au juge des référés de prononcer, de son propre mouvement, de telles mesures destinées à assurer l’exécution de celles qu’il a déjà ordonnées »33. Dans ce sillage, l’ordonnance rendue dans l’affaire des migrants de Calais mérite l’attention. Estimant que l’ordonnance du juge du référé-liberté du 26 juin 2017 n’a pas reçu une exécution complète et conforme, les requérantes demandent d’ordonner plusieurs mesures sur le fondement de l’article L. 521-2 afin de faire cesser les atteintes graves et manifestes à certaines libertés fondamentales. Il faut noter que le débat est alors celui d’un nouveau référé avec la nécessité de remplir toutes les conditions du référé-liberté. Le juge va ne faire droit qu’à une partie de ces demandes et enjoint au préfet de mettre en place à destination des campements du secteur Est, un nouveau point d’accès aux latrines, entretenues régulièrement34. Une autre affaire relative à une demande tendant à ce qu’il soit enjoint au directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration d’instruire une demande tendant à bénéficier des conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile. Par une ordonnance du 23 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes avait enjoint au directeur de l’Office d’instruire la demande à compter du dépôt de leur demande de réexamen de leur demande d’asile, dans un délai de 7 jours. Considérant que si M. B. et Mme C. ont, le 11 janvier 2016, saisi le tribunal administratif de Nantes, sur le fondement de l’article L. 911-4 du Code de justice administrative, d’une demande tendant à l’exécution de cette ordonnance de référé, il résulte de l’instruction que la demande de réexamen de leur demande d’asile a été rejetée par une décision de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 31 décembre 2015, qui est devenue définitive ; que c’est à bon droit que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué du 21 juillet 2016, jugé qu’il n’y avait pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’ordonner des mesures pour l’exécution de l’ordonnance de référé du 23 décembre 201535. Parmi les mesures susceptibles d’etre modifiées via l’article L. 521-2 du CJA il y a les mesures d’expertise judiciaires comme en atteste l’ordonnance du juge de Chalons-en-Champagne dans une affaire bien connue et aux multiples épisodes contentieux36.

B – Les problèmes de compétence

Cette même affaire a posé une question de compétence à l’intérieur de la juridiction administrative. Jugé que la demande d’exécution d’une ordonnance du juge du référé-liberté doit être portée devant ce juge et, en appel, devant le président de la section du contentieux du Conseil d’État37.

VIII – Référé-liberté et voie de recours effective et rapide au sens de la Cour de justice de l’Union européenne

Pour le Conseil d’État, « s’il résulte du point 49 de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 25 octobre 2017 Majid Shiri (n° C-201/16), ainsi que le soutient en appel le requérant, qu’un demandeur d’asile doit pouvoir disposer d’une voie de recours effective et rapide pour se prévaloir de l’expiration du délai de 6 mois afin de procéder à son transfert vers l’État membre qui a accepté, il n’en résulte pas qu’il s’agisse nécessairement en droit interne de la procédure prévue par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative ». Le juge rejette ainsi la demande38.

Notes de bas de pages

  • 1.
    TA Paris, 3 mars 2018, n° 1802999, M. T (appel interjeté à la CAA n° 41905).
  • 2.
    CE, 2 août 2018, n° 420481.
  • 3.
    TA Lille, ord., 9 mars 2018, n° 1802009.
  • 4.
    CE, 26 juill. 2018, n° 421832.
  • 5.
    TA Lille, ord., 9 mars 2018, n° 1802009.
  • 6.
    TA Paris, 3 mars 2018, n° 1802999, M. T.
  • 7.
    TA Paris, 3 mars 2018, n° 1802999, M. T.
  • 8.
    V. aussi dans le même sens TA Paris, ord., 15 janv. 2018, 1800444-9.
  • 9.
    TA Lille, ord., 9 mars 2018, n° 1802009.
  • 10.
    CE, 28 juill. 2017, n° 410677, Section française de l’observatoire international des prisons : cet arrêt est rubriqué dans le Rapport public du Conseil d’État 2018 (p. 105-106). Le Conseil d’État précisant qu’il étend ainsi aux conditions de détention l’application de la grille d’analyse adaptée aux droits-créances de deuxième génération.
  • 11.
    TA Paris, ord. du juge des référés, 21 déc. 2017, nos 1719295 et 1719298, Association « Le monde festif en France » (pour l’emplacement place de la Concorde).
  • 12.
    Parmi celles déjà reconnues : la liberté d’expression, la liberté d’aller et venir, la liberté d’opinion, le droit d’asile, le droit de mener une vie familiale normale, le droit de propriété, le droit au respect de la vie, la libre administration des collectivités territoriales.
  • 13.
    TA Paris, ord. du juge des référés, 21 déc. 2017, nos 1719295 et 1719298, Association « Le monde festif en France » (pour l’emplacement place de la Concorde).
  • 14.
    TA Lille, ord., 9 mars 2018, n° 1802009.
  • 15.
    TA Lille, ord., 31 juill. 2018, n° 1806567.
  • 16.
  • 17.
    TA Besançon, ord, 28 août 2018, n° 1801454. On rappelle que le Conseil constitutionnel dans sa décision QPC 2018-717/718 du 6 juillet 2018 a érigé en principe constitutionnel le principe de fraternité impliquant la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire. Le droit d’aider autrui chez le Conseil, la liberté d’aider autrui chez le juge des référés, est-ce forcément la même chose ?
  • 18.
    CE, 26 juill. 2018, n° 422303.
  • 19.
    V. aussi pour une atteinte retenue au regard du droit d’asile : TA Paris, ord., 15 janv. 2018, 1800444-9.
  • 20.
    TA Paris, ord. du juge des référés, 21 déc. 2017, nos 1719295 et 1719298, Association « Le monde festif en France ».
  • 21.
    CE, 30 juill. 2018, n° 422630.
  • 22.
    TA Paris, ord., 18 avr. 2018, n° 1805992/9.
  • 23.
    CE, 26 juill. 2018, n° 422322.
  • 24.
    TA Paris, ord. du juge des référés, 25 nov. 2017, n° 1718028, Mme B., M. O de P., M.
  • 25.
    TA Lille, ord., 9 mars 2018, n° 1802009 (affaire du bal des Noirs).
  • 26.
    TA Paris, 3 mars 2018, n° 1802999, M. T (appel interjeté à la CAA n° 41905).
  • 27.
    CE, 26 juill. 2018, n° 422502.
  • 28.
    CE, 30 août 2018, n° 423240.
  • 29.
    TA Paris, ord., 18 avr. 2018, n° 1805992/9.
  • 30.
    CE, 27 juill. 2018, n° 422241, requête rejetée par le Conseil d’État.
  • 31.
    TA Paris, 3 mars 2018, n° 1802999, M. T.
  • 32.
    TA Lille, ord., 9 mars 2018, n° 1802009.
  • 33.
    CE, 28 juill. 2017, n° 410677, Section française de l’observatoire international des prisons.
  • 34.
    TA Lille, ord., 31 juill. 2018, n° 1806567.
  • 35.
    CE, 26 juill. 2018, n° 417826.
  • 36.
    TA de Chalons-en- Champagne, ord, 20 avr. 2018, 1800820. À noter que dans cette affaire la formation de référé-liberté était collégiale.
  • 37.
    CE, 26 juill. 2018, n° 417826.
  • 38.
    CE, 26 juill. 2018, n° 421832.
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