L’Autorité de la concurrence teste avec succès la nouvelle transaction

Publié le 08/08/2017

La présidente de l’Autorité de la concurrence, Isabelle de Silva, a présenté son rapport annuel d’activité à la presse le 3 juillet dernier. Une petite année en termes de sanctions avec seulement 200 millions d’amende prononcés. L’Autorité se félicite de la nouvelle procédure de transaction et espère de nouveaux pouvoirs dans le cadre de la réforme européenne.

À tort ou à raison, l’un des indicateurs qui focalise l’attention à l’occasion des bilan annuels d’activité des autorités de régulation est le montant des amendes prononcées. Cette année l’Autorité de la concurrence a eu la main légère : 200 millions d’euros de condamnations en tout. Cela peut paraître peu, rapporté au 1,252 milliard d’euros prononcé en 2015 (1,01 milliards en 2014, 160 millions en 2013, 540,5 millions en 2012, 419 millions en 2011). Pour autant, la nouvelle présidente, Isabelle de Silva, qui a succédé à Bruno Lasserre fin 2016, a insisté sur le fait que les sujets sanctionnés étaient importants. Ainsi, le 8 novembre 2016, l’Autorité a annoncé qu’elle venait de sanctionner solidairement Altice Luxembourg et SFR Group à hauteur de 80 millions d’euros pour la réalisation, avant autorisation, de deux opérations de concentration dans le secteur des communications électroniques, notifiées en 2014. C’est ce qu’on appelle du gun jumping. Cette décision est une première en France, mais aussi en Europe en raison de son importance. L’Autorité de la concurrence adresse ainsi un message fort aux entreprises : elles doivent être vigilantes à ne pas mettre en œuvre de façon anticipée une concentration, sous peine d’encourir de lourdes sanctions. La Commission européenne examine actuellement une affaire similaire impliquant SFR au Portugal, a précisé la présidente. Sur l’ensemble des 14 sanctions prononcées en 2016, 9 ont porté sur des faits d’entente, 2 sur des abus de position dominante, les autres ont concerné un non-respect d’engagement, une réalisation anticipée de concentration (le fameux dossier et gun jumping) et une mise en place d’importations exclusives. S’agissant de son activité de contrôle des concentrations, l’Autorité a connu un record en 2016 avec 230 décisions contre 192 l’année précédente. Sur ces 230 décisions, on dénombre 224 décisions d’autorisation sans engagements et 6 avec engagements.

Les prothèses audio, les notaires et les huissiers

Parmi les sujets qui concentrent particulièrement l’attention de l’Autorité de la concurrence en ce moment figure la santé. D’une manière générale, l’Autorité considère que ce secteur est très réglementé. Elle a ouvert une enquête sur les prothèses audio pour comprendre les raisons du sous-équipement des Français en la matière. En effet, 1/3 des Français qui devraient être appareillés ne le sont pas. C’est dû notamment aux modalités de remboursement. Pour l’Autorité, il faut revoir le forfait global « appareil plus suivi », et il faut également assouplir le numerus clausus pour répondre aux besoins importants de nouveaux spécialistes. L’Autorité s’est également penchée sur la vente en ligne de médicaments, domaine dans lequel elle constate un excès de contraintes qui freine la baisse de prix. Il est par exemple plus compliqué d’acheter un anti-douleur célèbre sur internet que dans une pharmacie.

Autre sujet d’attention, nouveau celui-ci puisqu’il a été attribué à l’Autorité par la loi Macron : les professions réglementées. la présidente s’est félicitée de l’augmentation de la création des offices de notaires de 20 % ainsi que des études d’huissiers (+ 6,5 %). Pour la présidente, « L’enjeu est de lever les freins à l’accès à ces professions pour les jeunes diplômés, tout en garantissant, par des analyses économiques étendues, que le nombre de professionnels sur les différents territoires est adapté à l’économie des professions et aux besoins du public. Cette mini révolution introduit une nouvelle forme de régulation originale pour ces professions, qui conduit à une dynamique concurrentielle renforcée, au bénéfice du public, sans remise en cause des garanties attachées à leur fonctionnement ». L’Autorité a constitué en son sein une nouvelle unité dédiée à cette mission et s’emploie par ailleurs à associer des personnalités qualifiées lorsque le collège se prononce sur des installations de professions réglementées.

Troisième domaine d’intérêt, le numérique. « Le mouvement de digitalisation de l’économie est un défi pour les entreprises mais aussi pour les pouvoirs publics et les régulateurs, qui doivent également faire preuve de capacité d’adaptation et réinventer, si nécessaire, leurs outils conceptuels ou leurs modes d’intervention », explique Isabelle de Silva. C’est ainsi que l’Autorité de la concurrence a innové à l’occasion du rapprochement de la Fnac avec Darty. Elle a en effet décidé pour la première fois d’intégrer les ventes en ligne dans l’appréciation du commerce de détail. De même, elle s’est livrée à la première évaluation ex-post de ses décisions en examinant l’impact concurrentiel des engagements pris par la plate-forme de réservation hôtelière Booking.com en avril 2015, au niveau national et européen. Il apparaît que si les grandes chaînes hôtelières ont pris la mesure de leurs droits, il reste de la pédagogie à faire auprès des hôteliers indépendants. « L’Autorité revendique une approche proactive visant à anticiper les problématiques, nombreuses, soulevées par l’économie numérique », souligne Isabelle de Silva. En pratique, cela signifie qu’à côté des décisions contentieuses, elle se saisit de sujets d’analyses. Elle a ainsi lancé une consultation sur la publicité en ligne en raison de la très forte progression du chiffre d’affaires de cette activité. Internet est devenu en effet le premier marché publicitaire devant la presse traditionnelle. L’intérêt de ce marché est également important car il s’appuie sur le Big Data et offre l’occasion à l’Autorité d’examiner les mécanismes de ce nouveau levier de croissance.

Une relation plus apaisée avec les parties

Concernant le contexte réglementaire, l’Autorité poursuit la mise en place de la transaction créée par la loi Macron. Jusqu’alors, dans la procédure de non contestation des griefs, l’entreprise savait qu’elle bénéficierait d’une remise, mais elle ignorait dans quelle proportion. Désormais, dans le cadre du nouveau dispositif, l’Autorité propose une fourchette de sanction. C’est ce qui a notamment été fait dans les dossiers de gun jumping et qui a débouché sur la sanction de 80 millions d’euros. A priori, cette nouvelle procédure est une réussite. « Dès son entrée en vigueur, elle s’est parfaitement acclimatée : sur les trois affaires dans lesquelles la procédure était applicable en 2016, toutes ont donné lieu à une transaction impliquant soit l’ensemble, soit certaines des parties. Du point de vue de l’Autorité, cette procédure préserve l’efficacité de son action, tout en instaurant une relation plus apaisée avec les parties », commente la présidente. Toujours au chapitre réglementaire, l’Autorité attend beaucoup du projet de directive européenne (directive ECN) pour renforcer le réseau européen des autorités de concurrence. Ce réseau, qui a prouvé son efficacité depuis 14 ans, doit entrer dans une nouvelle phase. L’objectif de Bruxelles consiste à instituer un socle institutionnel et procédural commun à l’ensemble des autorités pour qu’elles bénéficient d’une puissance et d’une indépendance identiques et disposent des mêmes instruments de régulation. Une ambition qui suscite des débats intéressants sur la définition de l’indépendance, de l’autonomie ou encore sur la nature des pouvoirs minimaux qui doivent être dévolus à ces autorités. À ce sujet, la présidente espère que cela permettra à l’Autorité française de conquérir de nouveaux pouvoirs. Par exemple, ce qui est actuellement inscrit dans la loi française pourrait monter dans la directive européenne et ainsi échapper à toute modification législative ultérieure. Mais il serait aussi envisageable de renforcer la capacité de l’autorité à définir ses priorités pour éventuellement rejeter des dossiers qui ne l’intéressent pas alors qu’aujourd’hui elle est tenue d’instruire toutes les affaires dont elle est saisie. Autre évolution envisageable, la transposition au niveau européen de mesures françaises telles que les mesures conservatoires qui intéressent en particulier la Grande-Bretagne.

La directive est aussi l’occasion de s’interroger sur l’étendue du contrôle des concentrations. Dans certains secteurs comme la santé ou encore l’économie numérique, les rachats d’entreprises innovantes échappent souvent au contrôle des concentrations dans la mesure où elles ne réalisent pas de chiffre d’affaires, a expliqué Isabelle de Silva. Pour autant, le montant des transactions est très élevé et l’importance des opérations souvent grandes. Ce qui amène naturellement à se poser la question des seuils de déclenchement des contrôles. « L’Autorité prendra une part active aux discussions qui se dérouleront au sein du Conseil sur ce texte, dans les prochains mois. Il s’agit, ce faisant, pour l’Autorité de garantir que, partout en Europe, les règles de concurrence s’appliquent avec la même intensité et bénéficient d’un niveau élevé de protection juridique. Toutes les entreprises, françaises, européennes ou internationales, y trouveront pleinement leur compte », conclut Isabelle de Silva.