Le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » élevé au rang de liberté fondamentale

Publié le 02/11/2022
Forêt, environnement, nature, climat
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L’article 1er de la Charte de l’environnement est consacré en tant que liberté fondamentale par le Conseil d’État. Conséquemment, le « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » est élevé au rang des libertés susceptibles d’être invoquées au soutien d’un référé-liberté fondé sur les dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative (CJA).

Les époux M. B. C., jardinier paysagiste, et Mme A. C., biologiste, dirigent l’entreprise V. H. sur la commune de La Crau dans le Var. Ladite entreprise possède une activité spécifique : le traitement phytosanitaire contre les ravageurs et parasites des végétaux. Pour cette activité, l’entreprise possède un centre de recherche et d’expérimentation agrée pour l’élevage des insectes en milieu confiné. Dans le cadre de leurs observations, ils ont relevé sur leur terrain la présence d’espèces protégées de reptiles, d’oiseaux et de chiroptères.

Le terrain sur lequel ils réalisent leurs travaux de recherche est longé par la route départementale 29 dont le département a, par délibération du 27 octobre 2016, décidé le recalibrage au niveau de la commune de La Crau avec la création d’une piste cyclable et d’un giratoire supplémentaire. Ces travaux impliquaient notamment l’abattage d’arbres et de haies végétales.

Quand les travaux sont finalement devenus imminents, les requérants ont souhaité s’y opposer en estimant qu’ils allaient détruire « une réserve naturelle à ciel ouvert ». Ils ont alors saisi le tribunal administratif de Toulon sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.

Par ordonnance de tri n° 2100764 du 25 mars 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Toulon a rejeté la requérante en considérant que si « la protection de l’environnement, patrimoine commun des êtres humains, constitue un objectif à valeur constitutionnelle ainsi que l’a reconnu le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, cette même protection de l’environnement ne constitue toutefois pas une liberté fondamentale au sens et pour l’application de l’article L. 521-2 du CJA »1.

À la suite d’un pourvoi enregistré le 26 mars 2021, le Conseil d’État s’est trouvé pour la première fois en situation de devoir presque impérativement répondre à la question de savoir si l’article 1er de la Charte de l’environnement pouvait servir de fondement à l’affirmation d’une liberté fondamentale au sens des dispositions précitées.

Rejetant finalement la requête pour défaut d’urgence et pour absence d’atteinte manifestement illégale, le Conseil d’État a profité de cette occasion pour affirmer de manière univoque que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement, présente le caractère d’une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du CJA »2.

Tout en affirmant de manière claire une nouvelle liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, le Conseil d’État y apporte d’importantes nuances permettant de conserver l’équilibre subtil quant au risque « d’une extension incontrôlée du domaine du référé-liberté »3.

I – L’extension continue du domaine du référé-liberté

Depuis la loi du 30 juin 20004 et la création du référé-liberté, l’article L. 521-2 du Code de justice administrative dispose que « saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de 48 heures. »

Par comparaison au référé-suspension prévu par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, la recevabilité de cette procédure est appréciée de manière plus souple. En effet, ce référé n’est pas soumis à l’obligation d’introduction préalable d’un recours au fond et « eu égard son objet et aux modalités de sa mise en œuvre » il n’est pas obligatoire que le requérant produise la décision dont la suspension est demandée ou encore qu’il justifie de l’impossibilité de pouvoir la produire5.

En revanche, les conditions de fond qui gouvernent à la conduite de cette procédure peuvent être considérées comme plus strictes. D’une part, l’illégalité commise par l’administration doit être « grave et manifeste ». D’autre part, l’urgence doit être telle qu’elle justifie une intervention en 48 heures6. Enfin, il convient de démontrer une atteinte à une liberté fondamentale. En l’absence de définition d’une telle liberté, c’est au juge administratif qu’est revenu le soin d’en définir les contours.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2001, ce ne sont pas moins de 58 libertés fondamentales qui ont été reconnues comme telles par le Conseil d’État. Au nombre de celles-ci, il est tout à la fois possible de trouver des droits de première génération comme la liberté d’aller et venir7, des droits de deuxième génération comme le principe du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée8 mais il faut bien reconnaître que les droits de troisième génération9 étaient peu reconnus.

La reconnaissance du « droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » en tant que liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative s’inscrit à l’évidence dans le cadre de l’émergence de cette nouvelle génération de droits. Du point de vue du droit des libertés fondamentales cette jurisprudence mérite donc intérêt.

Cela dit, le juge administratif révèle encore davantage le rôle de « forum des libertés »10 que revêt le prétoire du référé-liberté. Cette procédure, que le président Vandermeeren prédisait comme vouée à se hisser « au rang de “vedette” contentieuse »11 et dont le juge peut être qualifié de « pilotine du juge du fond »12, nous paraît permettre d’ouvrir de nouvelles perspectives quant à l’action du juge administratif en général.

Nous pouvons, dès lors, considérer que la reconnaissance de l’article 1er de la Charte de l’environnement comme liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative est de nature à accélérer la reconnaissance du droit de l’environnement en tant que matière transversale du droit administratif.

L’extension continue des domaines d’intervention du juge des référés est donc de nature à enrichir le droit administratif dans son ensemble.

II – Une extension encadrée

Lorsque le Conseil d’État se prononce favorablement à la reconnaissance d’un droit nouveau, la question des conséquences de cette reconnaissance sur les flux contentieux se pose nécessairement. Il en va également ainsi lorsque le juge des référés reconnaît une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. Comme le rappelait Philippe Ranquet dans ses conclusions sous cet arrêt, la reconnaissance d’une liberté fondamentale exige la réunion de plusieurs conditions : « l’importance » d’un droit « dont on puisse se prévaloir » et que ce droit soit « suffisamment précis »13. Un droit trop imprécis ou dont on cernerait mal les bénéficiaires serait susceptible d’ouvrir de manière beaucoup trop large le prétoire du juge des référés. Ainsi, le droit au logement n’a pas été reconnu comme liberté fondamentale dans cette procédure14.

En l’espèce, le caractère grave de l’illégalité portant atteinte à une liberté fondamentale et l’urgence particulière sont d’ores et déjà susceptibles de limiter l’extension du domaine du référé liberté en cette matière. Pour autant, la formulation de l’article 1er de la Charte de l’environnement pouvait faire courir le risque d’une actio popularis ayant pour effet d’encombrer de manière trop substantielle la juridiction administrative et dénaturant l’intérêt de cette procédure. Le Conseil d’État a donc fait le choix de restreindre l’invocabilité cette liberté fondamentale. Ainsi cette liberté ne peut être invoquée que par des personnes justifiant au regard de leur « situation personnelle, notamment si [leurs] conditions ou [leur] cadre de vie sont gravement et directement affectés ou des intérêts [qu’ils entendent] défendre ». Dans ces conditions, cette liberté fondamentale ne peut être invoquée qu’à condition d’un préjudice personnel grave affectant le cadre de vie ou les intérêts du requérant.

Cette formulation n’est pas sans rappeler celle qui préside à la reconnaissance d’un intérêt à agir en contentieux de l’urbanisme. En effet, pour contester une autorisation d’urbanisme, l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme ne reconnaît un intérêt à agir à la personne requérante que si l’autorisation contestée est « de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du Code de la construction et de l’habitation ». Si la jurisprudence Brodelle et Gino a permis de préciser ces dispositions15, il n’en demeure pas moins qu’en pratique et, la plupart du temps, c’est surtout la qualité de voisin permettant de bénéficier d’une présomption d’intérêt à agir contre une autorisation d’urbanisme qui entraîne la saisine du juge administratif.

Cette proximité avec l’intérêt à agir en matière de contentieux de l’urbanisme s’explique notamment par l’intérêt porté sur le « cadre de vie » comme élément dont l’atteinte justifie l’invocation de cette liberté fondamentale. La notion de « cadre de vie » relativement « éloigné(e) de l’écologie (…) est en réalité synonyme d’environnement dans son sens architectural et urbanistique »16.

À lire cette décision du juge des référés du Conseil d’État, à de rares exceptions près, seules les associations de défense de l’environnement et les voisins immédiats seront de ceux qui pourront invoquer cette liberté fondamentale au visa de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.

Or, le requérant particulier qui voudrait se prévaloir de cette liberté fondamentale se trouverait vite en difficulté tant on perçoit mal ce qui pourrait à la fois être urgent au sens du référé-liberté, manifestement illégal et à proximité. Le droit de l’urbanisme connaît déjà ses procédures, ses stratégies spécifiques et ses délais. Il ne devrait pas être le terrain de prédilection d’une telle liberté en référé.

En revanche, lorsque serait constatée la carence de l’administration à prendre des mesures adéquates pour protéger le cadre de vie, cette nouvelle liberté fondamentale permettrait d’agir de la manière la plus rapide au visa des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.

En définitive, cette avancée est de nature à marquer quelques signaux positifs en matière de défense de l’environnement mais il est peu probable qu’elle ouvre de manière significative le prétoire du juge des référés sur ce fondement.

Notes de bas de pages

  • 1.
    TA Toulon, 25 mars 2021, n° 2100764
  • 2.
    CE, 20 sept. 2022, n° 451129, cons. 5.
  • 3.
    P. Ranquet, rapporteur public, concl. sous CE, 20 sept. 2022, n° 451129, M. et Mme P.
  • 4.
    L. n° 2000-597, 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives.
  • 5.
    En ce sens : CE, 4 mai 2016, n° 396332, M. D.
  • 6.
    En ce sens : CE, ord., 28 févr. 2003, n° 254411, Cne de Perthuis.
  • 7.
    En ce sens : CE, ord., 9 janv. 2001, n° 228928, Desperthes.
  • 8.
    En ce sens : CE, ord., 24 févr. 2001, n° 230611, Tibéri : Lebon, p. 85 – CE, ord., 11 janv. 2007, n° 300428, Mme Lepage : Lebon T., p. 865.
  • 9.
    D. Uribe Vargas, « La troisième génération des droits de l’Homme », RCADI 1984, p. 184, p. 359 ; K. Vasak, « Le droit international des droits de l’Homme », RCADI 1974, p. 140 et p. 344, cité par D. Rousseau, « Les droits de l’homme de la troisième génération », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 1987/2, vol. 19, p. 19-31 : « Les droits de la “troisième génération”, appelés aussi droits de solidarité, désignent principalement quatre catégories de droits : droit à la paix, droit au développement, droit à l’environnement et droit au respect du patrimoine commun de l’humanité. »
  • 10.
    B. Stirn, « Le point de vue du juge », RFDA 2021, p. 649.
  • 11.
    R. Vandermeeren, « La réforme des procédures d’urgence devant le juge administratif », AJDA 2000, p. 712.
  • 12.
    C. Lantero, « La loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives – Bilan critique d’une réforme exemplaire – Présentation et quelques réflexions sur les concurrences et complémentarités du juge des référés et du juge du fond », RFDA 2021, p. 639.
  • 13.
    Pour identifier ces critères, le rapporteur public Philippe Ranquet cite lui-même les conclusions de Damien Botteghi sous l’arrêt CE, 16 nov. 2011, n° 353172, Ville de Paris et SEM PariSeine.
  • 14.
    En ce sens : CE, 3 mai 2002, n° 245697, Association de réinsertion sociale du Limousin.
  • 15.
    CE, 10 juin 2015, n° 386121, Brodelle et Gino. Dans cet arrêt du 10 juin 2015, le Conseil d’État a considéré qu’« il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ; qu’il appartient au défendeur, s’il entend contester l’intérêt à agir du requérant, d’apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité ; qu’il appartient ensuite au juge de l’excès de pouvoir de former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci ».
  • 16.
    M. Prieur, Droit de l’environnement, 8e  éd., 2019, Dalloz, p. 5.
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