Les consuls de Los Angeles à Jérusalem… Droit de la fonction publique et conduite des relations internationales font-ils bon mélange devant le Conseil d’État ?

Publié le 21/05/2019

Dans un arrêt du 27 mars 2019, le Conseil d’État apporte des précisions utiles sur la notion d’emploi supérieur à la décision du gouvernement. Il admet que les chefs de poste consulaire ne relèvent pas de ce type d’emploi étant donné leurs fonctions administratives. Une exception est toutefois admise à ce principe lorsque certaines circonstances l’exigent. Le juge reconnaît que tel est le cas du consulat de Jérusalem. Dans l’ensemble, cette solution du juge administratif paraît équilibrée même si elle ne manque pas de soulever d’épineuses questions.

CE, 27 mars 2019, no 424394

L’arrêt de section du Conseil d’État du 27 mars 20191 a été largement relayé dans la presse. Disons-le pourtant d’emblée, la portée de cet arrêt dépasse le simple cadre de l’affaire Besson et a des répercussions juridiques bien plus importantes.

En trame de fond de cette décision, se dessinaient de prime abord des considérations d’ordre plutôt politique. Le président de la République avait fait part de son souhait, durant l’été 2018, de nommer un écrivain, Philippe Besson, en tant que consul général à Los Angeles. Ce projet n’était toutefois pas envisageable en l’état du droit. En effet, l’emploi de chef de poste consulaire était traditionnellement réservé aux fonctionnaires faisant partie des corps diplomatiques ou consulaires2. Or Philippe Besson n’étant ni un fonctionnaire, ni, a fortiori, un agent du Quai d’Orsay, il ne pouvait être nommé à ce poste. Afin de surmonter cette difficulté, le gouvernement décida alors de modifier le droit et de recourir à la notion d’« emploi supérieur à la décision du gouvernement », c’est-à-dire aux emplois dont la nomination et la révocation relèvent de son pouvoir discrétionnaire3. Il est en effet possible, en application de la loi4, de nommer à certains postes permanents de l’État des personnes qui ne sont pas des fonctionnaires de carrière. Les postes concernés sont déterminés par le décret n° 85-779 du 24 juillet 1985. Or initialement, le poste de chef de poste consulaire ne figure pas dans la liste des emplois concernés. C’est en ce sens que le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a, lors du Conseil du ministre du 3 août 2018, présenté le décret n° 2018-694 modifiant le décret n° 85-779 précité. Ce décret ajoute à la liste des emplois supérieurs à la décision du gouvernement les « chefs de poste consulaire ayant rang de consul général mentionnés à l’annexe I ». Dans cette annexe I figure une liste de 22 consulats généraux (Barcelone, Bombay, Boston, Cap, Djeddah, Dubaï, Édimbourg, Erbil, Francfort, Hong Kong, Istanbul, Jérusalem, Kyoto, Los Angeles, Marrakech, Milan, Munich, Québec, Saint-Pétersbourg, Sao Paulo, Shangaï et Sydney). Dès lors, en vertu de cette modification de l’état du droit, il est désormais possible de nommer à l’emploi de chef de poste consulaire une personne qui n’est pas un agent relevant des corps diplomatiques ou consulaires. La voie était ainsi ouverte à la nomination de Philippe Besson en tant que consul général à Los Angeles. Pour autant, aucune mesure individuelle de nomination n’a été prise par le président de la République en ce sens. Il était en effet fort à craindre que ce décret soit contesté devant le juge administratif par les agents diplomatiques et consulaires. En tant que fonctionnaires du Quai d’Orsay, ils étaient opposés à ce décret mettant un terme à la règle selon laquelle le chef poste consulaire est réservé aux diplomates de carrière.

Au cours des mois de septembre et d’octobre, le Conseil d’État5 a été saisi de trois recours pour excès de pouvoir de plusieurs regroupements des agents des corps diplomatiques et consulaires, à savoir le syndicat CFDT Affaires étrangères, le syndicat CFTC FAE MAE et l’association syndicale des agents diplomatiques et consulaires issus de l’École nationale d’administration (ADIENA), ainsi que l’association syndicale des agents du ministère des Affaires étrangères (ASAM-UNSA). Chacune de ces requêtes a pour objet de demander au juge administratif d’annuler le décret n° 2018-694. Les requérants contestent l’ajout de 22 emplois de poste consulaire ayant rang de consul général sur la liste des emplois supérieurs à la décision du gouvernement. L’une de ces requêtes demande également au juge administratif d’annuler, s’il y a lieu, les décisions de nomination prises en application du décret litigieux. Les requérants fondent leurs demandes sur l’existence de vices de procédure, d’un détournement de pouvoir et sur la violation du principe d’égalité.

Dans son arrêt du 27 mars 2019, dans lequel les trois requêtes sont jointes, le Conseil d’État, sur le fond, ne donne pleinement raison ni aux requérants ni au défendeur – le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. D’une part, il rejette l’argument d’irrecevabilité soulevé par ce dernier à l’encontre de la requête du syndicat CFTC FAE MAE et de l’ADIENA. D’autre part, bien que n’accueillant pas les moyens des requérants, le juge administratif décide de l’annulation du décret litigieux « en tant qu’il ajoute à la liste des emplois supérieurs pour lesquels la nomination est laissée à la décision du gouvernement les emplois de consul général de France » dans 21 villes (sur les 22). La motivation de sa décision d’annulation réside dans le fait qu’il considère que, par principe, les emplois de chef de poste consulaire n’ont pas à être pourvus par nomination à la décision du gouvernement dans la mesure où ils sont des emplois dont les fonctions sont essentiellement administratives alors que cette catégorie d’emplois supérieurs laissés à la décision du gouvernement ne concerne que les emplois associés de manière étroite à la politique de celui-ci. Cependant, le Conseil d’État admet une exception à ce principe lorsque l’emploi de chef de poste consulaire en question s’inscrit dans « un contexte local particulier » ou fait face « à des difficultés et enjeux spécifiques ». Il reconnaît que tel est le cas du consulat général de Jérusalem. C’est ainsi que, à la question de savoir si les chefs de poste consulaire peuvent être comptés parmi les emplois supérieurs nommés à la décision du gouvernement, le Conseil d’État répond par la négative en admettant toutefois un type d’exception à ce principe. Dès lors, le Conseil d’État ne remet pas totalement en cause l’inscription des chefs de poste consulaire sur la liste des emplois supérieurs nommés à la décision du gouvernement. Il encadre, seulement, mais certes strictement, cette possibilité.

Au-delà de l’aspect politique de cette décision, le raisonnement du Conseil d’État présente un intérêt juridique certain sur lequel il convient de s’interroger. Si l’arrêt du Conseil d’État apporte des éclaircissements utiles en matière de droit de la fonction publique (I), il n’en demeure pas moins qu’il convient de s’interroger sur la pertinence de l’exception qu’il dégage dans la mesure où celle-ci revêt une dimension internationale qui semble dépasser le cadre strict du droit de la fonction publique (II).

I – Le satisfaisant refus de principe de qualifier les chefs de poste consulaire comme des « emplois supérieurs à la décision du gouvernement »

Si la solution est analysée du point de vue du droit de la fonction publique, il faut se réjouir de celle-ci. Le Conseil d’État, en refusant que les emplois de chef de poste consulaire soient considérés comme des emplois supérieurs laissés à la décision du gouvernement, apporte effectivement une limite à la politisation de la haute fonction publique en réduisant le champ des emplois concernés. Pour parvenir à cette conclusion, le juge administratif apporte une précision utile sur la notion d’« emplois supérieurs laissés à la décision du gouvernement » (A) qu’il applique ensuite aux chefs de poste consulaire (B).

A – L’utilité de la précision de la notion d’« emplois supérieurs laissés à la décision du gouvernement »

La première étape du raisonnement du juge administratif est de préciser la notion d’« emplois supérieurs pour lesquels les nominations sont laissées à la décision du gouvernement » utilisée à l’article 25 de la loi n° 84-16. Dans le quatrième considérant de l’arrêt commenté, le Conseil d’État apporte la précision suivante : « [c]onstitue (…) un emploi supérieur pour lequel la nomination est laissée à la décision du gouvernement (…) un emploi dont le titulaire, eu égard aux missions qu’il exerce et au niveau de responsabilité qui en découle, est associé de manière étroite à la mise en œuvre de la politique du gouvernement ».

Si le juge administratif a été de nombreuses fois par le passé appelé à juger de cette catégorie d’emplois, il n’en a jamais proposé de définition à notre connaissance. La raison en est que tous les contentieux précédents ne portaient pas sur le décret n° 85-779 du 24 juillet 1985 mais concernaient des décrets de nomination individuelle notamment pris en application de ce décret. Bien souvent, une personne contestait le décret la révoquant de son poste et nommant quelqu’un d’autre à sa place. Le Conseil d’État était alors amené à se prononcer, d’une part, sur la qualité d’emploi supérieur à la décision du gouvernement du poste en question et, d’autre part, sur les conditions de la révocation. L’angle des requêtes dirigées contre le décret n° 2018-694 du 3 août 2018 était en revanche significativement différent. Le décret litigieux est un acte administratif réglementaire et non un acte individuel. Pour la première fois, le Conseil d’État était saisi de la légalité d’un décret de ce type6. Par conséquent, ce contentieux était l’occasion idéale pour le juge administratif d’apporter une précision à propos de ce qu’il faut entendre par l’expression « emploi supérieur à la décision du gouvernement ».

Pour ce qui est de la précision apportée par le Conseil d’État en tant que telle, il faut en relever la minutie. Premièrement, selon les termes de l’arrêt, un emploi supérieur est un emploi dont le titulaire « est associé de manière étroite à la politique du gouvernement ». Il ne faut pas être surpris par cette affirmation. Le propre des emplois dont la nomination est laissée au gouvernement est effectivement d’être associés à la mise en œuvre de la politique gouvernementale. René Chapus écrit ainsi que ces emplois sont « situés au point de jonction entre la politique et l’administration »7. Autrement dit, il s’agit d’emplois stratégiques au regard de leur implication dans la mise en œuvre de la politique gouvernementale. L’expression du Conseil d’État est alors tout à fait appropriée.

La précision du Conseil d’État apporte, deuxièmement, des détails essentiels. Il ajoute que cette association à la politique du gouvernement doit être évaluée à l’aune de deux critères : d’une part les missions exercées, d’autre part le niveau de responsabilité découlant de ces missions. Il convient de noter que, selon la formulation employée, la question de savoir si un emploi peut être considéré comme un emploi supérieur à la décision du gouvernement doit être faite au cas par cas. Par conséquent, il semblerait que la liste des emplois supérieurs à la décision du gouvernement, établie par le décret, pourrait être complétée par le gouvernement dans les limites établies par le Conseil d’État. En cela, la formulation du Conseil d’État converge avec sa jurisprudence passée selon laquelle la liste établie par le décret n’est pas limitative8. Le juge administratif a effectivement reconnu que des emplois, ne figurant pas sur la liste du décret, étaient des emplois supérieurs dont la nomination est laissée à la décision du gouvernement9. Pour ce faire, le juge administratif semble recourir à deux critères10. Le premier tient à la nature de l’emploi et, plus précisément, « aux caractéristiques de ses fonctions »11, que le Conseil d’État étudie au regard des textes qui régissent l’emploi en question. Il semblerait que l’expression « eu égard aux missions qu’il exercice et au niveau de responsabilité qui en découle » issue de l’arrêt du 27 mars 2019, se rapproche de ce critère, voire qu’il le précise en évoquant à la fois les « missions » et le « niveau de responsabilité ». À l’inverse, le Conseil d’État ne dit mot du second critère, les conditions de nomination, qu’il utilisait dans sa jurisprudence passée. Il ne faut guère en être étonné : le juge administratif lui-même se détachait de ce critère12, si bien qu’il convenait plutôt de le considérer comme un indice.

Au regard de ces éléments, la précision apportée par le Conseil d’État dans son arrêt du 27 mars 2019 est d’une très grande utilité. Celui-ci a su pleinement saisir l’opportunité qui lui était donnée. Espérons que cette précision permettra de fixer la jurisprudence lorsque le juge administratif sera à nouveau saisi de la légalité de décrets de nomination et de révocation individuelle. Fort de cette précision, le Conseil d’État applique par la suite cette définition des emplois supérieurs à la décision du gouvernement aux emplois de chef de poste consulaire.

B – La reconnaissance justifiée de la nature administrative des emplois de chef de poste consulaire

Pour ce qui nous intéresse13, la seconde étape du raisonnement du Conseil d’État est d’appliquer cette définition qu’il a établie des emplois supérieurs à la décision du gouvernement à la situation des chefs de poste consulaire. C’est ainsi que le Conseil d’État entame une étude des missions des chefs de poste consulaire, en comparaison avec celles des ambassadeurs qui, quant à eux, figurent expressément au nombre des emplois supérieurs à la décision du gouvernement.

Sur le plan de la méthode employée par le Conseil d’État, nous pouvons remarquer que celui-ci se réfère aux différents textes juridiques qui régissent ces emplois. Le juge administratif ne fait ici que reprendre une méthode qu’il avait déjà employée par le passé dans les contentieux relatifs aux emplois supérieurs à la décision du gouvernement14. Ce qui est marquant néanmoins est la mesure dans laquelle il le fait. La preuve en est d’ailleurs le long visa de l’arrêt. Pour saisir les fonctions des chefs de poste consulaire, le Conseil d’État renvoie ainsi à pas moins de 12 textes juridiques, contre un seul pour les pouvoirs des ambassadeurs. Un second élément digne d’intérêt est le fait que le Conseil d’État ne se réfère pas uniquement à des textes juridiques de droit interne, en l’espèce des décrets, mais également à des conventions internationales. Cette utilisation des traités internationaux dans le raisonnement du juge administratif est tout à fait justifiée dans la mesure où la France a ratifié ces textes et qu’ainsi, en application de l’article 55 de la constitution, ceux-ci sont pleinement intégrés dans l’ordre juridique interne15.

Sur le fond, le Conseil d’État distingue les missions des chefs de poste consulaire de celle des ambassadeurs. Au neuvième considérant de son arrêt, il liste de manière non exhaustive, comme le « notamment » l’indique, les attributions des chefs de poste consulaire. Remarquons que la liste est longue et diverse. Au considérant suivant, le Conseil d’État s’intéresse aux pouvoirs des ambassadeurs et, au onzième considérant, il tire la conséquence de cette comparaison en ces termes : « les missions confiées aux chefs de poste consulaire par les textes qui leur sont applicables ont la nature, non de missions diplomatiques (…), mais de fonctions essentiellement administratives ». Cette conclusion nous paraît tout à fait justifiée. Si, en droit international, il existe deux conventions, traitant pour l’une des relations diplomatiques et pour l’autre des relations consulaires, c’est bien parce que les missions des ambassades et consulats sont différentes16. Si ces deux textes sont lus plus en détail, la liste des fonctions d’une mission diplomatique (article 3 de la convention de 1961) diffère fondamentalement de celle des fonctions d’une mission consulaire (article 5 de la convention de 1963, dont la longue liste ne semble pas limitative au regard de son alinéa m)). Que ce soit en droit international ou en droit interne, les attributions des chefs de poste consulaire sont davantage tournées vers des aspects de droit privé17 que celles des ambassadeurs dont l’aspect essentiel est leur fonction de représentation18. Dès lors, cette différenciation des missions est clairement établie19. Un doute peut subvenir quant à la pertinence de cette différenciation sachant que les missions consulaires peuvent exercer des fonctions diplomatiques20. Le Conseil d’État prend en considération ce point. Il estime néanmoins que cela ne doit pas l’amener à amender sa conclusion. En effet, le juge administratif emploie, quant à cette hypothèse, deux formules négatives afin d’en souligner le caractère restrictif. Cette position est cohérente au regard du droit positif, qui établit cette hypothèse comme étant exceptionnelle.

Aux termes de ce raisonnement, le juge administratif affirme que « [l]es compétences qui sont conférées aux chefs de poste consulaire par les textes qui leur sont applicables ne leur donnent pas, par elles-mêmes, vocation à être associés de manière étroite à la mise en œuvre de la politique du gouvernement ». Autrement dit, l’emploi de chef de poste consulaire n’est pas un emploi supérieur à la décision du gouvernement compte tenu de sa nature administrative. Il est dès lors est réservé aux fonctionnaires membres du corps diplomatique ou consulaire. Cette solution appelle, d’une manière globale, une critique positive en ce que cette solution aboutit à éviter le développement d’un « spoil system français » au-delà de ce qui est nécessaire. En ce sens, cette décision du Conseil d’État s’inscrit dans une tendance d’ensemble visant à restreindre les nominations de complaisance21. Il faut se réjouir du fait que le juge administratif veille à ce que le pouvoir politique n’abuse pas de ces prérogatives. Il reste à voir si le législateur ne modifiera pas la loi dans le futur…

La solution du Conseil d’État ne s’arrête toutefois pas à cette conclusion de principe. Il prévoit une exception à ce principe qu’il convient également d’examiner.

II – L’affirmation d’une exception ambiguë aboutissant à considérer les chefs de poste consulaire comme des « emplois supérieurs à la décision du gouvernement »

Une troisième étape dans le raisonnement du Conseil d’État est de reconnaître que les chefs de poste consulaire peuvent être considérés, par exception, comme des emplois supérieurs à la décision du gouvernement. À notre connaissance, c’est la première fois que le juge administratif admet une exception à un principe en ce domaine. Jusqu’à présent, la jurisprudence reconnaissait qu’un emploi était soit à la décision du gouvernement soit qu’il ne l’était pas. Ainsi, l’arrêt du 27 mars 2019 est marqué de cette subtilité qui n’est pas accessoire ni sans ambiguïté. En effet, si, d’une part, cette exception est motivée par la complexité des relations internationales (A), il n’en demeure pas moins que ces effets sont assez incertains (B).

A – Une exception motivée par la complexité des relations internationales

Le Conseil d’État reconnaît l’exception en ces termes : le gouvernement « peut cependant faire état d’éléments propres à certains de ces emplois, tenant notamment à un contexte local particulier ou à des difficultés et enjeux spécifiques, de nature à justifier » à ce que ces emplois soient considérés comme des emplois supérieurs à la décision du gouvernement. Cette phrase appelle à faire plusieurs commentaires. Tout d’abord, le « cependant » marque bien l’idée d’une exception. Ensuite, l’expression « éléments propres à certains de ces emplois » souligne le caractère limité de l’exception mais aussi l’approche casuistique qu’il faut en avoir. Enfin, le juge précise, de manière non limitative, quels pourraient être ces « éléments propres » : le « contexte local particulier » ou, alternativement, les « difficultés et enjeux spécifiques ». Chacun pourra apprécier la précision, ou plutôt l’imprécision, de ces termes ! La liberté d’appréciation laissée au gouvernement semble alors a priori importante.

Sur le fondement de cette exception, nous pouvons comprendre la position du Conseil d’État. Il souhaite ici permettre une adaptation du procédé de nomination de chef de poste consulaire à la réalité des relations internationales et à la manière dont l’État français entend entretenir des relations avec des entités étrangères. Selon les circonstances, un consulat peut jouer un rôle plus important que d’habitude. Cela peut être le cas lorsque l’État français fait parfois le choix de ne pas avoir d’ambassade sur un territoire, notamment afin d’éviter de reconnaître à une entité le statut d’État, mais décide plutôt d’instaurer un consulat général sur un territoire proche. L’exemple-type serait le consulat général de Jérusalem pour ce qui est des relations avec l’Autorité palestinienne. En dégageant cette exception, le Conseil d’État reconnaît que si, par principe, les chefs de poste consulaire n’interviennent pas dans la sphère des relations internationales en ce qu’ils ont pour mission principale de défendre les intérêts des ressortissants nationaux dans un État étranger, il leur arrive également de ne plus avoir des missions administratives ou techniques mais aussi politiques. C’est là une adaptation bienvenue de la règle de droit. Le refus de cette exception aurait pu être d’une extrême rigidité et le gouvernement aurait ainsi perdu une marge de manœuvre non négligeable dans la mise en place de sa politique internationale. Cet assouplissement de la règle de droit est, dès lors, positif. Notons d’ailleurs que le Conseil d’État semble ici avoir accueilli, dans une certaine mesure, la position du gouvernement22. Toutefois, sur le plan de la mise en œuvre de l’exception, le juge administratif a une vision plus restrictive que celle du gouvernement.

Quant à la mise en œuvre de cette exception, la position du Conseil d’État est plus sujette à controverse. La question de savoir si un emploi de consul général peut être considéré comme un emploi supérieur à la décision du gouvernement devra se faire au cas par cas au regard des critères établis par le juge administratif. Relevons ici que le juge administratif attend du gouvernement qu’il apporte la preuve que certains emplois de chef de poste consulaire sont concernés par l’exception. Il appréciera ensuite si les éléments fournis sont suffisamment probants. En l’espèce, le Conseil d’État se prête à cet examen à son 13e considérant. Il distingue la situation du consulat général de Jérusalem par rapport aux 21 autres consulats généraux visés dans le décret litigieux. Pour le premier, le Conseil d’État admet qu’il est une exception au principe, ce qui n’est pas le cas des autres. Il retient les « spécificités du contexte » et le « rôle [que ce consulat] est conduit à jouer dans les relations entre le gouvernement français et l’Autorité palestinienne ». Ce qui nous interpelle ici n’est pas le fait que le juge administratif convient de la spécificité du consulat général de Jérusalem puisque nous en avons déjà expliqué les raisons ci-dessus, mais plutôt le fait que le juge administratif ne reconnaisse pas que d’autres consulats soient également concernés par l’exception. Le consulat général d’Erbil ne mérite-t-il pas la même qualification ? Erbil est effectivement la capitale d’une région autonome particulière de l’Irak, le Kurdistan. Le consulat de Hong Kong ne mérite-t-il pas aussi la même qualification alors que l’on connaît le statut particulier de cette ville ? Les chefs de poste consulaires de ces deux villes ont-ils un rôle uniquement administratif ? Rien de moins sûr. Dès lors, il semblerait que le Conseil d’État accepte que l’exception ne joue que de manière restrictive, voire exclusivement pour l’emploi de chef de poste consulaire à Jérusalem. L’avantage de cette position est qu’elle contrebalance l’assouplissement induit par l’admission de l’exception. D’une vue d’ensemble, la position du Conseil d’État apparaît donc finalement assez équilibrée : il autorise des exceptions au principe de manière restrictive afin d’éviter tout abus. Cette exception soulève cependant des interrogations quant à ses effets.

B – Une exception aux suites incertaines

Les incidences juridiques de cette exception méritent d’être discutées. Il nous semble que deux difficultés pourraient survenir.

Premièrement, cette exception pourrait s’avérer être difficilement opératoire, notamment pour le gouvernement. Les circonstances justifiant l’admission d’une exception au principe (le contexte local particulier ou les difficultés et enjeux spécifiques) peuvent évoluer et changer de manière que, finalement, l’exception ne soit plus justifiée. Cela pourrait être le cas si, par exemple, la France reconnaît le statut d’État à l’Autorité palestinienne. À cette date, le consulat de Jérusalem n’aurait plus le même rôle car une ambassade devrait être ouverte par l’État français. Il faudra alors nécessairement que l’emploi de chef de poste consulaire en question ne soit plus considéré comme un emploi supérieur à la décision du gouvernement. Pour ce faire, le décret établissant la liste des chefs de poste consulaire étant des emplois supérieurs à la décision du gouvernement devra être révisé par le gouvernement23. De plus, le juge administratif pourrait-il revenir sur la légalité de la disposition du décret concerné ? Aucun recours ne sera possible par la voie de l’action puisque le délai de 2 mois, prévu à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, aura expiré. La légalité du décret établissant la liste des emplois supérieurs à la décision du gouvernement ne pourra être soulevée que par le biais d’une exception d’illégalité24. Le cadre de cette action sera toutefois très strict : tout d’abord, il faudra attendre que le gouvernement procède à la révocation et à la nomination d’un chef de poste consulaire ; il faudra ensuite que la personne intéressée, c’est-à-dire la personne dont il a été mis fin aux fonctions, conteste la légalité du décret individuel ; et, enfin, il faudra que, par la voie de l’exception, la personne intéressée conteste la légalité du décret réglementaire sur la base duquel la mesure individuelle a été prise. Cette difficulté a peut-être amené le Conseil d’État à accueillir de manière restrictive l’exception.

La deuxième difficulté qui pourrait survenir est que, lorsque le gouvernement se prévaut de l’exception, la nomination ne conserve plus uniquement une dimension interne puisque le procédé de nomination est défini par un « contexte local particulier » ou des « difficultés et enjeux spécifiques ». Si la nomination demeure toujours un acte fait en tant qu’autorité nationale25, les considérations sur la base desquelles se détermine son procédé ne revêtent pas, quant à elles, une dimension purement interne. Elles ont une dimension internationale que le juge administratif va apprécier. N’est-ce pas là finalement une prise en compte, certes indirecte, par le juge administratif d’un acte de gouvernement26 ? Par exemple, dans le cas de Jérusalem, c’est bien parce que l’État français entend ne pas reconnaître à l’Autorité palestinienne le statut d’État que le consulat général de Jérusalem joue un tel rôle. En reconnaissant que le chef de poste consulaire de Jérusalem participe à la mise en œuvre de la politique du gouvernement, le juge administratif ne donne-t-il pas effet, dans l’ordre interne, à un acte de gouvernement ?

Au regard de ces éléments soulevés, nous pouvons nous demander si, avec cette exception, le Conseil d’État ne s’est pas trop aventuré en terrain inconnu. Il est effectivement possible de rester interrogatif sur les effets de cette exception. Finalement, cette solution pourrait être une source de complexité puisque, de Los Angeles à Jérusalem, le procédé de nomination des chefs de poste consulaire n’est pas le même. Nous pouvons alors en conclure que droit de la fonction publique et relations internationales ne font pas bon mélange devant le juge administratif.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CE, 27 mars 2019, nos 424394, 424656 et 424695, Syndicat CFDT Affaires étrangères et a.
  • 2.
    Voir L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 3, portant droits et obligations des fonctionnaires et D. n° 69-22, 6 mars 1969, art. 61, relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires.
  • 3.
    Les emplois supérieurs à la décision du gouvernement existent depuis bien longtemps. Ils ont été reconnus en premier lieu par le Conseil d’État (CE, 3 janv. 1936, n° 35146, Roussel) et ensuite par loi (L. n° 46-2294, 19 oct. 1946, art. 3, relative au statut général des fonctionnaires ; puis L. n° 84-16, 11 janv. 1984, art. 25, portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État). Il convient de ne pas confondre ces emplois avec les nominations dites au tour extérieur (L. n° 84-16, 11 janv. 1984, art. 24).
  • 4.
    V. L. n° 83-634, 13 juill. 1983, art. 3 ; L. n° 84-16, 11 janv. 1984, art. 25.
  • 5.
    Il est compétent en premier et dernier ressort en l’espèce en vertu de l’article 311-1 du Code de justice administrative.
  • 6.
    La légalité du décret n° 85-779 n’a pas été contestée devant le juge administratif et celui-ci n’a été modifié qu’une seule fois, par le décret n° 2018-694 du 3 août 2018, qui fait l’objet du présent contentieux.
  • 7.
    Chapus R., Droit administratif général, t. 2, 5e éd., 2001, Paris, Montchrestien, p. 194.
  • 8.
    CE, 13 nov. 1952, Jugeau, Recueil Lebon, p. 506. Cette jurisprudence, adoptée sous l’empire de la loi antérieure, a été largement confirmée depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984. V. par ex. CE, 14 mai 1986, nos 60852, 60853 et 61573, Rochaix ; et plus récemment CE, 9 juin 2017, n° 398519, Mme Chol.
  • 9.
    Il en est ainsi, par exemple, du poste de directeur de l’Office national d’études et de recherche aéronautique (CE, 13 nov. 1952, Jugeau, Recueil Lebon, p. 506), de directeur du CNRS (CE, 13 mars 1953, n° 07423, Tessier), de directeur général de la Caisse nationale des marchés de l’État (CE, 3 déc. 1971, nos 69227, 69621, 70582, 70608, 70609, 62711 et 75587, Branger), directeur général des hospices civils de Lyon (CE, 14 mai 1986, nos 60852, 60853 et 61573, Rochaix), de président du conseil d’administration de l’office national à l’action sociale, éducative et culturelle pour les rapatriés (Onasec) (CE, 22 déc. 1989, n° 82237, Morin), de président du conseil d’administration de la société concessionnaire française pour la construction et l’exploitation du tunnel routier sous le Mont Blanc (CE, 23 nov. 1992, n° 114942, Portier), de directeur de l’Agence nationale des titres sécurisés (CE, 26 mai 2014, n° 372500, Maréchaux) et de directeur de l’Institut national de la consommation (CE, 9 juin 2017, n° 398519, Mme Chol). À l’inverse, ne sont pas considérés comme tels les postes d’inspecteur d’académie (CE, 1er oct. 1954, n° 14191, Guille) ou de directeur du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CE, 27 janv. 2016, n° 384873, Mme Boutet-Waiss).
  • 10.
    Par exemple, dans l’arrêt Rochaix, nous relevons : « eu égard aux caractéristiques de l’emploi qu’il occupe ainsi qu’aux conditions de sa nomination ».
  • 11.
    L’expression est employée, par exemple, dans les arrêts Maréchaux et Mme Chol.
  • 12.
    Ce critère des conditions de nomination apparaît de prime abord de bon sens : s’il est prévu dans les textes que la nomination à cet emploi vaut pour une certaine durée, il est alors impossible de considérer l’emploi en question comme un emploi supérieur à la décision du gouvernement dans la mesure où ces emplois supérieurs se caractérisent par la possibilité d’en révoquer le titulaire discrétionnairement. Le juge administratif s’est toutefois détaché de ce critère. Dans l’arrêt Morin, la nomination au poste devait être de trois ans mais le juge a reconnu que le gouvernement pouvait « légalement, pour des motifs tirés de l’intérêt du service » mettre fin aux fonctions du titulaire avant le terme des trois ans. Dans le même sens : CE, 23 nov. 1992, n° 114942, Portier.
  • 13.
    Nous ne reviendrons pas sur la légalité externe du décret litigieux.
  • 14.
    Par exemple, afin de déterminer si le poste de directeur du Centre national des œuvres universitaires et scolaires est un emploi supérieur à la décision du gouvernement, le Conseil d’État se réfère au Code de l’éducation (CE, 27 janv. 2016, n° 384873, Mme Boutet-Waiss).
  • 15.
    La convention de Vienne sur les relations diplomatiques signé le 18 avril 1961 (Recueil des Traités des Nations Unies, vol. 500, 1964, p. 95, n° 7310) et la convention de Vienne sur les relations consulaires signé le 24 avril 1963 (Recueil des Traités des Nations unies, vol. 596, 1967, p. 261, n° 8638) ont été ratifiées par la France le 31 décembre 1970 par la loi n° 69-1039 du 20 novembre 1969, autorisant la ratification de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques en date du 18 avril 1961, et la ratification de la convention de Vienne sur les relations consulaires, en date du 24 avril 1963 (JO, 21 nov. 1969, p. 11350).
  • 16.
    Pancrocio J.-P., Droit et institutions diplomatiques, 2007, Paris, Pedone, p. 96. L’auteur note que les différences entre les missions diplomatiques et les missions consulaires dépassent la question de leur nature et de leur rôle mais concernent aussi leurs modalités d’établissement, leurs procédures de nominations ou encore leurs immunités.
  • 17.
    Pour un exposé exhaustif des attributions des consuls, v. Revillard M., « Consul : attributions », in Répertoire de droit international, 2006, Dalloz (actualisé en 2018).
  • 18.
    Colliard C.-A., « La convention de Vienne sur les relations diplomatiques », AFDI 1961, vol. 7, p. 10 ; Plantey A., Principes de diplomatie, 2000, Paris, Pedone, p. 262 et s. ; Kessler M.-C., Les ambassadeurs, 2012, Paris, Presses de Science Po, p. 14-15 et p. 145 et s.
  • 19.
    Calvo C., Dictionnaire manuel de diplomatie et de droit international public et privé, 2009, Clark, The Lawbook Exchange, V° Ambassadeur, p. 20 et Consuls, p. 96 ; Salmon J. (dir.), Dictionnaire de droit international public, 2001, Bruxelles, Bruylant, V° Consul, p. 246 ; Pancrocio J.-P., Droit et institutions diplomatiques, 2007, Paris, Pedone, p. 54.
  • 20.
    Cette possibilité est prévue à l’article 17 de la convention de 1963. L’inverse est aussi exact : les missions diplomatiques peuvent exercer des fonctions consulaires (article 3 de la convention de 1961 et articles 5 et 70 de la convention de 1963). Cette dernière possibilité a fait l’objet de débat important lors des négociations de la convention de 1961, v. Denza E., Diplomatic Law. Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, 4e éd., 2016, Oxford, Oxford University Press, p. 29 et s.
  • 21.
    Par ex. toujours à propos des emplois supérieurs à la décision du gouvernement, le Conseil constitutionnel a affirmé la constitutionnalité de l’article 25 de la loi n° 84-16 sous la réserve que le choix du gouvernement soit effectué en prenant compte « des capacités requises pour l’exercice des attributions afférentes à l’emploi » au nom du principe d’égalité prévu à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 (Cons. const., 28 janv. 2011, n° 2010-94 QPC, M. Robert C [Nomination aux emplois supérieurs de la fonction publique]). Le Conseil d’État s’est référé à cette décision par la suite (CE, 11 juill. 2012, n° 348064, Syndicat autonome des inspecteurs généraux et inspecteurs de l’administration au ministère de l’Intérieur). Cette tendance se retrouve aussi à propos des nominations au tour extérieur, voir : CE, 23 déc. 2011, n° 346629, Syndicat parisien des administrations centrales, où le juge administratif veille à ce qu’il existe un minimum d’adéquation entre le poste et le profil de la personne nommé.
  • 22.
    Nous pouvons lire, effectivement, dans le compte-rendu du Conseil des ministres du 3 août 2018 que « [l]es fonctions de consul général dans un certain nombre de postes prennent une importance croissante dans les champs politique, auprès d’autorités locales ayant elles-mêmes des compétences accrues, de la diplomatie économique et du rayonnement culturel » (https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2018-08-03/emplois-superieurs-pour-lesquels-la-nomination-est-laissee-a).
  • 23.
    Selon l’arrêt Despujol (CE, 10 janv. 1930, n° 97263), l’autorité compétente est dans l’obligation d’abroger un règlement qui serait devenu illégal après son édiction compte tenu d’un changement de circonstances. Cette obligation est aujourd’hui reprise à l’article L. 243-2 du Code des relations entre le public et l’Administration.
  • 24.
    CE, 11 juill. 2011, n° 320735, Société d’équipement du département de Maine-et-Loire ; et CE, 18 mai 2018, nos 414583 et 411045, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT (CFDT Finances).
  • 25.
    Les actes de nomination ne sont pas considérés comme des actes de gouvernement par le juge administratif. Voir, par exemple : CE, 12 nov. 1997, n° 173293, Fessard de Foucault, à propos d’un décret du président de la République mettant fin aux fonctions d’un ambassadeur.
  • 26.
    Au regard de la jurisprudence, les relations entre l’État français et une entité étrangère relèvent des actes non détachables de la conduite des relations internationales. Il faut, dès lors, les considérer comme des actes de gouvernement. Voir par exemple : CE, 18 avril 1993, n° 89592, Robin ; CE, 30 déc. 2015, n° 384321, Dupin.