Panorama de droit administratif (1er avril – 15 mai 2020)

Publié le 02/02/2021

Pandémie et confinement obligent, ce panorama du 15 février au 31 mars 2020 comprend presque uniquement des ordonnances du juge des référés-liberté. Y a été ajoutée l’ordonnance n° 439674 du 22 mars 2020. Quasiment toutes les demandes tendant à la suspension de décisions au motif qu’elles porteraient atteinte à des libertés fondamentales telles que le droit au recours ou à obtenir l’édiction de mesures de nature à préserver le droit d’accès aux soins ou le droit au respect à la vie ou à la santé ont été rejetées. Seules cinq ordonnances accordant satisfaction, parfois partielle, au requérant ont pu être relevées parmi la centaine prise.

Le juge des référés a annulé un arrêté municipal, réduisant presque à néant toute possibilité pour un maire d’intervenir en matière de sécurité sanitaire, qui relève d’une police spéciale. Il a aussi ordonné au ministre de l’Intérieur de communiquer sur le fait que les déplacements à bicyclette étaient autorisés et surtout enjoint au même ministre de faire enregistrer les demandes d’asile en Île-de-France.

Panorama de droit administratif (1er avril – 15 mai 2020)
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Injonction de préciser, évaluer et réexaminer certaines mesures de lutte contre le Covid-19

CE, réf., form. coll., 22 mars 2020, n° 439674, Syndicat Jeunes Médecins. Le Premier ministre peut, en vertu de ses pouvoirs propres, édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée1. Aux termes de l’article L. 3131-1 du Code de la santé publique, en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, le ministre de la Santé peut prescrire toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population. Le représentant de l’État dans le département et le maire disposent, dans les conditions et selon les modalités fixées en particulier par le Code général des collectivités territoriales, du pouvoir d’adopter, dans le ressort du département ou de la commune, des mesures plus contraignantes permettant d’assurer la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, notamment en cas d’épidémie et compte tenu du contexte local.

Il appartient à ces différentes autorités de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l’épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l’exercice des droits et libertés fondamentaux, comme la liberté d’aller et venir, la liberté de réunion ou encore la liberté d’exercice d’une profession doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif de sauvegarde de la santé publique qu’elles poursuivent.

Le requérant soutient que les mesures de confinement ordonnées par le Premier ministre et le ministre de la Santé afin de prévenir la propagation du Covid-19 sont insuffisantes et que la carence des autorités constitue ainsi une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la santé de la population, en particulier de l’ensemble des personnels soignants. Pour faire cesser cette atteinte, les intéressés demandent qu’il soit enjoint au Premier ministre et au ministre de la Santé de décider l’interdiction totale de sortir de son lieu de confinement, sauf autorisation délivrée par un médecin pour motif médical, l’arrêt des transports en commun, l’arrêt des activités professionnelles non vitales et la mise en place d’un ravitaillement à domicile de la population dans des conditions sanitaires visant à assurer la sécurité des personnels chargés de ce ravitaillement.

Si un confinement total de la population dans certaines zones peut être envisagé, les mesures demandées sur le plan national ne peuvent, s’agissant en premier lieu du ravitaillement à domicile de la population, être adoptées et organisées sur l’ensemble du territoire national, compte tenu des moyens dont l’Administration dispose. En outre, l’activité indispensable des personnels de santé ou aidants, des services de sécurité de l’exploitation des réseaux, ou encore des personnes participant à la production et à la distribution de l’alimentation rend nécessaire le maintien en fonctionnement, avec des cadences adaptées, des transports en commun, dont l’utilisation est restreinte aux occurrences énumérées par le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020. Par ailleurs, la poursuite de ces diverses activités vitales dans des conditions de fonctionnement optimales est elle-même tributaire de l’activité d’autres secteurs ou professionnels qui directement ou indirectement leur sont indispensables, qu’il n’apparaît ainsi pas possible d’interrompre totalement. Par suite, il n’apparaît pas que le Premier ministre fait preuve d’une carence grave et manifestement illégale en ne décidant pas un confinement total de la population sur l’ensemble du territoire selon les modalités demandées par le requérant.

En l’état actuel de l’épidémie, si l’économie générale des arrêtés par lesquels le ministre de la Santé a interdit les rassemblements de plus de 100 personnes, décidé la fermeture, sauf exceptions, des établissements recevant du public ainsi que des établissements d’accueil des enfants et des établissements d’enseignement scolaire et supérieur, et du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 par lequel le Premier ministre a interdit jusqu’au 31 mars 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d’exceptions limitatives, ainsi que tout regroupement avec la possibilité, pour le représentant de l’État dans le département d’adopter des mesures plus strictes si des circonstances locales l’exigent, ne révèle pas une telle carence, celle-ci est toutefois susceptible d’être caractérisée si leurs dispositions sont inexactement interprétées et leur non-respect inégalement ou insuffisamment sanctionné.

Les échanges ayant eu lieu au cours de l’audience font apparaître l’ambiguïté de la portée de certaines dispositions, au regard en particulier de la teneur des messages d’alerte diffusés à la population. Il en va ainsi tout d’abord du 3°, de l’article 1er du décret du 16 mars 2020 qui autorise, sans autre précision quant à leur degré d’urgence, les déplacements pour motif de santé. La portée du 5° du même article qui permet les déplacements brefs, à proximité du domicile, liés à l’activité physique individuelle des personnes, à l’exclusion de toute pratique sportive collective, et aux besoins des animaux de compagnie apparaît trop large, notamment en rendant possibles des pratiques sportives individuelles telles que le jogging. Enfin, il en va de même du fonctionnement des marchés ouverts, sans autre limitation que l’interdiction des rassemblements de plus de 10 personnes dont le maintien paraît autorisé.

Il y a lieu d’enjoindre au Premier ministre et au ministre de la Santé de prendre dans les 48 heures les mesures suivantes :

  • préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé ;

  • réexaminer le maintien de la dérogation pour déplacements brefs à proximité du domicile ;

  • évaluer les risques pour la santé publique du maintien en fonctionnement des marchés ouverts.

Cristallisation des moyens dans le contentieux des éoliennes

CE, 3 avr. 2020, n° 426941, Ass. La demeure historique et a. L’article R. 611-7-2 nouveau du Code de justice administrative fixe, pour le contentieux des décisions exigées par l’installation des éoliennes, un délai de 2 mois à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense à l’issue duquel ces parties ne peuvent plus invoquer de moyens nouveaux.

La limitation du délai ouvert aux parties pour présenter leurs moyens est subordonnée à la communication aux parties du premier mémoire en défense dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article R. 611-3 du Code de justice administrative. Ces dispositions laissent aux parties un délai de 2 mois pour présenter, le cas échéant, tout moyen nouveau. La faculté pour le président de la formation de jugement, ou le magistrat qu’il désigne à cet effet, de fixer une nouvelle date de cristallisation des moyens s’exerce dans le respect des exigences du caractère contradictoire de la procédure juridictionnelle et ne saurait autoriser le président de la formation de jugement à fixer une nouvelle date de cristallisation antérieure à l’expiration du délai de 2 mois qui court à compter de la communication aux parties du premier mémoire en défense.

Crise sanitaire et droit d’accès au recours

CE, ord. réf., 10 avr. 2020, n° 439903, Synd. des avocats de France. L’allongement des délais de procédure et de jugement ne rend la mise en œuvre des articles 7 à 9 de l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 (recours sans l’accord des parties à la visioaudience, dispense de conclusions du rapporteur public et d’audience pour le référé-liberté) nécessaire que dans un nombre limité de cas, selon l’appréciation du président de la juridiction ou de la formation de jugement, en fonction de l’objet et des autres caractéristiques de l’affaire, sous les conditions et avec les garanties qu’elles énoncent et pendant une période d’une durée limitée, à ce stade, à quelques mois. Alors que les exigences de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 imposent de faire échec à la propagation du virus et de limiter, autant que faire se peut, les contacts entre les personnes, en adoptant ces mesures l’ordonnance ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Procédure judiciaire non pénale, Covid-19 et droit au recours

CE, ord. réf., 10 avr. 2020, n° 439883, Conseil national des barreaux et a. L’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 a adapté les règles de la procédure civile en édictant des règles dérogatoires applicables pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’1 mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

En permettant le recours dérogatoire à des moyens de communication à distance, dans le but de permettre une continuité d’activité des juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, l’article 7 de l’ordonnance n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense.

L’article 8, qui permet, lorsque la représentation par avocat est obligatoire ou que les parties sont représentées ou assistées par un avocat, de recourir à une procédure écrite sans audience, n’a pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale aux droits de la défense.

L’article 9, qui permet à la juridiction de référé de rejeter par ordonnance non contradictoire une demande irrecevable ou ne remplissant pas les conditions du référé, n’a pas porté d’atteinte manifestement illégale au droit au recours effectif, aux droits de la défense et au principe d’égalité devant la justice.

L’ordonnance permet aux juridictions pour enfants de proroger, renouveler et prononcer des mesures d’assistance éducative pour une durée limitée, par décision motivée et sans audition des parties, mais au terme d’une procédure contradictoire, et également de suspendre ou modifier le droit de visite et d’hébergement dans les mêmes conditions. Ces dispositions n’ont pas porté d’atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Absence d’atteinte au droit à l’accès aux soins des personnes âgées

CE, réf., 15 avr. 2020, n° 439910, Assoc. Coronavictimes et a. Il n’est pas établi qu’il y aurait une pratique générale de refus d’admission dans les établissements de santé des personnes résidant dans les EHPAD atteintes par une infection pouvant être attribuée au Covid-19.

Plusieurs sociétés savantes de médecins ont émis des recommandations quant à la prise en charge en réanimation des personnes dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 qui ne traduisent pas un resserrement des critères d’admission en réanimation. En outre, ainsi que le recommandait le comité consultatif national d’éthique dans son avis du 13 mars 2020, des cellules éthiques de soutien permettent d’appuyer les professionnels de santé dans les décisions qu’ils prennent s’agissant des patients les plus graves. Dans ces conditions, il n’est pas établi que les décisions médicales d’admission en réanimation reposeraient de manière générale sur des critères qui auraient été rendus plus stricts du fait de l’anticipation d’une éventuelle saturation de l’offre de soins de réanimation en raison de l’épidémie de Covid-19 ou qui discrimineraient, au sein des patients atteints d’une infection due au Covid-19, ceux qui sont les plus âgés.

Le maire ne peut agir que très exceptionnellement en cas d’urgence sanitaire

CE, réf., 17 avr. 2020, n° 440057, Cne de Sceaux. Par les articles L. 3131-12 à L. 3131-20 du Code de la santé publique, le législateur a institué une police spéciale donnant aux autorités de l’État mentionnées aux articles L. 3131-15 à L. 3131-17 la compétence pour édicter, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire, les mesures générales ou individuelles visant à mettre fin à une catastrophe sanitaire telle que l’épidémie de Covid-19, en vue, notamment, d’assurer leur cohérence et leur efficacité sur l’ensemble du territoire concerné et de les adapter en fonction de l’évolution de la situation.

Les articles L. 2212-1 et L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales autorisent le maire, y compris en période d’état d’urgence sanitaire, à prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques dans sa commune. Le maire peut, le cas échéant, à ce titre, prendre des dispositions destinées à contribuer à la bonne application, sur le territoire de la commune, des mesures décidées par les autorités compétentes de l’État, notamment en interdisant, au vu des circonstances locales, l’accès à des lieux où sont susceptibles de se produire des rassemblements. En revanche, la police spéciale instituée par le législateur fait obstacle à ce que le maire prenne au titre de son pouvoir de police générale des mesures destinées à lutter contre la catastrophe sanitaire, à moins que des raisons impérieuses liées à des circonstances locales en rendent l’édiction indispensable et à condition de ne pas compromettre, ce faisant, la cohérence et l’efficacité de celles prises dans ce but par les autorités compétentes de l’État.

Poursuite d’activité des entreprises métallurgiques : absence d’atteinte au droit au respect de la vie

CE, réf., 18 avr. 2020, n° 440012, Féd. des travailleurs de la métallurgie CGT (FTM-CGT). Le gouvernement a choisi de ne pas interdire la poursuite de l’activité des entreprises, notamment de la métallurgie, autres que celles énumérées à l’article 8 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020. Ce choix est motivé par l’analyse de ce qu’un confinement total n’est pas nécessaire pour combattre l’épidémie, par l’extrême difficulté de faire le départ entre les entreprises dont la poursuite d’activité est indispensable dans la situation actuelle et celles dont la poursuite d’activité est directement ou indirectement nécessaire à ces dernières, mais également par la nécessité de ne pas se livrer à un tel exercice dans le court terme, certaines entreprises dont l’activité ne serait peut-être pas essentielle pendant la période actuelle pouvant devenir indispensables dès le début de la période de sortie progressive du confinement.

Compte tenu de l’ensemble des dispositions, pérennes ou exceptionnelles, et des mesures déjà prises en matière d’organisation des conditions de travail par les entreprises et de surveillance par les services d’inspection du travail, il n’apparaît pas de carence des autorités publiques portant manifestement atteinte aux droits au respect de la vie et à la protection de la santé.

Priorité à ses agents sur les avocats pour la distribution de masques par l’État

CE, ord. réf., 20 avril 2020, nos 439983 et 440008, Ordre des avocats au barreau de Marseille, Ordre des avocats au barreau de Paris. Face à un contexte de pénurie persistante des masques disponibles, il appartient à l’État d’en doter d’abord ses agents, à l’égard desquels il a, en sa qualité d’employeur, une obligation spécifique de prévention et de sécurité pour garantir leur santé et, tant que persiste cette situation de pénurie, d’aider les avocats qui, en leur qualité d’auxiliaires de justice, concourent au service public de la justice, à s’en procurer lorsqu’ils n’en disposent pas par eux-mêmes. Pour le gel hydroalcoolique, pour lequel il n’existe plus la même situation de pénurie, il appartient à l’État d’en mettre malgré tout à disposition, lorsque l’organisation des lieux ou la nature même des missions ne permettent pas de respecter les règles de distanciation sociale.

L’absence de distribution de masques aux avocats dans les circonstances où la présence d’un avocat est requise auprès d’un justiciable pour l’exercice des droits de la défense ne révèle pas une carence portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées justifiant que le juge des référés ordonne les mesures de sauvegarde demandées.

Ce qui va sans dire… doit être « communiqué »

CE, ord. réf., 30 avr. 2020, n° 440179, Féd. française des usagers de la bicyclette. Il résulte notamment de l’information apportée par le représentant du ministre de l’Intérieur quant à l’existence et au contenu d’un relevé de décision du 24 avril 2020 de la cellule interministérielle de crise placée auprès du Premier ministre, que l’interprétation des dispositions de l’article 3 du décret du 23 mars 2020 retenue par le gouvernement est, en premier lieu que ne sont réglementés que les motifs de déplacement et non les moyens de ces déplacements qui restent libres. La bicyclette est donc autorisée à ce titre comme tout autre moyen de déplacement, et quel que soit le motif du déplacement, en deuxième lieu que les verbalisations résultant de la seule utilisation d’une bicyclette, à l’occasion d’un déplacement autorisé, sont injustifiées et, en troisième lieu, que les restrictions de temps et de distance imposées par les dispositions du 5° de l’article 3 privent en principe d’intérêt l’usage de la bicyclette pour un déplacement exclusivement motivé par l’activité physique individuelle et que, dans un tel cas, le risque plus important de commission d’une infraction liée au dépassement de la distance autorisée doit conduire, tout en en rappelant la possibilité juridique d’utiliser la bicyclette pour tout motif de déplacement, à en dissuader l’usage au titre de l’activité physique.

Toutefois, malgré l’existence de cette position de principe, plusieurs autorités de l’État continuent de diffuser sur les réseaux sociaux ou dans des réponses à des foires aux questions, l’information selon laquelle la pratique de la bicyclette est interdite dans le cadre des loisirs et de l’activité physique individuelle à l’exception des promenades pour aérer les enfants où il est toléré que ceux-ci se déplacent à vélo, si l’adulte accompagnant est à pied, ainsi qu’un pictogramme exprimant cette même interdiction.

Or, d’une part, la faculté de se déplacer en utilisant un moyen de locomotion dont l’usage est autorisé constitue, au titre de la liberté d’aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative. D’autre part, si les cyclistes qui s’estiment verbalisés à tort peuvent, devant le juge judiciaire, contester l’infraction qui leur est reprochée, la faculté reconnue à l’Administration d’exécuter d’office les mesures prescrites en application du décret du 23 mars 2020 est de nature à conduire, en cas d’interdiction de déplacement opposée, à tort, à raison du seul usage d’une bicyclette, à ce que le cycliste contrôlé soit tenu de descendre de son véhicule et de poursuivre son trajet à pied.

Dans ces conditions, compte tenu de l’incertitude qui s’est installée à raison des contradictions relevées dans la communication de plusieurs autorités publiques, sur la portée de l’article 3 du décret du 23 mars 2020, quant à l’usage de la bicyclette et des conséquences de cette incertitude, l’absence de diffusion publique de la position gouvernementale doit être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale justifiant que le juge du référé-liberté enjoigne au Premier ministre de rendre publique, sous 24 heures, par un moyen de communication à large diffusion, la position en question.

Il est enjoint au ministre de l’Intérieur de rétablir l’enregistrement des demandes d’asile

CE, ord. réf., 30 avr. 2020, nos 440250 et 440253, Ministre de l’Intérieur ; Office français de l’immigration et de l’intégration. En raison de l’épidémie de Covid-19, et alors que par une circulaire du 16 mars 2020, le ministre de l’Intérieur avait indiqué aux préfets que l’accueil des demandeurs d’asile figurait au nombre des missions qui devaient continuer à être assurées, les GUDA des départements d’Île-de-France ont suspendu leur activité soit le 17 soit le 27 mars. Cette fermeture générale devait cependant être accompagnée, ainsi que l’Administration l’avait indiqué dans le cadre de l’instance ayant donné lieu à l’ordonnance n° 439895 du 9 avril 2020, d’une part, de la poursuite de l’enregistrement des demandes des personnes vulnérables, d’autre part, d’un recensement par les préfectures des personnes qui manifesteraient l’intention de présenter une demande d’asile. C’est notamment au bénéfice de ces deux mesures que le juge des référés avait estimé qu’il n’était pas porté d’atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile.

En l’état de l’instruction, il n’apparaît pas que ce recensement ait été effectivement mis en œuvre. Il ne résulte pas de l’instruction qu’il serait impossible de mobiliser un minimum d’agents, notamment pour traiter les demandes des personnes se trouvant dans une situation de vulnérabilité particulière, ni que les mesures de protection et de distanciation sociale seraient irréalisables.

S’il résulte des indications fournies par le ministre, premièrement, que les étrangers en situation irrégulière qui manifesteraient l’intention de déposer une demande d’asile ne sauraient faire l’objet d’une mesure d’éloignement, deuxièmement, que les préfets des départements où les GUDA ont été fermés recevront instruction de ne décompter qu’à partir de la fin de l’état d’urgence sanitaire le délai de 90 jours depuis l’entrée sur le territoire national au terme duquel le préfet peut placer en procédure accélérée la demande d’asile, et qu’en tout état de cause la personne éventuellement concernée pourra faire valoir ses droits devant le juge administratif, troisièmement, que la réouverture des GUDA figure dans les plans de continuité de toutes les préfectures concernées pour la période s’ouvrant le 11 mai, quatrièmement que des mesures ont été prises pour assurer que tous les migrants qui le souhaitent bénéficient d’un hébergement et de « chèques services », la carence de l’État à mettre en œuvre l’enregistrement des demandes d’asile est de nature à justifier, dès lors en outre que la condition d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du Code de justice administrative doit être regardée comme remplie, qu’il soit enjoint au ministre de rétablir en Île-de-France l’enregistrement des demandes d’asile, en priorité des personnes vulnérables.

Un régisseur n’est pas un artiste du spectacle

T. confl., 11 mai 2020, B., n° 4180. Le requérant a été engagé par plusieurs contrats à durée déterminée par la commune en qualité de régisseur à l’occasion de spectacles organisés par le centre d’art et de culture, que la commune exploite en régie directe.

Sauf dispositions législatives contraires, les personnels non statutaires travaillant pour le compte d’un service public à caractère administratif géré par une personne publique sont des agents contractuels de droit public, quel que soit leur emploi.

Le centre d’art et de culture de la commune présente le caractère d’un service public administratif et le requérant y a exercé des fonctions de régisseur. Ses contrats n’entraient donc pas dans le champ de la présomption prévue par l’article L. 7121-3 du Code du travail.

Pas de déclassement d’un centre pénitentiaire du fait de l’entrée en vigueur du CG3P

T. confl., 11 mai 2020, n° 4181, garde des Sceaux, ministre de la Justice. La requérante a demandé au tribunal administratif de condamner l’État à lui verser des indemnités en réparation des dommages causés à ses cultures par des sangliers provenant d’un centre pénitentiaire ouvert, qui occupe un site d’environ 1400 hectares, composé de bâtiments, d’une exploitation agricole et d’une zone de forêts et de maquis.

Avant l’entrée en vigueur, le 1er juillet 2006, du Code général de la propriété des personnes publiques, l’appartenance d’un bien au domaine public était, sauf si ce bien était directement affecté à l’usage du public, subordonnée à la double condition que le bien ait été affecté au service public et spécialement aménagé en vue du service public auquel il était destiné. En l’absence de toute disposition en ce sens, l’entrée en vigueur de ce code n’a pu, par elle-même, avoir pour effet le déclassement de dépendances qui appartenaient antérieurement au domaine public et qui ne rempliraient plus les conditions désormais fixées par son article L. 2111-1.

Le centre pénitentiaire appartient à l’État, a été affecté au ministère de la Justice depuis 1948 et en dernier lieu par une convention du 21 janvier 2015 pour les besoins du service public pénitentiaire et a fait l’objet d’aménagements spéciaux. Il appartenait donc au domaine public de l’État avant l’entrée en vigueur du Code général de la propriété des personnes publiques. En l’absence de tout acte de déclassement, il en est encore ainsi à la date des désordres constatés (compétence administrative).

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. CE, 8 août 1919, n° 56377, Labonne : Lebon, p. 737.
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