Paroles de doyens d’université : le succès du droit ne se dément pas !
La filière droit compte plus de 200 000 étudiants à l’échelle du territoire. À la clé, des carrières dans la magistrature ou en tant qu’avocats, mais aussi de très nombreux autres postes dans le monde de l’entreprise ou l’administration. Quelques doyens ont partagé leurs réflexions sur la popularité de ces études, les évolutions pédagogiques qu’ils constatent et les vertus de l’enseignement public.
« Si l’on prend le nombre de candidatures sur Parcoursup ou la plateforme Mon master, le succès de la filière droit ne se dément pas, ni au niveau licence, ni au niveau master ». Pour Élise Untermaier-Kerléo, assesseure du doyen de l’université Jean Moulin Lyon 3, pas de doute, le droit a le vent en poupe. Même son de cloche pour Guylain Clamour, doyen de la faculté de droit et science politique de Montpellier, qui constate « un nombre constant voire croissant de candidatures ». À l’échelle du territoire, la filière compte en effet plus de 200 000 étudiants et attire de plus en plus.
Un succès toujours croissant
Mais pourquoi ? Parmi les doyens interrogés, tous s’y accordent : le rêve absolu des étudiants en droit prend la forme d’une carrière de magistrat, juge des enfants en tête, ou d’avocat pénaliste. Bercés par l’appel captivant d’une vie faite d’adrénaline, de décisions cornéliennes, de cas de conscience qui font le sel de la vie, et surtout par l’envie de rendre justice, ils s’engagent dans ces études, une noble tâche chevillée au corps. Voilà pour l’image la plus répandue. « Beaucoup d’étudiants rentrent en fac de droit, pensant intuitivement à la justice pénale qui condamne les voleurs et les criminels », confirme Élise Untermaier-Kerléo, maîtresse de conférences de droit public, qui enseigne notamment le droit administratif en 2e année.
Dans la réalité, les études de droit bénéficient encore de leur réputation de « voie royale » qui mène à tout : « métiers de la justice – avocats, magistrats, greffiers -, mais aussi notaires, aux juristes d’entreprise, au sein des collectivités territoriales ou dans la fonction publique… Cela explique l’attrait pour le droit, qui reste une filière assez large. Quand on sort du lycée et qu’on n’a pas de projet professionnel très arrêté, cela reste un réflexe assez classique », analyse-t-elle encore. Pour Jean-Baptiste Perrier, doyen de la faculté de droit et de science politique d’Aix-Marseille, dire que le droit est une voie royale est vrai, mais pas seulement. « Cette idée n’est pas fausse mais on ne vient pas non plus dans une fac de droit par hasard ». Il faut certaines qualités comme « une aptitude au raisonnement, une bonne culture générale et sociétale pour comprendre le fonctionnement juridique de l’État, enfin maîtriser la langue française, sa grammaire, sa syntaxe car les professions juridiques restent des professions très écrites ». En plus du savoir-faire, il souligne la nécessité d’acquérir certains codes, le savoir-être jouant aussi son rôle dans la réussite. Alors, élitisme ou prestige ? « Je suis frontalement opposé à l’idée du prestige qui s’opposerait à la démocratisation. Cette lecture historique est liée à la notabilisation des professions du droit. Mais le prestige n’est pas lié à un milieu fermé, au contraire. Le prestige, c’est l’exigence des fonctions qui peuvent donner un statut social surtout quand on ne vient pas du milieu. Le droit joue le rôle d’un ascenseur social ». Une forme « d’élitisme républicain », estime pour sa part Guylain Clamour.
Mais il y a autre chose : les représentations culturelles ont fait de la justice et du droit de formidables fils scénaristiques pour les films et les séries, à commencer par Engrenages en France ou Better Call Saul aux États-Unis. Jean-Baptiste Perrier reconnaît que les étudiants de 1re année « ont une vision stéréotypée du droit, très influencée par la culture populaire, véhiculée par les séries qui font la part belle à la criminologie et au droit pénal ». Guylain Clamour poursuit : « La culture cinématographique est nécessairement en background pour les jeunes gens. De La Servante écarlate à Star Wars, il y a du droit partout et cela nourrit cette sensibilité. Le droit, c’est la société. Pour comprendre le monde qui nous entoure, c’est un outil extraordinaire » !
« Le droit n’est pas déconnecté du réel »
Finie l’image poussiéreuse des études juridiques, « le droit est le réceptacle de tout ce qui se passe dans la société. Les cours doivent être constamment mis à jour. On intègre les grandes problématiques sociales. Pour ma matière de droit administratif, j’intègre tous les débats sur le respect des libertés fondamentales, comme la liberté de manifester, par exemple avec l’affaire de Sainte-Soline. En filigrane, une question passionnante : où s’arrête cette liberté ? Pour moi, c’est l’intérêt du droit. On est dans l’actualité, il donne des jumelles pour regarder le monde et mieux le comprendre », estime Élise Untermaier-Kerléo. Fierté, donc, quand des étudiants d’abord rétifs à sa matière finissent par la trouver suffisamment haletante pour se spécialiser en droit public, c’est un pari réussi. Et si elle reconnaît que les enseignements du droit sont assez théoriques, « ils sont toujours reliés au monde. Le droit ne se résume pas à des règles abstraites déconnectées du réel. Elles servent à résoudre des problèmes de la vie quotidienne. Se marier, avoir des enfants, divorcer, avoir recours à une GPA, obtenir un permis de construire, créer une société, etc. ». Alors si le droit privé plaît toujours aux étudiants, d’autres spécialités se popularisent. « Le port des signes religieux, la gestion du Covid, le port du masque, la surveillance par drone, tous ces sujets montrent l’importance croissante du droit public », confirme Guylain Clamour.
La quête du sur-mesure
Parmi un panel de possibles, la faculté de droit doit permettre à chaque étudiant de trouver la spécialisation idoine et dans laquelle il a le plus de chance de réussir. Cela signifie la gestion de centaines, voire de milliers d’étudiants, comme pour Guylain Clamour, à la tête de 6 000 d’entre eux. « En tant que doyen, mon principal défi consiste à gérer les masses et l’accès des étudiants au master. Nous avons 1 500 étudiants en première année, qui connaissent une rupture complète d’avec le lycée. Ils s’engagent dans une sorte de parcours initiatique, qui passe par les amphis mais aussi l’accompagnement individualisé nécessaire qui permet d’aller plus loin ». Ainsi, à l’université de Montpellier, il existe du tutorat, du mentorat et une clinique juridique. « Le réseau de mentorat permet aux étudiants d’être en relation avec un magistrat, un avocat, pour affiner leur orientation professionnelle », se satisfait-il. Une démarche qui a d’autant plus de sens car sa préoccupation principale « est l’accès au master dans un contexte de réforme qui suscite encore énormément de problèmes pratiques. Dans l’absolu, recruter des étudiants en L3, c’est trop tôt. Les étudiants ne savent pas encore s’ils veulent faire, par exemple, du droit des assurances, bancaire, ou de l’environnement. Dès le premier semestre de L3 nous organisons une présentation précise de chaque Master pour les éclairer ». La nouvelle plateforme a également beaucoup changé les choses, explique-t-il. « Le problème n’était pas tant le manque de place que la gestion non synchronisée des admissions. Le tutorat, quant à lui, est généralisé pendant trois ans, les étudiants y ont accès en permanence pendant l’année. Il y a des stages de révision, des stages de pré-rentrée. Ce n’est pas possible que par l’engagement et la mobilisation d’étudiants plus âgés, avec de belles valeurs humaines. Cela fait partie de mes plus grandes joies : les étudiants sont pétris de bienveillance et de solidarité », confie-t-il. Enfin la clinique juridique – l’une des premières de France – sous pilotage universitaire permet d’approfondir les enseignements, en association avec le barreau de Montpellier, toujours dans une perspective d’introduction à la vie professionnelle.
À Lyon 3, il existe également un panel de dispositifs pour les étudiants. « Pour les étudiants en situation de faiblesse, on a créé l’École de la réussite : un parcours sur-mesure, à destination de ceux principalement issus de bac pro et technologique, pour leur permettre de faire une L1 en deux ans. Ils ont des cours sur-mesure, en petits groupes, des séances de remédiation en français, d’expression, de rencontres avec des avocats pour intégrer les codes sociaux nécessaires pour faire partie de la communauté juridique. Le pendant de l’École de la réussite, c’est le Collège de droit, pour ceux qui ont déjà un très bon niveau de connaissance et ont envie d’en faire plus, d’aller plus loin. Le collège permet de faire du droit autrement, de s’impliquer dans des projets originaux (cours sur la justice climatique, sur la révolte des femmes iraniennes, avec des intervenants extérieurs, des procès fictifs…) ». À ses yeux, la fac « permet un brassage entre étudiants et met dans un même amphi de très bons élèves et des moins bons, qui font partie d’une même société ». Elle souligne aussi la multiplication des parcours spécifiques de formation, composés d’un socle commun, la majeure, et d’une mineure, qui permet de dessiner une première orientation (droit-finances, droit-prépa science po, droit-métiers de l’immobilier, etc.).
Pour la faculté d’Aix-Marseille, la situation évolue. À l’horizon 2024, Jean-Baptiste Perrier souhaite la mise en place d’un parcours temporaire de soutien. « Notre objectif est de nous concentrer sur les étudiants qui échouent à 9 ou 9,5, c’est-à-dire, très près du but. Pour ces étudiants, peu de choses sont aujourd’hui mises en place et c’est pourquoi nous réfléchissons à ce parcours qui est temporaire ; après quelques semaines et dès que les difficultés seront dissipées, ils pourront sortir du parcours de soutien ». Ce soutien est essentiel « car si on a raté ces fondamentaux, il est très dur de rattraper ce retard ». Par ailleurs, « nous souhaitons renforcer l’accueil des étudiants de Licence, pour expliquer clairement les attentes, transmettre très tôt la méthodologie du travail universitaire, aider à comprendre ce qu’est le droit. Pour cela, les étudiants auront 2 semaines d’intégration, dont des conférences de méthode. Nous expérimentons actuellement ce dispositif sur notre site d’Arles car les étudiants y sont peu nombreux, et nous avons vu que le taux de réussite cette année est meilleur ».
Il projette aussi de développer le mentorat avec de jeunes avocats, commissaires de justice ou magistrats, qui pourront permettre aux étudiants une plongée de quelques jours dans une étude ou au tribunal. Car la faculté de droit doit non seulement rendre possible l’acquis de connaissances et de compétences fondamentales, mais aussi préparer à la vie professionnelle.
Une préparation à la vie professionnelle
Contrairement aux idées reçues, la fac prépare à la vie professionnelle, insiste Guylain Clamour. « Cette perception est surtout due à un problème de méconnaissance de l’université française. Pour être réussies, les études de droit reposent, en grande partie, sur la partie professionnelle, et ce depuis toujours. 70 % de nos intervenants en Master sont des professionnels eux-mêmes. Cela explique notre très bon taux d’insertion professionnelle, après quatre années de mise en pratique et de stages largement ouverts à l’apprentissage. La professionnalisation fait partie de nos missions légales et de notre ADN, comme la formation par la recherche ».
Pour Jean-Baptiste Perrier, plus pertinent encore que le taux d’insertion professionnelle, c’est la qualité de cette insertion professionnelle qui compte. Son université est classée 3e par le Figaro ; cela signifie que la mission recherchée est remplie : l’efficacité des formations universitaires permet une rémunération à la hauteur des attentes.
« Il faut se garder de penser que les études de droit sont un apprentissage par cœur, ce que l’on entend souvent dans les familles, au lycée, et même dans les services d’orientation. Il ne s’agit pas d’apprendre des lois inscrites dans le Code civil depuis Napoléon, mais de les comprendre et d’être capable de les appliquer comme de les remettre en cause. C’est vraiment une matière vivante », estime Élise Untermaier-Kerléo. Une matière vivante qui a de beaux jours devant elle, et qui, selon elle, devrait être enseignée dès le lycée : « c’est d’autant plus essentiel pour ceux qui n’iront pas en fac de droit ; tout citoyen a besoin de connaître le droit pour comprendre le monde, le système étatique et aussi pour mieux défendre ses droits ».
Enfin, les formations évoluent avec les innovations pédagogiques. Pour Guylain Clamour, elles peuvent être utiles mais doivent rester à leur place d’outils. S’il constate le succès immédiat de la salle d’audience fictive lancée en 2021 dans son université, littéralement prise d’assaut, « il ne faut pas se leurrer sur les métamorphoses pédagogiques : les enseignements traditionnels ne sont pas has been. Le cours en amphi a toujours ses vertus. En L1, il n’a rien de daté. Cela reste un instrument pédagogique majeur parce que cet exercice est très exigeant pour les étudiants. On aurait tort de s’en passer. Aller en amphi, revient à un principe d’autonomie des étudiants. Écouter un professeur attentivement pendant trois heures, pour quelqu’un qui a une culture de l’immédiateté via les réseaux sociaux, est déjà un défi. Ces cours ne pourraient pas être remplacés par des cours en vidéo ».
Jean-Baptiste Perrier, plutôt « technophile », estime-lui, que ces innovations sont utiles, seulement si les bases sont acquises : « le principe de classe inversée, ça ne fonctionne pas nécessairement dans un amphi de 700 étudiants, mais on ne peut pas enseigner le droit comme il y a vingt ans », reconnaît-il. La question de Chat GPT émerge également. Le doyen d’Aix-Marseille confie avoir récemment fait face à son premier cas de plagiat dans un rapport de recherche. « L’outil numérique ne fait finalement que refléter ce qui existe dans le monde physique : à la maison, on ne sait pas qui écrit. Peut-être faut-il aller vers plus de contrôle continu, plus d’évaluations sur table pour limiter les risques ».
Reste que le parcours des étudiants n’est pas simple. Élise Untermaier-Kerléo le remarque : ils sont très stressés. « L’angoisse des étudiants commence très tôt, dès le lycée, ils savent qu’ils vont être classés. Parcoursup est assez anxiogène, ils sont bien conscients que toutes les notes sont enregistrées et se disent que leur place n’est pas acquise, analyse-t-elle. À Lyon 3, on prend énormément de monde, mais pas tout le monde, notamment les étudiants hors académie. Nos déçus, en résumé, ce sont de très bons lycéens hors académie ».
Certains masters connaissent plus de succès que d’autres. « Le master de droit pénal fait le plein, alors qu’il n’y a que 20-30 places, boosté par les représentations culturelles. Il faut peut-être faire une série sur le droit administratif appliqué ou le contentieux du droit du travail ! », plaisante Guylain Clamour, mais à moitié seulement devant les besoins sur le marché et l’employabilité des masters en droit public.
Jean-Baptiste Perrier comprend la déception quand les places en master sont chères. Mais il nuance : « Il y a autant de places en master en droit en France que d’étudiants susceptibles d’y candidater. Cela signifie que tous les diplômés de licence pourraient avoir un master en droit. L’idée que les facs de droit laissent des étudiants sur le carreau, c’est faux. Seulement peut-être que chacun d’entre eux n’aura pas forcément le master de ses rêves et c’est pour cela que nous sensibilisons les étudiants, à la fois sur les efforts à fournir pour atteindre leurs objectifs, mais aussi à apprécier les points forts et les points faibles de leur dossier pour candidater avec lucidité ». Et face à l’option du privé, tentante pour certains, Jean-Baptiste Perrier a un avis bien tranché : « mieux vaut avoir un vrai master en apparence moins « prestigieux » ou plus éloigné de ses premiers centres d’intérêt (souvent très généraux), qu’un mastère qui n’est pas un diplôme reconnu et n’est pas le sésame prétendu. Surtout, nous avons en France une formation universitaire et de très grande qualité. Les universitaires sont des enseignants-chercheurs, des professionnels de l’enseignement et ce dernier nourri par les études menées. Cela n’est pas vide de sens, les universitaires ont, par leur formation et leur activité, des compétences d’analyse, une vision doctrinale et une capacité à former à la fois sur les aspects pratiques et théoriques qui sont nécessairement supérieures à quelqu’un, qu’il soit praticien ou non, qui serait seulement diplômé d’un master voire d’une licence et qui intervient dans l’enseignement privé ».
Pression de la réussite, peur de ne pas être pris dans leur master, évolutions technologiques, les étudiants d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’il y a vingt ans, mais ils partagent toujours les mêmes angoisses : celles de la jeunesse, prise entre ses aspirations vers un idéal et la confrontation – parfois compliquée – avec le réel.
Référence : AJU010f6