Val-de-Marne (94)

Construction de nouvelles prisons : une mauvaise solution pour l’environnement ?

Publié le 19/05/2023
Construction de nouvelles prisons : une mauvaise solution pour l’environnement ?
methaphum/AdobeStock

Pour lutter contre la surpopulation carcérale en Île de France, une dizaine de centres pénitentiaires sont en construction ou en projet. Une grande partie de ces projets, jugés contre productifs pour l’OIP, sont censés s’étendre sur des terres agricoles provoquant la consternation chez les habitants et les agriculteurs.

Quand on arrive à Noiseau depuis la Queue-en-Brie, on découvre de longues plaines céréalières, bordées de coquelicots. Il n’est pas difficile de se figurer ici l’Angélus de Millet, peint dans la plaine de Brière, plus au sud. Un tableau qui orne bien des salons paysans. Mais depuis quelques mois, ce ne sont pas que des coquelicots qui fleurissent le long de la départementale 136, souvent bondée aux heures de pointe, mais des affiches figurant un gros sens interdit « Noiseau dit NON à la prison » !

Une pétition qui réunit près de 5 000 signatures entend contester la décision de construction d’une nouvelle prison dans cet environnement bucolique. « Depuis octobre 2018, l’État projette d’implanter sur le sol de Noiseau, commune d’Île-de-France de 4 700 habitants, une prison de 700 places. Cela représenterait 30 % des capacités nouvelles d’accueil de prisonniers en Île-de-France. À titre de comparaison, le département des Hauts-de-Seine qui est 350 fois plus peuplé que Noiseau accueillerait, selon le plan immobilier pénitentiaire, 92 places nouvelles, soit 8 fois moins ! Outre cette incohérence, qui continuerait à creuser le déséquilibre entre l’Ouest et l’Est parisien, c’est également le site envisagé qui est en cause. L’implantation d’un tel établissement sur Noiseau entraînerait la consommation d’une vingtaine d’hectares d’espaces aujourd’hui agricoles, l’une des dernières zones de ce type restant dans le Val-de-Marne », peut-on y lire.

C’est en effet dans cet écrin de verdure, entouré par une banlieue toujours plus dense, que l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ) a mené ces derniers mois une vaste consultation publique pour l’implantation d’un nouveau centre pénitentiaire de 800 places. Une consultation qui s’est terminée en février dernier. La parcelle préférentielle du projet est une vaste étendue agricole plane coincée entre un ancien site France Télécom – qui sera bientôt réhabilité en ZAC – et la forêt domaniale de Notre-Dame. Il s’agit de terres agricoles exploitées depuis plusieurs générations. D’ici le 20 mai, les habitants sauront si la construction d’une prison de 700 détenus purgeant des peines ne dépassant pas deux ans sera inaugurée à Noiseau, dans cinq ans…

Contre la surpopulation carcérale, le ministère de la Justice brandit ses truelles

Le ministère de la Justice agit pour rattraper des années difficiles, entre les levées de boucliers des avocats et des magistrats contre les moyens de la justice, et les chiffres – toujours plus difficiles – de la surpopulation carcérale et des conditions de détention. Le garde des Sceaux a ainsi annoncé début mai une enveloppe de 7,5 milliards d’euros pour son plan d’action pour la justice. De l’argent devrait permettre de fluidifier les délais de jugements grâce à des « embauches massives », sont annoncés le recrutement de 1 500 magistrats, 1 500 greffiers et de contractuels « CDIsés ». De quoi également concrétiser son annonce de 15 000 places de prisons supplémentaires.

La surpopulation carcérale est une longue histoire en France. Aujourd’hui, 72 351 personnes sont incarcérées dans les prisons françaises, pour 60 949 places opérationnelles, soit une densité carcérale globale de 118,7 %, contre 115,9 % il y a un an, selon les statistiques du ministère, datant de fin mars 2023. Ce taux d’occupation est de 140,7 % dans les maisons d’arrêt, où sont incarcérés les détenus en attente de jugement – et donc présumés innocents – et ceux condamnés à de courtes peines. Les conséquences de ce traitement carcéral ont coûté à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’Homme en 2020. En décembre dernier, c’est le comité des ministres du Conseil de l’Europe, en charge de la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour européenne par ses États membres, qui a tapé du poing sur la table. Dans une décision du 8 décembre dernier, les délégués des États s’alarment de l’évolution de la situation des prisons françaises et critiquent fortement les réponses apportées par le gouvernement après leurs alarmes précédentes. En septembre 2021, déjà, le Comité avait critiqué l’insuffisance des mesures prises par les autorités et avait exprimé sa « vive préoccupation face aux derniers chiffres qui attestent […] d’une aggravation de la situation » et invité les autorités « à adopter rapidement une stratégie globale et cohérente pour réduire, sur le long terme, la surpopulation carcérale ».

Quatre ouvriront en Île-de-France : il s’agit des structures d’accompagnement vers la sortie (SAS) de Noisy-le-Grand en Seine-Saint-Denis (120 places), Meaux (180 places) et Osny dans le Val-d’Oise (180 places), construits pour un public en fin de peine ou en semi-liberté, et de l’ancien centre de jeunes détenus de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, transformé en centre de détention d’un peu plus de 400 places. Le programme francilien prévoit également la réalisation de cinq projets de centres pénitentiaires, avec pour horizon la création de quelque 4 000 nouvelles places d’ici 2027, les détenus en surnombre étant aujourd’hui plus de 3 300. Si celui de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis, 705 places) est annoncé pour 2026, ceux de Crisenoy (Seine-et-Marne, 1 000 places), Bernes-sur-Oise (Val-d’Oise, 600 places), Noiseau (Val-de-Marne, 800 places) et Magnanville (Yvelines, 700 places) pourraient ouvrir d’ici à cinq ans.

Selon Matthieu Quinquis, directeur de l’Observatoire International des Prisons (OIP) et avocat au barreau de Paris, spécialisé dans les droits humains et exerçant essentiellement dans le domaine du droit pénal, du droit pénitentiaire et du droit de l’exécution des peines, cette course à la construction pose de nombreux problèmes. « En Île-de-France nous avons globalement un accroissement du nombre de détenus. Les établissements pénitentiaires franciliens reçoivent des personnes jugées par de grosses juridictions. Nous nous retrouvons avec les mêmes dynamiques que sur le reste du territoire avec des dynamiques d’entassement, des atteintes à la dignité des personnes, à leur intimité. On se retrouve avec des conditions d’incarcérations qui ne devraient pas exister. Fresnes est concerné, Meaux aussi qui depuis plusieurs années connaît des taux d’occupation très supérieurs à la normale dans son quartier maison d’arrêt. On a la même chose à Villepinte, où la directrice a récemment refusé d’accueillir des personnes qui lui seraient amenées. Récemment, Nanterre a été condamné après la visite du vice-bâtonnier qui avait constaté une dégradation des conditions d’incarcération, Bois d’Arcy a fait l’objet d’une condamnation par le tribunal administratif de Versailles… Bref aucun établissement n’est à l’abri car ils souffrent tous d’une politique pénale qui n’envisage pas d’autre réponse pénale que l’incarcération et la privation de liberté », souligne l’avocat.

Selon lui, la course à la construction nouvelle est « un mauvais signal »: « la réponse à la surpopulation, c’est toujours plus de prisons. Il faut savoir que les plans de constructions n’ont jamais arrêté depuis 1987. On a construit 24 000 places de prisons et le nombre de détenus a augmenté de 25 000 donc cela prouve bien que ce n’est pas une réponse qui fonctionne. On pourrait arguer que ces nouvelles prisons sont censées permettre la fermeture d’établissements vétustes mais ce n’est pas forcément la meilleure solution non plus : les conditions de vie dans les établissements neufs, gigantesques et aseptisés, ne sont pas forcément meilleures pour les détenus comme pour le personnel. Par exemple, le centre pénitentiaire de Lille Sequedin, bâti en 2005 est en surpopulation depuis 2011, et a fait l’objet d’une condamnation en 2015. En somme, construire une nouvelle prison, c’est de l’argent jeté par les fenêtres… pour se retrouver condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme. Il faut être ouvert à d’autres stratégies ».

Le président de l’OIP considère également qu’il y a une deuxième aberration s’ajoutant à la première : le choix des implantations des nouveaux centres pénitentiaires annoncés par le ministère. « La préoccupation écologique est aussi un argument dans l’opposition à ces constructions de places supplémentaires : on construit loin des centres urbains ce qui implique moins de capacités de travail d’insertion avec les détenus, des difficultés d’accès pour les familles, pour le personnel, des complications pour accéder aux services médicaux (il s’agit souvent de déserts médicaux) et surtout on construit sur des parcelles agricoles précieuses dans un contexte que l’on connaît » !

Plus de 1 300 contributions sur le registre de consultation

À Noiseau les habitants sont vent debout contre le projet et plusieurs petites manifestations se sont tenues à l’occasion des réunions de la consultation publique lancée par l’APIJ. Quand cette dernière a pris fin à la mi-février, plus de 1 300 contributions en ligne ont été enregistrées sur le registre dématérialisé prévu à cet effet. On y retrouve des craintes diverses, sur la sécurité, sur la circulation compliquée de la route menant à Sucy, mais c’est surtout la circonspection quant à la confiscation de terres agricoles qui pointe dans la grande majorité des messages. Jusqu’au milieu du XXe siècle, Noiseau (étymologiquement « la petite ville plantée de noyers ») était un village rural dominé par les champs de betterave et du blé, comme les autres communes du plateau Briard. Aujourd’hui, il ne reste que trois agriculteurs en activité : un père et son fils de 18 ans, Frédéric et Ludovic Nodier, qui ont une grosse exploitation céréalière et Jacques Fauvarque, fils et petit-fils d’agriculteur, qui cultive depuis 1992, 33 hectares de terre en polyculture. En novembre dernier, il a reçu un arrêté pour expertiser ses terres agricoles. « Il est indiqué qu’ils peuvent rentrer dans les champs pendant 48 mois… mais nous, on dépend beaucoup des primes PAC et si on ne peut pas déclarer ces terres-là, nos primes seront perdues et sans elles, ce n’est pas la peine de se lever le matin ! On a demandé au tribunal administratif un expert agricole, pour nous protéger, et on n’a pas de nouvelles »…

« Il faut qu’on m’explique, nous dit-il au téléphone, on nous dit qu’il faut se battre pour la souveraineté alimentaire, mais on a un département français de terres agricoles qui part tous les dix ans en béton, on est passés en sixième place des exportateurs ». L’homme s’inquiète beaucoup. « C’est surtout pour mon collègue dont le fils s’installe tout juste : avec l’arrivée de la prison, par exemple, il ne pourra pas cultiver de colza car il sera impossible de faire venir des effaroucheurs qui sont indispensables vu la population de pigeons. Or, pour obtenir les aides de la PAC, nous devons avoir 4 cultures différentes… on dirait qu’ils n’ont pas pensé à tout et surtout pas à nous ». L’homme s’est retroussé les manches dès qu’il a été mis au courant que la prison mordrait dans ses terres et dans celles de ses collègues : « Je conçois qu’il faille des prisons dans la région, ce qui me gêne c’est que pour les 5 projets, ils n’aient pris que des terres agricoles alors qu’il existe 4 200 ha de friches industrielles. Il y a quelques mois, dans France Agricole, il y avait encore une interview du ministre de la Transition écologique qui évoquait l’objectif de zéro artificialisation des terres agricoles… je ne comprends pas tout. Je pense qu’ils préfèrent un terrain propre et entretenu… et puis un agriculteur est sans doute moins cher à virer », nous confie-t-il.

Comme d’autres habitants de Noiseau, l’agriculteur est aussi circonspect sur plusieurs données communiquées par l’APIJ : « on créé des prisons alors qu’on n’arrive pas à recruter de gardiens pour celles qui existent déjà. Et puis, dans leur étude, ils disent que la prison se situerait à 15 minutes du tribunal judiciaire de Créteil (à 12 km) alors que celles et ceux qui vont à Sucy prendre le RER, à 5 km, mettent 30 minutes aux heures de pointe. Ils parlent d’un hôpital tout proche de la Queue-en-Brie, alors que c’est un hôpital psychiatrique » !

Isabelle, 55 ans, le comprend bien. Cela fait plusieurs mois que cette Noiséenne ne dort plus. La colère lui garde un œil ouvert. Câbleuse électronique, elle s’est muée en bénévole du Collectif Citoyen Contre l’Implantation d’une Prison à Noiseau, lancé en janvier dernier sur Facebook. Avec de nombreux autres citoyens, elle tente de remuer les médias et les pouvoirs publics. « On se bat pour faire bouger les médias, ce n’est pas évident, parfois on nous démonte en disant qu’il faut bien les construire quelque part ces prisons. Mais on a des friches industrielles, des anciens hôpitaux, des châteaux abandonnés pourquoi pas aller chercher cela. Tout près de Paris, ils ont trouvé 20 hectares pour faire les Jeux olympiques, mais pas pour faire une prison ? On n’est pas obligé de prendre des terres agricoles qui sont déjà trop rares et qui rapportent de l’argent à l’état en plus », s’attriste-t-elle. « Nos enfants doivent manger, boire, c’est la vie ! L’État nous dit c’est difficile pour les citoyens si tout augmente, mais il faut faire entrer de l’argent dans les caisses : un agriculteur fait travailler une usine qui produit des pâtes, qui nourrissent les gens, c’est toute une chaîne qui va être touchée ! Chez nous Ludovic Nodier, il a 18 ans, il a fait des études pour reprendre l’exploitation, on dit qu’il faut donner leur chance aux jeunes et on arrive à ça ! C’est absurde. Faire des prisons, oui c’est important, oui il faut les rafraîchir, mais ils incarcèrent tout le monde, des ados gardés à vue pour des bêtises, des excès de vitesse, des conduites sans permis… si on voyait comment s’occuper d’eux autrement, on aurait moins besoin de bétonner à tout va ! »

Comme les autres personnes du collectif, la jeune grand-mère est suspendue à la décision finale de l’administration pénitentiaire. Mais elle a déjà en tête de ne pas se laisser faire…

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