Triangle de Gonesse : les moissons de la discorde

Publié le 30/05/2022
Architecture
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Trois ans après l’abandon du projet d’EuropaCity, dans le triangle de Gonesse (Val d’Oise), de nouveaux projets présentés comme résilients sur le plan environnemental, mobilisent à nouveau les associations écologistes.

En octobre 2019, le projet d’EuropaCity, un pôle commercial et culturel géant doublé d’un parc aquatique et de pistes de ski artificielles porté par le groupe Auchan et Wanda, était abandonné en plein cœur du triangle de Gonesse (un territoire agricole de 700 hectares du Val d’Oise). « EuropaCity n’est pas la bonne réponse aux enjeux du territoire », assénait Élisabeth Borne, alors ministre de la Transition écologique à la sortie d’un conseil de défense écologique. Cette aberration sur le plan écologique placée sur le tracé du Grand Paris Express avait mobilisé un très grand nombre de protecteurs de l’environnement et d’agriculteurs, qui souhaitaient protéger les terres fertiles d’Île-de-France contre la voracité immobilière. Trois ans après, voilà que ce territoire fait de nouveau parler de lui.

Car l’abandon du projet a posé un problème de taille : sans ce projet d’envergure, que faire de la gare “Triangle de Gonesse” prévue sur le tracé de la ligne 17, entre l’aéroport du Bourget et Parc des expositions ? Le chef du gouvernement avait confirmé le 10 mai 2021, la réalisation de la nouvelle ligne 17 du Grand Paris Express avec la création d’une gare dans le triangle de Gonesse. « Cette infrastructure permettra de renforcer l’attractivité du pôle aéroportuaire et du Grand Roissy et d’améliorer l’accessibilité des habitants de l’est du Val-d’Oise à Paris et à l’ensemble de l’Île-de-France », avait expliqué Jean Castex. La liaison ferroviaire de 26,5 km doit relier Saint-Denis Pleyel (Seine-Saint-Denis) au Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) d’ici 2030, avec un arrêt à la gare triangle de Gonesse dès 2027.

Trouver des projets pour maintenir la gare ?

Dur exercice d’équilibriste que de ménager la chèvre et le chou ; sur ce triangle de terres arables. Impossible de réitérer l’aberration écologique d’Europa City : « Parce que le territoire avait jusqu’ici une vocation agricole, et que les terres de la plaine de France ont fait l’histoire de ce département, nous avons d’ores et déjà classé la partie nord du triangle de Gonesse en zone agricole protégée sanctuarisée », a justifié le chef du gouvernement. Mais il est tout aussi impossible pour les pouvoirs publics – gouvernement, région, département, CCI – de passer à côté de cette occasion de mettre un coup de booste à l’attractivité de cette zone du Val d’Oise éloignée de tout et très mal desservie.

Un projet semble rejoindre bien des attentes : celui d’Agoralim, le projet d’implantation d’une ligne du MIN de Rungis, par la société Semmaris gestionnaire du marché d’intérêt national. Un projet où des plateformes de distributions seraient doublées d’un volet agricole reposant sur l’agro-écologique. “Agoralim répond à un triple enjeu : l’accompagnement des nouvelles attentes des consommateurs pour une meilleure alimentation et de la mutation de l’agriculture locale, sécuriser l’approvisionnement alimentaire de l’Île-de-France face à une demande de produits frais de qualité en hausse, répondre au défi environnemental lié à la logistique par une meilleure répartition des flux de distribution entre le nord et le sud de l’Île-de-France”, comme on peut le lire sur le site.

« C’est un projet de territoire […], ça n’est pas un Rungis bis », souligne Stéphane Layani, président de la Semmaris. L’objectif du projet est de « dynamiser » l’est du Val-d’Oise, « qui a besoin d’activité économique », avance-t-il, mais aussi d’assurer l’approvisionnement de l’Île-de-France, dont la population va « croître d’un million et demi de personnes dans les dix années qui viennent ». Or « un million et demi de personnes, c’est 300.000 tonnes de produits en plus chaque année », a précisé le dirigeant à BFMTV. En effet, le projet est censé créer entre 4 000 à 5 000 emplois dans le département, classé 77e sur 100 départements français comparés en matière de chômage. La CCI du Val d’Oise veille au grain : « Nous allons être très vigilants à l’emploi de la main-d’œuvre locale dans ce projet », soutient Pierre Kuchly, président de la CCI.

Une gare orpheline au milieu des champs

Dans un rapport remis au gouvernement en février dernier, intitulé : “De la terre à l’assiette”, la Semmaris précise ses intentions sur la zone de Gonesse : Agoralim s’installera sur 4 sites principaux dans le département du Val d’Oise : Gonesse (production agricole, légumerie et formation) ; Goussainville (carreau des producteurs et distribution) ; Roissy-en-France (cuisine centrale et transformation) et Bonneuil-en-France (logistique du dernier kilomètre). Il représente un investissement cumulé de 1,4 milliard d’euros, à parité entre les activités directement portées par la Semmaris et l’écosystème porté par l’État et les autres partenaires publics et privés. Un projet qui montre patte verte mais qui échoue à convaincre les associatifs. « Une telle infrastructure, conçue au nom de l’écologie, aboutirait à la destruction de dizaines d’hectares de terres agricoles fertiles et entraînerait la saturation par les camions de l’autoroute A1, déjà la plus encombrée d’Europe », a estimé le Collectif pour le triangle de Gonesse (CPTG).

Bernard Loup, porte-parole du CPTG n’est pas convaincu : “on ne voit pas comment ils vont acquérir le foncier : on peut faire des déclarations d’utilité publique pour bétonner, mais il faut faire évoluer la loi pour rendre possible des DUP agricoles qui permettraient de sécuriser une autonomie alimentaire pour l’Île-de-France. On ne voit pas comment ils vont produire des légumes, faire de la production à grande échelle à Goussainville ? Selon nous, ce n’est pas de sitôt que l’on recréera la ceinture maraîchère. Et ce n’est pas avec la FNSEA du Val d’Oise, pro-méthanisation et céréales, qu’ils arriveront à faire du légume. Nous sommes très dubitatifs, selon nous, il s’agit plus pour Layani de prolonger la mission de service public de la Semmaris qu’autre chose” !

Pour justifier encore plus la construction de la gare au milieu des champs, le chef du gouvernement avait présenté le projet de la construction d’une cité scolaire internationale (accueillant 600 collégiens et 1 700 lycéens, formés aux métiers de l’hôtellerie) et d’une administration publique (drainant donc d’important flux de voyageurs quotidiens). Aucun investisseur privé ne se serait montré intéressé, selon les associations. Une aberration selon les représentants des associations écologistes mobilisées depuis Europa City : pour le CPTG, l’annonce de Jean Castex en mai 2021 « ne servait qu’à justifier la construction du métro du Grand Paris Express qui, depuis l’abandon d’EuropaCity, se cherche désespérément une utilité ».

Bernard Loup est remonté, quand nous lui parlons au téléphone, quelques jours avant la décision du tribunal administratif de Cergy-Pontoise qui rejettera leur recours contre les travaux pour la gare. Pour amener la population à prendre part à son combat, comme au bon vieux temps, le CPTG avait lancé une pétition papier auprès des habitants d’Arnouville, Villiers-le-Bel et Gonesse qui devrait être remise au Premier ministre. « Les habitants n’ont pas besoin de cette gare, souligne le militant. Ils ont besoin qu’on mette de l’argent public dans les travaux du RER D, ou le prolongement du T5 jusqu’à Villiers-le-Bel »… Le débat n’est pas clôt… Le triangle de Gonesse risque encore longtemps de faire parler de lui !

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