Les deux temps de l’affacturage inversé

Dans un arrêt très récent du 11 mars 2025, la cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le mécanisme à l’œuvre dans l’affacturage inversé. La réception par l’affactureur du fichier de dettes du client, le paiement par l’affactureur du fournisseur et le transfert subrogatoire de la créance de celui à l’affactureur seraient concomitants. La Cour en déduit que l’affactureur est tenu de régler le fournisseur. Au vrai, l’affacturage se scinde en deux phases, la réception de l’ordre de paiement du client et le paiement par l’affactureur du fournisseur. S’il s’opère une subrogation conventionnelle dans un deuxième temps, la première phase doit s’analyser, en fonction des clauses de la convention, en une indication de paiement ou une délégation de paiement.
1. Depuis une dizaine d’années émerge une figure inédite, dénommée en français « affacturage inversé » et en anglais reverse factoring, dont les tribunaux français commencent à connaître1. Jusqu’à présent, les débats judiciaires portaient sur la question de savoir si les commissions impliquées par ce montage créent un éventuel déséquilibre significatif entre les droits et obligations des fournisseurs et du client au sens du Code de commerce2. Une décision récente de la cour d’appel de Paris, en date du 11 mars 2025, fournit désormais l’occasion aux civilistes, au prix de contorsions non négligeables, de méditer la qualification juridique de cette opération3.
2. En l’espèce, pour renforcer son attractivité commerciale, la société Fib Nc 7 (devenue ensuite Aciam), avait proposé à l’un de ses fournisseurs majeurs, la société Mediatex, d’organiser un système dans lequel celui-ci serait réglé avant l’échéance de ses factures par un établissement d’affacturage, la société Abn Amro. À cette fin, le client Aciam et son fournisseur Mediatex avaient conclu d’abord une convention de partenariat, destinée à mettre en place ce « programme de paiement anticipé des créances commerciales des fournisseurs d’Aciam ». Aux termes de cette convention bilatérale (art. 3-c), le client s’engageait envers son fournisseur à transmettre à l’affactureur, tiers à cet acte, par l’intermédiaire d’une plateforme informatique développée par la société Acfi, un « fichier de cession » des créances, spécialement identifiées, du fournisseur sur le client. Celui-ci s’engageait par ailleurs envers celui-là à régler l’affactureur dans un délai de soixante jours après réception du fichier, du montant des créances transmises par suite du paiement subrogatoire, sans pouvoir opposer à ce dernier une exception inhérente à la dette ou tout autre motif né de ses relations avec le fournisseur (art. 3-d).
3. Dans le prolongement indivisible de cette convention de partenariat, une convention tripartite « de paiement anticipé de créances », répondant au schéma de l’affacturage inversé, fut nouée entre le client, le fournisseur et l’affactureur. Cette convention stipulait que les créances du fournisseur, réputées approuvées par le débiteur du fait de l’envoi du « fichier de cession » à l’affactureur (art. 4-c, § 3), seraient transférées à l’affactureur en vertu des dispositions de l’article 1346-1 du Code civil relatives à la subrogation conventionnelle (art. 4-c, §1). Elle précisait que la communication des factures du fournisseur par le client à l’affactureur interviendrait en exécution d’un mandat exprès donné pour ce faire par le fournisseur à son client. Un compte courant, ouvert parallèlement entre l’affactureur et le fournisseur, avait vocation à comptabiliser toutes les opérations entrant dans le champ de la convention tripartite. Dès réception du « fichier de cession », l’affactureur devait effectuer, par voie d’inscription au crédit dudit compte courant, le paiement au bénéfice du fournisseur des dettes listées, un tel paiement ayant pour effet de subroger expressément l’affactureur dans l’ensemble des droits, actions et sûretés attachées aux créances correspondantes (art. 4-d). À cette fin, était annexée à la convention tripartite une « quittance subrogative permanente » signée par le fournisseur au profit de l’affactureur.
4. Alors que le client avait transmis à l’affactureur, en utilisant la plateforme numérique gérée par son intermédiaire, un fichier des factures approuvées de son fournisseur pour un montant de 392 578,36 €, l’affactureur reçut moins de trois heures plus tard un courriel de la part de cet intermédiaire – le client et le fournisseur en copie – l’instruisant de ne pas régler ces dettes. L’affactureur s’abstint donc d’en faire le paiement. Or, quelques jours plus tard, une procédure de redressement judiciaire était ouverte contre le client. Le fournisseur prit le parti, après un référé infructueux, d’assigner au fond l’affactureur devant le tribunal de commerce de Paris, aux fins de le faire condamner à lui régler ces créances. Il en fut débouté par le Tribunal4, au motif que le transfert sur ordre du client du « fichier de cession » de ses fournisseurs à l’affactureur était une indication de paiement prévue à l’article 1340 du Code civil, de sorte que le client restait seul débiteur jusqu’au moment du paiement effectué par l’affactureur au fournisseur.
5. Le fournisseur interjeta appel, soutenant que l’affacturage inversé reposait à la fois sur une cession de dettes, une subrogation et une délégation imparfaite au sens des dispositions de l’article 1336 du Code civil. Il alléguait que la transmission du fichier de « créances » (dettes) avait engendré une obligation pour l’affactureur de procéder au paiement des sommes portées ; qu’aucune contre-instruction ne pouvait juridiquement être reçue, et au surplus, que la contre-instruction invoquée n’avait pas été transmise par l’intermédiaire à l’affactureur selon les modalités prévues par la convention tripartite. Par arrêt du 11 mars 2025, la cour d’appel de Paris s’est grosso modo rangée à cette argumentation et a infirmé le jugement attaqué. Refusant de décomposer l’opération « en deux phases séparées par le temps » comme l’avait fait le Tribunal (n° 40), la Cour considère, après examen des stipulations des deux conventions, que les parties ont entendu introduire une « simultanéité parfaite » entre la réception par l’affactureur du fichier « de cession de créances », qui vaut ordre de paiement de son client transmis par un intermédiaire, et la subrogation de l’affactureur dans les droits du fournisseur, transfert de créances qui se réalise par l’inscription concomitante du montant desdites créances au crédit du compte courant du fournisseur (nos 37-39). L’opération est « pleinement réalisé[e] » au moment où le fichier susmentionné est transmis à l’affactureur (n° 44). Elle en déduit l’obligation « ferme et définitive » pour l’affactureur de régler le fournisseur de ces factures approuvées par le client. En s’abstenant de payer les factures transmises, alors que l’ordre de paiement reçu était « irrévocable », peu important qu’elle ait reçu une contre-instruction inopérante de l’intermédiaire en dehors de la plateforme dédiée, l’affactureur a manqué à son obligation contractuelle et doit être condamné à l’exécuter.
6. Voici donc, dans cette décision inédite, l’affacturage inversé analysé en une opération de subrogation conventionnelle anticipée qui aurait pour vertu de se réaliser instantanément, dès réception par l’affactureur du fichier des dettes du client, au motif qu’il aurait l’obligation de créditer concomitamment le compte courant du fournisseur et que celui-ci a consenti par avance, par une quittance subrogative permanente, à la subrogation de l’affactureur dans les droits attachés à ces créances. Pareille conception unitaire de l’opération achoppe cependant, sans rémission possible, sur les règles d’ordre public applicables à la subrogation. La subrogation conventionnelle émanant du créancier, qui « transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires, à l’exception des droits exclusivement attachés à la personne du créancier » (C. civ., art. 1346-4), ne se déclenche qu’à réception par le subrogeant du paiement du subrogé (C. civ., art. 1346-1, al. 1er). Le transfert de créance que la subrogation induit n’advient pas en l’absence de paiement. Il en va pareillement lorsque la subrogation de la part du créancier est anticipée comme le permet l’article 1346-1, alinéa 3, du Code civil, parce que, dans un acte antérieur, le subrogeant a manifesté la volonté que son cocontractant lui soit subrogé lors du paiement. Ainsi que le texte le met en exergue, même si elle est prévue par un accord antérieur, la subrogation ex parte creditoris et le transfert de droits qu’elle implique ne s’opèrent que « lors du paiement ». Le texte insiste sur cette « concomitance » entre le transfert de créance et le paiement du subrogeant par le subrogé.
7. C’est donc un non-sens de soutenir, comme l’a fait la cour d’appel de Paris, au prétexte d’une convention organisant un paiement anticipé de créances, que « la société Abn a été conventionnellement subrogée dans les droits et actions de la société Mediatex à l’égard de la société Aciam au titre des créances transférées le 22 juillet 2022 à 17h23 » (n° 43), alors même que la Cour relevait que ces créances n’ont précisément pas été acquittées par l’affactureur en raison d’une contre-instruction reçue moins de trois heures plus tard. D’ailleurs, la cour d’appel de Paris admet elle-même dans les motifs de sa décision, avant d’évoquer le prétendu transfert subrogatoire des créances du fournisseur à l’affactureur, que la réception du fichier de factures « valait ordre de paiement » de la part du client (n° 37). Cette incidente invalide tout raisonnement unitaire de l’opération. La Cour dissimule mal la nécessaire division chronologique – même si elle peut se réaliser effectivement en un trait de temps – de l’affacturage inversé. L’opération comprend nécessairement deux phases qu’il faut minutieusement discerner : dans un premier temps, l’émission d’un ordre de paiement du client, dont il s’agit de savoir si elle correspond à une indication de paiement ou à la mise en place d’une délégation de paiement (I), suivie d’un paiement avant échéance d’une créance déclenchant une subrogation conventionnelle ex parte creditoris (II).
I – L’ordre de paiement reçu par l’affactureur dans un premier temps
8. Il ne fait nul doute qu’avant le paiement effectué par l’affactureur, intervient dans l’affacturage inversé une première phase : la réception par l’affactureur d’un ordre de paiement émanant de son client, débiteur du fournisseur5. L’enjeu du débat, sur lequel les parties s’escrimaient et qu’a singulièrement ignoré la cour d’appel de Paris, était de savoir si cet ordre de paiement s’analysait en une indication de paiement (A) ou en la mise en place d’une délégation de paiement (B).
A – Une indication de paiement
9. Puisant son origine dans la figure de l’adjectus solutionis gratia du droit romain6, l’indication de paiement est présentée en des termes pour le moins laconiques par l’article 1340 du Code civil : « La simple indication faite par le débiteur d’une personne désignée pour payer à sa place n’emporte ni novation, ni délégation. Il en est de même de la simple indication faite, par le créancier, d’une personne désignée pour recevoir le paiement pour lui ». La loi distingue de la sorte indication faite au débiteur de payer un tiers et indication faite au créancier d’encaisser d’un débiteur. Rappelons, même si ce vocabulaire ne fait pas l’unanimité, que les parties à cette opération sont couramment dénommées ainsi : l’indiquant est celui qui formule l’indication, l’indiqué celui qui la reçoit et doit l’exécuter, et l’indicataire le tiers extérieur que l’indication vise7. Cette figure est souvent analysée en un mandat de payer, lorsque l’indication est faite au débiteur ou en un mandat d’encaisser, quand elle est faite au créancier8. Un auteur a cependant démontré, nous semble-t-il avec conviction, que l’indication de paiement n’est pas un mandat, mais un contrat innommé, consensuel, synallagmatique, à durée déterminée ou non, gratuit ou onéreux, qui emprunte son régime à la fois au mandat et au contrat d’entreprise9. L’indication de paiement ne saurait en effet revêtir stricto sensu la nature d’un mandat, dont l’essence est d’induire une représentation dans un acte juridique (C. civ., art. 1153 et n° 632.1984)10. Certes, l’indication a pour objet d’organiser un paiement ou l’encaissement de fonds par l’indiqué pour le compte de l’indiquant, mais elle n’a pas en vue l’accomplissement d’un acte juridique. Le paiement d’une obligation pécuniaire relève en effet de la catégorie des faits juridiques11.
10. Sous cette réserve conceptuelle, il n’en demeure pas moins que, en l’absence de réglementation sérieuse de l’indication de paiement par l’article 1340 du Code civil et d’une jurisprudence fournie sur ce texte et celui qui le précédait avant la réforme des obligations par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (C. civ., art. 1277 anc.), l’interprète consultera par priorité les règles du mandat chaque fois qu’il doit élucider une question née d’une indication de paiement. Il est ainsi légitime de se reporter aux règles de révocation ad nutum du mandat par le mandant (C. civ., art. 2004) pour déterminer si l’indiquant peut mettre fin unilatéralement à l’indication qu’il a donnée à l’indiqué de régler son créancier, l’indicataire12 ou d’examiner les règles de renonciation au mandat par le mandataire (C. civ., art. 2007) si l’indiqué prétend renoncer à sa mission. À l’instar d’un mandataire (C. civ., art. 1998), l’indiqué est en quelque sorte transparent vis-à-vis de l’indicataire, avec lequel il n’est uni par aucun rapport d’obligation. Aussi, lorsqu’un créancier indique à son débiteur un tiers chargé de recevoir paiement à sa place, il ne confère à ce tiers aucun droit de poursuite contre le débiteur. Inversement, lorsqu’un débiteur indique à son créancier un tiers chargé de payer à sa place, aucun lien ne s’établit entre le créancier et ce tiers13.
11. Ces considérations en tête, le jugement infirmé du tribunal de commerce de Paris n’était pas dépourvu de cohérence quand il considérait que l’affactureur n’était pas tenu vis-à-vis du fournisseur de lui régler les créances que celui-ci détenait sur le client, dès lors qu’il appréhendait la transmission du fichier des factures approuvées comme une indication de paiement, en principe librement révocable, que l’intermédiaire du client avait révoqué en son nom en adressant un courriel de contre-instruction peu après. Il est vrai qu’on eût pu lui rétorquer que ce caractère révocable à volonté de l’indication de paiement n’est posé par aucun texte, encore moins d’ordre public. Même dans le mandat, le principe inverse a été posé, en opposition aux termes de l’article 2004 du Code civil, par la jurisprudence dans le cas spécifique du mandat d’intérêt commun14. Certaines indications spéciales de paiement sont d’ailleurs légalement irrévocables. Tel est le cas, si l’on veut bien admettre cette qualification15, des « opérations de paiement » au sens de l’article L. 314-1, II, 3°, du Code monétaire et financier, à l’instar du virement, du paiement par carte bancaire et du prélèvement bancaire. Dès lors, on ne voit pas pourquoi les parties au contrat porteur de l’indication de paiement ne pourraient pas convenir d’une indication irrévocable. La jurisprudence en fournit, du reste, des illustrations16. Mais le fait, en l’espèce, pour l’affactureur d’avoir signé avec le client un document contractuel prescrivant que dès réception du fichier, il « effectuera le paiement subrogatoire des créances en enregistrant leur montant TTC au crédit du compte courant au nom du fournisseur », suffisait-il à démontrer, s’il s’agissait ici d’indication en paiement, que cette indication était irrévocable par le client indiquant ? Une chose est de soutenir que l’affactureur (indiqué) a contracté envers le client (indiquant) l’obligation de payer le fournisseur (indicataire) : cet engagement résulte à suffisance de l’emploi du futur dans la clause considérée. Une autre est d’affirmer que le client indiquant ne pouvait retirer son ordre. Le fait que le paiement devait intervenir « dès réception » n’en figure pas un indice sérieux.
12. La question suivante était alors de déterminer si la révocation de l’ordre de paiement avait été validement opérée par l’intermédiaire financier. En l’absence de réglementation de cette question par l’article 1340 du Code civil, on pouvait songer à appliquer les règles relatives à la preuve des faits juridiques, qui est libre (C. civ., art. 1358 et 1359). Il faut toutefois réserver les stipulations contractuelles, lesquelles sont légitimes à organiser entre les parties le régime de la preuve des ordres et contre-ordres17. En l’espèce, les clauses de la convention tripartite prévoyaient la transmission du fichier de dettes valant ordre de paiement par une plateforme numérique gérée par un prestataire. Il n’est pas certain néanmoins que cette convention ait précisé les modalités de remise des contre-instructions : ce qui appelait, par suite d’une interprétation stricte, un retour au droit commun de la preuve et, partant, à l’admission de l’efficacité du courriel de contre-instruction de la société Acfi envoyé à 20 heures le 22 juillet 2022.
B – Une délégation de paiement
13. Le fournisseur soutenait cependant en l’espèce que, dans la convention tripartite, il faisait figure de délégataire et que l’affactureur lui avait consenti un engagement de délégué, l’opération s’analysant en une délégation de paiement au sens de l’article 1336 du Code civil. Le propre de la délégation est de créer un lien de droit nouveau entre le délégué et le délégataire, le premier prenant, à l’invitation du délégant, un engagement de payer une somme d’argent au second, sans pouvoir lui opposer un quelconque moyen tiré des rapports entre délégué et délégant ou entre délégant et délégataire18. On ne sait en l’espèce si l’affactureur pouvait prétexter, pour refuser de créditer le compte courant du fournisseur, de l’existence de vices cachés ou de défauts de conformité entachant les biens que celui-ci livrait au client. L’eût-il pu que l’on aurait pu soutenir encore que les parties étaient convenues d’une délégation incertaine19, forme dans laquelle le délégataire accepte que le délégué puisse lui opposer des exceptions inhérentes à la dette du délégant envers le délégataire ou à la dette du délégué envers le délégant. L’article 1336, alinéa 2, précité n’est en effet pas d’ordre public. En tout état de cause, que l’opération fût une délégation certaine ou incertaine, la transmission du fichier des factures aurait fait naître un engagement irrévocable et définitif de l’affactureur (délégué) envers le fournisseur (délégataire), que le contrordre du client (délégant) ou de son intermédiaire aurait été impuissant à révoquer.
14. Encore fallait-il s’assurer que l’affactureur avait contracté envers le fournisseur une obligation nouvelle et autonome de lui régler les factures du client approuvées par celui-ci. Le fait que le paiement subrogatoire était annoncé dans une convention tripartite dont le fournisseur était partie suffisait-il à démontrer cet engagement ? Ceci est douteux. On peut concevoir qu’une partie soit, pour une fraction des obligations stipulées dans la convention tripartite, uniquement spectatrice d’obligations qui lient exclusivement les deux autres. Il a ainsi été jugé qu’une convention tripartite entre un affactureur, un client et son fournisseur ne s’analysait pas en une délégation de paiement, faute pour l’affactureur, prétendument délégué, d’avoir accepté de souscrire une telle délégation20. D’être partie à une convention nouée avec le client et le fournisseur ne fait donc pas de l’affactureur un nécessaire délégué. Or, pour parler sans ambages, nous n’estimons pas que les clauses contractuelles retranscrites par la cour d’appel de Paris permettaient à celle-ci de conclure catégoriquement à l’existence d’un tel engagement, pris par l’affactureur envers le fournisseur, de le régler. S’il apparaît que les autres stipulations de cette convention n’étayaient pas non plus cet engagement, il aurait fallu considérer que n’était pas caractérisée l’acceptation de l’affactureur de se porter délégué du fournisseur. La qualification d’indication de paiement en aurait résulté irrémédiablement21.
II – Le paiement subrogatoire de l’affactureur dans un second temps
15. Le second temps de l’opération mérite de moins longs développements. À l’instant où, en exécution de la convention tripartite, et après avoir reçu du client ou de son intermédiaire le fichier des dettes approuvées, l’affactureur paie le fournisseur, en créditant le compte courant que celui-ci a ouvert dans ses livres, il est subrogé dans les droits et sûretés attachées aux créances réglées, qu’il ait effectué ce paiement en exécution d’une indication de paiement ou d’une délégation de paiement. Il n’est pas utile de lui délivrer concomitamment une quittance subrogative spécifique aux créances acquittées, puisque les parties ont annexé à leur convention tripartite une « quittance subrogative permanente », c’est-à-dire l’acte antérieur dont se suffit l’article 1346-1, alinéa 3, du Code civil. Cette seconde phase de l’opération réalise une banale subrogation conventionnelle anticipée émanant du créancier.
16. Deux particularités méritent tout de même d’être signalées. D’abord, le paiement de l’affactureur porte sur des dettes non exigibles du débiteur ; c’est tout l’intérêt économique de l’opération d’affacturage inversé. Ensuite, la convention tripartite soustrayait le recours subrogatoire de l’affactureur subrogé à l’opposabilité des exceptions inhérentes aux dettes réglées et aux motifs tirés du contrat entre le client débiteur et le fournisseur subrogeant. Cette opposabilité est pourtant formulée par l’article 1346-5, alinéa 2, du Code civil. Toutefois, il y a lieu d’observer que le client débiteur était partie à la convention tripartite organisant la subrogation de la part du fournisseur créancier. Aussi, en tant que partie à ladite convention, le client débiteur pouvait valablement renoncer à opposer à l’affactureur subrogé une exception tirée de ses rapports contractuels avec le fournisseur. Le régime d’opposabilité des exceptions de l’article 1346-5, alinéa 3, n’est pas non plus d’ordre public.
17. L’arrêt étudié reste taisant, enfin, sur les conditions tarifaires qu’avaient stipulées les parties dans leur convention tripartite. À lire une décision de la Cour de justice de l’Union européenne, on suppute que le fournisseur n’était pas réglé par l’affactureur, avant leur échéance, de la totalité des factures transmises par le client22. On devine qu’au contraire l’affactureur devait se faire rembourser à l’échéance leur montant total par le client23. Si tel était le cas, il s’ensuivrait que l’affactureur ne pouvait être subrogé qu’à hauteur des créances réglées, conformément aux dispositions de l’article 1346-4 du Code civil, aux termes desquelles « la subrogation transmet à son bénéficiaire, dans la limite de ce qu’il a payé, la créance et ses accessoires ». En d’autres termes, le recours que la convention tripartite offrait à l’affactureur subrogé contre le client débiteur, à l’échéance pour la totalité du montant des créances, compilait son recours subrogatoire limité au paiement effectué et, d’autre part, le versement de sa commission.
Notes de bas de pages
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1.
V. la note de la Banque de France à son sujet, https://lext.so/kcRNwY.
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2.
CA Paris, 5-4, 14 févr. 2017, n° 14/04886 – dans la même affaire, T. com. Paris, 19e ch., 18 oct. 2017, n° 2016064825 – T. com. Paris, 19e ch., 27 juin 2018 ; T. com. Paris, 19e ch., 14 nov. 2018 – T. com. Paris, 19e ch., 6 juin 2021 – CA Paris, 1-5, 9 nov. 2021, n° 21/13591.
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3.
CA Paris, 5-16, 11 mars 2025, n° 24/01119.
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4.
T. com. Paris, 6e ch., 16 nov. 2023, n° 2022056628.
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5.
Il indiffère que cet ordre lui soit transmis directement par le client ou par un tiers, par exemple un intermédiaire en service de paiement (C. mon. fin., art. L. 519-1).
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6.
P. F. Girard, Manuel élémentaire de droit romain, 1906, éd. A. Rousseau, p. 447, qui rappelle que l’adjectus solutionis gratia était désigné par le créancier pour recevoir paiement du débiteur, sans droit de poursuivre ce dernier ; Digeste, 46, 3, De solut., 53.
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7.
L. Andreu, Du changement de débiteur, 2010, Dalloz, Nouvelle bibliothèque des thèses, n° 8, note 43. Il faut comprendre, dans une indication au débiteur, que l’indiquant tient le rôle de créancier de l’indiqué, et l’indicataire, de créancier de l’indiquant ou une personne qui souhaite lui rendre un service. Dans l’indication au créancier, l’indiquant fait figure de débiteur de l’indiqué, et l’indicataire, de débiteur de l’indiquant ou une personne qui entend lui rendre un service.
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8.
Cass. com., 24 oct. 2000, n° 97-13.036 – Cass. 1re civ., 5 mai 1998, n° 96-15.033. En doctrine, J. François, Les obligations, Régime général, 5e éd., 2020, Economica, n° 647 ; G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 3e éd., 2024, Lefebvre Dalloz, n° 908, p. 951-952 ; N. Dissaux et C. Jamin, Réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, Commentaire des articles 1100 à 1386-1 du Code civil, 2016, Dalloz, p. 198 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequête et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, 12e éd., 2018, Précis Dalloz, n° 1734 ; A. Bénabent, Droit civil, Les obligations, 2019, LGDJ, n° 735, EAN : 9782275130576. Plus dubitatif, M. Julienne, Régime général des obligations, 4e éd., LGDJ, n° 456, EAN : 9782275109718.
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9.
S. Dominguez, L’indication de paiement, thèse, 2004, Toulouse, (microfiches), spec. nos 206-207, 209, 226, 228, dont la thèse présente le mérite de mettre en lumière l’indisponibilité, avant l’exécution de l’indication, de la créance de l’indiquant sur son débiteur indiqué ou celle du créancier indiqué sur le débiteur indiquant (nos 356-381).
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10.
F. Collart Dutilleul et P. Delebecque, Contrats civils et commerciaux, 11e éd., 2023, Précis Dalloz, n° 632.
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11.
Cass. 3e civ., 23 nov. 2017, n° 16-17.764 (fermage) : N. Catala, La nature juridique du paiement, thèse, Paris 1960, impr. Reschly.
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12.
Contra, S. Dominguez, L’indication de paiement, thèse, 2004, Toulouse, qui estime que l’indiquant ne peut mettre fin unilatéralement au contrat porteur de l’indication, en l’absence d’un mutuus dissensus (n° 375).
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13.
M. Julienne, Régime général des obligations, 4e éd., LGDJ, n° 455, EAN : 9782275109718 ; S. Dominguez, L’indication de paiement, thèse, 2004, Toulouse, fonde cette règle plus simplement sur l’effet relatif des conventions et l’observation que l’indicataire est tiers penitus extranei, étranger au contrat porteur de l’indication de paiement (n° 355).
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14.
Cass. com., 20 févr. 2007, n° 05-18.444 – Cass. com., 8 juill. 2008, n° 07-12.759 – Cass. com., 24 nov. 2009, n° 08-19.596 – Cass. com., 29 févr. 2000, n° 97-15.935.
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15.
F. Grua, Contrats bancaires, tome 1, Contrats de services, 1990, Economica, n° 124.
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16.
Cass. com., 14 janv. 2003, n° 00-15.694, qui analyse en un « simple paiement pour compte », et non en une novation ou une délégation, une convention prévoyant qu’un sous-traitant donnait à l’entreprise principale un ordre de paiement irrévocable pour son compte.
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17.
Comp., en matière de preuve de l’ordre de paiement par carte bancaire, Cass. com., 8 nov. 1989, n° 86-16.197.
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18.
E. Gaudemet, Étude sur le transport de dettes à titre particulier, thèse, 1898, Paris, éd. Pantheon-Assas ; J. Flour, J.-L. Aubert, E. Savaux, L. Andreu et V. Forti, Droit civil, Les obligations, Le rapport d’obligation, Sirey, 10e éd., n° 206 ; J. François, Les obligations, Régime général, 5e éd., 2020, Economica, n° 665 ; G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations, Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du Code civil, 3e éd., 2024, Lefebvre Dalloz, n° 911, p. 951-952 ; M. Julienne, Régime général des obligations, 4e éd., LGDJ, n° 430, EAN : 9782275109718 ; F. Terré, P. Simler, Y. Lequête, F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, 12e éd., 2018, Précis Dalloz, n° 1743.
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19.
J. François, Les obligations, Régime général, 5e éd., 2020, Economica, n° 642.
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20.
Cass. com., 12 nov. 2008, n° 07-17.889.
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21.
Cass. 1re civ., 7 avr. 1998, n° 96-18.210 : Bull. civ. I, n° 144.
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22.
Comp. CJUE, 17 déc. 2020, n° C-801-19, décrivant un règlement d’au moins 95 %.
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23.
CA Grenoble, ch. com., 13 avr. 2023, n° 23/00427.
Référence : AJU017f6
