L’exclusion de la déchéance du droit à remboursement de la caution solvens : une interprétation stricte de l’article 2308 du Code civil

Publié le 06/07/2021
Photographie d'un stylo signant sous le texte Bon pour accord
Richard Villalon / AdobeStock

Si, en l’absence de paiement effectué par la caution, l’emprunteur aurait pu invoquer l’irrégularité du prononcé de la déchéance du terme affectant l’exigibilité de la dette, il n’avait pas cependant les moyens de la faire déclarer éteinte. De même, une demande d’indemnisation formée contre la banque au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde tend à l’octroi de dommages-intérêts et ne vise pas à éteindre la dette de l’emprunteur. Dès lors, l’application des dispositions de l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, doit être écarté.

Cass. 1re civ., 24 mars 2021, no 19-24484

1. Si, en matière de cautionnement, la question de la déchéance des droits concerne surtout les créanciers, il apparaît que la caution peut elle aussi être privée de son droit à remboursement. En pratique, le contentieux relatif à la déchéance du droit à remboursement de la caution solvens est rare. Pourtant, il met en lumière les difficultés d’interprétation posées par l’article 2308 du Code civil. Ce texte prévoit, en effet, deux hypothèses de déchéance. L’alinéa 1er prive la caution de tout recours si elle a payé la dette principale au créancier sans avertir le débiteur, qui paie une seconde fois. L’alinéa 2nd ajoute que lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans en avertir le débiteur principal, elle n’aura plus de recours contre lui « dans le cas où, au moment du paiement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ». C’est cette dernière cause de déchéance qui a donné lieu à l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 24 mars 2021.

En l’espèce, suivant une offre de prêt acceptée le 27 août 2008, une banque a consenti à un emprunteur un prêt immobilier garanti par le cautionnement de la société Crédit logement.

À la suite du prononcé de la déchéance du terme par la banque, la caution a payé les sommes réclamées et assigné l’emprunteur en remboursement. Saisie de l’affaire, la cour d’appel de Rennes a accueilli sa demande dans un arrêt du 16 novembre 2018.

Le débiteur forma un pourvoi en cassation en se fondant sur deux moyens. D’une part, il soutenait que la caution qui a payé sans être poursuivie, alors que le débiteur principal était en mesure d’opposer utilement à la banque un moyen de droit tiré de l’irrégularité de la déchéance du terme, se trouve privée de son recours contre le débiteur et que le manquement commis par la banque à son devoir de mise en garde constitue un moyen de faire déclarer, serait-ce partiellement, éteinte la dette. Dès lors, en faisant droit à la demande de la caution, la cour d’appel aurait violé l’article 2314 du Code civil. D’autre part, le débiteur estimait que la caution avait commis une faute en payant le créancier sans être poursuivie alors qu’il disposait d’un moyen de droit pour s’opposer à l’action en paiement du créancier.

Les hauts magistrats devaient répondre, tout d’abord, à la question de savoir si les dispositions de l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, relatives à déchéance du droit à remboursement de la caution trouvaient à s’appliquer et, ensuite, à celle de savoir si la responsabilité de la caution pouvait être engagée sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Sur le premier moyen, la haute cour approuve la cour d’appel d’avoir exclu l’application des dispositions de l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, au motif que « si, en l’absence de paiement effectué par la caution, l’emprunteur aurait pu invoquer l’irrégularité du prononcé de la déchéance du terme affectant l’exigibilité de la dette, il n’avait pas ainsi les moyens de la faire déclarer éteinte », et qu’ « une demande d’indemnisation formée contre la banque au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde tend à l’octroi de dommages et intérêts et ne vise pas à éteindre la dette de l’emprunteur ». Sur le second moyen, la Cour de cassation écarte l’argument du débiteur, estimant qu’après avoir constaté que les conditions de l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, n’étaient pas réunies, les juges du fond n’étaient pas tenus de procéder à une recherche relative à l’existence d’une faute de la caution dès lors que, « d’une part, (…) il n’avait pas été invoqué de faute distincte de la caution pour avoir payé les sommes réclamées par la banque, d’autre part, que l’emprunteur avait conservé la possibilité d’invoquer à l’encontre de la banque un manquement à son devoir de mise en garde ».

Ce faisant, les hauts magistrats affirment, d’une part, que la déchéance du droit à remboursement de la caution doit être écartée en l’absence de moyen permettant d’éteindre la dette (I) et, d’autre part, que le débiteur ne peut davantage invoquer la responsabilité délictuelle de la caution pour obtenir l’allocation de dommages et intérêts (II).

I – L’exclusion de la déchéance du droit à remboursement de la caution

2. L’article 2308 du Code civil, alinéa 2, dispose que « lorsque la caution aura payé sans être poursuivie et sans avoir averti le débiteur principal, elle n’aura point de recours contre lui dans le cas où, au moment du paiement, ce débiteur aurait eu des moyens pour faire déclarer la dette éteinte ; sauf son action en répétition contre le créancier ». La déchéance du droit à remboursement de la caution implique ainsi la réunion de deux conditions. En premier lieu, il faut un paiement spontané de la dette par la caution sans qu’elle n’ait averti le débiteur principal. En second lieu, le débiteur devait disposer des moyens pour faire déclarer la dette éteinte. Reprenant ce texte, l’article 2314 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 décembre 2020 prévoit que « la caution n’a pas de recours si elle a payé la dette sans en avertir le débiteur et que celui-ci l’a acquittée ou disposait, au moment du paiement, des moyens de la faire déclarer éteinte ; sauf son action en restitution contre le créancier ».

En l’espèce, le débiteur soutenait que la caution devait être déchue de son recours après paiement au motif qu’elle avait procédé au paiement sans être poursuivie et sans l’avoir averti alors qu’il aurait pu invoquer, d’une part, l’irrégularité de la déchéance du terme prononcée par le créancier et, d’autre part, un manquement de la banque à son devoir d’information.

3. D’abord, s’agissant de la déchéance du droit à remboursement de la caution, celle-ci ne peut être prononcée que si le débiteur avait les moyens de faire déclarer sa dette éteinte, ce qui n’était en l’occurrence pas le cas. Sans surprise, la cour d’appel, comme la chambre commerciale, a considéré qu’il n’y avait pas lieu de priver la caution de son recours contre l’emprunteur car « si, en l’absence de paiement effectué par la caution, l’emprunteur aurait pu invoquer l’irrégularité du prononcé de la déchéance du terme affectant l’exigibilité de la dette, il n’avait pas ainsi les moyens de la faire déclarer éteinte ».

Au-delà des hypothèses légales, les parties peuvent, dans leur convention, stipuler des causes supplémentaires de déchéance du terme. En matière d’emprunt, par exemple, le débiteur peut être privé du bénéfice du terme en cas de non-paiement aux échéances prévues au plan d’amortissement. À titre de sanction mais aussi pour protéger les intérêts du créancier, la dette devient exigible de manière anticipée. Toutefois, la mise en œuvre d’une telle clause nécessite une mise en demeure préalable du débiteur. D’ailleurs, la lecture des moyens annexés montre que le débiteur invoquait l’absence de mise en demeure pour contester la régularité de la déchéance du terme prononcée par la banque. Dans ces conditions, la caution pouvait-elle être déchue de son droit à remboursement ?

D’abord, dans un arrêt du 20 février 2019, adoptant une interprétation extensive de l’article 2308 du Code civil, la première chambre civile de la Cour de cassation a considéré que la caution avait perdu son recours contre le débiteur puisqu’elle « avait effectué le paiement à l’insu de la débitrice alors que celle-ci était en mesure d’opposer utilement à la banque, pour y faire obstacle, un moyen de droit tiré notamment de l’irrégularité de la déchéance du terme »1. Pourtant, comme le relève le professeur Philippe Simler, « rien ne justifierait qu’elle [la caution] fût privée de son recours personnel. Il serait inéquitable de laisser la dette à la charge définitive d’une caution ayant de bonne foi rempli son engagement, alors que le débiteur n’a jugé utile, ni de faire constater la nullité ou l’extinction de la dette, ni d’avertir la caution de l’existence de la cause d’inefficacité »2. Ensuite, dans une décision du 26 septembre 2019, revenant à une interprétation plus stricte de ce texte3, les hauts magistrats ont retenu que « le terme suspensif affecte seulement l’exigibilité de la dette et non son existence »4, de telle sorte que l’article 2308, alinéa 2, faisant perdre à la caution solvens son droit de recours contre le débiteur principal, n’était pas applicable.

L’arrêt rapporté semble confirmer cette dernière tendance : si le débiteur pouvait opposer au créancier l’irrégularité de la déchéance du terme prononcée, ce moyen ne lui permettait pas d’éteindre la dette mais seulement de remettre en cause son exigibilité immédiate, ce qui exclut le jeu de l’article 2038 du Code civil, alinéa 2.

4. Ensuite, s’agissant du moyen tiré du manquement au devoir de mise en garde, la Cour de cassation considère qu’il ne peut davantage être retenu pour priver la caution de son recours après paiement contre le débiteur.

En matière de prêt, un devoir de mise en garde de l’emprunteur profane pèse sur l’établissement de crédit. Cette obligation a pour objectif d’éclairer le consentement de l’emprunteur quant aux dangers de l’opération projetée. L’argument du devoir de mise en garde est régulièrement invoqué par les emprunteurs pour essayer d’obtenir une diminution de leurs engagements.

En l’espèce, pour demander la déchéance du recours après paiement de la caution, le débiteur invoquait l’existence d’un moyen tiré du manquement de la banque à son devoir de mise en garde. Selon lui, la banque avait manqué à son obligation en s’abstenant de l’informer des risques d’endettement excessifs générés par le prêt qui l’obligeait à rembourser des échéances mensuelles d’un montant de 1 625,58 €, quand ses revenus mensuels étaient de 2 399 €. Sur ce point, la Cour de cassation juge également le moyen inopérant. Selon les hauts magistrats, « une demande d’indemnisation formée contre la banque au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde tend à l’octroi de dommages et intérêts et ne vise pas à éteindre la dette de l’emprunteur ». Conformément aux exigences énoncées à l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, la caution ne peut être déchue de son droit à remboursement que si, au moment où elle a payé, le débiteur disposait d’un moyen permettant d’éteindre la dette. Or, sanctionné par l’allocation de dommages et intérêts, le manquement de la banque à son devoir de mise en garde ne permet pas d’éteindre la dette de l’emprunteur. Si en raison des dommages et intérêts éventuellement mis à la charge de la banque, la demande fondée sur le manquement au devoir de mise en garde peut aboutir à une extinction – au moins partielle – de la dette par le jeu de la compensation, cependant elle ne tend pas directement à l’éteindre.

Il y a quelques mois, procédant à une lecture plus souple de l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, la Cour de cassation a admis une modulation de la sanction, la déchéance pouvant être partielle. Pour approuver les juges du fond d’avoir limité la condamnation des emprunteurs à restituer à la caution le capital versé, avec intérêts au taux légal à compter du jour du jugement, déduction faite des sommes déjà payées, les hauts magistrats ont relevé qu’« au moment du paiement effectué par la caution, les emprunteurs n’avaient pas de moyens de faire déclarer leur dette éteinte, mais disposaient de la possibilité d’obtenir l’annulation du contrat de prêt »5.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation semble revenir à une interprétation plus orthodoxe de la déchéance. L’article 2308 du Code civil, alinéa 2, est appliqué à la lettre. En l’absence de moyen permettant de déclarer la dette éteinte, le débiteur ne peut obtenir une déchéance – même partielle – du droit à remboursement de la caution. Certes, objectera-t-on que les arrêts rendus concernent des cautionnements bancaires, en particulier des cautionnements consentis par des sociétés de caution mutuelle et que ces cautions professionnelles – à la différence des cautions profanes – paient sans discussion. Il serait alors inéquitable que le débiteur supporte les conséquences de l’incurie de la caution. Toutefois, en ce qu’elle applique strictement les conditions de l’article 2308 du Code civil dans cet arrêt publié au Bulletin, la cour régulatrice doit, selon nous, être approuvée.

L’argument relatif à la déchéance écarté, restait à savoir si le débiteur, tenu de rembourser la caution, pouvait invoquer la responsabilité délictuelle de cette dernière pour obtenir l’allocation de dommages et intérêts.

II – L’exclusion de la responsabilité extracontractuelle de la caution

5. Reprenant l’ancien article 1382, le nouvel article 1240 du Code civil dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Conformément à ce texte, la mise en œuvre de la responsabilité délictuelle implique la réunion de trois conditions : une faute, un préjudice et un lien de causalité entre ces deux éléments. C’est sur ce fondement que le débiteur cherchait à obtenir satisfaction.

En effet, l’auteur du pourvoi reprochait à la cour d’appel de le condamner à payer à la caution une somme de 237 710, 34 € avec intérêts légaux à compter du 29 juin 2012 et de rejeter sa demande tendant à la condamner à lui payer la même somme sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Selon lui, la caution avait commis une faute en payant le créancier sans être poursuivie alors qu’il était en mesure d’opposer utilement à la banque, d’une part, un moyen tiré de l’irrégularité de la déchéance du terme et, d’autre part, un moyen de droit tiré du manquement du créancier à son obligation de mise en garde. En ne recherchant pas si la caution avait commis une faute, la cour d’appel aurait violé l’article 1382, devenu 1240 du Code civil. L’argument ne convainc guère les hauts magistrats, lesquels affirment qu’« après avoir constaté que les conditions de l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, n’étaient pas réunies, la cour d’appel n’était pas tenue de procéder aux recherches prétendument omises, dès lors, qu’il n’avait pas été invoqué de faute distincte de la caution pour avoir payé les sommes réclamées par la banque, d’autre part, que l’emprunteur avait conservé la possibilité d’invoquer à l’encontre de la banque un manquement à son devoir de mise en garde ».

La solution retenue s’infère d’un raisonnement parfaitement cohérent. Après avoir exclu l’application de l’article 2308 du Code civil, alinéa 2, la Cour de cassation ne pouvait permettre à l’emprunteur d’engager la responsabilité délictuelle de la caution dans le but d’obtenir l’allocation de dommages et intérêts dont le montant correspondait exactement à la somme qu’il devait à la caution au titre de son recours après paiement.

Au demeurant, comme le souligne la Cour de cassation, les conditions de cette action n’étaient pas réunies. En premier lieu, conformément au droit commun de la preuve, il appartient à l’emprunteur de prouver la faute de la caution pour obtenir la réparation du dommage subi. Or, la preuve d’une faute distincte de la caution pour avoir payé les sommes réclamées n’avait pas été rapportée. En second lieu, la responsabilité civile suppose un fait dommageable ; autrement dit, un fait ayant porté préjudice. En l’occurrence, l’emprunteur n’a subi aucun préjudice puisque le paiement effectué par la caution ne le privait nullement de la possibilité d’invoquer à l’encontre de la banque un manquement à son devoir de mise en garde pour obtenir l’allocation de dommages et intérêts.

Par cet arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation met un terme à une lecture souple de l’article 2308 du Code civil en rappelant que le mécanisme de la déchéance prévu par ce texte est d’interprétation stricte. Destiné à simplifier les opérations de paiement, ce texte ne doit pas conduire à limiter le recours de la caution solvens en dehors des cas légalement prévus. Dans l’attente d’une confirmation jurisprudentielle, rappelons que l’article 2314 de l’ordonnance portant réforme du droit des sûretés prévoit d’adopter la solution actuellement en vigueur.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 20 févr. 2019, n° 17-27963 : RD bancaire et fin. 2019, comm. 81, obs. D. Legeais ; JCP G 2019, 470, obs. P. Simler.
  • 2.
    P. Simler, Cautionnement, garantie autonome. Garanties indemnitaires, 5e éd., 2015, LexisNexis, n° 634.
  • 3.
    En ce sens, v. P. Simler et P. Delebecque, Droit civil. Les sûretés, la publicité foncière, 7e éd., 2016, Dalloz, p. 204, n° 209 ; A.-S. Barthez et D. Houtcieff, Les sûretés personnelles, 2010, LGDJ, Traité de droit civil, n° 872 ; L. Bougerol et G. Mégret, Droit du cautionnement, préf. P. Crocq, Gazette du Palais, Lextenso, Guide pratique, 17 juill. 2018, n° 239.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 26 sept. 2019, n° 18-17398 : RD bancaire et fin. 2019, comm. 191, obs. D. Legeais ; JCP G 2020, 436, obs. P. Simler.
  • 5.
    Cass. 1re civ., 9 sept. 2021, n° 19-14568 : Dalloz actualité, 25 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020, p. 1789 ; D. 2020, p. 483, chron. X. Serrier et a. ; AJCA 2020, p. 574, obs. D. Houtcieff.
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