Cartographie des directions juridiques : 2018, une année charnière pour la profession

Publié le 02/07/2018

2018 aura marqué de son empreinte les directions juridiques. Le dévoilement des résultats de la 6e édition de la cartographie des directions juridiques, réalisée par LEXqi conseil en partenariat avec le Cercle Montesquieu et l’AFJE, à la mi-mai, a été l’occasion de faire le point sur une profession en pleine mutation.

C’est devenu un rendez-vous attendu : les résultats de la cartographie des directions juridiques permettent de sentir les tendances et de dégager des axes d’évolution de la profession. À ce titre, 2018 aura été une année charnière et particulièrement chargée pour les directions juridiques : loi Sapin 2, RGPD, compliance, autant de thématiques abordées lors de la présentation des résultats de l’enquête. « En un délai très court, les directions juridiques ont concentré toutes ces obligations », a évalué Hélène Trink, fondatrice de LEXqi Conseil. « Nous avons envoyé des questionnaires à 840 directions juridiques. Notre taux de réponse a été de 1/3, soit 283, dont 200 directions juridiques qui ont répondu sur l’ensemble des sujets d’enquête, et ce nombre est en croissance constante », a expliqué Hélène Trink, signe que les directions juridiques sont de plus en plus intéressées par l’idée de mieux se connaître.

Le panel représente plus de 25 % des juristes d’entreprise de France, soit une très bonne représentativité (4 400 juristes sur les 17 000 que compte la profession).

Un survol global permet d’affirmer que les dépenses juridiques représentent aujourd’hui 0,17 % du chiffre d’affaires des entreprises, que les entreprises disposent en moyenne de 9,4 juristes par milliard de CA (contre 7,9 en 2015). Les dépenses internes représentent 62 % du total des dépenses de la direction juridique.

La fonction de directeur/directrice juridique en pleine mutation

Les informations collectées par l’enquête ont permis de dresser le « portrait-robot » du directeur/directrice juridique en 2018 : la fonction est largement internationale, avec plus de 70 % des directeurs/directrices juridiques ayant un périmètre géographique qui s’étend au-delà de la France. Leur périmètre fonctionnel est, quant à lui, en évolution, surtout concernant les données personnelles et la compliance qui lui sont majoritairement rattachées, respectivement à 72 % et 68 %. Enfin, la fonction occupe de plus en plus un rôle clé, majoritairement rattachée à la direction générale ou à la présidence (50 %), malgré la progression de son affiliation à la direction financière (17 %).

Signe que les demandes en droit sont croissantes dans l’entreprise, « 40 % des directions juridiques du panel ont un budget interne 2018 en hausse par rapport à 2017 », peut-on lire dans les résultats de l’étude. 30 % des directions juridiques ont un budget externe 2018 en hausse. Pour François Pinon, directeur juridique d’AccorHotels, le recours à davantage de directions juridiques « ne se fait pas au détriment du conseil, mais cela traduit un besoin de droit qui croit, se répartissant entre les ressources juridiques internes et externes ».

L’importance stratégique du directeur juridique ne fait plus de doute : plus de 66 % d’entre eux déclarent faire partie d’un comité de direction de leur entreprise (contre 63 % en 2016).

Le nouvel enjeu de la compliance

C’est sans doute le sujet qui est le plus d’actualité : la présence d’un « compliance officer » (chargé de mise en conformité) au sein de l’entreprise. Résultat de l’enquête : 60 % des entreprises en comptent un, et phénomène nouveau, le plus souvent rattaché à la direction juridique (45 %), alors qu’il y a encore deux ans, il était davantage en lien avec la direction générale ou à la présidence, a souligné Hélène Trink. Bien que le poste soit de plus en plus recherché, François Pinon regrette qu’il soit si difficile de trouver des compliance officers avec une expérience de 5-8 ans en France, denrée rare sur le marché du travail. Pourtant, « parce que vous maîtrisez ce que vous ne pouvez pas faire, s’ouvre à vous le champ des possibles », a-t-il précisé. « Les ressources dédiées à la compliance ont été renforcées depuis 2015, et pourtant, 73 % des directeurs juridiques auxquels cette fonction est rattachée estiment que leurs ressources humaines et financières allouées à la conformité/compliance actuellement ne sont pas adaptées aux enjeux », lit-on dans le rapport.

Les données personnelles en question

Avec le règlement général pour la protection des données (RGPD) entré en vigueur le 25 mai dernier, les entreprises se voient dans l’obligation d’adopter de nouveaux comportements. À ce titre, 40 % des entreprises ont déjà nommé un data protection officer (DPO), 50 % prévoient d’en nommer un. 10 % ne prévoient pas ce poste car estiment « ne pas en avoir besoin », ce qui a suscité l’étonnement des membres de l’AFJE et du Cercle Montesquieu, conscients de l’inévitabilité de la fonction.

L’impact de la loi Sapin 2

Entrée en vigueur en juillet 2017, la loi Sapin 2 (qui rend la lutte anti-corruption obligatoire) a déjà eu un impact sur la vie des entreprises, puisque 85 % des entreprises qui entrent dans le champ d’application de la loi indiquent avoir mis en place un programme de conformité anti-corruption, action largement pilotée par les directions juridiques (à hauteur de 70 %), ce qui montre « le dynamisme des directions juridiques sur ces questions », a précisé Hélène Trink.

De même la loi relative au devoir de vigilance des entreprises, adoptée en février 2017, qui consiste, pour les entreprises, à prévenir les risques sociaux, environnementaux et de gouvernance, liés à leurs opérations mais qui peut aussi s’étendre aux activités de leurs filiales et partenaires commerciaux, a été partiellement prise en compte par les entreprises : 52 % se sont engagées dans une mise en œuvre de ces dispositions.

La digitalisation en marche

Clairement, le recours aux technologies est désormais très commun, puisque 76 % des directions juridiques ont déjà initié ou envisagent d’initier à l’horizon 2020 un projet de transformation des méthodes de travail en s’appuyant sur la gestion électronique des documents pour 42 % des entreprises, et la signature électronique (pour 41 %). « Il y a dix ans, la digitalisation était la 10e priorité des directions juridiques », souligne Nicolas Guérin, secrétaire général d’Orange et président du Cercle Montesquieu, soulignant ainsi l’explosion numérique.

Les tendances se confirment à l’avenir : d’ici 2020, la digitalisation au service des juristes prendra rapidement des formes diverses, signature électronique en tête (44 %), suivie du e-learning juridique (41 %), de la gestion électronique des documents (36 %) et la génération automatique des contrats (34 %). L’aide à l’analyse juridique dans le traitement des contentieux ou justice prédictive ou l’utilisation de robots conversationnels (chatbots) ne sont envisagés que par environ 10 % des directions juridiques, sujets plus en pointe. Dans l’ensemble, ce sont 78 % des directions juridiques qui envisagent un projet utilisant une ou plusieurs de ces technologies. « Michelin, par exemple, est très en pointe dans le secteur, précise Nicolas Guérin, avec du e-learning, des serious games (activité qui combine un but sérieux à des outils ludiques). Chez nous, les télécoms, on y est contraint. En ce qui concerne la justice prédictive et les chatbots, il ne faut pas rester sur une simple hotline ! Mais avec des robots capables de préqualifier la demande, puis de mettre en relation avec le bon interlocuteur, avec un système de reconfirmation, cela permettra d’apporter des solutions, estime-t-il. Ces chatbots sont de plus en plus intelligents, deviennent éleveurs de bots, ils ont un rôle à jouer, notamment en valorisant les tâches ».