Activité de la cour d’appel de Paris dans le domaine de la concurrence (janvier à mai 2018)

Publié le 07/08/2018

Le présent article porte sur les arrêts rendus par la cour d’appel de Paris en droit de la concurrence, au sens du livre IV du Code de commerce, au cours de la période de janvier à mai 2018. Les points suivants ont plus particulièrement retenu notre attention : (I) Confirmation de la décision de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire des matériels de grandes cuisines ; (II) Réformation partielle de la décision de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire des armatures métalliques et des treillis soudés sur l’île de la Réunion ; (III) Réformation partielle de la décision de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment ; (IV) Interdiction de la vente par le biais de plates-formes ou places de marché.

I – Confirmation de la décision de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire des matériels de grandes cuisines

La cour d’appel de Paris confirme en tous points la décision rendue par l’Autorité de la concurrence dans l’affaire dite des matériels de grandes cuisines1. Ce faisant, elle rejette notamment les moyens de procédure, qui retiendront ici l’attention. Pour bien comprendre l’analyse de la cour, il convient de rappeler quelques étapes de la procédure suivie devant l’Autorité. Par une décision du 8 juin 2010, celle-ci s’est saisie d’office de pratiques prohibées par l’article L. 420-1 du Code de commerce et une première notification de grief a été adressée à plusieurs entreprises, dont la société le Groupement des installateurs français (le GIF), le 5 novembre 2015. Par décision du 14 avril 2016, le collège de l’Autorité a décidé de surseoir à statuer et de renvoyer l’affaire à l’instruction en ce qui concerne les pratiques reprochées au GIF, au motif que le dossier n’était pas en l’état d’être jugé pour cette entreprise. À la suite d’une erreur des services d’instruction, le rapport d’enquête de la DGCCRF n’a pas été joint à cette première notification de grief. Une seconde notification de grief, à laquelle, cette fois, le rapport de la DGCCRF était joint, a alors été adressée au GIF le 18 mai 2016. L’affaire a été de nouveau examinée par le collège de l’Autorité, lors de sa séance du 11 octobre 2016 et par la décision attaquée, l’Autorité a sanctionné le GIF notamment en lui infligeant une sanction pécuniaire de 400 000 euros.

A – Sur la violation des droits de la défense

Le GIF a en premier lieu invoqué une violation des droits de la défense en faisant valoir qu’il s’est écoulé plus de cinq ans entre la saisine d’office et la première notification de grief, et plus de six ans et demi entre cette même saisine et la décision attaquée. Il s’agirait, selon le GIF, d’une durée excessive ayant fait obstacle concrètement et effectivement à l’exercice normal des droits de la défense du GIF, lequel n’aurait pas été en mesure de regrouper les éléments à décharge, faute notamment de communication, avant la seconde notification de grief, du rapport d’enquête de la DGCCRF.

L’argument est rejeté dès lors que le GIF n’a pas établi la réalité de l’atteinte portée à ses droits par la durée de la phase d’enquête (pt 41). D’une part, le GIF s’est borné à affirmer de manière vague qu’il n’a pas été en mesure de regrouper les éléments à décharge, sans même préciser quels seraient ces éléments ni a fortiori démontrer dans quelle mesure leur disparition serait imputable à la durée de la procédure (pt 42). D’autre part, même à supposer que l’erreur des services d’instruction consistant à omettre de communiquer au GIF le rapport de la DGCCRF lors de la première notification de grief soit imputable à la durée de la procédure, elle a été entièrement réparée par la communication intervenue à l’occasion de la seconde notification de grief, de sorte qu’elle n’a entraîné aucune atteinte aux droits de la défense du GIF (pt 44).

B – Sur la violation du principe d’impartialité

Le GIF a également invoqué, sans plus de succès, une violation du principe d’impartialité. Il a fait valoir que la décision de l’Autorité de renvoyer l’affaire à l’instruction n’était pas motivée par l’incomplétude de l’instruction, mais s’expliquait par le fait que la première notification de grief était fondée sur les conclusions du rapport d’enquête de la DGCCRF, auquel il n’avait pas eu accès, de sorte que ses droits de la défense n’avaient pas été respectés.

Dès lors, la décision de renvoyer l’affaire à l’instruction constituerait un détournement de la procédure prévue par l’article R. 463-7 du Code de commerce2, laquelle n’a pas pour objet de purger un vice de procédure caractérisé par un défaut de communication.

Ce faisant, le collège aurait manqué au principe d’impartialité et de séparation entre fonction d’instruction et fonction de jugement au sein de l’Autorité. Selon le GIF, dans la mesure où il n’appartient pas au collège, formation de jugement, de permettre aux services d’instruction de corriger et compléter leur argumentation, il aurait dû annuler toute la procédure pour violation du contradictoire.

La cour répond à l’argument en rappelant d’abord que le défaut de communication de pièces essentielles réunies par les rapporteurs et sur lesquelles ils s’appuient pour, notamment, établir la notification des griefs, est de nature à empêcher la partie poursuivie de fournir toutes les explications utiles et tous les éléments de preuve pertinents en sa possession sur la pratique qui lui est reprochée (pt 58).

Or de tels explications et éléments de preuve sont indispensables pour éclairer pleinement le collège de l’Autorité et leur absence suffit à rendre l’instruction incomplète, au sens de l’article R. 463-7 (pt 59).

En l’espèce, dès lors que le collège de l’Autorité a constaté que le rapport d’enquête de la DGCCRF n’avait pas été communiqué au GIF, privant celui-ci de la possibilité de contester les constatations y figurant, y compris par la production d’éléments de preuve contraires, il ne pouvait que conclure au caractère incomplet de la procédure qui lui était soumise (pt 60).

Dans ces conditions, c’est sans encourir le grief de détournement de procédure, que le collège de l’Autorité, faisant application de l’article R. 463-7 du Code de commerce, a renvoyé l’affaire à l’instruction en ce qui concerne le GIF (pt 61).

C’est en vain que celui-ci soutient que la preuve du détournement de procédure allégué ressort du fait qu’aucune mesure d’instruction supplémentaire n’aurait été menée par le rapporteur dans le temps qui a séparé la décision de renvoi et la nouvelle notification de grief. En effet, la communication, à l’occasion du renvoi à l’instruction, du rapport de la DGCCRF, en ouvrant au GIF la possibilité d’en contester le contenu par la fourniture d’éléments de preuve nouveaux, était de nature à permettre de compléter l’instruction, peu important de savoir si le GIF s’est ou non saisi de cette possibilité (pt 62). La cour ajoute que la circonstance que ce renvoi a également permis la poursuite de la procédure dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense ne saurait évidemment infirmer le constat qui précède (pt 63).

Par ailleurs, selon la cour, le fait, pour le collège de l’Autorité, d’exercer le droit que lui reconnaît expressément l’article R. 463-7 de renvoyer à l’instruction une affaire pour laquelle il estime que l’instruction n’est pas complète, ne saurait constituer ni une violation du principe d’impartialité ni une violation du principe de séparation des fonctions d’instruction et de jugement (pt 64).

Au demeurant, quand bien même le souci de purger la procédure d’un vice l’affectant aurait également fait partie des motivations du collège de l’Autorité pour décider du renvoi à l’instruction, une telle circonstance ne pourrait faire naître aucune suspicion quant à son impartialité pour apprécier la réalité et le caractère anticoncurrentiel de la pratique reprochée au GIF (pt 65).

C – Sur la violation du principe du contradictoire et du principe de l’égalité des armes

On retiendra encore que la cour a rejeté un argument tiré de la violation du principe du contradictoire et du principe de l’égalité des armes. Le GIF avait fait valoir que la notification des griefs marque la fin de l’instruction et le début de la phase contradictoire. Partant, des observations produites en réponse à une notification des griefs ne peuvent pas, par définition, être considérées comme des éléments de l’instruction. Pourtant, en l’espèce, les services d’instruction de l’Autorité se seraient fondés sur les observations du GIF en réponse à la première notification de grief pour établir la seconde notification de grief, et alors, de surcroît, que lesdites observations avaient été établies à une date à laquelle le GIF n’avait pas eu accès au rapport de la DGCCRF, et notamment aux éventuels éléments à décharge y figurant. Ce faisant, selon le GIF, les services d’instruction se sont fondés sur des éléments propres à la phase contradictoire, qui débute avec la notification des griefs, ce qui leur a permis de corriger rétroactivement leur propre argumentation grâce aux premières observations du GIF.

Pour la cour, cependant, le renvoi d’une affaire à l’instruction en application de l’article R. 463-7, n’emporte la disparition rétroactive d’aucune pièce de la procédure (pt 73). En l’espèce, la première notification de grief et les observations en réponse produites par le GIF sont restées partie intégrante de la procédure, de sorte qu’il était loisible aux services d’instruction, auxquels l’affaire avait été renvoyée par le collège, de s’y référer (pt 74). Il n’en est résulté aucune violation des principes du contradictoire et d’égalité des armes, le GIF ayant été en mesure de répondre par écrit, puis oralement lors de la séance devant le collège de l’Autorité, à la deuxième notification de grief (pt 75)3.

II – Réformation partielle de la décision de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire des armatures métalliques et des treillis soudés sur l’île de la Réunion

La cour confirme pour l’essentiel la décision de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire des armatures métalliques et des treillis soudés sur l’île de la Réunion. Elle la réforme néanmoins en ce qu’elle a majoré la sanction infligée aux sociétés Ravate pour leur appartenance à un groupe d’une taille et d’une puissance économique importantes.

On se souvient que, dans cette affaire, l’Autorité a, afin de garantir le caractère dissuasif de la sanction, augmenté celle-ci du même taux de 15 % pour ce qui concerne deux des auteurs des infractions, à savoir le groupe Ravate et le groupe KDI Davum, alors que le chiffre d’affaire de Ravate (238 millions d’euros) était sensiblement plus faible que celui KDI Davum (621 millions d’euros)4

Pour la cour, cette forte disparité commande, par application du principe de proportionnalité et conformément aux termes du communiqué sanctions, de réformer la décision attaquée en réduisant à 7% le montant de la majoration de la sanction prononcée contre les sociétés Ravate.

On retiendra également de l’arrêt qu’il semble résister à la jurisprudence « travail temporaire » qui a consacré le principe selon lequel la non-contestation des griefs par l’une des entreprises en cause suffit pour permettre à l’Autorité de la concurrence de considérer que les infractions en cause sont établies à l’égard des parties qui n’ont pas fait ce choix procédural, de sorte que l’Autorité est seulement tenue de prouver la participation individuelle à l’infraction des autres entreprises5.

En effet, dès lors qu’en l’espèce l’une des entreprises en cause n’avait pas contesté les griefs, la cour d’appel aurait dû retenir que la matérialité de l’entente était démontrée à l’égard de tous les participants et non pas, comme elle l’a fait, à l’égard de la seule entreprise qui n’a pas contesté les griefs6.

III – Réformation partielle de la décision de l’Autorité de la concurrence dans l’affaire du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment

La cour confirme pour l’essentiel la décision de l’Autorité de la concurrence relative aux pratiques mises en œuvre dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment. La pratique en cause s’est déroulée en deux étapes : à partir de 1999, Umicore, principal fournisseur de zinc laminé en France, a introduit dans le contrat de ses revendeurs une clause de promotion par laquelle ces derniers s’engageaient à assurer « la promotion des produits et marques d’Umicore à l’exclusion des produits et marques concurrentes ». Cette clause de promotion exclusive, en vigueur jusqu’en 2004, a ensuite été remplacée par une disposition moins explicite mais ambigüe. L’entreprise a par ailleurs exercé des pressions sur ses distributeurs afin qu’ils limitent fortement les approvisionnements en provenance des fournisseurs concurrents7.

Certes, la cour réduit sensiblement, de 69 243 000 à 56 653 000 euros, le montant de la sanction infligée. Ce faisant les juges parisiens font droit à un moyen des sociétés Umicore qui soutenaient que l’Autorité a commis une erreur dans la prise en compte de la durée des pratiques en faisant partir cette durée au début de l’année 1999, année de signature des contrats de collaboration avec les centres VM Zinc, alors qu’ils ont été signés à la fin de cette même année.

Pour la cour, l’Autorité ne peut, en l’absence d’éléments qui démontreraient que les faits auraient débuté antérieurement, faire remonter au début d’une année, la durée d’une pratique matérialisée par la signature d’un contrat qui ne l’aurait été qu’à la fin de cette même année.

Cependant, tous les autres moyens sont rejetés. Sur la procédure, la cour écarte notamment divers moyens qui faisaient valoir l’acquisition de la prescription quinquénale, prévue par l’article L. 462-7, alinéa 1er du Code de commerce, qui dispose que l’Autorité de la concurrence ne peut être saisie de faits remontant à plus de cinq ans, et la prescription décennale, énoncée par l’article L. 462-7, alinéa 3, selon lequel la prescription est acquise lorsqu’un délai de dix ans à compter de la cessation de la pratique anticoncurrentielle s’est écoulé, sans que l’Autorité de la concurrence ait statué sur celle-ci.

Sur la prescription quinquénale, la cour rejette notamment l’argument par lequel les sociétés Umicore faisaient valoir qu’une ordonnance du juge des libertés et de la détention de Bobigny du 30 avril 2009, rendue, en application des règles de procédure pénale, dans le cadre du recours qu’elles ont formé contre le déroulement des opérations de visite et de saisie effectuées en février 2008, a énoncé que les faits antérieurs au 10 avril 2002 étaient prescrits. Or l’Autorité de la concurrence a refusé de considérer que cette ordonnance avait l’autorité de la chose jugée.

La cour d’appel refuse de faire droit à l’argumentation des requérantes. Ce faisant, elle s’appuie sur la jurisprudence invoquée par ces dernières selon laquelle (1) « l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil ne s’attache qu’à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l’existence du fait qui forme la base commune de l’action civile et de l’action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé »8 et (2) « les décisions de la justice pénale ont au civil autorité absolue, à l’égard de tous, en ce qui concerne ce qui a été nécessairement jugé quant à l’existence du fait incriminé, sa qualification, la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé »9.

La cour d’appel en déduit que, pour avoir autorité absolue de la chose jugée, il faut que la décision statue sur une action pénale. Or tel n’est pas le cas en l’espèce où le JLD a statué sur des opérations qui ne sont pas de nature pénale, effectuées à la demande du ministre chargé de l’Économie, lequel n’est pas chargé de poursuites pénales, et dans l’objectif de poursuivre des pratiques anticoncurrentielles, qui ne font pas l’objet d’une incrimination pénale (pt 36).

S’agissant de la prescription décennale, la cour d’appel rejette les arguments par lesquels les sociétés Umicore contestaient l’analyse de l’Autorité qui a considéré que les faits reprochés constituaient une pratique unique et continue, depuis 1999 jusqu’à 2007. Elle estime en effet que si l’exclusivité d’achat imposée à compter de 2004 ne trouvait plus sa source dans les clauses explicites du contrat, il n’en demeure pas moins qu’une telle obligation a continué à être appliquée en conséquence de l’interprétation des nouvelles clauses et de la combinaison de celles-ci (pt 51).

Et la cour d’ajouter que, si ces pratiques ont été distinctes, se sont matérialisées par des moyens différents, et même si leur caractère anticoncurrentiel ne relève pas de la même démarche de qualification, il n’en demeure pas moins que l’objectif poursuivi par leur mise en œuvre, faire obstacle au développement d’une concurrence non faussée, a été le même. Elles se sont, en outre, inscrites dans une continuité infractionnelle de mise en œuvre de moyens ne relevant pas de la concurrence par les mérites, sans qu’importe que les manquements ne soient pas matériellement identiques (pt 52).

La cour rejette également un moyen qui critiquait le refus des services d’instruction d’ouvrir une procédure d’acceptation d’engagements visant à remédier aux éventuelles préoccupations de concurrence que l’affaire pouvait soulever. Elle observe à cet égard que, en l’espèce, les requérantes n’allèguaient pas que le collège, qui n’est ni dessaisi ni privé d’accès au dossier pendant la phase d’instruction, aurait envisagé de faire application du I de l’article L. 464-2 relatif à l’acceptation d’engagements proposés par les entreprises (pt 68). Il s’ensuit que le refus de recourir à la procédure d’engagements découle de la décision négative implicite du collège qui, alors qu’il avait tout loisir de demander aux rapporteurs une évaluation préliminaire des pratiques, ne l’a pas fait. La cour rappelle à cet égard que la décision de recourir ou non à la procédure d’engagements est discrétionnaire et que le collège n’a donc pas à formaliser ni, a fortiori, à motiver sa décision (pt 69). La cour ajoute que les services d’instruction et le collège, lorsque la demande lui est adressée, apprécient discrétionnairement l’opportunité d’ouvrir une procédure d’engagements au regard des circonstances juridiques et économiques propres à l’affaire en cause et au contexte économique dans lequel elle s’inscrit. En conséquence, le fait que l’Autorité ait pu, dans d’autres affaires similaires ou semblables, mais dans des contextes différents, accepter la mise en œuvre de la procédure d’engagements ne démontre pas que les sociétés Umicore, auxquelles elle a été refusée, auraient fait l’objet d’une discrimination (pt 73).

Sur le fond, la cour d’appel confirme en tous points l’analyse de l’Autorité selon laquelle Umicore, qui détient une position dominante sur les marchés du zinc laminé destiné à la couverture et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment, a abusé de cette position, au sens des article 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce, en liant ses distributeurs par des engagements d’achat exclusif10.

IV – Interdiction de la vente par le biais de plates-formes ou places de marché

Un litige opposant la société Showroomprivé.com, qui édite un site de commerce électronique généraliste, à la société Coty France, filiale du groupe international Coty, qui assure la vente de ses parfums de luxe dans le cadre de réseaux de distribution sélective, offre l’occasion à la cour d’appel de s’inscrire dans le sillage de la jurisprudence Coty Germany de la Cour de justice de l’Union européenne, qui, dans un arrêt récent, a dit pour droit que la clause par laquelle un fournisseur de produits de luxe interdit à ses distributeurs agréés de vendre ses produits sur une plate-forme internet, telle que Amazon, qui opère de façon visible à l’égard des consommateurs, ne tombe pas sous le coup du droit des ententes, pour autant qu’un certain nombre de conditions sont respectées (selon la Cour de justice, une telle interdiction est appropriée et ne va pas en principe au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver l’image de luxe des produits)11.

En effet, la cour d’appel rejette un moyen de Showroomprivé.com qui soutenait que l’interdiction de principe de la vente internet par le biais de plates-formes ou places de marché constitue une restriction de concurrence caractérisée, exclue du bénéfice de l’exemption individuelle.

Ce faisant, elle reprend des extraits de l’arrêt de la Cour de justice qui a énoncé que cette interdiction permet « au fournisseur de produits de luxe de contrôler que ses produits seront vendus en ligne dans un environnement qui correspond aux conditions qualitatives qu’il a convenues avec ses distributeurs agréés », ce contrôle ne pouvant être effectué sur les plates-formes qui ne sont pas cocontractantes de Coty. Or « une vente en ligne de produits de luxe par des plates-formes qui n’appartiennent pas au système de distribution sélective de ces produits, dans le cadre de laquelle le fournisseur n’a pas la possibilité de contrôler les conditions de vente de ses produits, comporte le risque d’une détérioration dans la présentation desdits produits sur internet, qui est de nature à porter atteinte à leur image de luxe et, partant, à leur nature même ». La cour d’appel ajoute que la vente de produits de luxe aux côtés de tout type de produits, porte atteinte à l’image de luxe des produits auprès des consommateurs et, de ce fait, au maintien de l’une des caractéristiques principales de ces produits recherchées par les consommateurs.

Et la cour d’appel d’en déduire que l’interdiction critiquée est appropriée pour préserver l’image de luxe des produits en cause et ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi, car elle n’interdit pas de manière absolue aux distributeurs agréés de vendre sur internet les produits contractuels. Elle est donc licite au regard de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

Pour la cour d’appel, cette interdiction ne peut davantage être qualifiée de restriction caractérisée, au sens des règlements n° 2790/99 du 22 décembre 1999 et n °330/2010 du 20 avril 2010. À cet égard, la Cour de justice a dit pour droit qu’aucune restriction de clientèle ou de ventes passives des distributeurs agréés aux utilisateurs finals n’en résultait, la distribution par internet étant toujours possible.

La cour d’appel de Paris livre enfin la lecture qu’elle fait de la jurisprudence de l’Autorité de la concurrence sur cette question : contrairement ce que soutient la société Showroomprivé, la position de l’Autorité de la concurrence n’est pas contraire à celle des juridictions de l’Union, celle-ci ayant toujours considéré que les restrictions apportées à l’usage des plates-formes, qui ne constituent que des intermédiaires et non des distributeurs agréés, ne constituaient pas des restrictions caractérisées. En effet, si, pour certains produits non situés sur les marchés du luxe, l’intérêt pour les distributeurs de recourir aux plates-formes est indéniable, car elles peuvent leur permettre de développer leurs ventes sans devoir créer des sites internet propres, en disposant de facilités pour le paiement et les impayés ainsi qu’en profitant de la renommée de la plate-forme, l’Autorité a toujours admis que le fabricant à la tête d’un réseau de distribution sélective puisse avoir un droit de regard sur cet usage, afin de vérifier que les conditions de présentation des produits sur les plates-formes soient conformes aux exigences de qualité du réseau et puisse interdire les ventes sur des plates-formes tierces, dès lors que les garanties sur l’identité des vendeurs ne sont pas apportées. Ainsi, dans sa décision n° 07-D-07 du 8 mars 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle, l’ancien Conseil de la concurrence, à propos de la distribution sélective des produits Caudalie, a-t-il émis, s’agissant de produits hors luxe, les réserves suivantes : « le Conseil estime que les craintes des fabricants de produits dermo-cosmétiques suscitées par ces pratiques illégales peuvent légitimer l’interdiction de ce canal de vente, tant que les plates-formes n’apportent pas de garanties supplémentaires sur la qualité et l’identité des vendeurs » (§ 104). « Pour ces raisons, le Conseil estime que les craintes des fabricants de produits dermo-cosmétiques suscitées par ces pratiques illégales peuvent légitimer l’interdiction de ce canal de vente, tant que les plates-formes n’apportent pas de garanties supplémentaires sur la qualité et l’identité des vendeurs » (§ 104). A fortiori en va-t-il pour la distribution sélective de produits appartenant au segment de marché des parfums haut de gamme12.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Aut. conc., déc., n° 16-D-26, 24 nov. 2016, pratiques mises en œuvre par le GIF dans le secteur de la fourniture, l’installation et de la maintenance d’équipements professionnels de cuisine.
  • 2.
    C. com., art. R. 463-7 : « Lorsqu’elle estime que l’instruction est incomplète, l’Autorité de la concurrence peut décider de renvoyer l’affaire en tout ou partie à l’instruction ».
  • 3.
    CA Paris, 18 janv. 2018, n° 17/01703.
  • 4.
    Aut. conc., déc. n° 16-D-09, 12 mai 2016, pratiques mises en œuvre dans les secteurs des armatures métalliques et des treillis soudés sur l’île de la Réunion.
  • 5.
    CA Paris, 26 janv. 2010, n° 09/03532, Adecco France et a. ; pourvoi rejeté par Cass. com., 29 mars 2011, n° 19-12913.
  • 6.
    CA Paris, 15 mars 2018, n° 16/14231.
  • 7.
    Aut. conc., déc., n° 16-D-14, 23 juin 2016, pratiques mises en œuvre dans le secteur du zinc laminé et des produits ouvrés en zinc destinés au bâtiment.
  • 8.
    V. Cass. com., 3 mai 2006, n° 03-14171 : Bull. 2006, IV, n° 105 ; Cass. 2e civ., 4 juin 2009, n° 08-11163, Bull. 2009, II, n° 140 ; Cass. com., 8 juin 2017, n° 16-11110.
  • 9.
    V. Cass. com., 9 févr. 2010, n° 09-10388.
  • 10.
    CA Paris, 5-7, 17 mai 2018, n° 16/16621.
  • 11.
    CJUE, 6 déc. 2017, C-230/16, Coty Germany GmbH / Parfümerie Akzente GmbH, pt 24 ; Catala Marty J., « Distribution sélective et interdiction de vendre aux market places : pas d’incompatibilité de principe », RLC 2018/68, n° 3313 ; Marcinkowski M., « Internet à l’épreuve de la sélectivité : le sort des places de marché », RLC 2018/69, n° 3340.
  • 12.
    CA Paris, 28 févr. 2018, n° 16/02263.
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