Activité de la cour d’appel de Paris dans le domaine de la concurrence (septembre – décembre 2018)

Publié le 15/03/2019

Le présent article porte sur les arrêts rendus par la cour d’appel de Paris en droit de la concurrence, au sens du livre IV du Code de commerce, au cours de la période de septembre à décembre 2018. Les décisions suivantes ont plus particulièrement retenu notre attention : Confirmation de la majoration de 25 % de la sanction retenue au titre de la réitération dans l’affaire des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d’électricité photovoltaïque (I) ; condamnation de la société Edenred France à restituer la somme de 12 millions d’euros que les sociétés Kering et Conforama ont dû verser à la société Edenred pour violation d’une clause de non-concurrence (II) ; confirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 septembre 2016 dans le litige opposant la société Concurrence à la société Sony Europ Limited (III) ; réformation de la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs (IV) ; confirmation du défaut d’abus de position dominante de la société Coyote sur le marché des boîtiers avertisseurs de radars (V) ; condamnation d’un fournisseur à réparer le préjudice causé par une entente verticale sur des prix imposés (VI) ; confirmation de la solution retenue par la Cour de cassation à propos de la qualité d’entreprise « mono-produit » dans l’affaire du papier peint (VII).

I – Confirmation de la majoration de 25 % de la sanction retenue au titre de la réitération dans l’affaire des pratiques mises en œuvre par EDF dans le secteur des services destinés à la production d’électricité photovoltaïque

On se souvient que la Cour de cassation a censuré l’analyse de la cour d’appel de Paris sur la réitération dans l’affaire des pratiques mises en œuvre par la société EDF dans le secteur des services destinés à la production d’électricité photovoltaïque.

Dans cette affaire, l’Autorité de la concurrence avait estimé qu’EDF se trouvait dans une situation de réitération justifiant, dans les circonstances de l’espèce, une majoration de 25 % de sa sanction, en se référant à un constat antérieur d’infraction résultant d’une décision du Conseil de la concurrence n° 00-D-47 du 22 novembre 2000 l’ayant sanctionnée pour avoir enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce.

La cour d’appel de Paris, sensible aux arguments de l’entreprise, avait jugé que la réitération devait être écartée car si dans les deux affaires, des pratiques d’éviction étaient reprochées à EDF, cette circonstance ne permettait pas de conclure que les pratiques étaient identiques ou similaires.

Pour la Cour de cassation, en statuant comme elle l’a fait, après avoir constaté que EDF avait été sanctionnée par une décision du 22 novembre 2000 pour avoir enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce au titre de pratiques ayant, également, eu pour effet de permettre à un opérateur dominant d’évincer des concurrents d’un marché, la cour d’appel a violé l’article L. 464-2 du Code de commerce.

Dans le présent arrêt, la cour d’appel de Paris, autrement composée, confirme la majoration de 25 %, qu’elle juge justifiée et proportionnée (pt 40).

Ce faisant, elle retient que les deux constats d’infraction présentent des similitudes marquées, tant par leur objet que par leurs effets. Plus précisément, détenant en sa qualité d’ancien monopole légal une position dominante sur le marché de la fourniture d’électricité, elle a abusé de cette position sur deux marchés connexes ouverts à la concurrence, dans le premier cas, celui de l’éclairage public, dans le second cas, celui des services du secteur photovoltaïque, en recourant à des moyens étrangers à une concurrence par les mérites (pt 41).

La cour d’appel écarte par ailleurs le moyen de la requérante selon lequel les pratiques sanctionnées présenteraient un caractère inédit. Contrairement à ce que soutenait EDF, n’a été sanctionnée qu’une pratique de confusion créée dans l’esprit des consommateurs quant au rôle des diverses entités du groupe EDF dans la filière photovoltaïque (pt 45).

La cour rappelle par ailleurs que EDF est une entreprise puissante, dotée d’un service juridique important, et doit donc être considérée comme parfaitement informée des règles qu’elle a enfreintes (pt 49).

La cour relève aussi que, alors que le délai de 7 ans qui s’est écoulé entre les deux constats d’infraction représente moins de la moitié du délai (de 15 ans) au-delà duquel l’autorité renonce, conformément au point 51 de son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires, à opposer la réitération, l’autorité a, en l’espèce, appliqué un taux de majoration qui se situe en dessous du milieu de la fourchette (entre 15 % et 50 %) énoncée au point 52 du même communiqué (pt 50).

Enfin, la cour observe que la sanction dont EDF avait déjà fait l’objet aurait dû suffire à la dissuader de se livrer à nouveau à des pratiques anticoncurrentielles. La majoration de 25 % de la sanction qui lui a été infligée au titre des nouvelles infractions apparaît dès lors nécessaire et proportionnée puisque la première sanction n’a pas été suffisamment dissuasive (pt 53). Et d’ajouter que si EDF avait été sanctionnée à deux reprises, voire davantage, avant la présente espèce, elle aurait pu encourir une majoration plus importante encore (pt 54)1.

II – Condamnation de la société Edenred France à restituer la somme de 12 millions d’euros que les sociétés Kering et Conforama ont dû verser à la société Edenred pour violation d’une clause de non-concurrence

Le présent litige oppose la Fnac et Conforama, appartenant à l’époque des faits au groupe PPP, devenu Kering, à la société Edenred, à propos de la clause de non-concurrence par laquelle la Fnac et Conforama se sont engagées (pour une période de 5 ans, dans le cadre de la cession, le 30 mars 2007, de la société Kadéos au groupe Accor) à ne pas mettre sur le marché français d’autres cartes prépayées ou chèques cadeaux que les solutions cadeaux Kadéos.

Les sociétés Fnac et Conforama ayant décidé de mettre en vente leurs propres cartes cadeaux mono-enseigne, en septembre et octobre 2010, la société Accentiv’ Kadéos a invoqué une violation de la clause de non-concurrence et a fait assigner la Fnac pour qu’il lui soit fait interdiction de poursuivre la distribution de cartes cadeaux mono-enseigne.

La société Kering a réagi en assignant la société Accentiv’ Kadéos pour obtenir la levée de la clause de non-concurrence.

Parallèlement, dans le cadre d’une procédure d’engagement, l’Autorité de la concurrence a rendu obligatoires les engagements pris par Accentiv’ Kadéos portant sur l’abandon des exclusivités en matière d’acceptation et de distribution des cartes cadeaux.

Par jugement du 14 mars 2016, le tribunal de commerce de Paris a estimé que les sociétés Conforama et Fnac ont violé les engagements d’exclusivité du contrat de cession et des contrats de partenariat en éditant une carte mono-enseigne.

Saisie d’un appel des sociétés Conforama et Kering, qui faisaient valoir que l’obligation d’exclusivité et de non-concurrence est illicite car contraire aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 du TFUE, la cour d’appel de Paris rappelle la valeur probatoire de la décision d’engagements de l’Autorité de la concurrence et vérifie si les appelants ont apporté la démonstration, qui leur incombe, du caractère restrictif de concurrence de la clause litigieuse.

Sur le premier point, la cour d’appel rappelle que l’adoption d’une décision d’acceptation d’engagements de l’Autorité de la concurrence ne certifie pas la conformité au droit de la concurrence des pratiques faisant l’objet de « préoccupations » et n’atteste pas davantage de leur caractère infractionnel, l’autorité ne s’étant livrée qu’à une simple évaluation préliminaire de la situation concurrentielle qui n’a pas pour objet de prouver la réalité et l’imputabilité d’infractions au droit de la concurrence mais d’identifier des « préoccupations de concurrence », « susceptibles » de constituer une pratique prohibée.

S’agissant du caractère anticoncurrentiel de la clause de non-concurrence, la cour d’appel renonce à examiner le comportement dénoncé sous l’angle de l’abus de position dominante dès lors que, dans sa décision, l’Autorité de la concurrence a laissé ouverte la question du marché pertinent et qu’aucun élément complémentaire n’a été versé aux débats depuis la décision d’engagements, en termes d’analyse de la substituabilité de la demande.

La cour d’appel s’appesantit plus longuement sur la recherche d’une entente anticoncurrentielle. Elle observe que la clause litigieuse constitue une obligation de non-concurrence entre opérateurs concurrents. En s’engageant à ne pas créer de titres concurrents de ceux émis par Kadéos, les deux opérateurs s’interdisaient de faire concurrence à Kadéos, non seulement en émettant des cartes cadeaux multi-enseignes, mais en émettant des cartes de leur propre enseigne, ce qui, non seulement portait un frein à leur liberté commerciale, mais les empêchait de satisfaire la demande des consommateurs, obligés d’acheter une carte multi-enseignes comportant la Fnac ou Conforama parmi d’autres enseignes, même s’ils ne souhaitaient acheter que le service de l’une de ces deux enseignes.

La clause a pu produire des effets potentiels. Sur le secteur des cartes pluri-enseignes, la clause, qui empêchait les enseignes référencées d’émettre leurs propres cartes mono-enseigne, devait permettre à Accentiv’ Kadéos de conserver son volume d’affaires et de maintenir le large périmètre du marché de la carte multi-enseignes ; elle était de nature à empêcher tout transfert de la demande des consommateurs de la carte multi-enseignes vers la carte mono-enseigne et donc à préserver la position prééminente de Kadéos sur le secteur des cartes multi-enseignes où elle avoisinait déjà les 80 %. S’agissant du secteur de la carte mono-enseigne, la clause de non-concurrence était susceptible d’y restreindre la concurrence pendant 5 ans, puisqu’elle visait à empêcher ou à retarder l’émergence d’acteurs importants tels que la Fnac ou Conforama, privés de la faculté d’émettre leur propre carte. Elle visait ainsi à empêcher l’apparition d’un produit encore nouveau à l’époque, pour lequel il y avait pourtant une demande des consommateurs. Ceux-ci se voyaient donc privés, par cette clause, de cartes mono-enseignes Fnac et Conforama, et contraints d’acheter une carte multi-enseignes Kadéos pour avoir recours aux services de ces deux enseignes. Dès lors que les deux enseignes étaient les seules à pouvoir proposer leurs cartes mono-enseigne, la clause interdisait aux consommateurs de profiter de ce produit nouveau.

La société Edenred s’est défendue en soutenant que la clause de non-concurrence était une restriction accessoire à l’accord de cession du 30 mars 2007 et qu’elle n’est donc pas contraire à l’alinéa 1 de l’article 101 du TFUE ou à l’article L. 420-1 du Code de commerce. La cour d’appel refuse de faire droit à cet argument. Elle rappelle que la notion de restriction accessoire couvre toute restriction qui est directement liée et nécessaire à la réalisation d’une opération principale. Elle observe que par restriction directement liée à la réalisation d’une opération principale, il convient d’entendre toute restriction qui est subordonnée en importance par rapport à la réalisation de cette opération et qui comporte un lien évident avec celle-ci. Quant à la condition relative au caractère nécessaire d’une restriction, celle-ci implique un double examen. En effet, il convient de déterminer, d’une part, si la restriction est objectivement nécessaire à la réalisation de l’opération principale et, d’autre part, si elle est proportionnée par rapport à celle-ci.

Or la société Edenred n’a pas démontré que la clause litigieuse était « directement liée à la réalisation de l’opération ». En effet, l’opération est intervenue à une date à laquelle seule la carte multi-enseignes était commercialisée par Kadéos.

Par ailleurs des clauses du même type ont été conclues avec d’autres enseignes que celles parties au contrat de cession, ce qui démontre qu’elle ne répondait pas aux préoccupations de ce contrat de cession, à savoir garantir le transfert à Accor, mais visait en réalité d’autres objectifs ou excédait celui-ci.

En outre, la clause litigieuse n’est pas justifiée par un objectif légitime, la durée de 5 ans apparaissant trop longue. Les clauses de non-concurrence se justifient pour des périodes n’excédant généralement pas 3 ans lorsque la cession de l’entreprise inclut la fidélisation de la clientèle sous la forme à la fois du fonds commercial et du savoir-faire.

La clause litigieuse étant ainsi illicite au regard du droit des ententes, les sociétés Fnac et Conforama ne pouvaient être sanctionnées pour l’avoir violée. La cour d’appel infirme en conséquence le jugement entrepris en toutes ses dispositions et condamne la société Edenred France à restituer à la société Kering la somme de 7 914 529 € et aux sociétés Conforama France et Conforama Holding la somme de 3 815 718 €2.

III – Confirmation du jugement du tribunal de commerce de Paris du 12 septembre 2016 dans le litige opposant la société Concurrence à la société Sony Europ Limited

On se souvient que la société Sony Europ Limited a entretenu des relations commerciales avec la société Concurrence, jusqu’au 31 juillet 2007, date à laquelle elle a mis fin à celles-ci en invoquant de nombreux différends commerciaux avec son distributeur.

Au début de l’année 2010, la société Sony a modifié sa politique commerciale en mettant en place un système de distribution sélective pour ses téléviseurs les plus haut de gamme, et en avril 2012 a instauré une remise commerciale de 8 %, dénommée SERP, pour rémunérer les services rendus par ses revendeurs.

Le 3 janvier 2013, la société Concurrence s’est adressée à la société Sony, en vue d’obtenir un agrément mais cette dernière lui a indiqué ne pas souhaiter reprendre les relations commerciales dans les conditions proposées.

Le litige a été porté devant le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 12 septembre 2016, a débouté la société Concurrence de l’ensemble de ses demandes.

L’appel interjeté par la société Concurrence n’a pas eu plus de succès, le présent arrêt de la cour d’appel de Paris ayant confirmé le jugement du 12 septembre 2016.

La société Concurrence reprochait à la société Sony de lui refuser l’agrément tant pour bénéficier des remises SERP que pour commercialiser les téléviseurs avec de nouvelles technologies.

Pour la cour d’appel, la pratique en cause consiste dans un refus isolé d’agrément opposé par la société Sony à la société Concurrence. Le refus d’agréer la société Concurrence est, selon elle, justifié par les conflits récurrents ayant opposé les deux entreprises pendant de nombreuses années. Par ailleurs, c’est à juste titre, selon elle, que la société Sony explique que les différentes actions judiciaires et administratives menées par la société Concurrence à son encontre depuis 2013 ne permettaient pas d’assurer des relations commerciales normales entre les parties et qu’elle ne souhaitait donc plus entrer en relation commerciale avec la société Concurrence. Il en résultait une perte de confiance justifiant le refus d’agrément. Le refus d’agrément n’a donc pas d’objet anticoncurrentiel.

Elle ne constitue pas non plus une entente par effet dès lors qu’elle n’est pas de nature à éliminer la concurrence ni ne permet cette élimination. En effet, la société Concurrence, qui ne représente qu’une très faible part de la distribution des téléviseurs, distribue d’autres produits que ceux de la marque Sony et n’a pas démontré que les téléviseurs Sony constituent des produits d’appel, nécessaires pour attirer les clients. Elle peut donc s’approvisionner auprès d’autres marques. Dès lors, la société Concurrence n’a pas rapporté la preuve que le refus d’agrément au réseau serait de nature à affecter le fonctionnement concurrentiel du marché de la distribution des téléviseurs.

Le refus d’agrément litigieux n’ayant ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la concurrence n’est donc pas contraire à l’alinéa 1 de l’article 101 et à l’article L. 420-1 du Code de commerce3.

IV – Réformation de la décision du Conseil de la concurrence n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs

Après avoir été censurée à deux reprises par la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris réforme la décision n° 05-D-38 du 5 juillet 2005 relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché du transport public urbain de voyageurs en réduisant sensiblement le montant de la sanction pécuniaire infligée à l’une des entreprises en cause.

Rappelons notamment que la Cour de cassation avait annulé le premier arrêt rendu par la cour d’appel de Paris dans cette affaire, arrêt auquel elle a reproché de ne pas avoir établi la participation de l’une des entreprises à l’ensemble de l’entente.

S’alignant sur l’analyse développée par la Cour de cassation dans ce premier arrêt, la cour d’appel juge que le Conseil de la concurrence a certes établi une concertation anticoncurrentielle entre Kéolis et Connex, mais ses constatations ne suffisent pas à établir la participation de Connex au grief n° 3 puisqu’au titre de celui-ci, il lui est reproché d’avoir pris part non à une entente avec la seule société Kéolis, mais à une entente tripartite avec cette même société et la société Transdev (pt 70).

La société Connex ne s’étant pas directement concertée avec la société Transdev, il convenait, selon la cour d’appel, de déterminer s’il résulte du dossier qu’elle entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs poursuivis par les sociétés Kéolis et Transdev, qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par celle-ci dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir, et, enfin, qu’elle était prête à en accepter le risque (pt 71).

Or les indices dont se prévaut le Conseil de la concurrence ne permettent pas d’établir un accord de volontés entre les trois sociétés pour coordonner explicitement leur comportement (pt 79).

Pour la cour d’appel, il n’est pas établi que la société Connex se serait directement concertée avec la société Transdev. En deuxième lieu, il n’est pas établi que la société Connex, qui s’est concertée avec la société Kéolis, avait connaissance de la concertation que celle-ci entretenait avec la société Transdev. Enfin, il n’est pas démontré que la société Connex aurait entendu, par son propre comportement, contribuer à des objectifs communs poursuivis avec les sociétés Kéolis et Transdev, qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par celle-ci dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (pt 81).

La participation de la société Connex à une entente avec les sociétés Kéolis et Transdev, objet du grief n° 3, n’est donc pas démontrée ; en conséquence, le grief n’est pas établi.

En revanche, la cour d’appel considère que les sociétés Kéolis et Connex se sont concertées en vue de l’attribution à celle-ci du marché de transport urbain lancé par la CUB (pt 100). C’est donc à juste titre que le Conseil de la concurrence a conclu que la participation de Connex au grief n° 1 était établie.

La cour d’appel réforme en conséquence l’article 2 de la décision du Conseil de la concurrence et ramène à 500 000 € la sanction de 5 050 000 € infligée initialement à Connex4.

V – Confirmation du défaut d’abus de position dominante de la société Coyote sur le marché des boîtiers avertisseurs de radars

Le présent litige opposait la société Inforad, spécialisée dans la conception et la vente de systèmes d’aide à la conduite, à la société Coyote, qui avait développé la première solution d’informations géolocalisées permettant de communiquer aux automobilistes, en temps réel, des données relatives au trajet qu’ils empruntent, telles que les limitations de vitesse, la présence de zones dangereuses, ou encore les perturbations routières.

La société Inforad a reproché à la société Coyote d’avoir abusé de sa position dominante, mais sans convaincre le tribunal de commerce de Paris qui l’a déboutée de ses demandes et l’a condamnée au paiement de la somme de 60 000 € pour procédure abusive.

La cour d’appel de Paris confirme l’absence d’abus de position dominante.

Ce faisant, elle considère d’abord que le marché pertinent était, à l’époque des faits, celui des boîtiers avertisseurs de radars communautaires et payants et précise que ces appareils n’étaient pas substituables, pour les consommateurs, aux autres outils de navigation existants, tels par exemple les boîtiers de guidage GPS et les applications mobiles.

Elle estime par ailleurs que la société Coyote détenait sur ce marché une position dominante qui résulte des indices suivants : (i) la société Coyote est le créateur de l’avertisseur radar en France ; (ii) elle détenait une part de marché de 50 % ; (iii) elle disposait de la plus grosse communauté d’utilisateurs ; (iv) la marque Coyote revêtait une notoriété certaine ; (v) la société Coyote a été l’inventeur des avertisseurs radars et détenait un brevet (sur ce dernier point, la cour observe, à juste titre, que la détention d’un brevet ne crée pas nécessairement une position dominante au profit de son titulaire, mais elle contribue à son pouvoir de marché).

La cour juge cependant que la société Coyote n’a pas abusé de sa position dominante. Elle estime notamment infondé le grief de brevet « frivole », suivi d’actions en justice pour contrefaçon. Inforad soutenait que Coyote, sur la base du dépôt d’un brevet « frivole », a intenté diverses actions en contrefaçon dont elle s’est artificiellement prévalue auprès des clients dans le seul but d’évincer ses concurrents. Ainsi, selon Inforad, dès son entrée sur le marché, Coyote a mené une stratégie visant précisément à paralyser le développement des concurrents dont elle pouvait craindre l’arrivée, par une pratique de « buissons de brevets » et de revendications trop larges, le but étant de se prémunir des moyens juridiques pour déclencher des actions judiciaires intempestives à l’égard des entreprises qui, dans le futur, tenteraient d’entrer sur le même marché.

La cour souligne cependant qu’il n’est pas démontré que le dépôt du brevet a eu pour unique objet d’empêcher les concurrents de pénétrer le marché. Par ailleurs, aucune stratégie de « buisson » de brevets n’a pu être établie à la charge de Coyote. En outre, aucun harcèlement ne saurait découler des actions en justice intentées par Coyote.

La cour rejette également le grief de dénigrement. Elle estime que la circonstance que ce brevet n’ait été opposé que tardivement à la société Inforad, 2 ans après le lancement de ses boîtiers concurrents, à un moment où celle-ci envisageait un partenariat avec Renault pour équiper ses véhicules, ce qui aurait constitué un débouché important pour cette société, ne saurait en soi démontrer une action de dénigrement auprès de la société Renault.

Le retentissement médiatique de cette action ne peut être imputé à la société Coyote, celle-ci n’ayant effectué aucune diffusion publique sur cette action à destination de ses clients ou de ceux d’Inforad. Dès lors, à supposer que la publicité de ces actions ait provoqué l’arrêt des discussions entre Inforad et Renault, il n’est pas établi que la responsabilité en incombe à la société Coyote, l’email de Renault du 5 septembre 2012 faisant état de rumeurs dont la provenance n’était pas indiquée. Pour la cour, un simple concours de circonstances, même troublant, ne saurait en soi fonder un grief d’abus de position dominante.

La cour confirme donc le défaut d’abus de position dominante et, statuant à nouveau, déboute la société Coyote de sa demande pour procédure abusive5.

VI – Condamnation d’un fournisseur à réparer le préjudice causé par une entente verticale sur des prix imposés

La condamnation d’un fournisseur à réparer le préjudice causé par une entente verticale sur des prix imposés est suffisamment rare pour retenir l’attention. En l’espèce, un distributeur de matériel de plongée, de natation, de pêche et de chasse sous-marine, la société Bubble Diving, revendeur agréé de la société Spirotechnique, a fait assigner son fournisseur pour des pratiques de prix imposés.

L’arrêt rapporté relève d’office le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Grasse pour statuer sur des demandes fondées sur l’article L. 420-1 du Code de commerce et annule le jugement entrepris. Usant de son pouvoir d’évocation, elle déclare la société Spirotechnique responsable d’une entente verticale sur les prix au détriment de la société Bubble Diving.

Pour parvenir à cette solution, la cour d’appel de Paris relève qu’en l’espèce, la communication des prix est réalisée par la diffusion des tarifs du fournisseur à la société Bubble Diving, comme aux autres distributeurs du réseau, et que la preuve que ces prix communiqués étaient en réalité, dans l’esprit du fournisseur, des prix imposés, est établie par des messages électroniques faisant état de pressions du fournisseur sur la société Bubble Diving afin qu’elle remonte les prix de certains articles, le plus souvent à la demande d’autres distributeurs du réseau. Elle ajoute que ces messages démontrent l’existence d’une surveillance continue des prix de certains articles exercée par le fournisseur, avec l’aide de ses distributeurs.

Pour la cour d’appel, ces éléments démontrent l’existence d’une entente anticoncurrentielle locale contraire à l’article L. 420-1.

En revanche, les pièces du dossier ne permettent pas d’établir qu’un nombre suffisant de distributeurs, répartis sur le territoire français, aurait appliqué les prix imposés, pour constituer une entente de dimension nationale.

S’agissant des préjudices de la société Bubble Diving, la cour estime que celle-ci ne peut inférer des différences entre les chiffres d’affaires prévus dans son business plan et les chiffres effectivement réalisés par elle que la pratique de prix imposés litigieuse en est la cause. De même, elle n’établit aucun lien de causalité entre la pratique et la perte alléguée de valeur de son fonds de commerce, appuyée sur une simple attestation de son expert-comptable.

Toutefois, la cour juge que la pratique de prix imposés a conduit à une baisse des volumes vendus, un message électronique attestant de l’attitude réactive des consommateurs aux différences de prix. Compte tenu de cet élément, de la durée des pratiques et de leur caractère systématique, la cour évalue à 20 000 € le préjudice économique subi de ce fait par la société Bubble Diving et condamne la société Spirotechnique au paiement de cette somme6.

VII – Confirmation de la solution retenue par la Cour de cassation à propos de la qualité d’entreprise « mono-produit » dans l’affaire du papier peint

La cour d’appel s’est à nouveau prononcée sur la question des entreprises « mono-produits » au sens du paragraphe 48 du communiqué du 16 mai 2011 de l’Autorité de la concurrence qui prévoit que l’autorité vérifie s’il y a lieu d’« adapter à la baisse » le montant des sanctions, au cas où il s’avérerait que les entreprises en cause mèneraient l’essentiel de leur activité sur le secteur ou marché en relation avec l’infraction c’est-à-dire si elles exerçaient une activité « mono-produit ».

À l’origine de cette affaire, l’Autorité de la concurrence, par une décision n° 14-D-20 du 22 décembre 2014, a dit établi que plusieurs sociétés du secteur du papier peint avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, paragraphe 1, du TFUE et leur a infligé des sanctions pécuniaires.

Ce faisant, elle a refusé de reconnaître la qualité d’entreprise « mono-produit »à diverses sociétés en considérant que les comptes des groupes auxquels elles appartiennent ne permettent pas de conclure à une activité « mono-produit ».

Pour réformer cette décision, la cour d’appel de Paris a relevé qu’une activité « mono-produit », au sens du communiqué du 16 mai 2011, implique une comparaison sur des bases homogènes en ce qui concerne la détermination de la valeur des ventes, d’une part, et du chiffre d’affaires auquel cette valeur est rapportée, d’autre part. Elle en a déduit que, dès lors que l’Autorité a retenu le chiffre d’affaires consolidé du groupe auquel appartiennent ces sociétés, il y avait lieu de prendre en compte non pas la valeur des seules ventes qu’elles ont réalisées, mais la valeur des ventes réalisées par toutes les sociétés de ce groupe dans le secteur de la vente de papiers peints.

La chambre commerciale a jugé qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a intégré dans les termes de son analyse des valeurs de ventes sans lien avec l’infraction, a violé l’article L. 464-2 du Code de commerce et le communiqué du 16 mai 2011.

Saisie sur renvoi, la cour d’appel de Paris était invitée à se prononcer à nouveau sur la contestation du refus de reconnaître le caractère d’entreprise « mono-produit » à deux sociétés. Elle s’aligne sur la solution retenue par la Cour de cassation en comparant uniquement la valeur des ventes en relation avec l’infraction avec le chiffre d’affaires du groupe. Dans les deux cas, la valeur des ventes de produits en relation avec l’infraction étant faible par rapport au chiffre d’affaires de l’entreprise sanctionnée, la cour d’appel refuse la qualité d’entreprise « mono-produit ».

La décision attaquée est cependant réformée, la cour d’appel reprochant à l’Autorité de la concurrence de ne pas avoir déduit de la valeur des ventes d’une des requérantes les remises de fin d’année pour la distribution en grande surface de bricolage7.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 27 sept. 2018, n° 17/22720.
  • 2.
    CA Paris, 12 déc. 2017, n° 16/09067.
  • 3.
    CA Paris, 12 déc. 2018, n° 16/19853.
  • 4.
    CA Paris, 13 déc. 2018, n° 12/12066.
  • 5.
    CA Paris, 19 déc. 2018, n° 17/00219.
  • 6.
    CA Paris, 19 déc. 2018, n° 16/07213.
  • 7.
    CA Paris, 20 déc. 2018, n° 17/21459.
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