Activité de la cour d’appel de Paris dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles (Mai à juin 2016)

Publié le 29/09/2016

Le présent article porte sur les arrêts rendus par la cour d’appel de Paris en droit de la concurrence, au sens du livre IV du Code de commerce, au cours de la période de mai à juin 2016. La cour s’est en particulier penchée sur les questions suivantes : clauses d’exclusivité dans le secteur de la vente événementielle en ligne (I) ; différenciation tarifaire abusive (II) ; bénéfice de l’exemption par catégorie résultant du règlement 2790/1999 (III) ; présomption d’exercice d’une influence déterminante (IV) ; sanction de la fausse coopération commerciale (V).

I – Clauses d’exclusivité dans le secteur de la vente événementielle en ligne

À l’origine de cette affaire, la société Brandalley a saisi l’Autorité de la concurrence de pratiques mises en œuvre par la société ventesprivees.com qu’elle jugeait contraires à l’article L. 420-2 du Code de commerce. Elle soutenait que cette société abusait de la position dominante qu’elle détenait sur le marché de la « vente événementielle privée sur internet » en imposant aux grandes marques qu’elle distribue une clause d’exclusivité leur interdisant de commercialiser leurs stocks d’invendus auprès d’autres sites internet concurrents.

Une notification de griefs a été adressée à la société ventesprivees.com pour avoir, depuis 2005, « abusé de sa position dominante sur le marché français de la vente événementielle en ligne en contractant avec ses fournisseurs des clauses d’exclusivité et de non-concurrence leur interdisant, pour une durée injustifiée, de passer par un site de vente événementielle en ligne concurrent ».

Cependant, par décision n° 14-D-18 du 28 novembre 2014, l’Autorité a considéré, d’une part, que l’existence d’un marché de la vente événementielle en ligne, tel que défini dans la notification de griefs et pour la période 2005-2011 n’était pas établie et, d’autre part, qu’il n’était « plus concevable, à ce jour, d’analyser la substituabilité du côté de la demande pour la période visée par le grief notifié », dans la mesure où « la perception contemporaine qu’ont les acteurs du marché sur les possibilités de substitution qui leur étaient offertes ou qu’ils considéraient comme telles il y a près d’une décennie ne pourrait être considérée aujourd’hui comme suffisamment fiable ». En conséquence, elle a décidé qu’il n’y avait pas lieu de poursuivre la procédure.

La cour approuve cette solution et rejette donc l’ensemble des moyens soulevés par les requérantes.

A – Sur le moyen tiré de la violation de l’article R. 463-7 du Code de commerce

Les requérantes ont d’abord soutenu que l’Autorité aurait dû non pas mettre fin à la procédure, mais renvoyer l’affaire à l’instruction, et qu’en s’abstenant de le faire, elle a violé les dispositions de l’article R. 463-7 du Code de commerce. Le moyen précisait notamment que lorsque, comme en l’espèce, l’Autorité estime que l’instruction qui a été menée est incomplète ou insuffisante, elle doit renvoyer l’affaire à l’instruction. Cette interprétation est cependant démentie par la lettre même des dispositions en cause, lesquelles prévoient que « lorsqu’elle estime que l’instruction est incomplète, l’Autorité de la concurrence peut décider de renvoyer l’affaire en tout ou partie à l’instruction (…) » ; il en ressort sans équivoque, selon la cour, que le renvoi à l’instruction n’est nullement une obligation pour l’Autorité, mais une faculté qu’elle est libre d’exercer au vu des éléments du dossier.

B – Sur le manquement à l’obligation de définir le marché pertinent

Les requérantes ont également fait valoir que l’application des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 TFUE suppose, avant de porter une appréciation sur les pratiques litigieuses, de définir le marché pertinent afin de déterminer si l’entreprise en cause y occupe une position dominante. Consacrée de façon constante par la pratique décisionnelle des autorités de concurrence et par la jurisprudence communautaire et interne, cette définition préalable du marché pertinent constitue « le point de départ de l’examen à conduire » en vue de la qualification d’une pratique anticoncurrentielle.

Il a été soutenu qu’en l’espèce, l’Autorité n’a pas procédé à cette définition du marché pertinent, en violation de l’obligation qui lui incombait. Mais, selon la cour, cette critique n’apparaît pas fondée puisqu’il ressort au contraire de la décision déférée que l’Autorité s’est attachée à définir le marché pertinent, au vu des éléments du dossier et, en particulier, de ceux réunis dans la notification de griefs et dans le rapport. Au terme d’un libre examen de ces éléments, l’Autorité est parvenue à une conclusion contraire à celle de ses services, en considérant que ces éléments ne rapportaient pas la preuve de l’existence d’un marché pertinent de la vente événementielle en ligne.

C – Sur l’existence d’un marché pertinent de la vente événementielle en ligne

S’agissant de l’existence d’un marché pertinent de la vente événementielle en ligne, que les requérantes considéraient comme établie, l’analyse de la cour, qui partage le point de vue contraire de l’Autorité, s’articule en plusieurs points.

En premier lieu, la cour estime que l’Autorité n’a nullement confondu « pression concurrentielle » et « substituabilité » ; elle a au contraire clairement séparé ces deux notions dans son analyse, la recherche d’éventuelles pressions concurrentielles ayant en l’espèce pour objet d’apprécier, à titre surabondant, la substituabilité des produits en cause pour délimiter le marché pertinent.

En deuxième lieu, contrairement à ce qui était soutenu, dans la décision n° 09-D-06 du 5 février 2009 relative au secteur de la vente de voyages en ligne, l’Autorité de la concurrence a relevé que dans ce secteur, « la Commission européenne ne semble pas disposée à reconnaître l’existence d’un marché des services d’agence de voyages en ligne qui serait distinct du marché des services d’agence de voyages traditionnelle » et qu’à l’inverse, la Commission a « refusé de reconnaître l’existence d’un marché des services d’agence de voyages en ligne » et a estimé que « les services d’agence de voyages en ligne étaient substituables à ceux offerts par les agences traditionnelles ».

En troisième lieu, la cour rejette les arguments par lesquels les requérantes contestaient l’analyse de l’Autorité qui a considéré que la délimitation d’un marché pertinent de la vente événementielle en ligne, tel que défini par ses services, ne reposait pas sur des éléments probants.

Et la cour de conclure que c’est à juste titre que l’Autorité a considéré que le « faisceau d’indices » fondant l’analyse des requérantes, au terme de laquelle elles ont conclu à l’existence d’un marché pertinent de la vente événementielle en ligne, n’était pas établi.

D – Sur la demande subsidiaire de renvoi à l’Autorité pour instruction complémentaire

Enfin, la cour rejette un moyen par lequel il lui était demandé de renvoyer le dossier à l’Autorité pour qu’une instruction complémentaire soit menée afin de déterminer si, au cours de la période allant de 2005 à 2011, compte tenu des possibilités de substitution notamment du côté de la demande, il existait un marché pertinent de la vente événementielle en ligne.

Selon elle, l’Autorité a justement relevé dans sa décision les circonstances qui rendraient cette recherche vaine. C’est ainsi qu’elle a souligné que le secteur du déstockage de produits invendus avait connu une très forte évolution, marquée, en particulier, par l’essor des sites d’e-commerce proposant une offre de déstockage. Cette évolution était illustrée par des données quantitatives dont il ressort que de 2005 à 2011 ont été créées plus d’une centaine de sociétés proposant des ventes événementielles de stocks d’invendus sur internet, et intervenant soit exclusivement en ligne, soit par adossement à des entreprises spécialisées dans le déstockage physique. L’Autorité a également souligné, sur le plan qualitatif, les importantes évolutions technologiques du secteur qui ont, elles aussi, impacté les comportements d’achat des consommateurs.

La cour ajoute qu’il résulte des mutations qu’a connues le secteur qu’il ne serait plus possible d’identifier et de porter une appréciation rétrospective sur des comportements passés, et aujourd’hui différents, des consommateurs. C’est donc à juste titre que l’Autorité a constaté qu’en l’espèce l’analyse de la substituabilité du côté de la demande – indispensable à la détermination du marché pertinent – n’était, dès la date de la décision déférée, « plus concevable »1.

II – Différenciation tarifaire abusive

La cour confirme, pour l’essentiel, la décision par laquelle l’Autorité a condamné la société Orange France et la société SFR pour avoir abusé de la position dominante que chacune d’elle détient sur leurs marchés de terminaison d’appel respectifs en mettant en œuvre, à partir d’avril 2005, une différenciation tarifaire abusive entre les appels « on net » (passés sur leur propre réseau) et les appels « off net » (à destination d’un réseau concurrent).

Ce faisant, la cour considère notamment que c’est à juste titre et sans déloyauté à l’égard des parties, que l’Autorité a examiné les effets de la différenciation tarifaire. Sur ce point, le fait que les rapporteurs aient, dans un premier temps, seulement notifié un grief de ciseau tarifaire ne saurait empêcher l’Autorité d’examiner la pratique en cause sous une autre qualification et au regard d’autres effets potentiels que ceux auxquels les rapporteurs s’étaient arrêtés.

Est également rejeté un argument qui soutenait que la condition de comparabilité ou d’équivalence des prestations, nécessaires à l’appréciation d’une éventuelle différenciation tarifaire, fait défaut en l’espèce dès lors que les appels on net et off net ne sont pas comparables. La cour relève à cet égard que la condition de comparabilité ne requiert pas que les offres soient identiques, mais seulement qu’elles soient établies sur des éléments qui puissent être mesurés les uns par rapport aux autres. Au demeurant, l’appel d’un correspondant est pour le consommateur, auquel les offres de prix sont destinées, un service identique quels que soient les réseaux auquel ce correspondant est abonné.

La cour fait cependant droit à un moyen de SFR tiré de l’imprévisibilité du caractère infractionnel des pratiques en cause. L’entreprise soutenait que les pratiques qui lui étaient reprochées étaient différentes de celles qui avaient jusqu’alors donné lieu à des sanctions prononcées sur le terrain de la différenciation tarifaire et qu’elle ne pouvait, en conséquence, prévoir qu’elles seraient considérées comme contraires au droit de la concurrence. Elle faisait valoir que dès lors, le caractère inédit de la décision dont elle était l’objet et le doute légitime qu’elle pouvait avoir sur la nature infractionnelle des pratiques en cause devaient conduire à ne prononcer contre elle qu’une sanction symbolique.

Pour sa part, l’Autorité soutenait que l’argument développé par la requérante manquait en fait puisque la présente affaire n’était pas sans précédent dès lors que des pratiques de différenciation tarifaire abusives de même nature, mises en œuvre dans le secteur de la téléphonie mobile, avaient déjà été sanctionnées à plusieurs reprises. C’est ainsi qu’elle faisait valoir qu’il résultait de plusieurs décisions rendues depuis 2002 qu’une pratique de différenciation tarifaire entre appels on net et appels off net était susceptible de constituer un abus de position dominante. Elle citait à cet égard les décisions du Conseil de la concurrence n° 02-D-69 du 26 novembre 2002 (relative aux saisines et aux demandes de mesures conservatoires présentées notamment par la société Bouygues Télécom) et n° 04-MC-02 du 9 décembre 2004 (relative à une demande de mesures conservatoires présentées par la société Bouygues Télécom Caraïbes à l’encontre de pratiques mises en œuvre par les sociétés Orange Caraïbes et France Télécom), cette dernière décision ayant été confirmée par un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 28 janvier 2005.

La cour est sensible à l’argumentation développée par SFR. Pour elle, les précédents invoqués par l’Autorité portaient sur des pratiques consistant en des différenciations tarifaires faciales et explicites entre appels on net et off net et que tel n’était pas le cas dans la présente affaire. Les offres commercialisées par Orange et SFR, en effet, se présentaient toutes sous la forme d’un forfait unique et global, sans valorisation individuelle de leurs diverses composantes ni affichage d’un prix, et sans emporter, hors plages d’abondance, de différence entre les appels on net et les appels off net, qui tous s’imputaient également et dans les mêmes conditions sur le forfait.

Certes, la cour estime que ce constat ne saurait conduire à ramener à un montant symbolique les sanctions pécuniaires prononcées. En effet, la complexité du test de différenciation tarifaire mis en œuvre, pas plus que le caractère à certains égards inédit de l’application de la qualification d’abus de position dominante aux faits en cause, ne fait disparaître en aucune manière, ni même n’atténue, la contrariété au droit de la concurrence des pratiques reprochées à Orange et SFR, avec les conséquences qui s’y attachent en ce qui concerne la responsabilité de ces opérateurs. Cependant, la cour juge qu’il y a lieu de considérer ces circonstances et leurs effets en termes de prévisibilité pour les opérateurs, comme étant, au cas d’espèce, de nature à diminuer les montants des sanctions pécuniaires prononcées, dans une proportion qu’elle fixe à 20 %. Ce montant est donc ramené à 93 935 200 euros, pour la société Orange, et à 52 566 400 euros pour la société SFR2.

III – Bénéfice de l’exemption par catégorie résultant du règlement 2790/1999

La cour était saisie dans le cadre d’un litige opposant la société Coty France, qui commercialise des produits cosmétiques et de parfumerie de luxe via un réseau de distribution sélective, à l’éditeur d’un site internet sur lequel étaient commercialisés certains des parfums distribués par Coty France.

Le tribunal de commerce de Paris avait jugé que le réseau de distribution sélective était licite et avait condamné l’éditeur du site internet (ainsi que le groupe France Télévisions, à qui il était reproché d’avoir fait la promotion du site).

Le groupe France Télévisions a fait appel du jugement. Bien lui en a pris puisque la cour d’appel de Paris infirme le jugement et déboute la société Coty France de ses demandes.

La cour estime en effet que la société Coty France n’a pas apporté la preuve de la licéité du réseau de distribution sélective. Elle relève notamment la présence de dispositions restrictives « clauses noires » qui empêchent l’accord de distribution de bénéficier de l’exemption par catégorie résultant du règlement 2790/1999 du 22 décembre 1999. À cet égard, elle observe que :

  • le point 3.4.2 du contrat en ce qu’il prévoit expressément la possibilité de vendre aux membres des comités d’entreprises ou des collectivités dès lors qu’ils se déplacent individuellement en tant que consommateurs directs dans les magasins pour effectuer les achats, exclut par cette disposition la vente aux agents d’achats (comités d’entreprise, collectivités) agissant pour le compte des utilisateurs finals, ce qui est une restriction caractérisée prévue par l’article 4c) du règlement ;

  • le point 3.4.3 édicte une interdiction de vendre à des revendeurs non agréés ; si cette disposition est licite en ce qu’elle a pour objectif de protéger le réseau et d’en assurer l’étanchéité, en revanche, selon la cour, elle révèle son caractère restrictif prohibé lorsque le marché sur lequel évolue le distributeur non agréé n’est pas organisé en réseau de distribution sélective ; en l’espèce, Coty ne justifie pas que le système de distribution sélective couvre tous les territoires ; la clause crée donc une restriction illicite à la concurrence au sens de l’article 4b) ;

  • le point 3.4.3.3 interdit au distributeur agréé de réaliser une vente active d’un nouveau produit contractuel vers un État membre de l’Union européenne où la société Coty France ou une société du même groupe ne l’aurait pas mis en vente, pendant un délai d’un an à compter de la date du premier lancement du produit dans un État membre ; pour la cour, cette clause restreint le territoire sur lequel l’acheteur peut vendre les biens contractuels, les ventes actives aux utilisateurs finaux et constitue donc une restriction caractérisée au sens de l’article 4.b), 4.c) et 4.d)3.

IV – Présomption d’exercice d’une influence déterminante

On se souvient que, par décision du 18 novembre 2014, l’Autorité a condamné trois entreprises de déménagement qui se sont entendues pour produire des devis de complaisance. Ce faisant, elle a infligé une amende de 142 600 euros à la société AGS Martinique et de 158 450 euros à la société Mobilitas, dont 142 600 euros solidairement avec sa filiale AGS Martinique.

Devant la cour, la société Mobilitas a demandé la réformation de la décision en faisant valoir qu’elle a pleinement justifié de l’autonomie économique de sa filiale, en apportant des éléments de preuve susceptible de démontrer qu’elle n’a pas exercé une influence déterminante sur elle.

La cour rappelle à cet égard la jurisprudence constante selon laquelle « dans le cas particulier où une société mère détient la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale ayant commis une infraction aux règles de concurrence de l’Union, il existe une présomption réfragable selon laquelle cette société mère exerce effectivement une influence déterminante sur sa filiale », eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques. L’Autorité est dès lors en mesure de considérer la société mère comme tenue solidairement au paiement de l’amende infligée à sa filiale, à moins que cette société mère, à laquelle il incombe de renverser la présomption, n’apporte des éléments de preuve suffisants de nature à démontrer que sa filiale se comporte de façon autonome sur le marché.

En l’espèce, la cour approuve l’Autorité d’avoir considéré que la requérante n’est pas parvenue à renverser la présomption. Elle rappelle à cet égard que (i) le fait qu’une filiale dispose d’une personnalité juridique distincte ne suffit pas à écarter la possibilité qu’elle constitue une seule entreprise avec sa société mère ; (ii) le fait que l’entité détenant la totalité ou la quasi-totalité du capital d’une autre entité ou contrôlant la totalité ou la quasi-totalité des parts sociales de cette autre entité soit constituée sous la forme juridique d’une holding purement financière ou d’une fondation plutôt que d’une société n’est pas pertinent, toutes ces sociétés ou entités faîtières ayant le même intérêt économique à l’activité concrètement exercée par leurs filiales respectivement sur le marché ; (iii) la seule absence d’adoption de décisions de gestion de la filiale par cette entité dans le respect des exigences de forme prévues par le droit des sociétés ne saurait suffire à démontrer l’autonomie de la filiale ; (iv) la non-immixtion de la holding dans les activités de la filiale ne saurait renverser une présomption qui n’est pas fondée sur les relations d’instigation, mais sur l’existence d’une entreprise unique. Dès lors, la requérante ne saurait, pour renverser la présomption, se prévaloir de la diversité des activités exercées, de la configuration du groupe et l’éloignement géographique qui lui interdirait en fait de pouvoir déterminer ou influencer le comportement ou la politique commerciale de ses filiales ; (v) le recrutement autonome du personnel de la filiale et sa non-intervention sur le marché sur lequel opère la filiale ne sauraient renverser la présomption.

La cour souligne par ailleurs que le fait, pour la société Mobilitas, d’avoir contesté les griefs, contrairement à sa filiale, qui a choisi la voie procédurale de non-contestation des griefs ne saurait davantage démontrer l’autonomie de la filiale. En effet, pour une entreprise composée comme en l’espèce de deux sociétés, ne pas se présenter comme un seul interlocuteur, tant au cours de la procédure administrative qu’au stade contentieux, ne permet pas de conclure que la filiale concernée est autonome par rapport à sa ou ses sociétés mères, les choix procéduraux relevant de chaque personne morale.

La requérante s’est par ailleurs prévalue de la jurisprudence récente pour demander à bénéficier de la réduction de sanction de 10 % octroyée à sa filiale pour s’être abstenue de contester les griefs alors qu’elle-même n’avait pas fait ce choix procédural.

De fait, la société Mobilitas se référait à la Cour de l’Union qui a dit pour droit que « dans la situation où la responsabilité de la société mère est purement dérivée de celle de sa filiale et dans laquelle aucun autre facteur ne caractérise individuellement le comportement reproché à la société mère, la responsabilité de cette société mère ne saurait excéder celle de sa filiale »4. S’appuyant sur cette jurisprudence, la requérante prétendait que le choix de contester l’imputabilité des griefs et de tenter ainsi de renverser la présomption ne saurait constituer ce « facteur » individuel, de nature à permettre de lui infliger une sanction supérieure à celle de sa filiale.

La cour d’appel rejette l’argument en rappelant que « des circonstances propres à la situation de la société mère ou de la filiale pourraient mener à des montants différenciés, comme dans le cas de la prise en compte de la circonstance aggravante de récidive retenue à l’encontre d’une société mère et non de sa filiale »5.

À titre d’illustration, elle observe que ces circonstances propres à chacune, de nature à justifier des sanctions différentes, sont par exemple la situation de réitération de chacune d’entre elles ou encore, comme en l’espèce, les choix procéduraux de chacune d’elle, telle la décision de ne pas contester les griefs, qui incombe à chaque personne morale composant l’entreprise. En cas de pluralité de sociétés ayant participé à une même infraction, cette décision relève de chacune d’entre elles et ne saurait bénéficier aux autres « co-auteurs » des même pratiques.

Au cas d’espèce, la cour précise que c’est en toute connaissance de cause que la société Mobilitas a contesté l’imputabilité à la société-mère des pratiques réalisées par sa filiale. Elle ne pouvait ignorer que cette contestation équivalait à contester le grief, caractérisé par les pratiques, leur qualification et leur imputabilité et, par voie de conséquence, à lui faire perdre le bénéfice de cette procédure. La circonstance que le choix de contester ait conduit à lui octroyer une amende plus lourde que celle de sa filiale ne saurait en soi constituer une atteinte à ses droits de la défense, puisqu’elle encourt, en définitive, le montant qu’elle pouvait raisonnablement prévoir, selon les modalités de calcul résultant des lignes directrices de l’Autorité6.

V – Sanction de la fausse coopération commerciale

Deux affaires mettant en cause des pratiques de fausse coopération commerciale retiendront l’attention.

A – Service TAC de la société Système U Centrale Nationale

La première affaire concerne un service de coopération négocié par la société Système U Centrale Nationale et quatre de ses fournisseurs, Nestlé, Danone, Yoplait et Lavazza, le service TAC.

La cour a confirmé un jugement du tribunal de commerce de Créteil qui, saisi sur le fondement de l’article L. 442-6, III, du Code de commerce par le ministre de l’Économie, avait dit que la société Système U Centrale Nationale a obtenu des quatre fournisseurs, au cours des années 2002 et 2003, en violation des dispositions de l’article L. 442-6, I, 2° a), devenu L. 442-6, I, 1° du Code de commerce, des avantages ne correspondant à aucun service commercial spécifique rendu à ces fournisseurs et avait en conséquence prononcé la nullité des contrats en cause, ordonné le remboursement au Trésor public de la somme de 76 871 390 euros, à charge pour celui-ci de la reverser auxdits fournisseurs, et condamné la société Système U Centrale Nationale à une amende civile de 100 000 euros.

Ce faisant, la cour a d’abord considéré que le ministre s’était conformé à l’exigence d’information des fournisseurs imposée par la décision du Conseil constitutionnel du 13 mai 2011. Elle rappelle à cet égard que la réserve d’interprétation posée par le Conseil constitutionnel n’imposait pas l’information des fournisseurs préalablement à l’introduction de l’action7

S’agissant de la charge de la preuve, la société Système U a fait valoir que les faits étant antérieurs à la loi dite Dutreil du 2 août 2005, il appartenait au ministre de rapporter la preuve que le service rendu avait un caractère fictif. La cour estime cependant que l’article L. 442-6, III, alinéa 2 in fine qui, dans sa rédaction issue de la loi du 2 août 2005, précise qu’« il appartient au prestataire de services (…) qui se prétend libéré de justifier du fait qui produit l’extinction de son obligation », s’applique à la présente procédure. Il appartenait donc à la société Système U de rapporter la preuve qu’elle avait réalisé effectivement les services dont elle demandait le paiement, et elle ne pouvait prétendre que la charge en incombe au ministre.

La cour énonce également que le service qui donne lieu à rémunération dans le cadre d’une convention de coopération commerciale doit être spécifique en ce qu’il donne droit à un avantage particulier au fournisseur en stimulant, facilitant la revente par celui-ci de ses produits, que ce service doit par conséquent aller au-delà des simples obligations résultant d’achats et de vente.

Or, elle constate que le service en cause en l’espèce « ne correspond à rien et (…) est par conséquent fictif ; que la centrale Système U ne peut demander aux fournisseurs de payer un service qu’ils fournissent eux-mêmes ».

Rejetant ensuite les arguments invoqués par Système U pour justifier la perception des rémunérations en cause, la cour observe d’abord que les attestations remises par Système U émanant des fournisseurs concernés par cette procédure, le paiement sans réserve qu’ils ont pu faire pour le « service rendu » ne peuvent utilement contredire ces constatations que le service ne correspond à rien. La cour répond également à Système U qui relevait que ces fournisseurs sont des multinationales ayant les moyens juridiques et financiers de résister à conclure des contrats qui ne correspondraient à aucune prestation de la part de Système U. Pour elle, les attestations de ces fournisseurs n’apparaissent pas spontanées, ayant été manifestement obtenues après des réunions et discussions avec le mandataire ad hoc désigné par le président du tribunal de commerce. Et la cour d’ajouter que même si Système U a une part de marché relativement peu importante, les sociétés Danone, Yoplait, Nestlé et Lavazza ne peuvent courir le risque de voir leurs produits déréférencés par cette centrale nationale.

Pour finir, la cour conclut que le service TAC est fictif, que Système U ne peut exiger rémunération pour un service qu’elle n’a pas donné sans violation des dispositions de l’article L. 442-6, I, 1° du Code de commerce8.

B – Services de coopération commerciale rendus par la société Eurauchan

La deuxième affaire de fausse coopération commerciale concerne la société Eurauchan.

Statuant sur renvoi après cassation dans le cadre d’un litige opposant le distributeur Eurauchan à la société Les Jambons du Cotentin, la cour a accueilli l’action en répétition de l’indu introduite par celle-ci, qui reprochait une fausse coopération commerciale au distributeur.

Ce faisant, elle a énoncé qu’il incombe au distributeur de justifier la spécificité des services rendus au titre de la coopération commerciale. Or, en l’espèce, le libellé des services est large et non défini dans leur étendue et dans leur périodicité. Pour la cour, il ne peut être considéré qu’un service de paiement centralisé ou de diffusion des assortiments dans les enseignes permet de valoriser les produits auprès des consommateurs et peut être qualifié de service de coopération commerciale.

Le distributeur doit également démontrer la réalité de ces services. Or, en l’espèce, aucune date de réalisation des prestations de coopération commerciale n’est mentionnée sur les factures transmises alors même qu’il s’agit d’un élément obligatoire permettant de démontrer la réalisation effective de ces prestations.

La cour estime par ailleurs que la rémunération des services revêt un caractère disproportionné, n’est pas facturée à sa juste valeur, et n’est pas justifiée.

La demande en répétition de l’indu est donc justifiée, et les sommes indûment versées par Les Jambons du Cotentin devront être restituées à hauteur de 797 795 euros9.

Notes de bas de pages

  • 1.
    CA Paris, 12 mai 2016, n° 15/00301, Sté Brandalley.
  • 2.
    CA Paris, 19 mai 2016, n° 13/01006, Sté Orange.
  • 3.
    CA Paris, 25 mai 2016, n° 14/03918, SA France Télévisions ; dans la même ligne, on notera aussi l'arrêt du 29 juin 2016 (CA Paris, 29 juin 2016, n° 14/00335) par lequel la cour a débouté la société Coty France de toutes ses demandes tendant notamment à juger licite le réseau de distribution sélective de Coty France et à dire que la vente des produits du réseau par la société Brandalley France par le biais de son site internet était constitutive de concurrence déloyale, de publicité trompeuse et de parasitisme.
  • 4.
    CJUE, 17 sept. 2015, n° C-597/13, Total SA.
  • 5.
    TUE, 29 févr. 2016, n° T-264/12.
  • 6.
    CA Paris, 19 mai 2016, n° 14/25803, Sté Mobilitas.
  • 7.
    V. aussi en ce sens, CA Poitiers, 29 janv. 2013 – CA Paris, 1er juill. 2015, n° 13/19251, Min. Économie c/ GALEC : AJCA 2015, p. 435, obs. Chagny M.
  • 8.
    CA Paris, 29 juin 2016, n° 14/09786, SA Système U Centrale Nationale c/ Min. Économie.
  • 9.
    CA Paris, 29 juin 2016, n° 14/02306, E. Giraudeau et a. c/ SAS Eurauchan.
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