Activité de la Cour de cassation et du Conseil d’État en droit de la concurrence (avril – juin 2021)

Publié le 06/10/2021

La présente étude porte sur les arrêts rendus par la Cour de cassation et le Conseil d’État en droit de la concurrence. Plusieurs domaines sont théoriquement concernés. La haute juridiction judiciaire se prononce d’abord sur les arrêts que la cour d’appel de Paris rend lorsqu’elle est saisie d’un recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence ; elle est également saisie des pourvois en matière de « transparence », « pratiques restrictives de concurrence » et « autres pratiques prohibées », au sens du titre IV du livre IV du Code de commerce ; elle est aussi compétente en matière de visite et de saisies opérées sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce ; enfin, elle se prononce sur les décisions rendues dans le cadre de litiges entre opérateurs économiques. Quant au Conseil d’État, il suffit, pour mesurer l’étendue de sa compétence, de rappeler que le droit de la concurrence fait partie intégrante du bloc de la légalité administrative. L’étude porte sur la période d’avril à juin 2021.

Les décisions suivantes ont plus particulièrement retenu l’attention : rejet pour incompétence d’un recours contre une décision de transmission d’une opération de concentration à la Commission sur le fondement de l’article 22 (I) ; confirmation pour l’essentiel d’un arrêt de la cour d’appel de Paris concernant une clause de non-concurrence (II) ; rejet du pourvoi de la SNCF dans l’affaire du transport ferroviaire de marchandises (III) ; cassation de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Papeete dans l’affaire dite « du bitumage » (IV) ; validation d’une méthode d’évaluation du préjudice (V).

I – Rejet pour incompétence d’un recours contre une décision de transmission d’une opération de concentration à la Commission sur le fondement de l’article 22

Cette affaire a pour origine la décision du 9 mars 2021 de l’Autorité de la concurrence de transmettre à la Commission européenne une demande d’examen sur le fondement de l’article 22 du règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises1.

L’acquéreur et la cible ont demandé au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative2 d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision du 9 mars 2021. Les requêtes sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître. En effet, la demande, adressée à la Commission européenne, sur le fondement de l’article 22, tendant à l’examen d’une opération de concentration, « n’est pas détachable de la procédure d’examen de cette opération, menée par la Commission sous le contrôle de la [CJUE] ». Dès lors, « quels que soient les effets d’une telle demande pour les entreprises concernées, le juge administratif n’est pas compétent pour connaître d’une contestation dirigée contre cette demande de renvoi »3.

II – Confirmation pour l’essentiel d’un arrêt de la cour d’appel de Paris concernant une clause de non-concurrence

Le présent litige oppose la Fnac et Conforama, appartenant à l’époque des faits au groupe PPP, devenu Kering, à la société Edenred, à propos de la clause de non-concurrence par laquelle la Fnac et Conforama se sont engagées (pour une période de 5 ans, dans le cadre de la cession, le 30 mars 2007, de la société Kadéos au groupe Accor) à ne pas mettre sur le marché français d’autres cartes prépayées ou chèques cadeaux que les Solutions Cadeaux Kadéos.

Les sociétés Fnac et Conforama ayant décidé de mettre en vente leurs propres cartes cadeaux mono-enseigne, en septembre et octobre 2010, la société Accentiv’Kadéos a invoqué une violation de la clause de non-concurrence et fait assigner la Fnac pour qu’il lui soit fait interdiction de poursuivre la distribution de cartes cadeaux mono-enseigne.

La société Kering a réagi en assignant la société Accentiv’Kadéos pour obtenir la levée de la clause de non-concurrence.

Par jugement du 14 mars 2016, le tribunal de commerce de Paris a estimé que Conforama et Fnac ont violé les engagements d’exclusivité du contrat de cession et des contrats de partenariat en éditant une carte mono-enseigne.

Saisie d’un appel des sociétés Conforama et Kering, la cour d’appel de Paris est en revanche parvenue à la conclusion que la clause en cause constituait une entente anticoncurrentielle, contraire aux articles L. 420-1 du Code de commerce et 101, alinéa 1, du TFUE.

Un pourvoi a été formé. Tous les moyens sont rejetés.

Le premier reprochait à l’arrêt attaqué de dire que la clause de non-concurrence constituait une pratique contraire au droit des ententes et de rejeter en conséquence les demandes de condamnation pour violation de cette clause, mais la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir retenu que les sociétés Fnac et Conforama étaient privées de la possibilité d’émettre des cartes-cadeaux mono ou multi-enseignes concurrentes de celles de la société Accentiv’Kadéos. Elle les approuve aussi d’avoir précisé que l’objet de cette obligation de non-concurrence était d’empêcher ces enseignes de concurrencer la société Accentiv’Kadéos pendant 5 ans en exerçant une activité d’émetteurs de titres cadeaux mono et pluri-enseignes et constaté que cette interdiction portait un frein à leur liberté commerciale et les empêchait de satisfaire la demande des consommateurs.

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel avait à bon droit déduit de ses constatations et appréciations que l’obligation de non-concurrence, en ce qui concerne tant l’émission que la distribution des cartes-cadeaux mono-enseigne, constituait une entente anticoncurrentielle contraire aux articles 101, alinéa 1, du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce.

Le deuxième moyen, qui porte sur la notion de restriction accessoire, est également jugé non-fondé. La cour d’appel avait rappelé que cette notion qui conduit à ne pas appliquer les dispositions des articles 101 du TFUE et L. 420-1 du Code de commerce à une situation qui le justifierait, concerne toute disposition directement liée et nécessaire à une opération, dite principale, qui, elle-même, ne constitue pas une restriction de concurrence. Elle avait précisé que l’application de cette notion impose, d’une part, que la restriction en cause soit subordonnée, en importance et par un lien évident, à l’opération principale, d’autre part, qu’elle soit objectivement nécessaire, et, enfin, qu’elle soit proportionnée à sa réalisation.

La cour d’appel s’était également appuyée sur la communication de la Commission relative aux restrictions directement liées et nécessaires à la réalisation des opérations de concentration, qui énonce au point 23 que « (…) les clauses de non-concurrence doivent rester limitées aux produits (y compris leurs versions améliorées ou actualisées et les produits qui les remplacent) et aux services qui constituaient l’activité économique de l’entreprise cédée. (…) La protection contre la concurrence du vendeur sur les marchés de produits ou de services sur lesquels l’entreprise cédée n’était pas active avant la cession n’est pas considérée comme nécessaire ». En l’espèce, la cour d’appel a relevé que l’opération est intervenue à une date à laquelle seule la carte multi-enseignes était commercialisée par la société Kadéos.

L’arrêt rappelle ensuite que la Commission, dans la même communication, précise, au point 19, que « de telles clauses de non-concurrence ne sont cependant justifiées par l’objectif légitime de réalisation de la concentration que dans la mesure où leur durée, leur champ d’application territorial et leur portée matérielle et personnelle n’excèdent pas ce qui est raisonnablement nécessaire à cette fin » et, au point 20, que « ces clauses se justifient pour des périodes n’excédant généralement pas trois ans lorsque la cession de l’entreprise inclut la fidélisation de la clientèle sous la forme à la fois du fonds commercial et du savoir-faire ».

En l’espèce, les juges du fond ont par ailleurs retenu que la société Edenred, sur laquelle reposait la charge de la preuve du caractère proportionné de la clause, n’a tenté aucunement de démontrer que la durée de 5 ans était justifiée par le montant des investissements réalisés pour la cession, ainsi qu’elle le soutenait comme seule explication économique de cette disposition.

Pour la chambre commerciale, par ces énonciations, constatations et appréciations, dont elle a justement déduit que le lien direct avec l’opération de cession n’était pas démontré, dès lors que les cartes mono-enseigne n’existaient pas au moment de la cession, et considéré, dans le cadre de son appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la société Edenred ne démontrait pas, ainsi qu’il lui incombait, que la durée de la clause qui comportait une obligation de non-concurrence et non des obligations d’achats et de livraisons comme invoqué dans le moyen, était proportionnée à la réalisation de l’opération principale, la cour d’appel a pu retenir que la clause de non-concurrence contestée ne pouvait être qualifiée de restriction accessoire.

Le troisième moyen n’a pas eu plus de succès. Il reprochait à la cour d’appel d’avoir refusé le bénéfice de l’exemption par catégorie prévue par le règlement (CE) n° 2790/1999 du 22 décembre 1999, en faveur du fournisseur dont la part de marché ne dépasse pas 30 % du marché pertinent sur lequel il vend les biens ou services contractuels et dont les clauses de non-concurrence contractuelles sont d’une durée au plus égale à 5 ans.

Pour le rejeter, la haute juridiction rappelle que l’article 2, paragraphe 4, du règlement du 22 décembre 1999 dispose que « l’exemption prévue au paragraphe 1 ne s’applique pas aux accords verticaux conclus entre entreprises concurrentes (…) » et que l’article 1er de ce règlement précise que, pour son application, sont des « entreprises concurrentes » des fournisseurs actuels ou potentiels sur le même marché de produits.

Elle observe ensuite qu’après avoir relevé que l’interdiction d’émission de cartes-cadeaux mono ou multi-enseignes s’inscrit dans un cadre de relations horizontales de concurrence, puisque les partenaires intervenaient alors sur un même produit, et que les obligations d’exclusivité relatives à l’acceptation et à la distribution de cartes-cadeaux s’inscrivaient dans une relation verticale, la cour d’appel a retenu que le règlement d’exemption n° 2790/1999 ne s’applique pas à la pratique concernée, qui constitue une entente horizontale renforçant une entente verticale.

Pour la Cour de cassation, ayant ainsi fait ressortir que les obligations instaurées dans le cadre d’un accord vertical étaient conclues entre entreprises concurrentes puisqu’elles étaient fournisseurs actuels ou potentiels sur le même marché de produits, la cour d’appel a exactement retenu que le règlement d’exemption n° 2790/1999 ne s’appliquait pas à l’accord concerné.

Enfin le quatrième moyen est également rejeté. Certes, la chambre commerciale reproche à la cour d’appel de ne pas avoir prononcé l’annulation de la clause litigieuse, en méconnaissance des articles 101, alinéa 2, du TFUE et L. 420-3 du Code de commerce, ce qu’elle aurait dû faire en relevant ce moyen d’office après avoir recueilli les observations des parties.

Elle l’approuve néanmoins d’avoir décidé, d’abord, que les sociétés Fnac et Conforama ne pouvaient être sanctionnées pour ne pas avoir respecté la clause de non-concurrence et, ensuite, que les astreintes ainsi que leur liquidation, prononcées sur le fondement de cette clause, étaient dépourvues de fondement juridique, de sorte que les sommes qu’elles avaient payées en exécution des décisions les prononçant devaient leur être restituées4.

Activité de la Cour de cassation et du Conseil d’État en droit de la concurrence (avril – juin 2021)
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III – Rejet du pourvoi de la SNCF dans l’affaire du transport ferroviaire de marchandises

On se souvient que par la décision n° 12-D-25 du 18 décembre 2012, l’Autorité de la concurrence a condamné la SNCF pour avoir abusé de sa position dominante en pratiquant des prix d’éviction sur le marché du transport ferroviaire de marchandises par train massif.

Saisie sur renvoi après cassation partielle, la cour d’appel de Paris a, par arrêt du 20 décembre 2018, confirmé cette décision.

La SNCF s’est pourvue en cassation en reprochant à la cour d’appel d’avoir refusé de prendre en compte les coûts et les prix des concurrents dans le test des coûts : en s’abstenant en l’espèce de prendre en compte les coûts et les prix des concurrents, tout en constatant l’absence de données fiables permettant de calculer le coût marginal moyen à long terme (CMMLT) ainsi que l’absence au dossier de données suffisantes permettant de savoir si les prix pratiqués par la SNCF au cours de la période 2007-2009 étaient inférieurs ou supérieurs au coût évitable moyen et sans constater qu’il en serait ainsi pour des raisons non objectives, la cour d’appel de Paris aurait violé les articles 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce.

La Cour de cassation répond en premier lieu en observant que, contrairement à ce que soutenait le moyen, la cour d’appel a reconnu la fiabilité des données utilisées, peu important qu’elles n’aient pas été produites par la SNCF dans le but de calculer le CMMLT.

Rappelant ensuite la jurisprudence, elle commence par l’arrêt Akzo dans lequel la CJUE a précisé que, afin d’apprécier la licéité de la politique de prix appliquée par une entreprise dominante, il convient, en principe, de se référer à des critères de prix fondés sur les coûts encourus par l’entreprise dominante elle-même et sur la stratégie de celle-ci5.

La CJUE a par ailleurs précisé que dans certaines circonstances la référence aux coûts des concurrents était préférable. Elle a en effet estimé qu’il ne peut être exclu que les coûts et les prix des concurrents puissent être pertinents dans l’examen de la pratique tarifaire d’une entreprise dominante, ce qui pourrait notamment être le cas lorsque la structure des coûts de l’entreprise dominante n’est pas précisément identifiable pour des raisons objectives, ou lorsque la prestation fournie aux concurrents consiste en la simple exploitation d’une infrastructure dont le coût de production a déjà été amorti, de sorte que l’accès à une telle infrastructure ne représente plus un coût pour l’entreprise dominante économiquement comparable au coût que ses concurrents doivent supporter pour y accéder, ou encore lorsque les conditions de concurrence spécifiques du marché l’exigent en raison, par exemple, de la circonstance que le niveau de coûts de l’entreprise dominante est tributaire précisément de la situation d’avantage compétitif dans laquelle la position dominante place cette entreprise6.

La CJUE a, en outre, précisé dans l’arrêt Deutsche Telekom que l’analyse relative au caractère abusif des pratiques tarifaires d’une entreprise dominante se fait uniquement par référence à ses tarifs et coûts, peu important la circonstance selon laquelle ses concurrents seraient soumis à des conditions légales et matérielles moins contraignantes pour fournir leurs services de télécommunications aux abonnés7.

La chambre commerciale observe ensuite qu’après avoir relevé qu’aucun des exemples d’exception à la référence aux coûts de l’entreprise dominante, conduisant à préférer les coûts des concurrents, n’est transposable à l’espèce, la cour d’appel a retenu d’abord que, dans le cas d’un marché avec dominance, a fortiori d’un ancien monopole d’État, le choix des clients peut être motivé par d’autres paramètres que le prix. Elle a retenu ensuite qu’il ne peut être exclu que des prix qui ne couvriraient pas les coûts pratiqués par l’entreprise dominante, mais qui couvriraient ceux des concurrents plus efficaces, produisent des effets d’éviction, si une telle politique de prix est de nature à priver en tout ou en partie les concurrents du principal moyen dont ils disposent, à savoir la concurrence par les prix, pour pénétrer le marché tenu par une entreprise en position dominante. La cour d’appel a encore retenu que le désavantage, à l’époque des faits, de la SNCF sur ses coûts, du fait de ses obligations réglementaires, ne lui permettait pas de le compenser par une pratique anticoncurrentielle et que la déduction des surcoûts engendrés par cette qualité priverait les nouveaux entrants du principal moyen dont ils disposent pour pénétrer le marché. Elle a ajouté qu’une telle prise en compte nécessiterait d’intégrer dans l’analyse les avantages relevant d’une autre forme de concurrence que la concurrence par les prix.

Pour la haute juridiction, en cet état, « c’est à bon droit que la cour d’appel, par une appréciation concrète de la situation sur le marché du transport par train massif, en a déduit que la position d’opérateur historique, si particulière fût-elle face à des concurrents même soumis à des conditions légales et réglementaires moins contraignantes, ne justifie pas de tenir compte, dans la mise en œuvre du test du concurrent plus efficace, des coûts de ces derniers ».

Le pourvoi reprochait également à la cour d’appel d’avoir fondé la preuve d’une stratégie d’éviction de la SNCF sur une comparaison des prix proposés par celle-ci pour certains contrats avec les coûts qui seraient les siens, tout en constatant par ailleurs que le dossier ne contenait pas de données suffisantes lui permettant de déterminer si les prix pratiqués par la SNCF au cours de la période litigieuse 2007-2009 étaient inférieurs ou supérieurs au coût évitable moyen. La cour d’appel n’aurait donc pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.

La Cour de cassation refuse de faire droit au moyen.

Elle observe qu’après avoir relevé qu’avant la période litigieuse, les pertes de la SNCF étaient durables et que la preuve de contrats non rentables conclus après l’ouverture à la concurrence ne suffit pas à établir la réalité d’une stratégie d’éviction, la cour d’appel a retenu qu’il n’est pas nécessaire de rapporter cette preuve pour l’ensemble des contrats, certains étant stratégiques pour la SNCF et donc, également, pour ses concurrents, et que la pratique de la SNCF d’aligner ses prix sur ceux de ses concurrents afin de rester compétitive n’est pas abusive en tant que telle mais le devient s’il ne s’agit plus de protéger ses intérêts mais de renforcer sa position et d’en abuser. La cour d’appel a ensuite retenu que l’utilisation par la SNCF d’outils de cotation des coûts conduisant à une évaluation notoirement sous-estimée caractérisait un comportement délibéré de la part de cette entreprise.

Selon la Cour de cassation, de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui cherchait à caractériser l’intention de l’entreprise dominante d’éliminer la concurrence a pu déduire que le fait pour une entreprise en position dominante de proposer des prix de 15 à 30 % inférieurs à ses coûts pour remporter les contrats les plus importants, ceux-là mêmes qui permettaient aux nouveaux entrants sur le marché de se développer, sans avoir égard à la rentabilité de l’opération, s’analyse comme une politique visant à protéger une position dominante8.

IV – Cassation de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Papeete dans l’affaire dite du bitumage

À l’origine de la présente affaire, le juge des libertés et de la détention du tribunal de première instance de Papeete, saisi par le rapporteur général de l’Autorité polynésienne de la concurrence, a autorisé celui-ci à procéder à des opérations de visite et saisies dans les locaux de plusieurs sociétés afin de rechercher la preuve d’agissements entrant dans le champ des pratiques prohibées par l’article LP. 200-1 du Code de la concurrence de Polynésie française, susceptibles d’avoir été commis dans le secteur des travaux routiers de bitumage.

A – Contentieux de l’autorisation

La société J.L. Polynésie, qui a fait l’objet d’une visite domiciliaire en vertu de cette autorisation, a relevé appel de la décision. Le rapporteur général s’est ensuite pourvu en cassation, reprochant à l’ordonnance attaquée n° 3 du 4 décembre 2019 du premier président de la cour d’appel de Papeete d’avoir dit bien-fondé le recours formé par la société J.L. Polynésie.

Pour annuler l’ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisies, l’ordonnance attaquée a relevé que le juge des libertés et de la détention (JLD) a énoncé que certaines annexes n’ont pas été jointes à la requête de l’Administration dans leur version originale, ces annexes ayant fait l’objet d’une occultation partielle afin de préserver toute information sensible.

Le JLD s’est ainsi appuyé, concernant l’annexe 39 et l’indice qu’il constitue à ses yeux, sur des éléments chiffrés qui ont été soustraits au débat contradictoire devant s’instaurer a posteriori devant le premier président et que la société appelante s’est dès lors trouvée dans l’incapacité de discuter. Pour le premier président, si la protection du secret des affaires peut justifier la présentation au JLD de documents en partie expurgés, et qui seront ultérieurement soumis comme tels à l’examen contradictoire, encore faut-il que ces documents laissent subsister suffisamment d’éléments pour que le magistrat ait pu y trouver la justification d’une présomption de pratiques anticoncurrentielles, ce qui n’est pas le cas de l’annexe 39 de la requête, dès lors que c’est la teneur même de l’indice telle qu’analysée dans son ordonnance par le JLD qui est entièrement occultée.

Le premier président a conclu qu’il doit par principe contrôler que le JLD a vérifié l’existence d’indices sur la seule base des éléments qui seront ensuite soumis au débat contradictoire, et qu’en l’espèce, force est de constater que l’annexe 39 ne remplit nullement cette condition, alors que c’est précisément sur ce document que le premier juge s’est fondé pour estimer qu’il existerait une présomption de pratiques anticoncurrentielles dans le déroulement de la procédure d’appel d’offres afférente au marché de travaux publics de revêtement des chaussées de l’île de Moorea de 2015.

Pour la chambre commerciale, en se déterminant ainsi, sans examiner lui-même si des indices de pratiques anticoncurrentielles résultaient des pièces qu’il estimait avoir été régulièrement produites devant lui et qui pouvaient être soumises au débat contradictoire entre les parties, le premier président a méconnu l’article 346 du Code de procédure civile de la Polynésie française dont il résulte que le premier président qui annule l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant des opérations de visite et saisies doit se prononcer lui-même sur le bien-fondé de la requête de l’Administration9.

B – Contentieux du déroulement des OVS

La société J.L. Polynésie a également exercé un recours qui relève du contentieux du déroulement des opérations de visite et de saisie. Le premier président de la cour d’appel y a fait droit par une ordonnance n° 2 du 4 décembre 2019. Le rapporteur général a formé un pourvoi qui critiquait l’ordonnance attaquée en ce qu’elle a constaté que, statuant sur l’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant les opérations de visite et de saisies dans les locaux de la société J.L. Polynésie, le premier président avait annulé, outre ladite ordonnance, le procès-verbal de visite et de saisies, a dit que le recours sur le déroulement des opérations de visite et saisies tendant aux mêmes fins d’annulation du procès-verbal et de restitution des pièces était devenu sans objet et a débouté le rapporteur général de sa demande.

Se prononçant dans un deuxième arrêt du 16 juin 2021, la Cour de cassation refuse d’accueillir le pourvoi : la chambre criminelle ayant cassé en toutes ses dispositions l’ordonnance n° 3 du 4 décembre 2019, la décision attaquée, qui en est la suite, est annulée en application de l’article 609 du Code de procédure pénale dont il résulte que la cassation remet la cause et les parties concernées au même état où elles étaient avant la décision annulée, et qui postule l’annulation de tout ce qui a été la suite ou la conséquence des dispositions censurées.

La chambre criminelle renvoie la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Papeete, autrement composée10.

V – Validation d’une méthode d’évaluation du préjudice

Le Conseil d’État a validé une méthode d’évaluation du préjudice résultant des pratiques anticoncurrentielles d’une entreprise lors de la passation, entre 1998 et 2005, de cinq marchés publics de signalisation routière verticale. Il a en effet approuvé la cour administrative d’appel de Nantes de s’être fondée, pour calculer ce préjudice, sur la méthode consistant à comparer les taux de marge de l’entreprise pendant la durée de l’entente et après la fin de celle-ci pour en déduire le surcoût supporté par le département de la Loire-Atlantique sur les marchés litigieux11.

On notera qu’une méthode alternative aurait pu être adoptée. Ainsi, dans un arrêt du 27 mars 2020, le Conseil d’État a approuvé une cour administrative d’appel qui s’est fondée, pour évaluer l’ampleur du préjudice subi par un département au titre du surcoût lié à des pratiques anticoncurrentielles, « sur la comparaison entre les marchés passés pendant l’entente et une estimation des prix qui auraient dû être pratiqués sans cette entente, en prenant notamment en compte la chute des prix postérieure à son démantèlement ainsi que les facteurs exogènes susceptibles d’avoir eu une incidence sur celle-ci »12.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. CE, règl. n° 139/2004, 20 janv. 2004, art. 22 : « Un ou plusieurs États membres peuvent demander à la Commission d'examiner toute concentration, telle que définie à l'article 3, qui n'est pas de dimension communautaire (…), mais qui affecte le commerce entre États membres et menace d'affecter de manière significative la concurrence sur le territoire du ou des États membres qui formulent cette demande (...) ».
  • 2.
    CJA, art. L. 521-1 : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
  • 3.
    CE, 1er avr. 2021, n° 450878 (ord).
  • 4.
    Cass. com., 12 mai 2021, n° 19-12357.
  • 5.
    CJUE, 3 juill. 1991, n° C-62/86, AKZO c/ Commission, pt 74 : Rec. CJUE p. I-3359.
  • 6.
    CJUE, 17 févr. 2011, n° C-52/09, Konkurrensverket contre TeliaSonera Sverige AB : Rec. CJUE.
  • 7.
    CJUE, 14 oct. 2010, n° C-280/08, Deutsche Telekom.
  • 8.
    Cass. com., 9 juin 2021, n° 19-10943.
  • 9.
    Cass. crim., 16 juin 2021, n° 20-80205.
  • 10.
    Cass. crim., 16 juin 2021, n° 20-80204.
  • 11.
    CE, 27 avr. 2021, n° 440348.
  • 12.
    CE, 27 mars 2020, n° 420491.
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