Activité de la Cour de cassation et du Conseil d’État en droit de la concurrence (Janvier à Février 2017)
La présente étude porte sur les arrêts rendus par la Cour de cassation et le Conseil d’État en droit de la concurrence. Plusieurs domaines sont théoriquement concernés. La Cour de cassation se prononce d’abord sur les arrêts que la cour d’appel de Paris rend lorsqu’elle est saisie d’un recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence (ancien Conseil de la concurrence) ; elle est également saisie des arrêts rendus par les cours d’appel en matière de « transparence », « pratiques restrictives de concurrence » et « autres pratiques prohibées », au sens du titre IV du livre IV du Code de commerce ; elle est aussi compétente en matière de visites et de saisies opérées sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce ; enfin, elle se prononce sur les décisions rendues dans le cadre de litiges entre opérateurs économiques. Quant au Conseil d’État, il suffit, pour mesurer l’étendue de sa compétence, de rappeler que le droit de la concurrence fait partie intégrante du bloc de la légalité administrative. L’étude porte sur la période de janvier à février 2017. Les points suivants ont plus particulièrement retenu l’attention : Interruption de la prescription en matière de pratiques anticoncurrentielles (I) ; maximum de la sanction pécuniaire encourue par l’auteur d’un abus de position dominante (II) ; application au prix de la règle relative au « déséquilibre significatif » (III) ; litiges relevant de la rupture brutale de relations commerciales établies (IV) ; contentieux en matière d’aide d’État (V).
I – Interruption de la prescription en matière de pratiques anticoncurrentielles
On se souvient que, par décision n° 13-D-21 du 18 décembre 2013, l’Autorité de la concurrence a condamné les sociétés Schering-Plough, Financière MSD et Merck & Co pour avoir enfreint les dispositions des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, en mettant en œuvre une pratique de dénigrement du médicament générique de la société Arrow, et en octroyant aux pharmaciens d’officine des avantages financiers à caractère fidélisant, sans aucune contrepartie économiquement justifiée, sur le marché français de la Buprénorphine haut dosage (BHD) commercialisée en ville. Par la même décision, l’Autorité a dit établi le fait que ces sociétés, d’une part, et les sociétés Reckitt Benckiser Healthcare (UK) Ltd et Reckitt Benckiser Plc, sa maison-mère (les sociétés Reckitt), d’autre part, avaient enfreint les dispositions des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 TFUE en participant à une entente anticoncurrentielle visant à retarder et dissuader l’entrée des génériques sur le marché en cause.
Les sociétés Reckitt ont formé un recours en annulation en invoquant la prescription des faits qui leur étaient reprochés. Elles ont fait valoir que le délai de prescription a commencé à courir au jour de la cessation des pratiques constitutives de l’entente supposée, soit le 9 décembre 2005, alors que le premier acte d’instruction relatif aux faits de ce grief est intervenu le 23 septembre 2011, soit plus de cinq ans plus tard. Dès lors, selon Reckitt Benckiser, la prescription a été acquise le 10 décembre 2010. Les requérantes ont par ailleurs objecté que les faits objets des mesures d’enquête concernaient seulement la mise en œuvre unilatérale par la société Schering-Plough de l’abus de position dominante visant à limiter l’accès de la société Arrow au marché de la BHD.
La cour d’appel de Paris a rejeté le moyen en rappelant, dans un premier temps, que l’Autorité est, dans le cadre des missions de police économique qui lui sont confiées, saisie in rem de l’ensemble des faits et pratiques affectant le fonctionnement du ou des marchés concernés par la saisine. Il en découle que les actes d’instruction ou de poursuite produisent un effet interruptif de prescription à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées par cet acte, ainsi qu’à l’égard des pratiques qui n’y seraient pas visées mais sont comprises dans le champ de la saisine, ou sont de même nature, ou encore sont connexes.
Le pourvoi des sociétés Reckitt n’a pas eu plus de succès. Celles-ci ont fait grief à la cour d’appel d’avoir rejeté leurs recours alors, selon le moyen, que l’interruption de la prescription pour des faits dont l’Autorité est saisie ne vaut qu’à l’égard des entreprises déjà mises en cause dans la procédure ; en décidant que les actes d’instruction accomplis dans le cadre de la procédure initiée pour abus de position dominante, notamment contre la société Schering-Plough avaient interrompu la prescription à l’égard des sociétés Reckitt, bien qu’elles étaient restées totalement étrangères à cette procédure jusqu’au 9 novembre 2011, date à laquelle l’Autorité leur a adressé pour la première fois une demande d’information, et qu’elles n’ont été informées de leur mise en cause qu’avec la réception de la notification d’un grief le 19 novembre 2012, la cour d’appel aurait violé l’article L. 462-7 du Code de commerce.
Le moyen est rejeté : « Mais attendu qu’un acte tendant à la recherche, la constatation ou la sanction de pratiques anticoncurrentielles, même s’il ne concerne que certaines des entreprises incriminées ou une partie seulement des faits commis pendant la période visée par la saisine, interrompt la prescription à l’égard de toutes les entreprises concernées et pour l’ensemble des faits dénoncés dès lors que ceux-ci présentent entre eux un lien de connexité ; que l’arrêt relève que les pratiques d’abus de position dominante dénoncées par la société Arrow dans sa plainte et les faits d’entente reprochés aux sociétés Reckitt et sanctionnés par l’Autorité, lesquels auraient consisté dans la conclusion d’un accord avec la société Schering-Plough ayant pour objet la mise en œuvre, par cette dernière, des pratiques d’abus de position dominante, poursuivaient un objet commun, celui d’entraver l’accès de la société Arrow au marché de la BHD ; qu’ayant ainsi caractérisé le lien de connexité existant entre ces pratiques, c’est à juste titre que la cour d’appel a retenu que la prescription concernant la pratique d’entente reprochée aux sociétés Reckitt avait été interrompue par les actes d’instruction ou de poursuite relatifs aux pratiques d’abus de position dominante et qu’elle n’était dès lors pas acquise à la date de notification des griefs ni à celle de la décision ».
Notons encore, pour ne plus y revenir, que les demanderesses avaient également soulevé une série de moyens portant sur des questions relatives au champ du grief notifié, à l’accord de volontés et à l’objet anticoncurrentiel des pratiques. Ils ont tous été rejetés.
S’agissant plus particulièrement du champ du grief notifié, les demanderesses ont fait valoir que seul le grief notifié sur lequel la société a pu présenter ses observations pouvait être retenu à son encontre par l’Autorité ; en considérant que l’Autorité avait pu valablement retenir à l’encontre des sociétés Reckitt un grief consistant dans la participation à l’élaboration des pratiques d’abus de position dominante, tout en admettant que celui-ci était différent de celui notifié qui leur reprochait d’avoir participé aux pratiques d’abus elles-mêmes, la cour d’appel qui n’aurait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, aurait violé les articles 6, paragraphe 3, de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et L. 463-2 du Code de commerce.
La Cour de cassation approuve cependant les juges du fond qui, ayant relevé que l’Autorité avait sanctionné les sociétés Reckitt pour avoir participé à l’élaboration des pratiques d’abus de position dominante, tandis que le grief notifié visait la participation aux pratiques d’abus elles-mêmes, ont retenu que cette réduction du champ du grief s’appuie sur les éléments de fait contenus dans la notification de griefs ainsi que dans le rapport du rapporteur, et tient compte des objections et explications apportées par les sociétés Reckitt dans le cadre de leur défense1.
II – Maximum de la sanction pécuniaire encourue par l’auteur d’un abus de position dominante
À l’origine de l’affaire des pratiques mises en œuvre dans le marché de la télétransmission de données fiscales et comptables sous format EDI à l’administration fiscale, l’Autorité de la concurrence a condamné l’ordre des experts-comptables et l’association Expert-comptable media association (ECMA) pour avoir cherché à rendre leur portail de télédéclaration « jedeclare.com » incontournable pour les professionnels comptables et les organismes de gestion agréés.
La cour d’appel de Paris a confirmé la sanction infligée à l’ECMA en rejetant un moyen qui considérait qu’en se référant au plafond de 3 millions d’euros applicable aux contrevenants qui ne sont pas des entreprises, l’Autorité de la concurrence a commis une erreur de droit.
La Cour de cassation rejette le pourvoi dans des termes qui font écho à la décision du Conseil constitutionnel du 7 janvier 2016 qui a jugé que la différence de traitement entre les entreprises et les autres contrevenants ne méconnaît pas le principe d’égalité2 : « Attendu que si toute entité exerçant une activité économique peut, quelle que soit sa forme juridique, faire l’objet d’une sanction fondée sur les articles 102 TFUE et L. 420-2 du Code de commerce, il n’en demeure pas moins que l’article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce institue un plafond de sanctions différent selon que l’entité contrevenante est ou non une entreprise ; qu’en se référant à la notion d’entreprise, le législateur a entendu distinguer les personnes condamnées en fonction de la nature de leurs facultés contributives respectives ; qu’il a ainsi fixé un montant maximum de la sanction pécuniaire, proportionné au montant du chiffre d’affaires pour celles qui sont constituées selon l’un des statuts ou formes juridiques propres à la poursuite d’un but lucratif et fixé en valeur absolue pour les autres contrevenants ; qu’après avoir relevé que l’ECMA était une entité exerçant une activité économique, comme celle soumise aux dispositions de l’article L. 420-2 du Code de commerce qui prohibent l’abus de position dominante, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que cette association, régie par la loi du 1er juillet 1901, n’était pas pour autant une entreprise au sens de l’article L. 464-2, I, alinéa 4, du Code de commerce et qu’elle en a déduit qu’en déterminant la sanction au regard du maximum légal de trois millions d’euros, l’ADLC avait fait l’exacte application de ce texte, qui ne distingue pas selon que le contrevenant, qui n’est pas une entreprise, réalise ou non un chiffre d’affaires »3.
III – Application au prix de la règle relative au « déséquilibre significatif »
La règle relative au « déséquilibre significatif » visée à l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce est applicable au prix convenu entre les parties. Tel est le principal enseignement que l’on tirera de l’arrêt rendu le 25 janvier dernier par la chambre commerciale qui, ce faisant, a confirmé la solution retenue par la cour d’appel de Paris dans l’affaire Le Galec.
Rappelons que la cour d’appel de Paris avait fait droit à une demande du ministre de l’Économie qui reprochait au groupement de distributeurs d’avoir soumis des fournisseurs à des obligations créant un déséquilibre significatif à raison de certaines clauses du contrat-cadre ayant régi leurs relations en 2009 et 2010, relatives au versement d’une ristourne de fin d’année (la RFA) au bénéfice du distributeur. La solution n’était pas a priori évidente. Le groupement Le Galec invoquait notamment la lettre de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce en soutenant que les dispositions de ce texte ne sanctionnent que le fait de soumettre un partenaire commercial à une « obligation » créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Or, était-il soutenu, le simple fait d’obtenir une réduction de prix de la part de son cocontractant ne soumet ce dernier à aucune « obligation » au sens de ces dispositions.
Un deuxième argument s’appuyait sur la décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 du Conseil constitutionnel qui a interprété l’article L. 442-6, I, 2°, en se référant à la notion de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat qui figure dans les dispositions relatives à la protection des consommateurs contre les clauses abusives à savoir l’article L. 132-1, devenu L. 212-1, du Code de la consommation. Or, en vertu de ce texte, l’appréciation du « déséquilibre significatif » ne peut pas porter sur l’adéquation du prix au bien vendu.
Le moyen est rejeté. La Cour de cassation observe d’abord que, « dans les rapports noués entre un fournisseur et un distributeur, le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties s’apprécie au regard de la convention écrite prévue par l’article L. 441-7 du Code de commerce, laquelle précise les obligations auxquelles se sont engagées les parties et fixe, notamment, les conditions de l’opération de vente des produits ou des prestations de services, comprenant les réductions de prix, telles qu’elles résultent de la négociation commerciale qui s’opère dans le respect de l’article L. 441-6 de ce code ». Elle approuve ensuite la cour d’appel qui, ayant constaté que l’annexe 2 des contrats-cadres stipulait que la ristourne litigieuse était prévue au titre des conditions de l’opération de vente, en a déduit que les clauses litigieuses relevaient de l’article L. 442-6, I, 2°, du même code.
S’agissant de la similitude des notions de déséquilibre significatif prévues aux articles L. 132-1 du Code de la consommation et L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, relevée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, la Cour estime qu’« (elle) n’exclut pas qu’il puisse exister entre elles des différences de régime tenant aux objectifs poursuivis par le législateur dans chacun de ces domaines, en particulier quant à la catégorie des personnes qu’il a entendu protéger et à la nature des contrats concernés ».
Deux autres points de l’arrêt de la Cour de cassation retiendront l’attention.
Le principe de la libre négociabilité comporte des limites. Le pourvoi faisait également valoir que la loi LME du 4 août 2008 a instauré le principe de libre négociabilité des tarifs et supprimé l’obligation de justifier toute réduction du prix fournisseur par une contrepartie ; il était soutenu que si l’article L. 441-7 du Code de commerce dispose que la convention écrite conclue entre le fournisseur et le distributeur indique les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale et qu’elle fixe, notamment, les conditions de l’opération de vente, y compris les réductions de prix, il n’en résulte pas pour autant que toute réduction de prix ne puisse intervenir qu’en contrepartie d’une obligation consentie par l’acheteur ; en relevant pourtant, pour juger que la RFA Galec créait un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties aux contrats-cadres, que la loi LME n’avait pas supprimé la nécessité de contrepartie, que la réduction du prix accordée par le fournisseur devait avoir pour cause l’obligation prise par le distributeur à l’égard du fournisseur et qu’en l’espèce, la RFA Galec n’était compensée par aucune obligation réelle, la cour d’appel aurait violé les articles L. 441-6, L. 441-7 et L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce.
La Cour de cassation ne partage pas cette analyse et approuve plutôt la cour d’appel en ce qu’elle a retenu que le principe de la libre négociabilité n’est pas sans limite et que l’absence de contrepartie ou de justification aux obligations prises par les cocontractants, même lorsque ces obligations n’entrent pas dans la catégorie des services de coopération commerciale, peut être sanctionnée au titre de l’article L. 442-6, I, 2°, du Code de commerce, dès lors qu’elle procède d’une soumission ou tentative de soumission et conduit à un déséquilibre significatif.
La répétition des sommes indûment perçues peut s’opérer entre les mains du Trésor public. Le pourvoi critiquait également l’obligation faite au Galec de verser au Trésor public une somme correspondant aux sommes ayant été perçues au titre de la RFA. Il précisait que la partie qui a indûment perçu des sommes de son cocontractant ne peut être condamnée qu’à restituer ces sommes au cocontractant lui-même. Il était en effet soutenu qu’aucune disposition législative ne permet au juge de condamner cette partie à verser au Trésor public des sommes indûment perçues, quand bien même ce dernier serait chargé de restituer les sommes au cocontractant ; en condamnant Le Galec à verser au Trésor public des sommes perçues au titre de la RFA Galec, à charge pour celui-ci de les restituer aux fournisseurs visés dans la liste jointe à l’arrêt, la cour d’appel aurait violé l’article L. 442-6, III, du Code de commerce.
Le moyen est également écarté : « Mais attendu que le ministre chargé de l’Économie a été habilité par le législateur à demander à la juridiction saisie, sur le fondement de l’article L. 442-6, III, du Code de commerce, la répétition de l’indu dans le cadre d’une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence, à charge pour lui d’informer les parties au contrat de l’introduction de son action ; qu’ayant constaté que le ministre avait procédé à cette information et que la restitution des sommes indûment perçues au titre de la RFA s’opérerait entre les mains du Trésor public à charge pour ce dernier de les restituer aux fournisseurs visés dans une liste annexée, la cour d’appel a fait l’exacte application de l’article L. 442-6, III »4.
IV – Litiges relevant de la rupture brutale de relations commerciales établies
A – Application d’une clause attributive de juridiction
En dépit de la nature délictuelle de l’action fondée sur l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce (qui, faut-il le rappeler, interdit la rupture brutale d’une relation commerciale établie), la Cour de cassation a retenu l’application d’une clause attributive de compétence dès lors que le différend découlait de la relation contractuelle liant deux entreprises et qu’elle recouvrait l’ensemble des litiges découlant de la relation contractuelle. C’est ce que l’on retiendra de l’arrêt rendu le 18 janvier dernier par la Cour de cassation dans une affaire opposant un concessionnaire automobile français à son concédant de droit anglais.
Assigné devant le juge français pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, celui-ci a soulevé une exception d’incompétence fondée sur la clause attributive de juridiction aux tribunaux anglais contenue dans le contrat de concession signé entre elles.
À l’appui de son pourvoi, qui reprochait à l’arrêt d’appel d’avoir déclaré incompétente la juridiction française, le concessionnaire a fait valoir que si le contrat de concession organisait, en cas de différend relatif à l’exécution des obligations contractuelles, une procédure de règlement optionnel permettant aux parties de recourir à un tiers expert ou d’intenter une action judiciaire dans les conditions prévues par l’article 26, lequel soumettait le contrat au droit anglais et à la « compétence exclusive des juridictions anglaises », il était expressément prévu, par l’annexe 5 D, alinéa 2, qu’ « en cas de différends relatifs à la résiliation, chaque partie peut recourir aux juridictions étatiques compétentes en vertu de la législation nationale, quand bien même l’expert aurait été saisi et rendu une décision ». Il a précisé qu’en retenant que cette disposition se serait bornée « à renvoyer à la compétence de la juridiction étatique compétente – laquelle se définit, par référence à l’article 26, comme la juridiction anglaise », et qu’elle ne dérogeait « donc en rien à la clause attributive de l’article 26 », la cour d’appel en aurait dénaturé les termes clairs et précis.
Et le concessionnaire d’ajouter qu’en déclarant la clause attributive de compétence prévue par l’article 26 du contrat applicable à la rupture brutale de la relation établie entre les parties, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si cette clause, qui liait indissociablement la compétence du juge anglais et l’application du droit anglais et désignait ainsi un ordre juridique globalement compétent, n’aboutissait pas à faire échec aux dispositions impératives de l’article L. 442-6-I, 5°, qui relèvent de l’ordre public économique, la cour d’appel n’a pas légalement justifié sa décision au regard de ces dispositions.
Le concessionnaire soutenait encore qu’à défaut de viser les différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence, la clause attributive de compétence internationale figurant dans un contrat de distribution n’est pas applicable à une action en responsabilité délictuelle fondée sur la rupture brutale d’une relation commerciale établie ; en déclarant applicable, en l’espèce, la clause attributive de compétence prévue par l’article 26 du contrat, aux motifs que « le rapport de droit en cause » devait « s’entendre des litiges découlant de la relation contractuelle », là où cette clause ne comportait aucune référence aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence, la cour d’appel aurait violé l’article 23 du règlement n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I).
Le pourvoi est rejeté : « Mais attendu qu’ayant relevé que le rapport de droit en cause ne se limitait pas aux obligations contractuelles, la référence de l’article 26 au “présent contrat” ne concernant que le droit applicable, et devait s’entendre des litiges découlant de la relation contractuelle, la cour d’appel, hors toute dénaturation, en a souverainement déduit, des dispositions impératives constitutives de lois de police fussent-elles applicables au fond du litige, que la clause attributive de compétence s’appliquait à la rupture brutale du contrat »5.
B – Exclusion des relations entre une société coopérative et l’un de ses associés du champ d’application de l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce
La Cour de cassation exclut les relations entre une société coopérative et l’un de ses associés du champ d’application de l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce qui interdit la rupture brutale des relations commerciales établies.
En l’espèce, une coopérative d’entreprises de transport routier de marchandises ayant exclu l’un de ses adhérents, celui-ci s’est défendu en assignant la société coopérative pour rupture brutale de leur relation commerciale.
La cour d’appel avait fait droit à cette demande. Selon elle, l’article L. 442-6, I, 5°, est applicable aux relations de la société coopérative et de l’associé. Et de préciser que ce texte s’applique à toute relation commerciale et que la relation en cause, nouée entre deux personnes morales à caractère commercial pour l’exploitation d’un fonds de commerce, est une relation commerciale au sens de l’article L. 442-6, I, 5°.
Elle est censurée au visa de l’article L. 442-6, I, 5°, et de l’article 7 de la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération : « Attendu que les statuts des coopératives fixant aux termes du second de ces textes, les conditions d’adhésion, de retrait et d’exclusion des associés ces textes, les conditions dans lesquelles les liens unissant une société coopérative et un associé peuvent cesser sont régies par les statuts de cette dernière et échappent à l’application du premier de ces textes »6.
C – Applicabilité de l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce aux associations
La Cour de cassation s’est prononcée sur l’applicabilité aux associations de la règle relative à la rupture brutale de relations commerciales établies.
À l’origine du litige, le Groupement de prévoyance des armées (GMPA), association régie par la loi du 1er juillet 1901, qui a pour mission d’offrir à ses adhérents des solutions en matière de protection sociale adaptées aux risques spécifiques des métiers de la défense et de la sécurité, a, en 2005, signé une convention avec la société d’assurance AGF, devenue Allianz vie, avec un intermédiaire financier, la société Rubis, et un établissement de crédit, dont l’objet consistait à développer le financement des biens immobiliers acquis par les adhérents du GMPA. À la suite de l’absorption de cet établissement de crédit, intervenue en 2006, cette convention a pris fin en 2008. Le GMPA a conclu deux nouvelles conventions de partenariat avec la société Rubis associant deux banques, dans le cadre desquelles la société Rubis, désignée mandataire des deux établissements bancaires, a été chargée de la distribution de leurs produits financiers auprès des adhérents du GMPA.
Par la suite, la société Rubis, constatant une réduction puis une absence de chiffres d’affaires, qu’elle imputait au nouveau partenariat, a assigné cette association et la société Allianz vie en réparation du préjudice résultant de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies.
La société Rubis a été déboutée en appel. Son pourvoi est également rejeté : « Mais attendu (…) que si le régime juridique d’une association, comme le caractère non lucratif de son activité, ne sont pas de nature à l’exclure du champ d’application de l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce dès lors qu’elle procède à une activité de production, de distribution ou de services, encore faut-il qu’elle ait entretenu une relation commerciale établie avec le demandeur à l’action ; qu’après avoir relevé que les relations nouées entre le GMPA et la société Rubis visaient à développer le financement des biens immobiliers acquis par des adhérents du GMPA et que la mission de ce dernier se limitait à faciliter l’exécution du mandat de la société Rubis, et notamment les missions de démarchage prévues à la convention, l’arrêt constate que les commissions afférentes à ces opérations sont versées à la société Rubis par les établissements bancaires, ses mandants, et qu’il n’est pas établi que le GMPA perçoive lui-même une commission, ou bénéficie d’une prise en charge de ses frais d’exploitation au titre de chaque affaire traitée par la société Rubis ; qu’il ajoute qu’il n’est pas établi que le GMPA accomplisse des actes de commerce au sens de l’article L. 110-1 du Code de commerce ; qu’il en déduit que le GMPA n’entretenait pas de relation commerciale avec la société Rubis au sens de l’article L. 442-6, I, 5°, du Code de commerce ; qu’en l’état de ces motifs (…) la cour d’appel a légalement justifié sa décision »7.
V – Contentieux en matière d’aide d’État
A – Mesure d’instruction visant à justifier le lien de causalité entre l’illégalité d’une aide d’État et un préjudice
Saisi d’un pourvoi dans une affaire d’aide d’État, le Conseil d’État rappelle le pouvoir du juge administratif d’ordonner une mesure d’instruction pour justifier le lien de causalité entre l’illégalité d’une aide d’État et un préjudice.
À l’origine de cette affaire, la Commission européenne a, en date du 14 décembre 2010, déclaré que l’aide accordée par l’État français à la coopérative d’exportation du livre français (CELF) pour les petites commandes de livres à l’exportation était illégale, car non notifiée et incompatible avec le marché intérieur. La Société internationale de diffusion et d’édition (SIDE), le seul concurrent de la CELF sur le marché de l’exportation des livres français, a alors demandé à l’État l’indemnisation des préjudices subis du fait de l’octroi de cette aide illégale. Cette demande ayant été rejetée par la cour administrative d’appel de Paris, la SIDE s’est pourvue en cassation.
La haute juridiction administrative rappelle d’abord qu’il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement tant l’existence d’un lien de causalité entre une illégalité et un préjudice que l’utilité d’une mesure d’instruction pour justifier de ce lien. Ils doivent établir leur conviction au vu de l’ensemble des pièces produites à l’instance. Dans l’exercice de leurs pouvoirs généraux de direction de la procédure, ils peuvent ordonner toutes les mesures d’instruction qu’ils estiment nécessaires à la solution des litiges qui leur sont soumis, et notamment requérir des parties ainsi que, le cas échéant, de tiers, la communication des documents qui leur permettent de vérifier les allégations des requérants et d’établir leur conviction.
Or, au cas d’espèce, après avoir estimé qu’un lien de causalité entre l’aide illégale et les pertes de clients alléguées par la SIDE ne pouvait être établi qu’en démontrant que la CELF avait capté une partie de la clientèle de la SIDE grâce à des prix plus attractifs rendus possibles par les subventions dont elle avait bénéficié, la cour administrative d’appel a relevé que la SIDE avait produit ses documents comptables mais ne disposait pas de l’ensemble des éléments qui auraient permis de justifier du lien entre d’une part, l’évolution de son chiffre d’affaires et de son bénéfice pendant la période au cours de laquelle l’aide a été accordée et, d’autre part, les subventions de l’État à la CELF. Elle a rejeté en conséquence la demande en refusant d’ordonner les mesures d’instruction sollicitées par la société requérante, au seul motif, s’agissant de la demande de production de la comptabilité du CELF auprès du liquidateur de cet organisme, que ce dernier n’était pas partie à l’instance. Ce faisant, la cour a méconnu son office, dès lors qu’il lui était loisible d’ordonner une telle mesure à l’égard d’un tiers à l’instance.
Le Conseil d’État annule en conséquence l’arrêt attaqué8.
B – Annulation d’un décret instituant une aide d’État non notifiée
Le Conseil d’État annule le décret du 6 novembre 2015 qui a modifié le décret du 12 mars 1986 en étendant aux publications hebdomadaires les mesures de soutien au pluralisme de la presse.
Ce faisant, il rappelle qu’il résulte de l’article 107 du TFUE que, s’il ressortit à la compétence exclusive de la Commission européenne de décider, sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union européenne, si une aide de la nature de celles mentionnées à l’article 107 est ou non, compte tenu des dérogations prévues par le traité, compatible avec le marché commun, il incombe, en revanche, aux juridictions nationales de sanctionner, le cas échéant, l’invalidité des dispositions de droit national qui auraient institué ou modifié une telle aide en méconnaissance de l’obligation, qu’impose aux États membres le paragraphe 3 de l’article 108 du traité, d’en notifier le projet à la Commission, préalablement à toute mise à exécution.
En l’occurrence, les quatre conditions prévues à l’article 107 sont remplies. Le soutien de l’État au pluralisme de la presse écrite résultant du décret du 6 novembre 2015 constitue une intervention au moyen de ressources de l’État dès lors qu’elle prend la forme d’une subvention versée par l’État. Elle accorde un avantage aux publications qui en bénéficient, en leur octroyant un taux unitaire de subvention déterminé en fonction du nombre d’exemplaires vendus. Cet avantage est susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres, dans la mesure où des magazines publiés dans d’autres États membres de l’Union européenne pourraient être en concurrence avec des publications françaises bénéficiant des mesures de soutien prévues par le décret attaqué.
Dès lors que le projet de décret n’a pas fait l’objet d’une mesure d’information préalable de la Commission, il a été pris selon une procédure irrégulière et est donc annulé9.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. com., 11 janv. 2017, n° 15-17134.
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2.
Cons. const., 7 janv. 2016, n° 2015-510 ; Arcelin L., « Les notions d’entreprise en droit de la concurrence français », RLC 2016/48, n° 2929.
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3.
Cass. com., 8 févr. 2017, n° 15-15005.
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4.
Cass. com., 25 janv. 2017, n° 15-23547 ; Vanni P. et Martin A.-C., « De l’ordre dans le “déséquilibre significatif” ? », RLC 2017/59, n° 3147.
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5.
Cass. 1re civ., 18 janv. 2017, n° 15-26105.
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6.
Cass. com., 8 févr. 2017, n° 15-23050.
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7.
Cass. com., 26 janv. 2017, n° 15-18120.
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