Activité de la Cour de cassation et du Conseil d’État en droit de la concurrence (octobre – décembre 2021)

Publié le 01/04/2022
concurrence, compétition, affaires
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La présente étude porte sur les arrêts rendus par la Cour de cassation et le Conseil d’État en droit de la concurrence. Plusieurs domaines sont théoriquement concernés. La haute juridiction judiciaire se prononce d’abord sur les arrêts que la cour d’appel de Paris rend lorsqu’elle est saisie d’un recours contre les décisions de l’Autorité de la concurrence ; elle est également saisie des pourvois en matière de « transparence », « pratiques restrictives de concurrence » et « autres pratiques prohibées », au sens du titre IV, du livre IV, du Code de commerce ; elle est aussi compétente en matière de visite et de saisies opérées sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce ; enfin, elle se prononce sur les décisions rendues dans le cadre de litiges entre opérateurs économiques. Quant au Conseil d’État, il suffit, pour mesurer l’étendue de sa compétence, de rappeler que le droit de la concurrence fait partie intégrante du bloc de la légalité administrative.

L’étude porte sur la période d’octobre à décembre 2021. Les décisions suivantes ont plus particulièrement retenu l’attention : précisions apportées par la Cour de cassation sur les documents pouvant être saisis sur le fondement de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales (I) ; annulation de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris dans l’affaire des opérations de visite et saisies (OVS) réalisées dans les locaux du groupe Swarovski (II) ; rejet du pourvoi contre l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris ayant déclaré régulières les OVS effectuées notamment dans les locaux du CSN (III) ; rejet des requêtes contre la décision de l’Autorité de la concurrence autorisant la création d’une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision (IV) ; rejet du pourvoi du groupe Akka dans l’affaire d’obstruction (V). Renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC portant sur le VII de l’article L. 470-2 du Code de commerce (VI).

I – Précisions apportées par la Cour de cassation sur les documents pouvant être saisis sur le fondement de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales

L’arrêt rendu le 13 octobre 2021 par la Cour de cassation relève du droit fiscal (LPF, art. L. 16 B) mais les précisions qu’il apporte sont transposables en droit de la concurrence (C. com., art. L. 450-4).

Au début de cette affaire, le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance de Nanterre a, sur le fondement de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, autorisé des agents de l’administration fiscale à effectuer des visites et saisies.

Certaines des pièces ainsi appréhendées ayant été utilisées par l’administration fiscale pour notifier à un tiers une proposition de rectification de ses revenus imposables, celui-ci a formé un recours contre les opérations de visite et de saisie devant le premier président de la cour d’appel de Versailles.

Devant la Cour de cassation, l’administration fiscale a fait grief à l’arrêt du premier président de déclarer fondé le recours et d’annuler la saisie des pièces appréhendées, puis d’ordonner la restitution de ces pièces, alors, selon l’administration, « qu’une pièce peut être appréhendée régulièrement dès lors qu’elle présente un lien avec la fraude suspectée, peu important que dans le cadre de la procédure administrative ou de la procédure pénale, qui a suivi la visite domiciliaire, la pièce en cause n’a pas été utilisée par l’administration à l’encontre de la personne concernée par les soupçons de fraude ayant justifié l’autorisation de visite ; qu’en décidant le contraire, le magistrat délégataire du premier président s’est fondé sur un motif inopérant et l’ordonnance doit être censurée pour violation de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales ».

La Cour de cassation fait droit au moyen et casse et annule, en toutes ses dispositions, l’ordonnance attaquée. Elle énonce en effet qu’« il résulte [de l’art. L. 16 B] que l’autorisation de saisie ne se limite pas aux seuls documents appartenant aux personnes visées par des présomptions de fraude, ou émanant d’elles, mais permet la saisie de toutes les pièces se rapportant aux agissements frauduleux et, ainsi, de tous les documents de personnes physiques ou morales en relation d’affaires avec la personne suspectée de fraude, pourvu qu’ils soient utiles, ne serait-ce que pour partie, à la preuve de la fraude. Il appartient au juge, saisi d’allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu’ils étaient sans lien avec l’enquête, de statuer sur leur sort au terme d’un contrôle concret de proportionnalité et d’ordonner, le cas échéant, leur restitution ».

La chambre commerciale précise par ailleurs que l’absence de lien entre les pièces saisies et les présomptions de fraude, objet de l’autorisation accordée, doit être appréciée à la date de la saisie, et ne peut se déduire du seul défaut d’utilisation ou d’exploitation ultérieure de ces pièces par l’administration fiscale contre le contribuable visé par l’autorisation de visite et de saisies1.

Cet arrêt de la chambre commerciale se situe dans la ligne de la jurisprudence et de la pratique décisionnelle relatives à la détermination des documents susceptibles d’être saisis sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce. Ainsi, la Cour de cassation admet en droit de la concurrence que les enquêteurs peuvent saisir des documents couvrant un champ plus vaste que celui du marché en cause dès lors qu’ils font ressortir un lien entre le marché public visé par l’ordonnance et les autres marchés2.

II – Annulation de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris dans l’affaire des OVS réalisées dans les locaux du groupe Swarovski

La chambre criminelle accueille le pourvoi par lequel le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence critiquait l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris qui avait annulé une autorisation d’opérations de visite et de saisie (OVS) dans les locaux de sociétés du groupe Swarovski aux fins d’établir si celles-ci se livraient à des pratiques prohibées par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, et 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Le premier moyen du pourvoi faisait valoir qu’aucune obligation d’exhaustivité ne pèse sur le rapporteur général lorsqu’il invoque les éléments à l’appui de sa requête en autorisation et qu’il n’a donc pas à produire à l’appui de sa requête l’intégralité du dossier dont il dispose, mais seulement les éléments qu’il estime de nature à justifier la visite.

La chambre criminelle fait droit au moyen. Rappelant les termes de l’article L. 450-4, alinéa 2, du Code de commerce selon lesquels la demande de l’administration fiscale tendant à être autorisée à effectuer des OVS doit comporter tous les éléments d’information en possession du demandeur de nature à justifier la visite, elle en déduit que l’administration n’est pas tenue de transmettre au juge chargé de vérifier le bien-fondé de sa demande l’ensemble des pièces en sa possession, fussent-elles annexées à des procès-verbaux faisant l’objet d’une transmission.

En l’espèce, pour annuler la décision du JLD autorisant les OVS, le premier président avait retenu que les pièces versées par l’Autorité de la concurrence au soutien de sa requête étaient incomplètes, en ce que, d’une part, les procès-verbaux communiqués faisaient référence à des annexes qui, pour certaines, n’ont pas été transmises, d’autre part, a été produit un document en langue anglaise dont une seule page a été traduite en français.

Le premier président avait par ailleurs estimé que l’impossibilité pour la société Swarovski de consulter les pièces manquantes dans le cadre de son recours contre l’ordonnance d’autorisation constitue une violation des droits de la défense. La chambre criminelle juge qu’en statuant ainsi, il a méconnu l’article L. 450-4, alinéa 2, du Code de commerce. En effet, selon elle, d’une part, c’est en considération des seules pièces produites devant lui qu’il appartenait au juge des libertés et de la détention d’apprécier, comme il l’a fait, si était ou non établie l’existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles. D’autre part, l’accès au complet dossier et la discussion des pièces produites pourra s’exercer en cas d’engagement des poursuites pendant la phase juridictionnelle, lors de laquelle le principe du contradictoire est garanti.

La chambre criminelle répond ensuite aux deuxième et troisième moyens réunis en se fondant sur l’article L. 450-4 aux termes duquel les opérations de visite et saisie sont justifiées dès lors qu’il existe des présomptions de pratiques anticoncurrentielles. Pour elle, c’est à tort que le premier président a estimé que la position dominante de la société Swarovski France sur le marché des composants en cristal aurait dû résulter des éléments produits par l’Autorité de la concurrence, quand il suffisait, à ce stade, que soit caractérisée la présomption d’une telle position sur le marché concerné. Elle estime en second lieu que le juge ne pouvait s’abstenir d’analyser les contrats de distribution entre les sociétés Perlo Mondo et Swarovski France au motif qu’ils contiennent une clause de confidentialité, dès lors que ces documents ont été régulièrement obtenus par l’Autorité de la concurrence dans le cadre des pouvoirs d’enquête qu’elle tient de l’article L. 450-3 du Code de commerce. Enfin, elle reproche au premier président de ne pas avoir procédé lui-même à une réelle analyse des pièces produites par l’Autorité de la concurrence au soutien de sa requête, en particulier des courriels à partir desquels le JLD avait retenu l’existence de présomptions d’ententes prohibées sur les prix, présomptions sur lesquelles l’ordonnance attaquée omet en outre de se prononcer.

En conséquence, la Cour casse et annule, en toutes ses dispositions, l’ordonnance attaquée, et pour qu’ils soient à nouveau jugés, renvoie la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la cour d’appel de Paris, autrement composée3.

III – Rejet du pourvoi contre l’ordonnance du premier président de la cour d’appel de Paris ayant déclaré régulières les OVS effectuées notamment dans les locaux du CSN

Saisi par l’Autorité de la concurrence dans le cadre d’une enquête relative à d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles susceptibles d’être mises en œuvre dans le secteur des prestations de service à destination des notaires, le JLD du tribunal de grande instance de Paris a autorisé, sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce, des opérations de visite et saisies, notamment dans les locaux du Conseil supérieur du notariat (CSN) et de l’Association pour le développement du service notarial (ADSN).

Ces deux organisations ont formé un recours devant le premier président de la cour d’appel de Paris contre le déroulement des opérations de visites domiciliaires, puis se sont pourvues en cassation.

Le pourvoi critiquait l’arrêt du premier président en ce qu’il a déclaré régulières les opérations de visite et de saisie alors que l’ordonnance du JLD ne comportait pas la signature du magistrat qui l’aurait rendue. La chambre criminelle rejette le moyen au motif qu’une copie conforme de l’ordonnance du JLD revêtue du cachet et de la signature du greffier a été présentée à l’occupant des lieux.

Le pourvoi faisait par ailleurs valoir qu’à défaut de pouvoir prévenir la saisie de documents relevant de la confidentialité qui s’attache aux relations entre un avocat et son client, les personnes visitées doivent pouvoir faire apprécier a posteriori, et de manière concrète et effective, leur régularité. Ainsi, était-il soutenu, il incombait au conseiller délégué par le premier président de la cour d’appel d’analyser in concreto les documents produits afin de s’assurer qu’il ne subsistait pas dans les scellés définitifs des documents couverts par le secret professionnel. Et les requérantes de préciser qu’en écartant le moyen contestant le refus d’examen des demandes nouvelles présentées au moment de la constitution des scellés définitifs visant à « procéder à la suppression des documents relevant manifestement de la protection légale quand bien même ils ne ressortiraient pas des listings remis à l’Autorité », au seul prétexte que ces demandes « ont été rejetées par le JLD, quand il lui appartenait, dans le cadre du recours de pleine juridiction dont elle était saisie d’examiner en fait et en droit la pertinence de ce refus et les pièces produites devant elles, la conseillère déléguée a violé les articles 6 et 8 de la Convention des droits de l’Homme, L. 450-4 du Code de commerce, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, ainsi que les articles 591 et 593 du Code de procédure pénale ».

La chambre criminelle écarte également ce moyen en énonçant qu’« il ne ressort pas des conclusions déposées devant [le premier président] qu’il était saisi par les appelants d’une demande d’annulation de saisies désignant précisément les documents que ceux-ci estimaient couverts par la confidentialité des relations entre l’avocat et son client, mais seulement d’une demande indifférenciée d’annulation de l’ensemble des opérations de visites et saisies ».

Le pourvoi est dès lors rejeté4.

IV – Rejet des requêtes contre la décision de l’Autorité de la concurrence autorisant la création d’une entreprise commune par les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision

On se souvient que les sociétés France Télévisions, TF1 et Métropole Télévision ont envisagé la création d’une entreprise commune dénommée Salto et ayant pour activité l’édition d’une offre de vidéo à la demande et la distribution, sur internet, de services de télévision et de médias audiovisuels à la demande. L’Autorité de la concurrence a, par une décision du 12 août 2019, autorisé cette opération sous réserve de l’exécution de plusieurs engagements. La société Free, active sur le marché de la distribution, ainsi que sa société mère Iliad, ont demandé l’annulation de cette décision. Leur requête est rejetée par le Conseil d’État qui écarte l’ensemble des moyens relevant de la légalité tant externe qu’interne.

A – Légalité externe

En premier lieu, la haute juridiction administrative rappelle qu’aucune disposition ou principe n’imposent à l’Autorité de la concurrence de transmettre un projet de décision à un tiers à une opération de concentration, aux fins de le mettre en mesure de présenter ses observations. Elle écarte donc le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait entachée d’un vice de procédure en ce que la dernière version des engagements n’a pas été soumise à la consultation des tiers (pt 3).

Elle rejette par ailleurs une série de moyens concernant l’existence d’une entreprise commune et les règles applicables au contrôle de l’opération de création de Salto. Sur le premier point, elle refuse d’accueillir un moyen qui soutenait que Salto n’était pas une entreprise commune dont la création relève du contrôle des concentrations. Elle relève, en effet, qu’il ressort des pièces du dossier que Salto devrait disposer des ressources suffisantes pour opérer de façon indépendante sur le marché, et notamment de tous les éléments structurels nécessaires au fonctionnement d’une société autonome, que ce soit sur le plan des ressources humaines, des ressources financières ou de la responsabilité commerciale, et devrait accomplir toutes les fonctions d’une entité économique autonome, sans se limiter à distribuer ou à vendre des produits de ses sociétés mères. Dès lors, Salto constitue une entreprise commune dont la création relève du contrôle des concentrations.

Sur le deuxième point, le Conseil d’État rappelle que, saisi d’une opération de concentration, l’Autorité ne pouvait mener une analyse au regard des dispositions de l’article 101 TFUE ou de celles des articles L. 420-1 et L. 420-4 du Code de commerce relatives à la répression des pratiques anticoncurrentielles (pt 9).

B – Légalité interne

Le Conseil d’État a examiné une série de moyens concernant le marché pertinent. Les sociétés requérantes soutenaient notamment que l’Autorité de la concurrence a commis des erreurs dans la définition des marchés aval de la distribution de services de télévision, sur lesquels se rencontrent les distributeurs de services de télévision et les téléspectateurs. Elles faisaient valoir que l’Autorité de la concurrence aurait dû retenir une segmentation plus fine des marchés avals de la distribution en fonction du type de contenus, ou à tout le moins identifier un marché spécifique de la distribution de films d’expression originale française (EOF). Le Conseil d’État répond au moyen en observant qu’il ressort des pièces du dossier qu’une telle segmentation, compte tenu des contraintes réglementaires en vigueur, est pertinente sur le marché amont de l’acquisition de droits, comme l’a constaté la décision attaquée, et que dès lors que la diffusion d’œuvres audiovisuelles EOF, dont les films EOF, constitue un gage de bonnes performances d’audience, il était justifié, compte tenu de la position des sociétés mères de Salto sur ce marché d’acquisition des droits, d’analyser, comme l’a fait la décision attaquée, les risques de verrouillage au profit de Salto de l’accès à de tels contenus et la portée des engagements destinés à prévenir ce risque. En revanche, il n’est pas établi que, sur le marché aval de la distribution, une telle segmentation serait justifiée, dès lors que, sur ce marché, que ce soit pour les consommateurs ou pour les distributeurs, de tels contenus ne s’avèrent pas insuffisamment substituables aux autres contenus distribués. C’est donc sans erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a estimé qu’il n’était pas pertinent de procéder à une telle segmentation (pt 12).

Les sociétés requérantes reprochaient également à la décision attaquée de n’avoir pas retenu un marché de la distribution au détail de la télévision gratuite. Toutefois, selon le Conseil d’État, d’une part, c’est sans commettre d’erreur de droit ni d’erreur d’appréciation que l’Autorité de la concurrence a pu estimer qu’eu égard à l’absence de relations commerciales entre les distributeurs et les consommateurs finaux de télévision gratuite, elle pouvait se borner, pour apprécier les effets de l’opération qui lui était soumise sur les marchés aval, à analyser ces effets dans le cadre du marché de la publicité et du marché de la vente de données, d’où provient l’essentiel des revenus des distributeurs de services de télévision gratuite (pt 13).

S’agissant ensuite de l’analyse concurrentielle, le Conseil d’État écarte un moyen qui critiquait l’absence d’analyse de la contribution de l’opération au progrès économique : « Il résulte des dispositions de l’article L. 430-6 du Code de commerce que l’analyse de l’éventuelle contribution de l’opération au progrès économique, qui a pour seul objet de compenser les atteintes à la concurrence qui ne pourraient être évitées, ne saurait intervenir que lorsque l’opération a fait l’objet d’un examen approfondi. En l’espèce, la première phase d’examen de l’opération ayant conduit l’Autorité de la concurrence à constater l’absence d’atteinte à la concurrence sous réserve de la réalisation effective des engagements pris par les parties, et à autoriser l’opération sans engager un examen approfondi, les sociétés ne peuvent utilement soutenir que l’Autorité de la concurrence aurait dû procéder à une telle analyse » (pt 19).

Enfin, le Conseil d’État rejette les moyens critiquant l’insuffisance des engagements. Tel est le cas, par exemple, des engagements E1 à E4 qui prévoient, d’une part, s’agissant des collaborateurs de Salto, qu’ils ne peuvent être en même temps collaborateurs ou mandataires sociaux d’une des sociétés mères de Salto, et que ceux qui ont antérieurement eu pour fonction, au sein des sociétés mères, la négociation des contrats d’acquisition ou de distribution de chaînes, sont tenus à un strict accord de confidentialité. Ils prévoient, d’autre part, que les représentants des sociétés mères au sein du conseil de surveillance de Salto ne peuvent exercer de fonctions en lien direct avec l’acquisition de droits ou la distribution de services audiovisuels de l’une des sociétés mères, qu’ils sont tenus par un strict engagement de confidentialité, qu’ils n’accèdent qu’à des informations agrégées et strictement nécessaires à l’adoption des décisions relevant de la compétence du conseil de surveillance, et que le mandataire chargé du suivi des engagements assiste aux discussions du conseil lorsqu’elles portent sur ces sujets. Ces engagements permettent ainsi, pour toute la durée de vie de Salto et dès sa création, de limiter strictement la possibilité pour les sociétés mères d’échanger des informations sensibles relatives à l’acquisition de droits de diffusion et à la distribution de services audiovisuels par le biais de leurs représentants au sein du conseil de surveillance ou de leurs anciens collaborateurs recrutés par Salto. Pour les juges du Palais Royal, la circonstance que le président-directeur général du groupe TF1 préside le conseil de surveillance de Salto, que l’ancienne directrice des services de vidéo à la demande du groupe France Télévision occupe les fonctions de secrétaire générale de Salto et qu’un ancien membre du comité exécutif de Métropole Télévision soit directeur opérationnel de Salto n’est pas de nature, au regard des accords de confidentialité dont la méconnaissance est constitutive d’une faute professionnelle et des autres garanties encadrant les échanges d’informations sensibles au sein du conseil de surveillance, à remettre en cause l’appréciation portée par l’Autorité de la concurrence. En outre, les personnes signataires de ces accords de confidentialité s’engagent à prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher un accès non autorisé d’un tiers ou d’un collaborateur de Salto aux informations considérées comme confidentielles, permettant ainsi de protéger le contenu des informations susceptibles d’être échangées et de porter atteinte à la concurrence (pt 31). Il en résulte, selon le Conseil d’État, qu’en estimant que les engagements E1 à E4, dont la pertinence et l’efficacité doivent être appréciées globalement et en prenant en compte l’ensemble des autres engagements, suffisaient à prévenir les risques de coordination identifiés, l’Autorité de la concurrence n’a pas commis d’erreur de droit ni d’erreur d’appréciation (pt 32).

Le Conseil d’État parvient à la même solution à propos des autres engagements, notamment ceux relatifs à la prévention des effets anticoncurrentiels identifiés sur les marchés de l’acquisition de diffusion et ceux relatifs aux achats de droits non linéaires5.

V – Rejet du pourvoi du groupe Akka dans l’affaire d’obstruction

La Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 26 mai 2020, lequel avait réformé partiellement la décision de l’Autorité de la concurrence n° 19-D-09 du 22 mai 2019, relative à des pratiques d’obstruction mises en œuvre par le groupe Akka.

À l’origine de cette affaire, des opérations de visite et de saisie ont été diligentées dans les locaux du groupe Akka.

Au cours de cette intervention, deux incidents ont été constatés, le premier, consistant en un bris de scellé sur un site visité, le second, correspondant à une altération de la réception de courriels sur la messagerie électronique d’un ordinateur portable en cours d’examen sur un autre site.

Par sa décision du 22 mai 2019, l’Autorité a retenu que le groupe avait enfreint l’alinéa 2, du V, de l’article L. 464-2 du Code de commerce en faisant obstruction à ces opérations. Cette décision a été pour l’essentiel confirmée par la cour d’appel de Paris et le pourvoi formé par le groupe est rejeté par le présent arrêt.

Le principal intérêt de l’arrêt de la chambre commerciale réside dans l’analogie opérée entre les infractions aux articles L. 420-1 et L. 464-2 du Code de commerce pour déterminer les conditions d’imputabilité d’une pratique à une entreprise6. Le pourvoi faisait valoir qu’en jugeant que des actes matériels spontanés de salariés de l’entreprise visitée, agissant hors de leurs fonctions et en contradiction avec les instructions reçues des représentants de ladite entreprise, pouvaient être qualifiés d’obstruction à l’investigation imputable à l’entreprise, la cour d’appel a violé l’alinéa 2, du V, de l’article L. 464-2 du Code de commerce et les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.

Le moyen est écarté. Ce faisant, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir interprété la notion d’« entreprise » de la même manière qu’en matière de pratique anticoncurrentielle. Elle estime en effet, après la cour d’appel, qu’à l’instar de l’article L. 464-2, I, du Code de commerce, qui dote l’Autorité du pouvoir d’infliger une sanction pécuniaire à l’entreprise qui s’est livrée à des pratiques anticoncurrentielles, ce même article, en son V, alinéa 2, dote l’Autorité du pouvoir d’infliger une sanction pécuniaire à l’entreprise qui a fait obstruction à l’investigation ou à l’instruction qui la concerne. Ces dispositions se réfèrent, l’une et l’autre, à la notion d’« entreprise », laquelle doit être comprise au sens du droit de la concurrence (pt 8).

Elle retient qu’il y a lieu en conséquence, pour des raisons de cohérence, d’« interpréter cette notion de la même manière, qu’il s’agisse de sanctionner une infraction aux règles de fond ou de réprimer une obstruction à une enquête destinée à rechercher une telle infraction, et d’appliquer, en conséquence, les mêmes règles d’imputabilité à ces deux types d’infraction » (pt 8).

Elle en déduit que la responsabilité de l’entreprise à raison d’actes d’obstruction commis par un ou plusieurs de ses salariés est engagée dans les mêmes conditions que sa responsabilité à raison de pratiques anticoncurrentielles commises par ses salariés et rappelle que l’imputation à une entreprise d’une infraction à l’article L. 420-1 du Code de commerce ne suppose pas une action ou même une connaissance de cette infraction par les associés ou des gérants principaux de l’entreprise concernée, mais l’action d’une personne qui est autorisée à agir pour le compte de l’entreprise (pt 8).

Au cas d’espèce, la Cour de cassation estime par ailleurs que les juges parisiens n’avaient à s’expliquer ni sur le moyen pris de l’opposition des enquêteurs à la fermeture à clés du bureau placé sous scellés, inopérant dès lors que cette circonstance, à la supposer établie, ne privait pas le bris des scellés de son caractère fautif, ni sur celui, également inopérant, pris de l’autorisation donnée à un salarié de conserver pendant les opérations l’usage de son ordinateur et de sa messagerie, ce qui ne l’autorisait pas à les utiliser pour faire obstacle à celles-ci (pt 9).

La chambre commerciale rappelle enfin que, saisi d’une QPC posée à l’occasion du présent pourvoi, le Conseil constitutionnel, par une décision du 26 mars 20217, a décidé que la répression administrative prévue par les dispositions de l’article L. 464-2, V, alinéa 2 et la répression pénale organisée par l’article L. 450-8 du Code de commerce relevaient de corps de règles identiques protégeant les mêmes intérêts sociaux aux fins de sanctions de même nature et en a déduit que les dispositions de l’article L. 464-2, V, alinéa 2 méconnaissaient le principe de nécessité et de proportionnalité et devaient être déclarées contraires à la Constitution. Il a également décidé qu’afin de faire cesser l’inconstitutionnalité constatée à compter de la publication de sa décision, il y avait lieu de juger que, dans les procédures en cours fondées sur les dispositions de l’article L. 464-2, V, alinéa 2, la déclaration d’inconstitutionnalité pouvait être invoquée lorsque l’entreprise poursuivie avait préalablement fait l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8.

Les sociétés du groupe Akka n’ayant pas préalablement fait l’objet de poursuites sur le fondement de l’article L. 450-8, la Cour de cassation juge que la déclaration d’inconstitutionnalité ne leur est pas applicable8.

VI – Renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC portant sur le VII de l’article L. 470-2 du Code de commerce

À l’occasion d’un litige opposant l’Autorité administrative de la concurrence et de la consommation à la société Erelec Trading, le juge administratif a été saisi d’une demande de l’entreprise visant à annuler la décision par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi d’Île-de-France lui a infligé une sanction administrative d’un montant de 6 340 000 €, et la décision du ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance rejetant son recours.

Le litige portait notamment sur la question des sanctions encourues en cas de violation du délai prévu par l’article L. 441-7 du Code de commerce pour conclure une convention écrite entre le fournisseur et le distributeur ou le prestataire de services indiquant les obligations auxquelles se sont engagées les parties en vue de fixer le prix à l’issue de la négociation commerciale.

À l’appui de cette demande d’annulation, l’entreprise a soulevé une QPC visant les dispositions du VII de l’article L. 470-2 du Code de commerce qui, dans sa rédaction applicable au litige, prévoit que « lorsque, à l’occasion d’une même procédure ou de procédures séparées, plusieurs sanctions administratives ont été prononcées à l’encontre d’un même auteur pour des manquements en concours, ces sanctions s’exécutent cumulativement ».

Estimant que les dispositions du VII de l’article L. 470-2 ne peuvent être regardées comme ayant été déclarées conformes à la Constitution ; qu’elles sont applicables au présent litige ; et que le moyen tiré de ce qu’elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe de nécessité des délits et des peines, garanti par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, en ce qu’elles permettent le prononcé de sanctions disproportionnées par rapport à la gravité des faits en cas de manquements en concours de nature identique, soulève une question présentant un caractère sérieux, le Conseil d’État renvoie au Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution du VII de l’article L. 470-2.

En réalité, le VII de l’article L. 470-2 a déjà été déclaré conforme par le Conseil constitutionnel mais il s’agissait d’une autre version du texte. Ces dispositions ne peuvent donc être regardées comme ayant été déclarées conformes à la Constitution. Ce point est précisé comme suit par le présent arrêt : « Si le Conseil constitutionnel a, dans (…) sa décision n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article 121 de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation qui ont introduit dans le Code de commerce l’article L. 465-2, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a substantiellement modifié le VII de cet article en y supprimant, par le c) du 3° du I de son article 123, les mots “dans la limite du maximum légal le plus élevé”. Cet alinéa a ensuite été déplacé, à rédaction constante, à l’article L. 470-2 du même code par l’article 2 de l’ordonnance du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles »9.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 13 oct. 2021, n° 17-13008.
  • 2.
    Cass. com., 13 juill. 2004, n° 03-11430.
  • 3.
    Cass. crim., 19 oct. 2021, n° 20-85644.
  • 4.
    Cass. crim., 4 nov. 2021, n° 20-80149.
  • 5.
    CE, 8 nov. 2021, n°s 435984 et 439527.
  • 6.
    C.-S Pinat, « Sur l’imputabilité à l’entreprise d’une pratique d’obstruction à opération d’enquête diligentée par l’Autorité de la concurrence », Dalloz actualité, 4 janv. 2022.
  • 7.
    Cons. const., QPC, 26 mars 2021, n° 2021-892 ; A. Ronzano, « Retour sur la décision du Conseil constitutionnel du 26 mars 2021 prononçant la non-conformité totale du second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du Code de commerce », L’Actu-concurrence n° 14/2021, 12 avr. 2021 ; C. Duprey, « Obstruction à l’enquête : le pouvoir de sanction de l’Autorité de la concurrence déclaré contraire à la Constitution », RLC 2021/105, n° 4018.
  • 8.
    Cass. com., 1er déc. 2021, n° 20-16849.
  • 9.
    CE, 29 déc. 2021, n° 457203.
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