Arrêté anti-shrinkflation : beaucoup de bruit pour rien ?
Depuis le 1er juillet 2024, les supermarchés doivent signaler aux consommateurs les produits concernés par la shrinkflation. Si l’initiative est louable, la mise en place concrète de l’arrêté soulève de nombreuses difficultés pratiques.
Depuis le 1er juillet 2024, les supermarchés doivent informer les consommateurs des produits concernés par la shrinkflation. Contraction des mots « shrink » (« rétrécir ») et « inflation », la « shrinkflation », traduite en français sous le terme « réduflation », désigne la pratique commerciale visant à vendre des produits, dont la quantité a été réduite, à un prix identique voire plus élevé.
Concrètement, cette pratique permet aux industriels de faire passer auprès des consommateurs des augmentations de prix au kilo plus discrètement, par exemple en diminuant de 25 à 20 le nombre de sachets de thé vendus dans une boîte, ou en baissant de 250 à 220 grammes la quantité de riz vendue dans un paquet.
Cette pratique, controversée mais pas moins légale, a pu se développer après l’adoption de la directive européenne n° 2007/45/CE du 5 septembre 2007, retranscrite en droit français par un arrêté du 8 octobre 2008, qui a supprimé les standards de conditionnement pour de nombreux produits ; les industriels demeurent par exemple plus libres sur le grammage de leurs produits1.
Avec la hausse des coûts de transport, des matières premières ou encore de l’énergie, les industriels ont pu trouver avec la « shrinkflation » une solution plus discrète pour conserver ou augmenter leur marge en camouflant leur augmentation de prix.
Ce phénomène a notamment été dénoncé par des distributeurs et des associations de consommateurs. Ainsi, par exemple, au début de l’année 2024, Intermarché affichait clairement la shrinkflation de certains produits Magnum ou Knorr en détournant les slogans publicitaires des marques : « Knorr, j’adore j’adorais » ou encore « avant Magnum ça voulait dire grand », « ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère ». Attaquée en justice pour dénigrement par Unilever, la société propriétaire des marques, Intermarché, n’a pas été condamnée par le tribunal de commerce de Paris, qui a considéré que le ton humoristique adopté était acceptable, et relevait du droit légitime à informer les consommateurs justifiant ainsi le recours au « name & shame »2.
Pour tenter de contrer ce phénomène de « shrinkflation », le gouvernement a donc adopté, le 16 avril 2024, un arrêté rendant obligatoire l’information des consommateurs relative à l’évolution à la hausse des prix des produits ayant subi une baisse de quantité, complété par un second arrêté en date du 28 juin 2024.
Que prévoit l’arrêté anti-shrinkflation ?
Ainsi, depuis le 1er juillet 2024, les supermarchés dont la surface est supérieure à 400 m² ont l’obligation d’installer des affichettes au sujet des produits concernés par la « shrinkflation », les supérettes de 120 à 400 m² et les commerces d’alimentation générale, inférieurs à 120 m², les magasins vendant à distance (drive ou e-commerce)3 et les industriels étant exemptés.
Cette obligation de transparence ne concerne pas tous les produits : sont visés les produits de grande consommation à quantité nominale constante, le texte de l’arrêté renvoyant à la définition des produits de grande consommation prévue par l’article L. 441-4 du Code de commerce. Ainsi, ils sont définis comme les « produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation ». Cette liste est établie par décret. Sont notamment inclus les produits alimentaires, les boissons (alcoolisées ou non), ou encore les produits de lavage et d’entretien comme le savon, la lessive ou le liquide vaisselle. En revanche, sont exclues du dispositif les denrées alimentaires préemballées dont la quantité peut varier à la préparation (rayon traiteur par exemple) ou les denrées alimentaires vendues en vrac.
Le choix du support de l’information est laissé au distributeur, qui peut l’indiquer directement sur l’emballage ou à proximité (par exemple via un stop rayon), tant que l’information reste visible, lisible, et dans une police de même taille que celle utilisée pour indiquer le prix unitaire des produits.
En revanche, l’affichage doit reproduire, pour les produits dont la quantité a été réduite en poids ou en volume, et ce, pendant deux mois à compter de la date de la mise en vente du produit dans sa quantité réduite, la mention prévue par l’arrêté : « Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au (préciser l’unité de mesure concernée) a augmenté de … % ou … € ». Les deux valeurs X et Y sont exprimées, selon le cas, en poids ou en volume.
Pour les produits de grande consommation composés de plusieurs unités dont le nombre d’unités a été réduit et qui se traduit par une hausse du prix ramené à l’unité, les distributeurs doivent indiquer la mention suivante : « Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y unités et son prix ramené à l’unité a augmenté de … % ou … € ».
Comment l’arrêté est-il concrètement mis en œuvre ?
Si cette volonté de transparence envers les consommateurs est souhaitable, la mise en place concrète de l’arrêté reste en pratique sujette à des difficultés.
Tout d’abord, l’obligation d’information prévue par l’arrêté ne pèse que sur les distributeurs, et non sur les industriels eux-mêmes, qui sont pourtant les mieux placés pour connaître les modifications de leurs produits.
Cela s’explique par le fait que les prescriptions incombant aux industriels concernant l’étiquetage des denrées alimentaires préemballées relèvent du règlement n° 1169/2011 dit INCO. L’adoption d’une obligation de transparence pour ces derniers nécessiterait une modification du règlement, ce qui n’est pas exclu dans la mesure où une révision dudit règlement est prévue en 2025. Par ailleurs, consciente de cette difficulté d’application, Olivia Grégoire, alors ministre déléguée au Commerce, a annoncé au journal Ouest France qu’elle allait « très certainement porter, au nom de la France, le fait que cette obligation d’information incombe aux industriels qui confectionnent le produit ».
Reste qu’à ce jour les sanctions pour non-respect de l’obligation pèsent uniquement sur les distributeurs, dont la conformité dépend également du bon vouloir des industriels de transmettre les informations sur la réduction de la quantité de leurs produits.
Les relations entre les fabricants des produits et les distributeurs ne sont pas concernées par ce texte, et il n’existe aucune obligation spécifique imposant aux industriels de transmettre ces informations. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) considère qu’en vertu du « principe de loyauté des transactions », le fournisseur devrait informer le distributeur dès lors qu’il modifie en cours d’année la quantité d’un produit qui constitue une « caractéristique essentielle du bien ». En pratique, il est à craindre que les fournisseurs ne transmettent pas ces informations aux distributeurs à moins d’y être contraints, ce qui pourrait passer dans un premier temps par l’insertion d’une disposition dans la convention unique conclue entre fournisseurs et distributeurs.
Par ailleurs, l’obligation d’information prévue par l’arrêté concerne des produits identiques, ce qui impliquerait en principe d’avoir le même code-barres. Or, en changeant la recette, ou le conditionnement, il n’est pas rare que le code-barres change également.
De même, l’affichage prévu par l’arrêté doit être maintenu pendant deux mois « à compter de la date de la mise en vente du produit dans sa quantité réduite », ce qui peut poser des difficultés lorsque les magasins d’une enseigne reçoivent les produits avec plusieurs jours ou semaines d’écart. En l’absence de précision supplémentaire, il semble prudent de considérer que la durée d’affichage doit s’apprécier par magasin, et non par enseigne.
Au demeurant, la mise en œuvre de l’arrêté ne semble susciter pour l’instant que peu d’enthousiasme du côté des distributeurs.
Selon une enquête réalisée par UFC Que Choisir, dans 454 magasins, entre le 1er et le 6 juillet 2024, 95 % des magasins visités ne signalaient aucun cas de shrinkflation, et 3 % d’entre eux avait identifié entre un et dix produits concernés, avec une qualité d’affichage aléatoire. Selon les distributeurs, ce faible nombre de références concernées s’expliquerait en partie par leur travail réalisé en amont sur les prix. Cependant, il semble être aussi la conséquence de deux autres phénomènes non encadrés par l’arrêté : la stretchflation et la cheapflation.
La première consiste à augmenter la quantité d’un produit pour aussi augmenter son prix, la hausse de prix étant toutefois disproportionnée par rapport à la faible quantité ajoutée (par exemple, la quantité augmente de 15 % mais le prix augmente de 36 %). Dans ce cas, l’arrêté ne s’applique pas puisque la quantité de produits n’a pas diminué et les distributeurs ne sont pas tenus d’alerter les consommateurs.
La cheapflation vise quant à elle à réduire, remplacer ou même supprimer un ingrédient par un autre moins cher ou de moindre qualité, sans pour autant baisser le prix du produit4. Face à cette pratique, l’arrêté anti-shrinkflation n’est pas toujours efficace, puisqu’il ne s’applique pas aux produits avec une modification substantielle de recette. À cet égard, la DGCCRF a précisé que l’arrêté s’appliquait lorsque « le produit peut raisonnablement être comparé à un produit antérieur, soit que sa composition n’ait pas connu de changement substantiel, soit que la présentation du produit ne permet pas aux consommateurs d’identifier facilement les modifications apportées ». Reste que la notion de « changement substantiel » n’est pas définie, et pourrait être interprétée largement.
En définitive, l’arrêté anti-shrinkflation semble à ce stade faire l’effet d’un non-événement : peu de produits sont concernés, et la restriction du champ d’application du dispositif aux produits dont la quantité a diminué et n’ayant pas connu de modification substantielle de recette le rend facilement contournable.
Certains changements pourraient être proposés par le groupe de travail « Information du consommateur sur les produits de grande consommation dans un contexte inflationniste » du Conseil national de la consommation, qui vise notamment à analyser les impacts des pratiques « concernant le prix, la quantité, le format et le changement de recettes des produits de grande consommation ». Son avis devrait être rendu dans les prochains mois. Affaire à suivre…
Notes de bas de pages
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1.
Par exemple, alors qu’auparavant les pâtes sèches ne pouvaient être vendues que sous certains formats (125 grammes, 250 grammes, 500 grammes, 1, 2, 3, 4, 5 et 10 kilogrammes), on peut désormais trouver en rayon des paquets de 400 grammes de spaghettis.
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2.
T. com. Paris, 8 févr. 2024, n° 2024004179.
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3.
Sont exclus les magasins vendant à distance (drive ou e-commerce), l’Union européenne ayant adopté des règles d’harmonisation maximale concernant les droits des consommateurs lors de vente à distance, les États membres ne pouvant y ajouter des obligations supplémentaires.
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4.
L’organisation non gouvernementale Foodwatch a notamment épinglé des batônnets de surimi, dont la quantité de chair de poisson a diminué de 11 % alors même que le prix a augmenté de 40 % entre 2021 et 2023.
Référence : AJU015l3