Condamnation pour abus de position dominante dans le secteur des solutions de gestion de la paie des intermittents du spectacle
L’Autorité de la concurrence applique la jurisprudence permettant de caractériser un abus de position dominante sur un marché connexe et met en œuvre la procédure de transaction.
Aut. conc., déc., 15 nov. 2022, no 22-D-20
Saisie d’office après une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, l’Autorité de la concurrence sanctionne, sur le fondement des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, des pratiques d’abus de position dominante sur les marchés de la protection sociale complémentaire collective des intermittents du spectacle.
Les pratiques reprochées à l’institution de prévoyance s’articulent comme suit. D’une part, celle-ci a permis à sa filiale Movinmotion d’utiliser son image de marque et sa notoriété en entretenant une confusion, dans l’esprit des employeurs d’intermittents du spectacle, entre les activités sous quasi-monopole d’Audiens Santé Prévoyance (Audiens SP) et ses autres activités concurrentielles ; d’autre part, elle a utilisé les bases de données dont elle dispose en sa qualité de gestionnaire des contrats d’assurance prévoyance et santé complémentaire collective des intermittents du spectacle pour faciliter la commercialisation de l’offre de prestations de gestion de la paie des intermittents du spectacle de sa filiale Movinmotion. Ce faisant, elle obtenait un avantage concurrentiel qui ne pouvait être répliqué par ses concurrents.
La décision offre l’occasion à l’Autorité d’appliquer la jurisprudence qui permet de caractériser un abus de position dominante sur un marché connexe. Par ailleurs, elle permet à l’Autorité, une nouvelle fois, d’appliquer les règles relatives aux sanctions pécuniaires pouvant être infligées dans le cadre de la procédure de transaction.
I – Abus mis en œuvre sur un marché connexe
Pour condamner l’entreprise, l’Autorité s’appuie sur la jurisprudence selon laquelle une entreprise en position dominante sur un marché donné peut se voir reprocher un abus dont les effets affectent d’autres marchés, dès lors que le marché sur lequel l’entreprise détient une position dominante et ceux sur lesquels l’abus déploie ses effets revêtent un caractère de connexité suffisant et qu’il existe des circonstances particulières justifiant l’application des règles prohibant les abus de position dominante (pt 89).
En l’espèce, elle estime que ces conditions sont remplies. Les pratiques constatées concernent la stratégie de commercialisation du service proposé par Movinmotion sur le marché des prestations de gestion de la paie des intermittents du spectacle. Elles sont rendues possible par l’utilisation des moyens détenus par Audiens SP, en position dominante sur les marchés de la protection sociale complémentaire collective des intermittents du spectacle.
L’Autorité précise que ces deux marchés présentent des caractéristiques communes et des liens étroits. En effet, sur chacun d’eux, la demande émane des employeurs professionnels d’intermittents du spectacle qui doivent, d’une part, s’acquitter des contributions patronales qui correspondent aux obligations conventionnelles et légales en matière d’assurance prévoyance et santé complémentaire collectives et, d’autre part, remettre aux intermittents du spectacle, à chaque paie, un bulletin de salaire et procéder au traitement ainsi qu’au versement des contributions et cotisations sociales qui les concernent (pt 93).
En outre, les déclarations sociales réalisées dans le cadre de la gestion de la paie déterminent le montant des cotisations sociales versées au titre des marchés de la protection sociale complémentaire collective. Ainsi, les données saisies par les employeurs lors de l’établissement des bulletins de salaire et le calcul des contributions et cotisations sociales sont susceptibles d’affecter les charges sociales correspondantes, et par conséquent les droits des intermittents du spectacle concernés en matière d’assurance prévoyance et de santé complémentaire (pt 94).
II – Sanctions
A – Recours à la procédure de transaction
L’Autorité inflige à l’entreprise une sanction de 800 000 euros dans le cadre d’une procédure de transaction en application des dispositions de l’article L. 464-2, III, du Code de commerce. Cette procédure permet à une entreprise qui ne conteste pas les faits d’obtenir le prononcé d’une sanction pécuniaire à l’intérieur d’une fourchette proposée par le rapporteur général, fixant un montant maximal et minimal, et ayant donné lieu à un accord des parties.
L’affaire rapportée rappelle que l’engagement de ne pas contester les faits doit être appliqué strictement. Ainsi, l’Autorité s’est prévalue de cet engagement pour écarter un argument concernant les effets des pratiques. Audiens SP a fait valoir, aux fins de minorer la gravité des pratiques, que l’expansion de Movinmotion est largement indépendante des pratiques qui lui sont reprochées. Pour l’Autorité, Audiens SP est illégitime à contester des éléments fondant la qualification des griefs qui lui ont été notifiés dès lors qu’elle a renoncé à réfuter leur réalité. En d’autres termes, l’entreprise ne peut remettre en cause les éléments de fait et de droit retenus par la notification des griefs pour établir les infractions qui lui ont été communiquées, en particulier l’existence d’un lien de causalité entre les pratiques mises en œuvre par Audiens SP, sauf à renoncer au bénéfice de la procédure de transaction (pt 156).
B – Prise en compte de la gravité des pratiques
L’Autorité retient que les pratiques en cause sont d’une particulière gravité. Ce faisant, elle confirme sa pratique décisionnelle : la pratique consistant, pour une entreprise en position dominante du fait d’un ancien monopole légal, à mettre à disposition des moyens matériels et immatériels à sa filiale, entraînant une confusion entre ses différentes activités, présente un caractère de gravité certain. Il ressort par ailleurs de la pratique décisionnelle de l’Autorité que l’utilisation d’avantages non réplicables issus d’une situation de monopole légal est d’une particulière gravité, notamment en ce qu’elle introduit une rupture majeure d’égalité dans la concurrence entre les différents opérateurs (pt 144).
L’Autorité répond par ailleurs à un argument qui faisait valoir que les pratiques en cause sont moins graves que celles qui ont été sanctionnées antérieurement. L’argument expose à ce titre qu’à la différence des précédents examinés par l’Autorité, Audiens SP ne dispose pas d’un monopole historique. Pour l’Autorité, Audiens SP se trouvait, jusqu’au 31 décembre 2013, en position de monopole sur les marchés de la protection sociale complémentaire collective des intermittents du spectacle par l’effet des clauses de désignation qui figuraient dans les accords de branche alors applicables. En effet, ainsi que l’a relevé l’Autorité dans son avis n° 13-A-11 du 29 mars 2013, l’affiliation obligatoire à un régime de protection sociale complémentaire confère un monopole à l’organisme de gestion désigné via les clauses de désignation, qui est placé de ce fait dans une position prédominante par rapport à ses concurrents sur le marché, sur laquelle il est à même de prendre appui pour proposer d’autres types de produits d’assurance aux salariés de la branche. Cette position est d’autant plus forte qu’elle n’est réexaminée que tous les cinq ans (pt 147).
Référence : AJU007k0