Défaut de notification d’une opération de concentration

Publié le 26/01/2023
Cocktail, whisky, alcool
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La Compagnie financière européenne de prises de participation se voit infliger une sanction pécuniaire de 7 millions d’euros pour avoir omis de notifier la prise de contrôle de Marie Brizard Wine & Spirits, et pour avoir mis en œuvre cette opération avant l’autorisation de l’Autorité.

Aut. conc., 12 avr. 2022, no 22-D-10 : cette décision est consultable à l’adresse https://lext.so/C2L-xU

Aut. conc., 28 févr. 2019, no 19-DCC-36

L’affaire de la prise de contrôle exclusif de Marie Brizard Wine & Spirits (MBWS) par la Compagnie financière européenne de prises de participation (Cofepp) comporte deux parties. La première concerne la violation de l’obligation de notification et de celle consistant à ne pas réaliser l’opération notifiée avant qu’une décision d’autorisation soit intervenue (I). La deuxième porte sur l’analyse de l’opération de concentration, qui s’est terminée par l’autorisation sous condition de l’opération (II).

I – Violation des obligations de Cofepp

Comme la plupart des pays dotés d’un droit de la concurrence, le droit français des concentrations comporte un mécanisme de notification obligatoire des opérations de concentration. Cette obligation est assortie de sanctions : si une opération de concentration a été réalisée sans être notifiée, l’Autorité de la concurrence peut infliger une sanction pécuniaire dont le montant maximal s’élève à 5 % du chiffre d’affaires hors taxes réalisé en France lors du dernier exercice clos, augmenté, le cas échéant, de celui qu’a réalisé en France, durant la même période, la partie acquise. Par ailleurs, la réalisation effective de l’opération ne peut intervenir qu’après l’accord de l’Autorité (ou du ministre chargé de l’Économie, lorsque ce dernier a évoqué l’affaire).

La société Cofepp s’est vu en l’espèce infliger une sanction pécuniaire de 7 millions d’euros pour avoir pris le contrôle de MBWS sans avoir préalablement notifié l’opération ni attendu la décision de l’Autorité.

S’agissant du défaut de notification, Cofepp a, en infraction au I de l’article L. 430-8 du Code de commerce, exercé, avant d’avoir sollicité l’autorisation requise, une influence déterminante sur MBWS, notamment en montant progressivement au capital de MBWS, ce qui lui a permis d’obtenir des postes d’administrateur et ainsi d’avoir accès à des informations sensibles sur les activités de MBWS. Elle a également négocié avec les fournisseurs, à la place des dirigeants de MBWS, et participé directement à l’établissement de la politique commerciale et budgétaire de MBWS.

Quant à la deuxième infraction, cette fois au II de l’article L. 430-8, Cofepp a poursuivi le rapprochement prématuré après la notification, intervenue le 3 janvier 2019. Les deux entreprises ont ainsi échangé des informations sensibles dans le cadre de la recherche de synergie entre les deux sociétés. Cofepp a aussi donné certaines instructions au directeur général et au président du conseil de surveillance de MBWS sur différents projets envisagés.

Rappelant les déterminants de la sanction à infliger à l’entreprise en cause, l’Autorité énonce que « le non-respect des obligations prévues aux I et II de l’article L. 430-8 du Code de commerce constitue, par nature, une infraction grave à l’ordre public économique, dans la mesure où ce manquement prive l’Autorité de la possibilité effective de contrôler, comme le prévoit le Code de commerce, un projet de concentration préalablement à sa réalisation, et ce, quels que puissent être les effets possibles de l’opération projetée sur la concurrence ».

Elle observe par ailleurs que le caractère délibéré d’une violation des dispositions des I et II de l’article L. 430-8 est susceptible de constituer une circonstance aggravante. Or en l’espèce, ajoute l’Autorité, « la réalisation de l’opération sans notification et sans autorisation a découlé d’une accumulation de comportements traduisant une volonté délibérée de procéder à la réalisation effective de l’opération et d’un mépris des règles de concurrence ». Le dépôt effectif d’une pré-notification auprès de l’Autorité témoigne par exemple d’une « parfaite connaissance par Cofepp des obligations, relatives à la prise de contrôle exclusif de MBWS, qui pesaient sur elle et qu’elle a méconnues » (pt 96)1.

II – Autorisation de l’opération de concentration

L’Autorité de la concurrence a examiné les effets de l’opération sur les marchés de la production de spiritueux et de vins, à destination des circuits « on-trade » (cafés, hôtels, restaurants, grossistes, « cash & carry », cavistes…) et « off-trade » (grande distribution). Elle a estimé qu’il n’est pas exclu que la nouvelle entité envisage d’augmenter les prix sur les marchés de la vodka et du whisky, mais cette stratégie resterait confrontée à la concurrence, d’une part, de la grande distribution, par l’intermédiaire de ses marques de distributeurs, et, d’autre part, de plusieurs acteurs de taille mondiale, qui constituent autant d’alternatives pour les consommateurs.

Par ailleurs, sur les marchés du porto et de la tequila, Cofepp aurait détenu, à l’issue de l’opération, une position quasi monopolistique, mais afin de répondre à tout risque d’atteinte à la concurrence susceptible d’en résulter, Cofepp a présenté des engagements de nature structurelle sur chacun de ces marchés : la cession des marques Pitters (détenue par MBWS) et Tiscaz (détenue par Cofepp) à un ou plusieurs opérateurs indépendants, agréés par l’Autorité de la concurrence. L’opération a été autorisée sans analyse concurrentielle approfondie, le test de marché ayant démontré que ces engagements permettaient de répondre à tout problème éventuel posé par la position quasi monopolistique de la nouvelle entité sur lesdits marchés2.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Aut. conc., déc., 12 avr. 2022, n° 22-D-10, situation de la société Compagnie financière européenne de prises de participation au regard de l’article L. 430-8 du Code de commerce.
  • 2.
    Aut. conc., déc., 28 févr. 2019, n° 19-DCC-36, prise de contrôle exclusif de la société Marie Brizard Wine & Spirits par la société Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation.
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