Délimitation du marché pertinent : à qui incombe la charge de la preuve ?

Publié le 17/08/2022
Concurrence, compétition, affaires
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La cour d’appel de Paris rejette une demande en dommages-intérêts formée par une entreprise qui se plaignait d’un abus de position dominante, sans établir l’existence d’une position dominante.

La victime d’une pratique anticoncurrentielle qui désire obtenir réparation du dommage qu’elle lui a causé peut choisir entre deux voies procédurales. La première consiste à saisir dans un premier temps l’Autorité de la concurrence et à s’appuyer ensuite sur la décision de celle-ci devant le juge, saisi dans un deuxième temps. La seconde permet à la victime de saisir directement le juge mais, comme le montre la présente affaire, la charge de la preuve qui pèse sur elle est plus lourde.

L’affaire présentée oppose la société SHB à la société Schneider Electric France. Au cours de l’année 2012, la société SHB a passé, auprès de la société Schneider Electric France, une commande portant sur la fourniture de pièces de maintenance constructeur niveau 4. La société Schneider Electric a refusé de lui vendre ces pièces « sèches » (sans aucune prestation additionnelle) arguant du fait que celles-ci ne pouvaient être remplacées que par « les techniciens Schneider Electric Energy France ».

Saisi du litige, le tribunal de commerce de Paris a jugé, le 23 septembre 2019, que Schneider Electric occupait une position dominante sur le marché de la maintenance de niveaux 4 et 5 pour les matériels qu’elle produit et commercialise, et qu’elle n’avait pas abusé de cette position dominante.

La cour d’appel de Paris s’est surtout prononcée sur l’existence d’une position dominante. Elle rappelle que l’appréciation d’une position dominante sur le fondement de l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et de l’article L. 420-2 du Code de commerce passe en premier lieu par la délimitation d’un marché pertinent et en second lieu, par la mise en évidence de critères de domination sur ce marché. Et la cour de préciser qu’il appartient à SHB de délimiter ce marché. Or, l’entreprise ne s’est livrée à aucune démonstration à cet égard.

L’Autorité de la concurrence s’est également saisie de cette affaire. Dans sa décision nº 17-D-21 du 9 novembre 2017 elle a retenu qu’il ne peut être exclu qu’il existe en l’espèce un marché de la fourniture des équipements de distribution électrique moyenne tension. Cependant, l’affaire a donné lieu à une procédure d’engagement. Dès lors, observe la cour, si ladite décision a pu constater l’importance du groupe Schneider Electric, elle ne retient à aucun moment une « position dominante » du groupe au sens des articles L. 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE. La seule circonstance que l’Autorité n’ait pas exclu qu’un marché secondaire pour les prestations de maintenance approfondies des équipements de distributions électriques HTA et BT de marque Schneider Electric, distinct de ceux des marques concurrentes, puisse être identifié et que Schneider Electric était susceptible de détenir une position dominante sur les marchés secondaires de la fourniture des pièces de rechange nécessaires à la réalisation des prestations de maintenance approfondie sur des équipements primaires de sa marque, ne peut suffire.

La cour juge qu’il ne peut être tenu pour acquis l’existence d’un marché pertinent qu’il incombe à SHB de définir avant de rechercher l’existence de critères de domination sur ledit marché.

L’entreprise ne s’étant livrée à aucune démonstration du marché pertinent et la décision de l’Autorité ne pouvant en l’espèce y suppléer, alors qu’il s’agit d’un préalable nécessaire à la recherche d’existence de critères de domination sur ledit marché, la cour infirme le jugement attaqué en ce qu’il a retenu l’existence d’une position dominante occupée par Schneider Electric sur le marché de la maintenance de niveaux 4 et 5 pour les matériels que Schneider Electric produit et commercialise. La demande de SHB tendant à voir dire que les sociétés Schneider ont abusé de la position dominante qu’elles occupent sur le marché de la maintenance de niveaux 4 et 5 pour les matériels qu’elles produisent et commercialisent est en conséquence rejetée.

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