L’Autorité de la concurrence se tourne vers les PME

Publié le 17/07/2018

L’activité de l’Autorité de la concurrence ne faiblit pas, elle augmente même de façon significative en matière de concentrations. Outre le bilan d’activité de l’année 2017, la présidente de l’Autorité, Isabelle Da Silva, a présenté à la presse le 25 juin dernier les grands chantiers de l’année 2018 parmi lesquels figurent la santé, le numérique et la distribution.

L’Autorité de la concurrence, en 2017, a rendu 605 avis et décisions, dont 307 au titre de sa nouvelle mission relative aux professions réglementées, 236 décisions de contrôle des concentrations, 49 décisions contentieuses et 13 avis.

L’augmentation des décisions de concentrations est un signe positif de redémarrage de l’économie dont la présidente a souligné qu’il se confirmait sur les premiers mois de l’année 2018 (102 décisions de concentrations rendues à la date du 15 juin).

Sur les 232 décisions prononcées en 2017, huit ont donné lieu à des demandes d’engagement ou des injonctions car les opérations projetées aboutissaient à une réduction excessive de concurrence.

Par exemple, sur le marché des cliniques privées, le rachat de Médi-pôles Partenaires par Elsan a été validé à condition que l’acquéreur cède trois établissements afin de maintenir la diversité des soins dans certaines villes.

Au chapitre des sanctions, 2017 est une année qui se situe dans la moyenne en termes de montant global d’amendes infligées.

En 2014, l’Autorité avait franchi la barre du milliard (1 013,6 million) et renouvelé la performance l’année suivante (1 252,3 millions d’euros).

Dans la moyenne des sanctions

En 2017, elle a prononcé 497,8 millions d’euros d’amende dans 9 dossiers. Le plus petit, Arts de la table et de la cuisine (N° 17-D-01 du 26 janvier 2017), a donné lieu au prononcé d’une amende de 3 200 euros à l’encontre d’une PME distribuant des objets de dégustation de vin (3,9 millions de CA) accusée d’entente avec ses distributeurs sur un prix de vente au consommateur.

Si la sanction est modeste, l’Autorité de la concurrence a voulu à travers elle faire passer un message important : même une petite PME est tenue par le respect des règles de la concurrence.

De fait, l’Autorité ne s’inscrit pas seulement dans une démarche de sanction à leur égard. Ayant pris acte que contrairement aux grandes entreprises, elles ne s’étaient pas encore approprié les règles de concurrence, elle va publier un guide à leur intention en collaboration avec le MEDEF et la CGPME.

Parmi les plus importantes sanctions, l’Autorité a condamné un fabricant de médicament à 25 millions d’euros pour avoir retardé l’arrivée du générique de cet antalgique puissant puis d’avoir mis en œuvre « une vaste campagne de dénigrement » à l’encontre du générique (Durogesic – DC 17-D-25 du 20 décembre 2017).

Dans une autre décision (17-D-27 du 21 décembre 2017) l’Autorité a fait pour la première fois application de l’article L. 464-2 du Code de commerce qui lui permet de sanctionner une entreprise qui fait obstacle à l’investigation ou à l’instruction d’un dossier. En l’espèce, l’entreprise ne répondait pas ou de manière incomplète. Montant de l’amende : 30 millions d’euros.

Autre amende significative, celle de 40 millions d’euros infligée à Altice et SFR pour non-respect de certains engagements pris dans le cadre de la décision de concentration de 2014 concernant leur rapprochement.

La deuxième plus grosse amende de l’année, 100 millions, a été infligée à Engie pour abus de position dominante sur le marché du gaz naturel (n° 17-D-06 du 21 mars 2017). Enfin, la plus importante, 302 millions, a été prononcée dans l’affaire dite du Cartel de revêtements de sol (17-D-20 du 18 octobre 2017). Celle-ci a été considérée comme particulièrement grave par l’Autorité pour plusieurs raisons. D’abord, l’entente sur les prix entre les 3 principaux fabricants de sols en PVC et linoléums durait depuis 23 ans. Ensuite, il impliquait un syndicat professionnel, ce qui, au passage, a incité l’Autorité de la concurrence à envisager de réaliser une étude sur ces organismes car il s’y échange souvent des informations qui ne devraient pas y être communiquées. Enfin, les trois acteurs s’étaient également entendus pour ne pas fournir d’informations environnementales sur leurs produits, empêchant de facto les consommateurs d’accéder à ces données et d’opter pour le produit le moins polluant.

Plus de pouvoirs pour les autorités nationales

Parmi les chantiers en cours de l’Autorité figure l’accélération du traitement des dossiers.

Il y avait 417 dossiers en stock en 2000, ils ne sont plus que 192 fin 2017 et la présidente souhaite que ce chiffre continue de diminuer, étant entendu qu’il faut trouver un juste équilibre entre le temps incompressible de la procédure et la nécessité d’agir dans un délai cohérent avec le rythme de l’économie.

L’Autorité ambitionne également de recentrer ces contrôles là où il y a des enjeux économiques importants et faciliter des procédures pour les entreprises.

Une question en suspens depuis plusieurs mois devrait trouver sa réponse à la rentrée, il s’agit de savoir comment gérer les concentrations dans les secteurs de pointe où une entreprise qui réalise peu ou pas de chiffre d’affaires est rachetée plusieurs centaines de millions d’euros, par exemple, l’application de messagerie WhatsApp rachetée 19 milliards d’euros par Facebook en 2014. 

À l’époque, l’application a certes 350 millions d’utilisateurs, mais elle affiche 232 millions de dollars de pertes nettes pour un chiffre d’affaires de 15 millions…

L’absence ou la modestie du chiffre d’affaires place ces opérations sous le seuil de contrôle des opérations de concentration alors même que leur effet économique peut s’avérer beaucoup plus important que les montants en jeu. Les Allemands ont opté pour un seuil de transaction, conduisant à soumettre à l’Autorité toute opération se réalisant pour un prix supérieur à un montant défini. L’Autorité de la concurrence semble vouloir privilégier une autre option qui consisterait à autoriser les contrôles ex post dans les dossiers à fort enjeux concurrentiels. La décision sera prise à l’automne.

Toujours à l’automne, l’Autorité organisera une conférence sur la transaction. Introduite par la loi du 6 août 2015 dite loi Macron, cette nouvelle procédure rencontre un grand succès. « C’est la plus importante modification procédurale de ces dernières années », a souligné la présidente. « Maintenant que nous avons suffisamment de recul sur la transaction, nous souhaitons lui donner plus de visibilité ». 

À l’inverse, la clémence qui a eu longtemps de l’attrait sur les entreprises est en perte de vitesse. Ce serait lié au contentieux de l’indemnisation. La directive sur les dommages liés aux pratiques anticoncurrentielles transposée par l’ordonnance du 9 mars 2017 n’exige pas du plaignant qu’il démontre l’existence d’une infraction. Comme les demandes peuvent aller jusqu’à 4 ou 5 fois le montant des sanctions prononcées, le bénéfice d’une sanction réduite ou annulée dans le cadre d’une clémence s’en trouve singulièrement remis en cause.

Toujours au chapitre réglementaire mais cette fois prospectif, l’accord politique obtenu sur la directive ECN+ (European competition newtwork) va doter les autorités de concurrence d’un socle commun de compétences, renforcer leurs moyens et les doter de nouveaux pouvoirs. Elle devrait être adoptée d’ici la fin de l’année et les États membres auront deux ans pour la transposer.

En France, cela devrait permettre à l’Autorité de la concurrence d’obtenir le pouvoir de décider de l’opportunité des poursuites, mais aussi la faculté de s’autosaisir pour prononcer des mesures conservatoires quand une pratique menace une entreprise ou l’économie, ce qu’elle ne peut faire à l’heure actuelle que si elle est saisie par un tiers.

Une enquête sectorielle sur la santé va être lancée

Parmi les chantiers sectoriels qui mobilisent l’attention de l’Autorité actuellement figure en bonne place la distribution des produits de grande consommation. L’Autorité constate une recomposition des acteurs de la distribution aux termes de laquelle, de plus en plus d’acteurs de la vente en ligne sont rachetés par des acteurs traditionnels qui développent désormais des stratégies intégrées de vente physique et en ligne (phygital).

Outre les dossiers particuliers dont elle est saisie, l’Autorité pourrait lancer une étude sur le sujet. Sans surprise, le numérique constitue également un sujet de premier rang, qu’il s’agisse de la publicité en ligne, du Big Data, des algorithmes etc.

Le 1er février 2018, l’Autorité de la concurrence a autorisé pour la première fois un rapprochement entre deux plates-formes en ligne : Logic-immo et Se Loger. À cette occasion, elle s’est penchée sur la question des réseaux croisés et sur les données ; elle souligne par ailleurs avoir recouru à une méthodologie inédite, l’envoi d’un questionnaire à 30 000 agences immobilières.

Mais ce qui va surtout l’occuper cette année, c’est la santé. L’Autorité a lancé une enquête sectorielle de santé qui vise à étudier le circuit de distribution des médicaments et les possibilités de modifier le cadre réglementaire pour renforcer la concurrence. Cela concerne le monopole officinal, la création de chaînes de pharmacie, l’activité biomédicale et la vente en ligne de médicaments. Une consultation publique sera organisée à l’automne et l’avis publié cet hiver.

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