Le masque Intersport a plongé : la Cour de cassation confirme le parasitisme du produit phare de Decathlon

Publié le 05/11/2024
Le masque Intersport a plongé : la Cour de cassation confirme le parasitisme du produit phare de Decathlon
AliaksandrBS/AdobeStock

Le 26 juin 2024, la Cour de cassation a rendu deux arrêts à visée pédagogique, contribuant à définir les contours du parasitisme, notion évanescente s’il en est. Elle l’a tantôt accueilli, dans l’affaire Decathlon contre Intersport sur la reprise d’un masque de plongée, tantôt écarté, dans l’affaire opposant Maisons du Monde à Auchan sur la reprise d’un décor vintage sur de la vaisselle.

Pour répondre à la question « quand peut-on parler de parasitisme ? », la Cour de cassation approfondit les deux conditions qualifiant cette forme de déloyauté que sont la valeur économique identifiée individualisée et la volonté du tiers de se placer dans le sillage du parasité. Une démarche particulièrement utile pour toutes les entreprises qui ont pris des risques en misant énergie, temps et investissements sur un produit ou un concept innovant et qui font face à sa reprise, sans pouvoir se reposer sur la protection d’un droit de propriété intellectuelle, ni sur la sanction d’un risque de confusion par la concurrence déloyale. C’était précisément le fondement de la dernière chance pour Decathlon, dans la mesure où la contrefaçon de son modèle avait été écartée et où les deux masques, certes ressemblants, étaient loin de se confondre.

Après plusieurs années de développement, Decathlon a mis au point un masque de snorkeling, et l’a protégé en déposant des modèles communautaires. Ce masque intégral avec tuba intégré était le premier sur le marché français à éviter la buée sur la vitre, offrir une vision panoramique et une inspiration par la bouche ou par le nez.

Il a été commercialisé à partir de 2014 et a rapidement connu un grand succès.

De son côté, son concurrent direct Intersport lance en 2017 un masque intégral du même type, fourni par la société allemande Phoenix. Decathlon les assigne en octobre 2017 sur la base de trois fondements : contrefaçon de modèle, concurrence déloyale du fait d’un risque de confusion et parasitisme.

En première instance1, comme en appel2, si la validité du modèle est confirmée, sa contrefaçon est écartée. Les magistrats ont relevé des caractéristiques communes, mais ont également noté que nombre d’entre elles étaient imposées par des contraintes techniques. Pour le reste, des différences « notables » créaient chez l’utilisateur averti une impression visuelle globalement différente.

De façon cohérente, la concurrence déloyale a été écartée, pour les mêmes raisons, le tribunal ayant lui précisé que les articles étaient distribués dans des enseignes bénéficiant d’une notoriété telle qu’elles ne peuvent pas être confondues.

La dernière bouée de sauvetage de l’innovateur

Devant cette impasse, l’enjeu était pour Decathlon de faire sanctionner la reprise d’un produit ni reproduit servilement, ni susceptible d’être confondu, et naturellement, sans pouvoir se prévaloir d’un monopole sur la commercialisation de tout masque de plongée intégral.

Il est en effet permis à tout acteur de copier le produit ou le concept d’un concurrent dès lors qu’il n’est pas protégé par un droit de propriété intellectuelle puisque, selon l’adage : « Les idées sont de libres parcours ». Il est même permis de rechercher une économie au détriment d’un concurrent.

Mais la liberté du commerce a pour limite les usages loyaux de ce commerce. C’est là qu’intervient l’utilité du parasitisme, dont la notion est une création prétorienne développée depuis une trentaine d’années3.

La jurisprudence a ainsi sanctionné des comportements hétéroclites, impossibles à ranger dans une seule catégorie, mais traduisant la reprise d’un produit, un service ou une idée, générant un avantage économique et obtenu grâce à des efforts significatifs, et exploitée sans bourse délier par un tiers (qui n’est d’ailleurs pas nécessairement un concurrent4).

La notion ayant été critiquée pour être « floue »5, « vague et imprécise »6 et donc créatrice d’insécurité juridique, la Cour de cassation poursuit son objectif de clarification à travers ses arrêts du 26 juin 2024, sans pour autant la révolutionner.

La Cour a d’abord rappelé une définition classique : « Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis » avant de poser une méthode en deux étapes à suivre pour constituer un dossier concluant, avec des indications sur ce qui sert et ce qui ne sert pas à emporter la conviction des magistrats.

Première étape : « identifier la valeur économique identifiée et individualisée », le petit plus qui fait la différence

La Cour précise de façon négative que la « longévité et le succès de la commercialisation d’un produit » ne suffisent pas à caractériser cette valeur.

De façon positive, il s’agit donc d’établir un savoir-faire, des investissements et/ou une notoriété, qui doivent être (i) reliés à un concept ou un produit et (ii) significatifs.

Par contraste, l’absence de travail de mise au point ou de coûts exposés par le tiers peut conforter la valeur économique que l’on cherche à démontrer.

Il en est de même pour l’inexistence d’articles équivalents sur le marché au moment du lancement du produit parasité, qui conforte l’existence d’une démarche innovante.

En l’espèce, Decathlon démontrait la notoriété de son produit grâce à un dossier d’articles de presse faisant étant d’une innovation révolutionnaire et d’un produit phare de l’enseigne, un travail de conception de plusieurs années pour au moins 350 000 €7, des investissements publicitaires de plus de 3 millions d’euros et un succès commercial justifié par plus de 2 millions de produits vendus en 4 ans.

Dans l’affaire parallèle, Maisons du Monde a échoué dans sa démonstration de valeur économique, la Cour retenant que son décor de tableau constituait une combinaison banale d’images existantes, qui n’a jamais été mise en avant comme emblématique de l’univers de la marque, et qui a été commercialisé sur une période limitée. Entre les lignes, il faut comprendre que la valeur recherchée n’était pas individualisée comme un élément du patrimoine de Maisons du Monde.

En résumé, celle-ci n’établissait ni un effort de création significatif, ni un succès commercial, ni un produit phare et il s’agissait d’un « genre en vogue » qu’elle n’était pas la seule à exploiter.

Deuxième étape : identifier « la volonté d’un tiers de se placer dans son sillage »

De façon négative, la Cour de cassation martèle que la seule déclinaison d’un concept ne suffit pas à démontrer cette volonté.

En revanche, la chronologie des faits peut être déterminante, puisque la Cour retient la concomitance entre l’arrivée du produit litigieux et une période où le produit initial est déjà un succès commercial connu du public.

L’intention fautive se déduit enfin du choix de se positionner sur un produit identique d’un point de vue fonctionnel, mais aussi fortement inspiré de son apparence, ce qui crée un lien entre les deux produits.

Pour Intersport, le lancement à ce moment précis d’un masque similaire lui a permis « de bénéficier, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d’un avantage concurrentiel et caractérise la volonté délibérée (…) de se placer dans le sillage des sociétés Decathlon pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par leur masque ».

Un concept qui reste difficile à appréhender, mais utile par sa flexibilité

Pour être efficace, le parasitisme doit pouvoir s’adapter à une multiplicité de comportements et de situations en adoptant le bon dosage entre loyauté et libéralisme. Il ne peut donc pas être délimité par un cadre trop précis. Les cas sanctionnés traduisent généralement des situations dans lesquelles se cumulent des indices assez manifestes de déloyauté.

Pour éviter de boire la tasse, il revient donc aux opérateurs de se poser les questions suivantes : que m’aurait coûté d’être le premier à obtenir cette valeur et aurais-je toléré que l’on profite de ces efforts dès qu’ils se sont révélés payants ?

Notes de bas de pages

  • 1.
    TJ Paris, 14 févr. 2000, n° 17-14731.
  • 2.
    CA Paris, 28 janv. 2022, n° 20/04831.
  • 3.
    La première utilisation du parasitisme étant attribuée à la cour d’appel de Toulouse dans un arrêt du 19 octobre 1988 (D. 1989, p. 290, J.-J. Barbiéri) cité par JCl. Marques – Dessins et modèles, V Concurrence déloyale et concurrence parasitaire, P. Greffe, fasc. 3495, n° 78.
  • 4.
    Cass. com., 15 nov. 2011, n° 10-25473.
  • 5.
    V. l’article « Quand peut-on parler de parasitisme » dans la Lettre de la chambre commerciale de la Cour de cassation n° 13, juill. 2024, p. 16.
  • 6.
    V. not. JCl. Marques – Dessins et modèles, V Concurrence déloyale et concurrence parasitaire, P. Greffe, fasc. 3495, nos 77 et 80.
  • 7.
    Parmi lesquels des frais de développement et de prototypage, de production de moules, de modélisation 3D, de tests consommateurs, de design, etc.
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