Le plug and play, déloyal ou pas ?… Saison 3
Les ordinateurs sont le plus souvent vendus avec les logiciels qui permettent leur fonctionnalité. Or ce procédé de vente liée n’étant interdit que s’il constitue une pratique déloyale, toute la difficulté est de dessiner les contours de la déloyauté de l’offre de matériel plug and play sans alternative d’achat du hardware seul, alors que force est de reconnaître que ce type d’offre correspond aux attentes du plus grand nombre. La difficulté est exacerbée par la nécessité d’articuler le droit français et les dispositions communautaires de la directive de 2005 sur les pratiques déloyales. L’arrêt que vient de rendre la CJUE le 7 septembre 2016 devrait mettre un terme aux hésitations qui ont marqué la jurisprudence française ces dernières années.
Un bref rappel des épisodes précédents s’impose pour comprendre les rebondissements de ce qui s’apparente à une véritable « série » jurisprudentielle. Le marché de l’informatique est aujourd’hui dominé par la tendance des professionnels à proposer aux consommateurs des ordinateurs prêts à fonctionner dès la première mise en route en les équipant de divers logiciels (plug and play). L’offre d’ordinateurs nus avec libre choix d’un système d’exploitation gratuit, tel que les versions de Linux, reste encore marginale et répond davantage aux attentes d’une clientèle plutôt bien avertie. Pourtant, certains particuliers, relayés par des associations de consommateurs, n’hésitent pas à remettre en cause la méthode commerciale qui consiste à proposer à la vente un lot de produits et de subordonner l’achat d’un produit à celui de tous ceux qui composent le lot. Cette pratique commerciale, qualifiée de vente subordonnée, était par le passé traditionnellement condamnée, mais elle n’est plus interdite en soi.
Le détonateur de cette petite révolution n’est autre qu’un arrêt de la Cour de justice du 23 avril 20091 rendu à propos de la question de la compatibilité de la législation belge prohibant les ventes subordonnées avec la directive communautaire du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs2. En effet, la Cour de justice avait souligné le caractère de la directive d’harmonisation maximale des droits des États membres qui ne pouvaient maintenir ou adopter des mesures plus restrictives que celles prévues par le texte communautaire, et, après avoir noté que les ventes liées ne sont absolument pas visées par l’annexe I de la directive qui contient la liste exhaustive des pratiques commerciales déloyales per se, la Cour en avait déduit qu’une mesure nationale d’interdiction de toute offre conjointe sans tenir compte des circonstances concrètes du cas d’espèce était incompatible avec le droit communautaire. En d’autres termes, une offre conjointe ne peut faire l’objet que d’une interdiction indirecte, s’il est démontré que dans le cas d’espèce, il s’agit d’une pratique déloyale.
La Cour de cassation française en avait tiré les leçons à propos de l’article L. 122-1 du Code de la consommation interdisant les ventes liées, en imposant son interprétation « dans le respect des critères énoncés par la directive » du 11 mai 20053. Et le législateur en a pris acte dans la loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit du 17 mai 2011. L’article L. 122-1, alinéa 1er du Code de la consommation, devenu l’article L. 121-11 avec l’ordonnance du 14 mars 20164, dispose désormais qu’il est interdit « de subordonner la vente d’un produit à l’achat d’une quantité imposée ou à l’achat concomitant d’un autre produit ou d’un autre service ainsi que de subordonner la prestation d’un service à celle d’un autre service ou à l’achat d’un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale ». On peut donc affirmer avec certitude que la vente d’ordinateurs avec logiciels préinstallés n’est susceptible d’être interdite que si elle constitue une pratique déloyale au sens de l’article L. 121-1 du Code de la consommation, lequel reprend l’article 5 de la directive de 2005. Ainsi s’achevait la saison 1, tout en laissant présager de nouveaux rebondissements car fort logiquement le contentieux s’est déplacé sur la qualification de l’offre plug and play. La saison 2 de cette saga judiciaire a été marquée par une jurisprudence hésitante. À tel point que certains auteurs ont même parlé de « cacophonie des juridictions du fond »5. Malheureusement, cette cacophonie n’a été qu’à peine canalisée par la haute juridiction dont les arrêts souvent laconiques se sont prêtés à des interprétations divergentes des commentateurs.
À la vérité, deux grandes questions faisaient durer le suspens : l’une consistait à se demander si le professionnel qui ne laisse pas d’autre choix au consommateur que celui d’accepter l’achat d’un ordinateur avec logiciels intégrés ou d’obtenir la révocation de la vente se rend coupable d’une pratique déloyale ; et l’autre se focalisait sur le fait de savoir si le professionnel doit informer le consommateur du prix des logiciels qu’il intègre dans l’offre conjointe.
Ces deux questions étaient au cœur de l’affaire qui a donné lieu à un arrêt de la Cour de cassation du 17 juin 20156 qui a saisi la CJUE de ces questions. En l’espèce, un particulier avait fait l’acquisition d’un ordinateur équipé de logiciels mais, il avait ensuite sollicité la Société Sony, le constructeur, pour obtenir remboursement du prix correspondant au coût des logiciels. Devant le refus de la société Sony qui concédait juste la possibilité d’annuler la vente, le consommateur s’est prévalu devant les tribunaux de l’existence d’une pratique déloyale.
Dès lors, on pouvait espérer que la réponse de la Cour de justice viendrait clore le débat.
En définitive, la Cour européenne se prononce clairement sur la question de l’information du consommateur sur le prix de l’ordinateur plug and play. Elle affirme en effet que l’absence d’indication du prix de chacun des logiciels préinstallés dans le cadre d’une offre conjointe d’un ordinateur équipé de logiciels, n’est pas constitutive d’une pratique commerciale trompeuse (II). En revanche, concernant l’absence d’alternative offerte au consommateur de se procurer le même modèle d’ordinateur nu, elle n’est pas en tant que telle une pratique déloyale sauf à ce qu’elle remplisse les conditions de l’article 5, § 2, de la directive sur les pratiques commerciales déloyales, ce qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier en tenant compte des circonstances spécifiques de l’affaire (I).
I – Loyauté de principe de la vente jumelée d’ordinateurs avec logiciels sans alternative
La Cour de cassation avait en réalité posé deux questions. D’une part, l’offre conjointe qui implique l’achat de tout ou rien est-elle déloyale ? Et d’autre part, sa loyauté est-elle subordonnée à la possibilité pour le consommateur de se procurer le même modèle non équipé des logiciels auprès du même fabriquant ?
La CJUE regroupe ces deux questions qui constituent en réalité les deux facettes d’un même problème. En effet, une pratique commerciale qui n’est pas recensée au nombre des pratiques déloyales en toutes circonstances de l’annexe I de la directive de 2005, peut être déloyale au regard de l’article 5, § 2, de ladite directive si deux conditions sont remplies :
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la pratique est contraire aux exigences de la diligence professionnelle ;
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la pratique altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen.
La CJUE ne fait ici que reprendre le raisonnement qu’elle avait suivi dans son arrêt VAB-VTB de 2009. Dès lors, il importe de savoir si le fait de proposer à la vente uniquement des ordinateurs équipés de logiciels contrevient aux exigences de la diligence professionnelle. Pour cela, et conformément à la définition posée à l’article 2, sous h), il faut s’assurer que cette pratique est contraire aux pratiques de marché honnêtes et/ou au principe général de bonne foi (pt 34). La juridiction européenne indique qu’il reviendra à la juridiction nationale de se fonder à cet effet sur les attentes légitimes de la plupart des consommateurs, l’information du consommateur quant à l’existence des logiciels préinstallés et leurs caractéristiques précises, ainsi que la possibilité de révoquer la vente pour se prononcer sous l’angle du respect des exigences de la diligence professionnelle.
Sur ce point, dans un arrêt du 6 octobre 20117, la Cour de cassation a cassé la décision des juges du fond qui avaient jugé que le fait de ne pas indiquer les conditions d’utilisation des logiciels ne prive pas le consommateur moyen d’une information essentielle pour prendre une décision en connaissance de cause. Ce faisant, elle avait considéré qu’une telle omission constituait une pratique déloyale. Les précisions de la CJUE vont donc dans le même sens.
Reste la seconde condition : l’altération du comportement du consommateur moyen.
Le fait de ne pas offrir la possibilité de se procurer uniquement le hardware auprès du même fabriquant est-il susceptible d’altérer le comportement du consommateur moyen ?
Sur ce point, la jurisprudence de la Cour de cassation n’était pas très claire. Un arrêt du 12 juillet 20128 avait censuré les juges du fond qui avaient qualifié de déloyale l’offre d’ordinateurs plug and play de Hewlett Packard alors qu’ils avaient constaté que le consommateur pouvait trouver des ordinateurs nus sur le site HP dédié aux professionnels. Certains auteurs en avaient tiré la leçon que l’on ne pouvait donc pas reprocher une pratique déloyale à un professionnel qui diversifie son offre et propose des ordinateurs nus9 tandis que d’autres se montraient plus réservés10.
En revanche, la plupart des auteurs ont paru interpréter un arrêt plus récent du 5 février 201411 comme imposant au fabriquant, mais non au vendeur, de proposer alternativement des ordinateurs nus ou équipés pour que l’offre conjointe d’ordinateurs avec logiciels échappe à la qualification de pratique déloyale.
Toutefois, comme l’a fait remarquer le professeur Carole Aubert de Vincelles12, l’impossibilité de se procurer un ordinateur « nu » auprès du même fournisseur n’était pas suffisant à caractériser une pratique déloyale car il fallait encore prouver que cette pratique altère le comportement économique du consommateur. Or, pour cet auteur, il n’était pas certain que cette seconde condition soit remplie.
En fait, le présent arrêt de la CJUE semble bien lui donner raison. Ce qui compte c’est que le consommateur s’engage en connaissance de cause et pour cela il doit être dûment informé des conditions contractuelles et des conséquences de la conclusion d’un contrat de manière à décider s’il choisit de s’engager ou pas (pt 40). On pourrait penser que son comportement économique n’est pas altéré dès lors que, avant de conclure le contrat, il sait qu’il n’a pas la possibilité d’obtenir le modèle qu’il convoite sans logiciel, car libre à lui de s’adresser à un autre fournisseur.
À notre sens, peu importe la conception plus ou moins élevée que l’on retient du consommateur moyen en informatique. S’il l’on retient une conception a minima qui correspond à la majorité des acheteurs d’ordinateurs, le client sera trop heureux d’avoir un matériel prêt à l’emploi tandis que si l’on retient une conception plus élevée tenant compte des progrès techniques de plus en plus suivis par le public, le consommateur d’informatique s’adressera à un autre professionnel pour obtenir une offre qui lui correspond davantage.
Cette solution aurait le mérite de faire prévaloir une conception de consommateur responsable et présente le net avantage d’éviter des achats de mauvaise foi par des geeks qui, dès qu’ils ont quitté le magasin, s’empressent de solliciter le remboursement des logiciels intégrés qu’ils n’ont jamais eu l’intention d’utiliser.
Mais, la CJUE ne donne ici qu’un mode d’emploi, il reste aux juridictions françaises de se prononcer et d’apprécier lorsqu’un consommateur a été dûment informé avant l’achat qu’il ne pouvait pas obtenir le même équipement sans le software, si son aptitude à prendre une décision commerciale en connaissance de cause a été compromise. Est-ce à dire que le débat n’est pas définitivement clos ? Ce serait regrettable car qualifier l’absence d’offre alternative de pratique déloyale bouleverserait les stratégies commerciales des professionnels qui seraient en définitive obligés de diviser leurs offres dans l’intérêt d’un petit nombre de consommateurs seulement.
Cependant, cette issue semble peu probable (mais il s’agit de notre propre pronostic qui restera à vérifier), au regard de la réponse de la CJUE à la question de la ventilation du prix de vente.
II – L’absence de ventilation du prix de vente d’un ordinateur pré-équipé n’est pas une pratique trompeuse
L’appréciation de l’absence d’indication ventilée du prix du hardware et de chacun des logiciels se pose sous l’angle des pratiques commerciales trompeuses. Effectivement, en application de l’article 5, § 4, sous a) de la directive de 2005, les pratiques trompeuses sont déloyales, étant précisé que la directive distingue les actions trompeuses (art. 6) et les omissions trompeuses (art. 7). Or, l’article 7, § 1 dispose qu’est trompeuse une pratique qui consiste à omettre une information substantielle dont le consommateur a besoin pour prendre une décision commerciale en connaissance de cause, ce qui l’amène ou peut l’amener à prendre une décision qu’il n’aurait pas prise s’il en avait eu connaissance ; et l’article 7, § 4, sous c) précise que le prix TTC du produit fait partie de ces informations substantielles.
La question posée par la Cour de cassation devait amener la CJUE à se prononcer sur l’interprétation de l’article 7 lorsqu’est mentionné le prix global de l’ordinateur pré-équipé mais que ne sont pas précisés les prix de chaque logiciel pris séparément.
Là aussi la question méritait d’être posée tant la position de la Cour de cassation laissait jusqu’à présent l’interprète sur sa faim.
En effet, dans son arrêt du 6 octobre 201113, la Cour de cassation avait indiqué, au moins implicitement, que les informations relatives au prix de chacun des éléments constituant l’offre d’ordinateurs plug and play étaient substantielles pour un consommateur moyen et partant, le lecteur était tenté d’en déduire que leur omission est susceptible de constituer une pratique trompeuse, donc déloyale14. En revanche, elle avait paru beaucoup plus réservée dans son arrêt du 12 juillet 201215 où elle s’était contentée d’écarter la déloyauté de la vente d’ordinateur prêt à l’emploi dans la mesure où le professionnel proposait également des ordinateurs non équipés de logiciels. Il faut dire que dans de telles circonstances, l’information ventilée du prix de vente du hardware et du software apparaît moins cruciale, le consommateur pouvant comparer par lui-même l’offre de l’ordinateur équipé et celle du même matériel nu.
D’une matière générale, nombre d’auteurs s’accordaient cependant pour estimer que l’indication d’un prix ventilé paraissait essentielle pour que le consommateur puisse se décider en pleine connaissance de cause et que son omission constituait une pratique trompeuse16. Pour notre part nous avions fait preuve de davantage de réserve17 pour plusieurs raisons. D’une part le prix du logiciel ne pourrait être que le prix auquel il revient au professionnel et non le prix à l’unité auquel un particulier peut se le procurer séparément, ce qui présente un intérêt somme toute réduit. D’autre part, on pourrait craindre des décisions impulsives du consommateur de se tourner vers un ordinateur « nu » en ayant l’impression de faire une bonne affaire alors qu’il n’a pas les compétences nécessaires pour le configurer lui-même. Enfin, l’indication du prix de chaque logiciel ne conduirait-elle pas le consommateur à croire qu’il peut légitimement demander le remboursement de ceux qu’il n’entend pas utiliser et dès lors, le refus du professionnel ne devrait-il pas s’analyser en pratique trompeuse par action, au sens de l’article 6 de la directive de 2005, en ce qu’il a fait naître une croyance erronée dans l’esprit du consommateur et l’a amené à conclure une vente qu’il n’aurait pas conclu autrement ?
La CJUE adopte ici une position tout à fait opportune. Elle estime en effet que l’indication du prix est certes une information substantielle mais que ce prix s’entend du prix d’un produit tel qu’il est proposé à la vente (pt 46), autrement dit, il doit correspondre au prix global du produit et non au prix de chacun de ses éléments. La Cour ajoute qu’indépendamment du fait que le prix des éléments d’un produit ne fasse pas partie des informations substantielles au sens de l’article 7, § 4, de la directive, en présence d’une offre conjointe, sans alternative, l’absence d’indication du prix des logiciels n’est ni de nature à empêcher le consommateur de prendre une décision commerciale en connaissance de cause, ni susceptible de l’amener à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement (pt 51).
La messe est dite et les professionnels du secteur informatique devraient donc être rassurés par cette décision. L’offre conjointe d’ordinateurs devrait voir sa validité maintenue dès lors que le professionnel informe le public des conditions d’achat, nécessairement groupé, du hardware et des logiciels en indiquant les caractéristiques de chaque élément et un prix global. Il revient ensuite au consommateur d’être aussi un « consom-acteur » responsable, et d’acheter ou pas.
Annexe
Extraits de l’arrêt :
18. Il ressort du dossier de l’affaire au principal que, le 27 décembre 2008, M. Deroo-Blanquart a acquis en France un ordinateur portable de marque Sony, modèle VAIO VGN-NR38E, équipé de logiciels préinstallés tels que, d’une part, le système d’exploitation Microsoft Windows Vista édition Home Premium et, d’autre part, de multiples logiciels applicatifs.
19. Lors de la première utilisation de cet ordinateur, M. Deroo-Blanquart a refusé de souscrire au « Contrat de Licence Utilisateur Final » (CLUF) du système d’exploitation, affiché sur l’écran dudit ordinateur, et a sollicité, le 30 décembre 2008, auprès de Sony, le remboursement de la partie du prix d’achat du même ordinateur correspondant au coût des logiciels préinstallés.
26. Après avoir relevé que les dispositions du droit national applicables entrent dans le champ d’application de la directive 2005/29, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Les articles 5 et 7 de la directive 2005/29 doivent-ils être interprétés en ce sens que constitue une pratique commerciale déloyale trompeuse l’offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés lorsque le fabricant de l’ordinateur a fourni, par l’intermédiaire de son revendeur, des informations sur chacun des logiciels préinstallés, mais n’a pas précisé le coût de chacun de ces éléments ?
2) L’article 5 de la directive 2005/29 doit-il être interprété en ce sens que constitue une pratique commerciale déloyale l’offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, lorsque le fabricant ne laisse pas d’autre choix au consommateur que celui d’accepter ces logiciels ou d’obtenir la révocation de la vente ?
3) L’article 5 de la directive 2005/29 doit-il être interprété en ce sens que constitue une pratique commerciale déloyale l’offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, lorsque le consommateur se trouve dans l’impossibilité de se procurer auprès du même fabricant un ordinateur non équipé de logiciels ? ».
35. En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, notamment, que la vente par Sony d’ordinateurs équipés de logiciels préinstallés répond aux attentes, telles qu’elles se dégagent de l’analyse du marché concerné, d’une part importante des consommateurs qui préfèrent l’acquisition d’un ordinateur ainsi équipé et d’utilisation immédiate à l’acquisition séparée d’un ordinateur et de logiciels. Par ailleurs, toujours selon cette décision, avant de procéder à l’achat de l’ordinateur en cause au principal, M. Deroo-Blanquart, en sa qualité de consommateur, a été dûment informé par l’intermédiaire du revendeur de Sony de l’existence des logiciels préinstallés sur cet ordinateur et des caractéristiques précises de chacun de ces logiciels. Enfin, après l’achat, lors de la première utilisation dudit ordinateur, Sony a offert à M. Deroo-Blanquart la possibilité, ou bien, de souscrire au « Contrat de Licence Utilisateur Final », afin de pouvoir utiliser lesdits logiciels, ou bien d’obtenir la révocation de la vente.
36. À cet égard, la Cour a déjà précisé que, moyennant notamment une information correcte du consommateur, une offre conjointe de différents produits ou services peut satisfaire aux exigences de loyauté posées par la directive 2005/29 (v. arrêt du 23 avril 2009, VTB-VAB et Galatea, C‑261/07 et C‑299/07, EU:C:2009:244, pt 66).
37. Dans ce contexte, il importe de relever que les circonstances, telles que celles évoquées au point 35 du présent arrêt, à savoir, notamment, l’information correcte du consommateur, la conformité de l’offre conjointe aux attentes d’une part importante des consommateurs ainsi que la possibilité offerte au consommateur d’accepter tous les éléments de cette offre ou d’obtenir la révocation de la vente, sont susceptibles de répondre aux exigences des pratiques de marché honnêtes ou du principe général de bonne foi dans le domaine de la production de matériel informatique destiné au grand public, le professionnel faisant ainsi preuve de soins vis-à-vis d’un consommateur. Par conséquent, il appartient à la juridiction nationale de les prendre en considération dans le cadre de son appréciation globale de l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal sous l’angle du respect des exigences de la diligence professionnelle.
38. Dans un second temps, il convient d’examiner si une pratique commerciale consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés sans possibilité pour le consommateur de se procurer le même modèle d’ordinateur non équipé de logiciels préinstallés provoque ou est susceptible de provoquer une altération substantielle du comportement économique du consommateur moyen par rapport au produit, à savoir, conformément à l’article 2, sous e), de la directive 2005/29, de compromettre sensiblement son aptitude à prendre une décision en connaissance de cause et de l’amener par conséquent à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement.
39. À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que, ainsi qu’il a été relevé au point 35 du présent arrêt, le consommateur a été dûment informé, avant de procéder à l’achat, que le modèle d’ordinateur en cause au principal n’était pas commercialisé sans logiciels préinstallés.
42. Eu égard aux observations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions qu’une pratique commerciale consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés sans possibilité pour le consommateur de se procurer le même modèle d’ordinateur non équipé de logiciels préinstallés ne constitue pas, en tant que telle, une pratique commerciale déloyale au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2005/29, à moins qu’une telle pratique soit contraire aux exigences de la diligence professionnelle et altère ou soit susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur moyen par rapport à ce produit, ce qu’il appartient à la juridiction nationale d’apprécier, en tenant compte des circonstances spécifiques de l’affaire au principal.
43. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le cadre d’une offre conjointe consistant en la vente d’un ordinateur équipé de logiciels préinstallés, l’absence d’indication du prix de chacun de ces logiciels constitue une pratique commerciale trompeuse au sens de l’article 5, paragraphe 4, sous a), et de l’article 7 de la directive 2005/29.
49. En outre, il résulte de l’article 7, paragraphe 1, de ladite directive que le caractère substantiel d’une information doit être apprécié à l’aune du contexte dans lequel s’inscrit une pratique commerciale et compte tenu de toutes ses caractéristiques.
50. Or, en l’occurrence, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, l’ordinateur faisant l’objet de la vente en cause au principal n’était, en tout état de cause, offert à la vente qu’équipé des logiciels préinstallés. Au vu de la réponse apportée aux deuxième et troisième questions, une telle pratique commerciale ne constitue pas, en tant que telle, une pratique commerciale déloyale au sens de l’article 5, paragraphe 2, de la directive 2005/29.
Notes de bas de pages
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1.
CJCE, 23 avr. 2009, n° C-299-07, VTB-VAB NV c/ Total Belgium NV : D. 2009 p. 1273, obs. Petit E., JCP G 2009 p. 39, note Chagny M.; RTD com. 2009, p. 607, obs. Bouloc B.
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2.
Dir. n° 2005/29/CE, 11 mai 2005.
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3.
Cass. 1re civ., 15 nov. 2010, n° 09-11161 : D. 2010, p. 1765, note Delpech P. ; JCP E 2010, 2135, note Dupont N. ; RLDA 2011/1, p. 52, obs. Anadon M.
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4.
Ord. n° 2016-301, 14 mars 2016, relative à la partie législative du Code de la consommation.
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5.
Wilhelm P. et Prioux D., « Retour sur le contentieux de la vente d’ordinateurs avec logiciels préinstallés », Contrats, conc. consom. 2012, étude 4.
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6.
Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 14-11437 : Comm. com. électr. 2015, comm. 69, note Loiseau G. ; Gaz. Pal 17 sept. 2015, n° 239b9, p. 21, note Jaoul M.
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7.
Cass. 1re civ., 6 oct. 2011, n° 10-10800 : Contrats, conc. consom. 2012, comm. 31, obs. Raymond G. ; D. 2011, p. 2886, chron. Legrand V. et Blin B. ; D. 2012, p. 840, note Aubry H. et Sauphanor-Brouillaud N.
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8.
Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-18807 : Comm. com. électr. 2012, comm. 111, note Loiseau G. ; LPA 15 août 2012, p. 14, note Legrand V.
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9.
En ce sens, Dupont N., note sous Cass 1re civ., 5 févr. 2014, n° 12-25748 : JCP E 2014, 1146 ; LPA 15 août 2012, p. 14, préc.
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10.
Loiseau G., art. préc.t ; Bazin E., « Sur la loyauté de la vente d’un ordinateur pré-équipé de logiciels », Comm. com. électr. 2014, étude 20.
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11.
Cass. 1re civ., 5 févr. 2014, n° 12-25748 : Contrats, conc. consom. 2014, comm. 145, note Raymond G. ; Dalloz actualité, 14 févr. 2014, obs. Kilgus N ; JCP E 2014, 1146, note Dupont N. ; JCP G 2014, 427, note Aubert de Vincelles C.
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12.
V. note 11.
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13.
V. note 7.
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14.
Contra : cependant, v. Bazin E, étude préc. note 10, qui estime que la Cour de cassation n’a pas pris parti.
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15.
V. note 8.
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16.
En ce sens, Dupont N., note sous Cass. 1re civ., 5 févr. 2014, n° 12-25748 : JCP E 2014, 1146. V. aussi Loiseau G., « Vente d’ordinateurs avec logiciels préinstallés : la jurisprudence se précise », Comm. com. électr. 2014, comm. 27 : à propos de la ventilation du prix, l’auteur estime que cette information pourrait être « recommandée afin que, dans un souci de transparence, le consommateur s’engage en connaissance de cause ». De même, Joual M., (« Logiciel préinstallé et pratiques commerciales déloyales : le débat reste ouvert ! », Gaz. Pal. 17 sept 2015, n° 239b9, p. 21) estime que « la vente liée devrait être maintenue à la condition que le consommateur, dans un souci de transparence, soit informé de son coût et puisse décider de ne pas y souscrire ».
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17.
V. D. 2011, p. 2886, chron. Legrand V. et Blin B.