Les restrictions géographiques des ventes passives de l’affaire des matériels de boulangerie

Publié le 23/08/2023
Les restrictions géographiques des ventes passives de l’affaire des matériels de boulangerie
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Dans l’affaire des matériels de boulangerie, l’Autorité de la concurrence confirme les griefs qui ont été notifiés, notamment celui d’entente restreignant les ventes passives.

Aut. conc., 18 avr. 2023, no 23-D-05

À l’origine de la présente affaire, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a transmis à l’Autorité de la concurrence un rapport administratif d’enquête relatif à la situation de concurrence dans le secteur de la distribution de matériels de boulangerie.

Deux griefs ont été ensuite notifiés : un grief d’entente anticoncurrentielle sur le prix de la machine diviseuse-formeuse dénommée « Paneotrad » (grief n° 1) et un grief reprochant aux parties en cause leur participation à une entente anticoncurrentielle consistant à interdire aux distributeurs adhérents de l’association des concessionnaires Bongard (ACB) et membres des réseaux de distribution exclusive de Bongard et d’Euromat d’effectuer auprès de toute leur clientèle, en dehors de la zone territoriale allouée à un distributeur, des ventes passives de matériels et de pièces détachées (grief n° 2). Le grief n° 2 retiendra plus particulièrement l’attention.

Accord de volontés

On sait que l’existence d’une pratique d’entente n’est établie que si les parties ont manifesté leur volonté commune de se comporter d’une manière déterminée sur le marché. Cette condition est remplie en l’espèce. L’Autorité estime qu’un accord de volontés a été conclu entre l’ACB, Bongard et Euromat portant sur une restriction de la liberté des distributeurs membres de l’ACB d’effectuer des ventes passives en dehors de leurs territoires exclusifs. En effet, ACB, dont le règlement intérieur contient les règles de territorialité mises en cause en l’espèce, constitue une association d’entreprises au sens du droit de la concurrence et ses décisions engagent l’ensemble de ses membres, lesquels ont accepté de se soumettre à ses statuts et à son règlement intérieur. Bongard et Euromat sont également engagées par les décisions prises au sein de l’ACB en matière de ventes passives dès lors que l’adoption du règlement intérieur de l’ACB a eu lieu, à l’unanimité (pts 164 et s.).

Restriction de concurrence

Rappelant les principes applicables en l’espèce, l’Autorité de la concurrence énonce que « si les clauses visant à la concession, par un fournisseur, d’un territoire exclusif de vente à son distributeur ne sont pas anticoncurrentielles en elles-mêmes, les clauses visant à la restriction des ventes passives de ces mêmes distributeurs vers des territoires exclusifs peuvent revêtir le caractère de pratiques anticoncurrentielles par leur objet même ». En ce qui concerne les restrictions à la vente sur internet, les lignes directrices de la Commission européenne sur les restrictions verticales précisent qu’« internet est un instrument puissant qui permet d’atteindre un plus grand nombre et une plus grande variété de clients que par les seules méthodes de vente plus traditionnelles, ce qui explique pourquoi certaines restrictions à son utilisation sont considérées comme une restriction des (re)ventes. En principe, tout distributeur doit être autorisé à utiliser internet pour vendre ses produits. En règle générale, l’utilisation par un distributeur d’un site internet pour vendre des produits est considérée comme une forme de vente passive, car c’est un moyen raisonnable de permettre aux consommateurs d’atteindre le distributeur ». Ainsi, constitue une restriction caractérisée contraire à l’article 4, b), du règlement (UE) n° 330/2010 tout accord consistant à « convenir que le distributeur limite la part de ses ventes réalisées par internet » (pt 176).

Et l’Autorité d’ajouter qu’il ressort de l’article 4, b), que des pratiques qui ont pour objet de restreindre le territoire sur lequel, ou la clientèle à laquelle, un acheteur partie à l’accord peut vendre des biens ou services contractuels, ne peuvent, en principe, bénéficier de l’exemption prévue par l’article 2 (pt 173).

L’Autorité se réfère également à sa pratique décisionnelle en matière de distribution sélective. On se rappelle qu’a été condamnée, par la décision de l’Autorité n° 12-D-23 du 12 décembre 2012, une interdiction de facto de la vente sur internet par un fabricant de matériels hi-fi et home cinéma, la pratique en cause étant considérée comme restrictive par son objet.

De même, la décision n° 19-D-14 du 1er juillet 2019 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des cycles haut de gamme a considéré qu’une interdiction de facto de la vente en ligne de ces produits, consistant en l’obligation de réceptionner en magasin les cycles commandés sur le site internet du distributeur agréé concerné, allait au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver la sécurité du consommateur et la haute technicité des cycles et constituait, partant, une restriction par objet.

Dans la présente espèce, le contrat de distribution exclusive conclu entre Bongard et ses distributeurs prévoyait que toute vente ou livraison de matériel et de pièces détachées en dehors de la zone d’exclusivité concédée était expressément interdite. Le concessionnaire ayant effectué une vente prohibée s’engageait à reverser au concessionnaire « du secteur où se situe le client » la marge réalisée. Aucune distinction n’était faite quant au fait générateur d’une telle vente ou livraison prohibée : elle pouvait faire suite à une prospection active du distributeur ou ne constituer qu’une simple réponse à une sollicitation spontanée d’un client potentiel situé en dehors du territoire concédé (pt 180).

Le règlement intérieur de l’ACB instituait, en outre, une surveillance par les fournisseurs Bongard et Euromat, chargés de s’assurer de la destination réelle des marchandises livrées et de limiter, le cas échéant, les commandes en fonction de la demande sur le territoire alloué (pt 181). Il prévoyait également la mise en œuvre d’un système de traçabilité des pièces détachées, afin que les distributeurs puissent vérifier le bon respect des règles territoriales à l’occasion de la commercialisation desdites pièces (pt 182). Enfin, l’ACB a clairement promu la nécessité pour les distributeurs membres du réseau de s’abstenir de faire figurer ouvertement les tarifs applicables sur internet, et a fortiori de disposer d’un site marchand (pt 183).

Pour l’Autorité, il découle de ces éléments que les pratiques visées au titre du grief n° 2 constituent des restrictions anticoncurrentielles par objet au sens des articles 101, paragraphe 1, du Traité pour le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et L. 420-1 du Code de commerce (pt 185).

Les parties ne peuvent donc bénéficier de l’exemption par catégorie.

S’agissant d’une exemption individuelle, elle était peu probable en l’espèce. Certes, les autorités françaises de concurrence estiment de longue date que les accords de distribution exclusive sont susceptibles de bénéficier d’une exemption individuelle pour la contribution qu’ils apportent au développement du progrès économique. Bien plus, elles appliquent à leur égard une règle de raison : « Considérant que dès lors qu’ils préservent le jeu d’une certaine concurrence sur le marché, les systèmes de distribution exclusive ou sélective sont conformes aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 et de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 [devenus l’article L. 420-1 du Code de commerce] si les critères de choix ont un caractère objectif, n’ont pas pour objet ou pour effet d’exclure par nature une ou des formes déterminées de distribution et ne sont pas appliqués de façon discriminatoire »1.

Cependant il était peu probable que les pratiques en cause en l’espèce répondent à toutes les conditions de l’article 101 du TFUE ou de l’article L. 420-4 du Code de commerce relatives aux exemptions individuelles. D’ailleurs, les parties n’ont pas, semble-t-il, demandé le bénéfice d’une exemption individuelle.

Sanctions

Les parties ont sollicité l’application des dispositions relatives à la procédure de transaction et renoncé à contester la réalité des griefs qui leur avaient été notifiés. Dans le cadre de cette procédure, l’Autorité a prononcé des sanctions pécuniaires d’un montant total de 3 000 000 € à l’encontre des auteurs des pratiques en cause.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. conc., n° 91-D-22, 14 mai 1991, Matériel pour kinésithérapeutes : BOCCRF, 20 juill. 1991 – Cons. conc., n° 97-D-31, 20 mai 1997, Distribution de produits d’entretien professionnels : BOCCRF, 30 août 1997 ; LPA 2 mars 1998, p. 9, obs. P. Arhel.
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