Négociations commerciales avancées en 2024
La loi portant mesures d’urgence pour lutter contre l’inflation concernant les produits de grande consommation, récemment promulguée, avance de quelques semaines la date butoir des négociations commerciales dans la grande distribution afin de permettre au consommateur de bénéficier plus tôt des réductions des prix de l’énergie et des matières premières agricoles.
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Chaque année, les fournisseurs et les distributeurs négocient, avant le 1er mars, pour déterminer les prix de vente des produits vendus par les fournisseurs. S’agissant du prochain cycle de négociations, le gouvernement estime pouvoir mettre à profit le contexte de baisse des prix. Il a fait valoir qu’après la période inflationniste qu’elle a traversée en 2021-2023, la France observe des baisses des cours dans les secteurs de l’énergie et des matières premières agricoles. En avançant de quelques semaines la date butoir des négociations, les distributeurs pourraient, selon lui, répercuter les baisses plus tôt.
Cette nouvelle intervention du législateur à propos de la date butoir ne fait pas l’unanimité. La question s’est notamment posée de savoir si le temps n’est pas venu d’accorder un peu plus de flexibilité aux entreprises afin qu’elles décident elles-mêmes du calendrier des négociations. Il est vrai que, depuis l’introduction de la date butoir dans la législation française en 20081, le législateur est intervenu sur ce thème dans les lois Egalim 1 (du 30 octobre 2018) et Egalim 2 (du 18 octobre 2021) ainsi que dans la loi Descrozaille (du 30 mars 2023).
Observons par ailleurs qu’au stade de la préparation du projet de loi, le gouvernement avait envisagé de suspendre l’interdiction de la revente à perte pour les carburants. Saisi du projet à titre consultatif, le Conseil d’État a relevé que cette suspension aurait pour effet, pour certains carburants, de déréguler le marché de la distribution du carburant au détriment de certains distributeurs qui n’ont pas la capacité financière de vendre à perte. Cette autorisation exceptionnelle était prévue pour une durée restreinte. De plus, le projet de loi limitait la possibilité de vente à perte à un maximum de 75 % du prix d’achat effectif. La haute juridiction a donc jugé que la mesure de suspension ne se heurtait, au regard de l’objectif poursuivi de soutien au pouvoir d’achat des consommateurs, à aucun principe d’ordre constitutionnel ou conventionnel2.
Notons encore qu’en déposant le projet de loi, le gouvernement a supposé que la grande distribution répercuterait une éventuelle baisse de ses prix d’achat sur les prix au consommateur mais la nouvelle loi se borne à déroger à diverses dispositions du Code de commerce relatives au calendrier des négociations commerciales (I) et à réaffirmer le caractère de loi de police de ces dispositions (II) sans pouvoir garantir d’effets réels. Comme l’a observé la rapporteure de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, nul n’est capable d’anticiper les effets réels que pourrait éventuellement avoir ce texte sur le pouvoir d’achat des Français.
I – Dérogations aux dispositions du Code de commerce relatives au calendrier des négociations commerciales
La nouvelle loi avance de quelques semaines la date butoir des négociations commerciales pour l’année 2024. Ainsi, elle fixe cette date au 31 janvier 2024, en dérogation au IV de l’article L. 441-3 du Code de commerce et au B du V de l’article L. 443-8 qui fixent cette date au 1er mars3.
Le calendrier provisoire ainsi mis en place par la nouvelle loi s’applique à tout distributeur de produits de grande consommation dans ses relations avec tout fournisseur dont le chiffre d’affaires annuel hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice est supérieur à 350 millions d’euros.
Lorsque ce chiffre d’affaires est inférieur à 350 millions d’euros, la date butoir est fixée au 15 janvier 2024. La négociation anticipée qui en résulte pour les PME était considérée par le Sénat comme une garantie d’accès au linéaire. Le Conseil d’État estime par ailleurs que cette différence de traitement est justifiée par la différence de situation entre ces entreprises, et qu’elle est en rapport direct avec l’objectif d’intérêt général de la mesure, qui est de lutter contre l’inflation4.
Le calendrier de l’envoi des conditions générales de vente (CGV) et des réponses du distributeur pour les produits de grande consommation et les produits alimentaires est par ailleurs modifié : la nouvelle loi prévoit en effet que les CGV doivent être adressées par le fournisseur au plus tard le 5 décembre 2024 (au plus tard le 21 décembre 2024 lorsque le chiffre d’affaires est inférieur à 350 millions d’euros) ; à la réception de ces CGV, le distributeur dispose de 15 jours, par dérogation au C du V de l’article L. 443-8 du Code de commerce pour motiver explicitement et de manière détaillée le refus de ces CGV ou les dispositions qu’il souhaite négocier.
Cette adaptation du droit de la concurrence, qui vise à améliorer le pouvoir d’achat des consommateurs, est complétée par des démarches menées par le gouvernement auprès des fournisseurs et des distributeurs pour obtenir de leur part des engagements volontaires de baisse des prix sur des produits de grande consommation. Par exemple, une charte est en cours de signature par les distributeurs et les très petites entreprises afin de garantir une négociation précoce (avant le 31 décembre) aux entreprises qui le souhaitent5.
II – Caractère de loi de police des nouvelles dispositions
Dans la lignée de l’article L. 444-1 du Code de commerce, issu de la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023, la nouvelle loi réaffirme le caractère de loi de police et la compétence des tribunaux nationaux pour les litiges résultant de l’application des nouvelles dispositions, y compris lorsque les négociations se tiennent au sein de centrales d’achat internationales.
L’objectif de cette disposition est de contrer le phénomène d’évasion juridique qui consiste à délocaliser la négociation contractuelle afin de la soumettre à des dispositions juridiques plus favorables et moins protectrices des intérêts des producteurs français. Ledit phénomène avait déjà été dénoncé par la commission d’enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec leurs fournisseurs6.
III – Dispositions diverses de la nouvelle loi
La nouvelle loi est également assortie de sanctions :
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non-respect de la date butoir : amende administrative dont le montant ne peut excéder, par infraction constatée, 200 000 euros pour une personne physique et 5 000 000 euros pour une personne morale ;
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défaut de communication des CGV : amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
La loi habilite également les agents de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes à relever les manquements à ses dispositions.
Enfin, elle prévoit la remise par le gouvernement au Parlement, dans un délai de trois mois, d’un rapport évaluant les effets de l’avancée des négociations commerciales.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 2008-776, 4 août 2008, de modernisation de l’économie : JO, 5 août 2008 ; M. Béhar-Touchais, « Actualité des pratiques restrictives », RLC 2009/20, n° 1448 ; P. Arhel, « Loi de modernisation de l’économie : une nouvelle réforme du droit de la concurrence », LPA 7 août 2008, p. 3 et s.
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2.
CE, 21 sept. 2023, n° 407497.
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3.
Les nouvelles dispositions ne sont pas codifiées car elles n’ont vocation à s’appliquer qu’une seule fois, en 2024.
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4.
CE, 21 sept. 2023, n° 407496.
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5.
AN, rapp. n° 1690, Commission des affaires économiques.
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6.
AN, rapp. n° 4024, 24 mars 2021.
Référence : AJU011m6