Volet « concurrence » de la loi EGalim 3

Publié le 24/05/2023
Volet « concurrence » de la loi EGalim 3
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Cet article présente les principaux apports en droit de la concurrence de la troisième loi sur les relations commerciales promulguée dans le prolongement des États généraux de l’alimentation lancés en 2017. Sont notamment concernées les pratiques commerciales déloyales, la revente à perte, la négociation commerciale et les pénalités logistiques.

L. n° 2023-221, 30 mars 2023

Intervenant après les lois EGalim 1 et EGalim 21, la loi EGalim 32 retient l’attention car elle comporte un important volet « concurrence » au sens du titre IV, du livre IV, du Code de commerce. Il s’articule autour des points suivants auxquels est consacré le présent article : caractère de loi de police des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales entre entreprises (I) ; prorogation des règles relatives au seuil de revente à perte (II) ; négociations commerciales menées de bonne foi (III) ; absence d’accord entre les parties (IV) ; encadrement des pénalités logistiques (V).

I – Caractère de loi de police des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales entre entreprises

Saisie à titre préjudiciel, la cour de justice, se prononçant sur la détermination du juge compétent dans un litige opposant Eurelec Trading SCRL et Scabel SA au ministre français de l’Économie et portant sur l’application de l’ancien article L. 442-6 du Code de commerce, a énoncé que l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1215/2012 Bruxelles I bis3 « doit être interprété en ce sens que : la notion de “matière civile et commerciale”, au sens de cette disposition, n’inclut pas l’action d’une autorité publique d’un État membre contre des sociétés établies dans un autre État membre aux fins de faire reconnaître, sanctionner et cesser des pratiques restrictives de concurrence à l’égard de fournisseurs établis dans le premier État membre, lorsque cette autorité publique exerce des pouvoirs d’agir en justice ou des pouvoirs d’enquête exorbitants par rapport aux règles de droit commun applicables dans les relations entre particuliers ». En d’autres termes, les actions du ministre, exorbitantes du droit commun, sont exclues de la notion de « matière civile et commerciale » qui permet de délimiter le champ d’application du règlement4. L’arrêt Eurelec est une réponse aux efforts déployés par des opérateurs de la grande distribution pour contourner la législation française sur les pratiques restrictives de concurrence.

Le Parlement s’est également penché sur cette question. L’article L. 444-1, A, du Code de commerce, issu de l’article 1 de la loi EGalim 3 prévoit en effet que « les chapitres I (transparence), II (pratiques commerciales déloyales entre entreprises) et III (dispositions spécifiques aux produits agricoles et aux denrées alimentaires) du titre IV, du livre IV, s’appliquent à toute convention entre un fournisseur et un acheteur portant sur des produits ou des services commercialisés sur le territoire français. Ces dispositions sont d’ordre public. Tout litige portant sur leur application relève de la compétence exclusive des tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne et des traités internationaux ratifiés ou approuvés par la France et sans préjudice du recours à l’arbitrage ».

Cette disposition poursuit un double objectif. D’une part, affirmer que les règles du Code de commerce relatives aux pratiques commerciales déloyales entre entreprises sont d’ordre public et revêtent le caractère de loi de police au sens du droit européen, et d’autre part, garantir la compétence des tribunaux français pour traiter des litiges en question.

II – Prorogation des règles relatives au seuil de revente à perte

On se souvient que l’ordonnance n° 2018-1128 du 12 décembre 2018, relative au relèvement du seuil de revente à perte et à l’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires5, a prévu, à titre expérimental pendant deux ans, le relèvement de 10 % du seuil de revente à perte pour les denrées alimentaires et les produits destinés à l’alimentation des animaux de compagnie revendus en l’état aux consommateurs. Ce relèvement a été prolongé de 14 mois par la loi n° 2020-734 du 18 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, il est à nouveau prorogé jusqu’au 15 avril 2025 par l’article 2 de la loi EGalim 3.

Rappelons que cette mesure vise à procurer aux distributeurs un surcroît de marge sur les produits d’appel (vendus à un niveau proche du seuil de revente à perte). Elle permet ainsi de revaloriser les tarifs accordés aux fournisseurs de produits alimentaires, et indirectement aux producteurs. Le rapport au Parlement du 30 septembre 2020 sur l’évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte (et d’encadrement des promotions) a montré que ces mesures n’ont pas eu d’effet inflationniste.

Notons aussi que l’encadrement des promotions a été également prorogé jusqu’au 15 avril 2025.

III – Négociations commerciales menées de bonne foi

L’article 9 de loi EGalim 3 a ajouté à la liste des pratiques interdites par l’article L. 442-1-I du Code de commerce un 5° visant le fait « de ne pas avoir mené de bonne foi les négociations commerciales conformément à l’article L. 441-4, ayant eu pour conséquence de ne pas aboutir à la conclusion d’un contrat dans le respect de la date butoir prévue à l’article L. 441-3 ». Cette disposition doit être lue conjointement avec la phrase suivante introduite dans le I de l’article L. 441-4 par l’article 9 de la loi EGalim 3 : « La négociation de la convention écrite est conduite de bonne foi, conformément à l’article 1104 du Code civil ». Certains parlementaires ont suggéré de supprimer cette référence à la bonne foi, jugée superfétatoire et inopérante en pratique. En vain.

IV – Absence d’accord entre les parties

L’article 9 envisage également le cas d’échec des négociations. À titre expérimental, pour une durée de trois ans, à défaut de convention conclue au plus tard le 1er mars ou dans les deux mois suivant le début de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier, le fournisseur peut soit, en l’absence de contrat nouvellement formé, mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale au sens du II de l’article L. 442-1 du Code de commerce, soit demander l’application d’un préavis.

La nouvelle loi renforce par ailleurs les sanctions en cas de non-respect de l’échéance du 1er mars. L’article L. 441-6, issu de l’article 10 de la présente loi, dispose en effet que « le non-respect de l’échéance du 1er mars prévue au IV de l’article L. 441-3 est passible d’une amende administrative dont le montant ne peut excéder 200 000 € pour une personne physique (le plafond était de 75 000 euros avant la loi) et 1 000 000 € pour une personne morale. Le maximum de l’amende encourue est porté à 400 000 € pour une personne physique et à 2 000 000 € pour une personne morale en cas de réitération du manquement dans un délai de deux ans à compter de la date à laquelle la première décision de sanction est devenue définitive ».

V – Encadrement des pénalités logistiques

L’utilisation abusive des pénalités logistiques par certains distributeurs a conduit le législateur à les encadrer. En premier lieu, l’article 11 de la nouvelle loi impose la conclusion d’une convention séparée de la convention générale prévue au I de l’article L. 441-3.

Par ailleurs, l’article 441-17 issu de l’article 12 de la loi limite le montant des pénalités imposées au fournisseur : « Les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur sont proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels, dans la limite d’un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée ».

Le même article 12 traite du délai pour imposer des pénalité logistiques (« Aucune pénalité logistique ne peut être infligée pour l’inexécution d’engagements contractuels survenue plus d’un an auparavant »6), de la preuve du manquement reproché au fournisseur (« Lorsque le distributeur (…) transmet au fournisseur un avis de pénalité logistique en raison d’une inexécution d’engagement contractuel, il apporte en même temps, par tout moyen, la preuve du manquement constaté et celle du préjudice subi »7), et des situations exceptionnelles (« En cas de situation exceptionnelle, extérieure aux distributeurs et aux fournisseurs, affectant gravement les chaînes d’approvisionnement dans un ou plusieurs secteurs, l’application des pénalités peut être suspendue par décret en Conseil d’État, pour une durée maximale de six mois renouvelable »8).

Enfin, l’article 14 met à la charge des distributeurs des obligations de transparence. Ainsi, chaque distributeur communique à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques qu’il a infligées à ses fournisseurs au cours des 12 derniers mois ainsi que les montants effectivement perçus. Par ailleurs, chaque distributeur communique à la DGCCRF avant le 31 décembre 2023 les montants des pénalités logistiques qu’il a infligées à ses fournisseurs.

Notes de bas de pages

  • 1.
    L. n° 2018-938, 30 oct. 2018, pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous – L. n° 2021-1357, 18 oct. 2021, visant à la protection de la rémunération des agriculteurs.
  • 2.
    L. n° 2023-221, 30 mars 2023, tendant à renforcer l’équilibre dans les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs.
  • 3.
    Règl. Bruxelles I bis, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.
  • 4.
    CJUE, 22 déc. 2022, n° C-98/22 : F. Mélin, « Règlement Bruxelles 1 bis : action du ministre de l’Économie », Dalloz actualité, 23 janv. 2023 ; J.-M. Vertut, « L’arrêt Eurelec et l’action du Ministre contre les centrales internationales localisées à l’étranger : inapplication du règlement Bruxelles 1 bis. Et alors ? », Lettre de la Distribution, janv. 2023.
  • 5.
    JO, 13 déc. 2018 – v. aussi Aut. conc., avis, 23 nov. 2018, n° 18-A-14, relèvement du seuil de revente à perte et encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires : L. Benzoni, « Relèvement du seuil de revente à perte et encadrement des promotions : comment faire remonter l’eau à sa source ? », RLC 2019/80, n° 3523.
  • 6.
    C. com., art. L. 441-17, I, al. 2.
  • 7.
    C. com., art. L. 441-17, I, al. 4.
  • 8.
    C. com., art. L. 441-17, III.
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