L’émission de contingent convertible bonds peut–elle réellement contribuer à sauver les banques européennes ?

Publié le 23/05/2017

Les contingent convertible bonds sont nés de la crise financière de 2007-2009. Ils constituent pour les banques une source de refinancement à moindre coût, et pour les investisseurs, un instrument d’investissement ayant les gains attendus d’une obligation et le potentiel de perte d’une action. Mais ces intérêts largement reconnus ne sauraient éluder le fait que leur conception européenne présente de nombreuses imperfections et constitue une menace potentielle pour le système bancaire européen.

La défaillance frôlée par la Deutsche Bank au dernier trimestre de l’année 20161 a ravivé dans les esprits les événements qui ont suivi le placement de la banque d’investissement Lehman Brothers sous le chapitre VII du Bankruptcy Code des États-Unis2. Si l’importance du risque systémique sous-jacent à une éventuelle défaillance de la Deutsche Bank a attisé les craintes, de nombreuses banques européennes constituent aujourd’hui « des bombes à retardement » qui doivent être minutieusement désamorcées3. Le paquet législatif CRD IV4, adopté à la hâte après la crise financière 2007-2009 au niveau européen, a néanmoins pour ambition d’assurer la sécurité et la solidité des banques européennes. Signe d’une volonté forte des dirigeants européens d’éviter un remake du scénario de 2007-2009, ces textes législatifs, couplés à un mécanisme de supervision unique5, mettent en place un arsenal de règles prudentielles presque inégalé au niveau international6. Parmi ces règles, l’obligation pour les banques d’émettre des titres convertibles, appelés CoCos7 dans le jargon professionnel, pour absorber leurs pertes. L’absorption des pertes s’effectue soit par la conversion des obligations en actions soit par la réduction du nominal de façon partielle ou totale, provisoire ou définitive8. Bien que le principe ne soit pas nouveau, cette obligation et la mise en œuvre du mécanisme d’absorption des pertes soulèvent quelques interrogations. Quelle est la nature juridique de ces nouveaux titres convertibles ? Quels sont les risques qui y sont attachés, à la fois pour les investisseurs, et pour le système financier dans son ensemble ? Comment calibrer la quantité de titres requis par rapport au bilan de l’établissement bancaire ? À quels seuils faut-il déclencher le mécanisme d’absorption des pertes ? Le choix du législateur européen de recourir aux titres contingents convertibles comme boucliers pour garantir la solvabilité des banques conduit à examiner prima facie le régime juridique de ces titres (I) et secundo, le rôle qui leur est assigné dans la sécurisation du système bancaire européen (II).

I – Le régime juridique des titres convertibles version CRD IV/CRR

Se distinguant des parts de capital ou actions en raison du coupon fixe dont bénéficient ses détenteurs et permettant de conférer à ces derniers la qualité d’actionnaires en cas de difficultés sérieuses de la banque, les CoCos constituent des titres hybrides et plus précisément des obligations convertibles en actions. Mais cette catégorie de titres présente quelques particularités quant à son émission (A) et sa conversion ne suit pas toujours les canons déjà établis (B).

A – Les particularités de l’émission des CoCos

Quasi-fonds propres, « going concern capital9 », ces deux principales qualifications des CoCos bonds que l’on rencontre dans la doctrine permettent moins d’en déterminer la nature juridique que les objectifs qui leur sont assignés. En tant que valeurs mobilières composées, l’émission de CoCos doit être autorisée par l’assemblée générale extraordinaire des actionnaires se prononçant sur rapport du conseil d’administration ou du directoire et sur rapport spécial du commissaire aux comptes10. Seules les banques constituées sous forme de sociétés par actions peuvent émettre des CoCos convertibles en actions11. Cependant les banques mutualistes et celles non cotées en bourse peuvent en émettre mais seul leur nominal est réductible.

Les actionnaires de la banque émettrice ont, proportionnellement au montant de leurs actions, un droit préférentiel à la souscription des CoCos. Ce droit permet de protéger les actionnaires du risque de dilution inhérent à la conversion de ces titres : dilution de contrôle et dilution de la valeur de leurs actions. Pour certains auteurs, le taux de conversion doit être fixé très haut afin de créer une forte dilution en cas de conversion, l’objectif étant de contraindre les actionnaires à accepter une augmentation de capital en cas de difficultés de la banque pour éviter la conversion des CoCos12.

Si le Code de commerce français ne prévoit pas expressément la possibilité d’écarter le droit de préférence des actionnaires lors de l’émission de valeurs mobilières donnant accès au capital13, tel n’est pas le cas des droits allemand et anglais. Conformément aux sections 570 et 571 du UK Companies Act de 2006, le droit de préférence des actionnaires peut être écarté par une décision spéciale de l’assemblée générale des actionnaires qui doit en indiquer les raisons ainsi que le montant des titres à émettre. De même en droit allemand, une telle décision peut être adoptée à la majorité des actionnaires représentant au moins 75 % des actions de la société sur rapport des administrateurs en indiquant les raisons14. Pour protéger les actionnaires minoritaires, le juge allemand examine s’il était de l’intérêt de la société d’écarter le droit de préférence des actionnaires15. Dans le même sens que les droits anglais, allemand et français, l’article 123 de la directive relative au redressement et à la résolution des établissements de crédit et entreprises d’investissement16 permet à l’autorité de résolution bancaire d’écarter le droit de préférence des actionnaires lorsqu’elle ordonne à un établissement l’émission de CoCos.

Les CoCos sont des titres financiers négociables, interchangeables, fongibles et peuvent être cotés en bourse. Une clause du contrat d’émission précise qu’en cas de dégradation du ratio de solvabilité de la banque émettrice, les titres seront, ipso facto, transformés de produits de dette en produits de capital17. Cette clause ôte ab ovo le droit d’option du souscripteur qui constitue une des caractéristiques fondamentales des valeurs mobilières composées et fait des CoCos une catégorie particulière d’obligations convertibles en action. En réalité, dans ce cas, le droit d’option est acquis par la banque qui pourra augmenter ses fonds propres durs (Common Equity Tier 1) à un moment où les conditions du marché ne le permettraient pas ou le permettraient difficilement. Ainsi, à l’image des clauses dites de « forçage »18, la banque émettrice accède à une ligne de financement qui se traduit, en cas de réalisation de la condition suspensive, par une entrée dans son capital.

Cet aspect des CoCos permet de les distinguer des instruments de bail-in19 que sont l’exigence minimale de passif éligible au renflouement interne (MREL) et le ratio de capacité d’absorption des pertes (TLAC)20 encore appelés « gone concern capital ». Dans le contrat d’émission des CoCos, le souscripteur négocie les conditions de conversion des obligations en actions. Les CoCos étant destinés à une recapitalisation de la banque en dehors de toute procédure de résolution, le souscripteur jouit d’une sécurité juridique garantie par la force obligatoire des contrats. Mais comme nous le verrons plus loin, cette sécurité dépend du seuil de conversion des titres souscrits. Par contre dans le cadre du bail-in, les décisions reposent entre les mains de l’autorité de résolution qui décide du moment et des conditions de la dépréciation ou de la conversion des titres. Il n’est cependant pas exclu que les pouvoirs de l’autorité de résolution s’exercent à l’égard des CoCos lorsque la procédure de résolution est déclenchée avant leur conversion21.

B – La conversion des CoCos en actions

Lloyds, Rabobank, Barclays sont les premières banques européennes à avoir émis des CoCos bonds au sein de l’Union européenne22. L’appétit du marché pour ces titres demeure considérable en raison de leur forte rentabilité et du nombre limité d’émissions bien que le sort de ces instruments soit relativement imprévisible eu égard à la situation actuelle des banques européennes23.

L’objectif principal des CoCos est de garantir la solvabilité des banques. Lorsqu’une banque émet des CoCos, elle doit préciser dans le contrat les événements relatifs aux exigences de capital ou de solvabilité qui entraîneront leur conversion ou leur dépréciation. Étant un actionnaire en puissance, le souscripteur a droit à un minimum d’information. Ce droit porte, conformément à l’article L. 228-105 du Code de commerce, sur les documents sociaux mis à disposition ou transmis par la banque aux actionnaires ou aux titulaires de certificats d’investissement. Le paquet CRD IV ne contenant aucune disposition sur ces aspects, il faut considérer que l’exercice du droit de communication relève des prérogatives des représentants de la masse des obligataires24. L’exercice de ce droit permet aux souscripteurs d’apprécier le risque de conversion même si son efficacité peut être mise en doute pour les investisseurs non institutionnels eu égard au caractère opaque et complexe du bilan des banques. La multi-notation dont les CoCos font l’objet permet de renforcer le droit à l’information des éventuels souscripteurs25. Les détenteurs de CoCos ne peuvent, conformément à la jurisprudence Métrologie internationale26, s’immiscer dans la gestion de la banque. Ils ne sont que des créanciers jusqu’à la conversion de leurs titres. Ils bénéficient en tout état de cause de la protection de droit commun reconnue aux titulaires de valeurs mobilières composées.

La conversion des CoCos entraîne une réalisation de l’augmentation de capital différée. La banque doit informer les détenteurs de CoCos et l’Autorité de contrôle prudentiel du franchissement des seuils de conversion. Le règlement (UE) n° 575/2013, concernant les exigences prudentielles, prévoit en effet une conversion en fonds propres durs (Common Equity Tiers 1 ou CET 1)27 lorsque le ratio CET 1 tombe sous le seuil de 5,125 % ou sous un seuil plus élevé défini par l’établissement bancaire dans les termes et conditions du contrat d’émission. Pour la Commission européenne, tout comme pour le Comité de Bâle28, ce taux s’explique par la nécessité de ne pas attendre que le CET 1 (4,5 %) soit atteint pour que l’élément déclencheur (trigger) puisse intervenir, auquel cas il serait déjà trop tard29.

Il est possible de se demander si la banque au fil de ses contrats d’émission peut choisir différents seuils de déclenchement (triggers). Les CoCos ayant vocation à constituer la totalité ou une partie des fonds propres additionnels (1,5 % du Tier 1) et à faire partie des fonds propres complémentaires (Tier 2 CoCos), les seuils de déclenchement sont par conséquent différents. L’article 54 (1) (b) du règlement (UE) n° 575/2 013 permet d’ailleurs à l’émetteur de choisir plusieurs événements déclencheurs. Ainsi la banque sera amenée à créer des actions au fur et à mesure que ses difficultés entraînent un franchissement des seuils de conversion. Autrement dit, la banque sera contrainte de procéder à des augmentations de capital en continu dont la réalisation est constatée par le conseil de surveillance ou le conseil d’administration à la clôture de chaque exercice. Au cours de l’exercice – ou à la première réunion suivant la clôture de celle-ci – le conseil d’administration ou le conseil de surveillance a l’obligation de procéder aux modifications statutaires relatives au montant du capital et au nombre de titres qui le composent30.

À l’image d’autres titres convertibles en parts de capital, la conversion des CoCos n’est en principe pas soumise aux exigences relatives à la publicité légale, à la constatation des souscriptions et aux retraits et dépôts de fonds. Cependant lorsque les conversions entraînent l’acquisition du pouvoir effectif de contrôle sur la gestion de l’établissement ou l’acquisition du tiers, du cinquième ou du dixième des droits de vote par un actionnaire ou un groupe d’actionnaires agissant de concert, une demande d’autorisation préalable doit être soumise à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)31. Selon la logique de l’arrêt Métrologie internationale, les CoCos étant cotés, il convient de reconnaître qu’un ramassage discret en bourse peut permettre une prise de contrôle rampante de l’établissement en difficulté lorsque les opérations de conversion entraînent une forte dilution du contrôle des actionnaires. En effet, aucune disposition de l’article L. 233-9 du Code de commerce ne permet de soumettre l’acquisition de CoCos aux déclarations de franchissement de seuils. L’exigence d’une autorisation de l’Autorité de contrôle prudentiel en cas de prise de participation qualifiée demeure la seule soupape de sécurité pour permettre une information du marché et éviter que la banque en difficulté ne se retrouve avec un actionnaire de référence incapable d’en assurer une gestion saine et prudente32. Ainsi, si les CoCos peuvent permettre de rétablir la solvabilité d’une banque en détresse, ils peuvent ouvrir la voie à des prises de contrôle inamicales.

II – La contribution des CoCos à la sécurisation du système bancaire européen

La crise bancaire de 2007-2009 a révélé que les banques fonctionnaient avec très peu de capital et qu’une grande partie du capital réglementaire avait une faible capacité d’absorption des pertes en dehors de toute procédure d’insolvabilité33. Ce constat a conduit le Comité de Bâle et le législateur européen à durcir les conditions d’admission des titres hybrides au titre des fonds propres complémentaires AT1 et Tier 2. Cette prise de conscience qui a entraîné une consécration législative des CoCos est quasi internationale34. Mais les multiples intérêts reconnus à l’émission des CoCos (B) peuvent être amoindris au sein de l’Union européenne du fait des défauts de conception (A).

A – Les défauts de conception européenne des CoCos

Le 20 mars 2014, la Deutsche Bank a émis ses premières AT1 CoCos d’une valeur de 3,5 milliards d’euros dont le seuil de conversion est de 5,125 % du ratio des fonds propres durs, seuil de conversion minimal prévu par le droit européen35. Le niveau bas de ce seuil suscite de nombreuses critiques. En effet, la probabilité du déclenchement d’une procédure de résolution avant la conversion des CoCos est très élevée. Les CoCos passent de « going concern » capital à « gone concern capital », c’est-à-dire à des instruments de bail-in dans le cadre de la résolution. Il est également probable qu’au moment du franchissement du seuil de conversion, le capital de la banque ait déjà été dissipé rendant inutile toute opération de recapitalisation par le biais de CoCos. Cela revient donc au niveau européen à saper toute la philosophie entourant l’adoption des CoCos dont l’objectif est de garantir la solvabilité des banques. D’ailleurs pour l’évaluation de la qualité des actifs bancaires par la Banque centrale européenne et les tests de résistance conduit par l’Autorité bancaire européenne en 2014, les CoCos avec un seuil déclencheur de moins de 7 % CET1 n’ont pas été pris en compte dans le capital réglementaire36.

Plus le seuil de déclenchement de la conversion est haut, plus grande est la possibilité de remédier à la détérioration de la situation financière de l’établissement bancaire par sa recapitalisation37. Cependant un seuil de déclenchement très élevé risque également en cas de déclenchement des conversions de donner une image négative de la situation financière de l’établissement et de jeter le doute sur la solidité des autres banques. Il convient alors de trouver un seuil équilibré pour éviter que les premiers soins apportés à la banque en difficulté n’entraînent une propagation des difficultés résultant de la panique des marchés.

À la différence de la Deutsche Bank et d’autres banques européennes, les banques anglaises dans toutes leurs émissions de CoCos ont recours à un seuil de déclenchement de 7 % supérieur au minimum européen. De l’avis de la nouvelle autorité de régulation prudentielle anglaise (PRA)38 « Depending on the circumstances, an instrument with a trigger of 5,125 % CET1 may not convert in time to prevent the failure of a firm »39.

Outre un seuil plancher bas pour la conversion des CoCos, le législateur européen n’a pas pris le soin de préciser s’il fallait tenir compte de la valeur comptable ou de la valeur de marché pour le calcul des fonds propres durs afin de déterminer si le seuil de déclenchement était atteint. Sans entrer dans ce débat doctrinal, il convient de reconnaître que les CoCos sont conçus comme des bouées de sauvetage pour les périodes de crise, si bien que le calcul des fonds propres devrait se faire suivant la règle de la juste valeur (fair value) qui permet d’avoir une image réelle de la situation de l’établissement bancaire sur le marché.

La limitation de la proportion de CoCos à 3,5 % du capital réglementaire (Tier 1 et Tier 2) est également regrettable, même si la banque, en fonction de sa taille, pourra procéder à d’autres émissions dès qu’elle a franchi le cap de 9,5 % de fonds propres durs pour les banques normales et 14,5 % pour les banques systémiques40. Ces restrictions d’émission apportent une limitation importante à l’objectif des CoCos qui est d’absorber les pertes de la banque en cas de crise. En intégrant les dispositions relatives aux CoCos dans un règlement, le législateur européen ôte aux États membres toute possibilité d’amélioration.

Au-delà du caractère perfectible de la conception européenne des CoCos, au cours d’une crise financière, le déclenchement des opérations de conversion, comme évoqué plus haut, peut projeter une image négative de la banque en difficulté sur le marché et saper la confiance dans le système bancaire. Cette destruction de confiance peut se traduire non seulement par des « fire sales »41 entraînant une baisse du prix des CoCos42 et de la capitalisation boursière des établissements bancaires, mais aussi des scènes de « bankruns »43 de la part des investisseurs institutionnels et non institutionnels. Une telle situation peut simplement conduire au collapsus du système bancaire et financier en l’absence d’intervention des autorités publiques.

Les CoCos se révèlent ainsi être des instruments potentiellement dangereux pour le système financier et pour les investisseurs. Par conséquent la détention de CoCos devrait être interdite aux établissements bancaires en vue de limiter les interconnexions et éviter ainsi l’effet boule de neige en cas de crise. Quant au sort des investisseurs non institutionnels, il conviendrait d’écarter entièrement le principe caveat emptor, très important en common law, et de renforcer l’obligation de mise en garde à la charge des intermédiaires financiers44. En 2014, l’Autorité européenne des marchés financiers a produit une communication visant à alerter les investisseurs sur les risques inhérents aux CoCos45. Dans la même année, la Financial Conduct Authority46 a interdit la vente de CoCos à des investisseurs particuliers47. Malgré ses défauts et le risque systémique potentiel, les CoCos présentent des intérêts incontestables.

B – L’intérêt de l’émission des CoCos pour les banques et les investisseurs européens

Les CoCos ont été positivement accueillis par l’industrie bancaire et par les investisseurs. Largement appréciés par les banques, les CoCos permettent à celles-ci de se financer et de satisfaire les exigences de fonds propres réglementaires à moindre coût par rapport à l’émission d’actions sur le marché48.

Le règlement (UE) n° 575/2013 prévoit différentes conditions pour l’admission des CoCos au titre des fonds propres complémentaires (additional Tier 1 CoCos et Tier2 CoCos). Pour constituer les fonds complémentaires AT1, les CoCos doivent, entre autres, être perpétuels, n’impliquer aucune incitation de remboursement pour l’établissement émetteur et être payable après les Tier 2 CoCos en cas de procédure collective. L’établissement émetteur ne peut les racheter qu’avec l’autorisation de l’Autorité de contrôle prudentiel et à condition qu’ils soient remplacés par des titres ayant au moins les mêmes qualités. Lorsque les dispositions régissant les instruments comportent une ou plusieurs options de rachat, ces options ne peuvent être exercées qu’à la discrétion de l’émetteur. Le paiement des coupons doit également être à la discrétion de l’émetteur. Une banque peut, à titre d’exemple, continuer à verser des dividendes alors qu’elle ne paie pas ses coupons. Le non-paiement des coupons n’est pas un événement de défaut49. Quant aux Tier 2 CoCos, ils doivent, entre autres, avoir une échéance d’au moins cinq ans, n’impliquer aucune incitation de rachat avant la date d’échéance et les options de rachat, si elles sont prévues, ne peuvent être exercées qu’à la discrétion de l’émetteur. Ainsi lorsque ces conditions sont remplies, les CoCos, moins coûteux à émettre, serviront « en temps de paix » comme fonds propres complémentaires et en temps de crise comme fonds propres durs.

En outre, le risque de conversion des CoCos, tel une épée de Damoclès, permet d’exercer une pression continue sur les actionnaires. En effet, la crainte de la dilution de la valeur de leurs actions et de leur pouvoir au sein de la banque va conduire les actionnaires à surveiller de façon adéquate la gestion des différentes activités de l’établissement et à procéder aux opérations de recapitalisation nécessaires à sa bonne santé financière. L’obtention d’un tel effet dépend du prix de conversion des CoCos en actions, du moment de la fixation d’un tel prix et de la nature des actions qui sont attribuées. Si le prix de conversion est fixé au moment de l’émission, ce sont les détenteurs de CoCos qui supporteront le coût de la conversion. En revanche, si c’est au moment de la crise que le prix de conversion est fixé, c’est-à-dire au prix du marché, ce sont les actionnaires préexistants qui supporteront le coût de la conversion et par ricochet, celui de la mauvaise gestion de l’établissement. Partant du principe que tout ce qui n’est pas interdit est permis, il est possible pour la banque de prévoir dans le contrat d’émission la conversion des CoCos en actions de préférence. Le risque de conversion en actions de préférence aura ainsi plus d’impact sur le comportement des actionnaires qu’une conversion en actions ordinaires50.

L’émission de CoCos permet ainsi de renforcer la gestion des établissements bancaires mais surtout leur recapitalisation interne en temps de crise. Elle se révèle aussi être un instrument important pour la lutte contre l’aléa moral et la protection des finances publiques.

Les intérêts de l’émission des CoCos se relèvent aussi du côté des investisseurs. L’avantage essentiel pour les détenteurs de CoCos réside dans la rémunération plus élevée que celle d’une obligation ordinaire. Le détenteur doit être rémunéré pour les risques de subordination, de maturité et de suspension du paiement des coupons. Par exemple, pour une première émission le 29 août 2013 les CoCos de la Société Générale avaient un rendement de 8,25 %. La BNP, en juin 2015, a émis des CoCos dont le rendement était de 6,125 % soit environ 4,5 % de rémunération supérieure à sa dette de premier rang51. En outre, les CoCos constituent une diversification intéressante pour les portefeuilles de crédit. La demande de CoCos sur les marchés financiers est allée croissante avant de connaître une chute au début de l’année 2016 due, entre autres, aux mauvais résultats de la Deutsche Bank, ainsi qu’aux difficultés des banques italiennes et plus généralement au contexte économique international morose52.

Notes de bas de pages

  • 1.
    V. Michel A., « Faut-il craindre une crise bancaire en Europe ? », http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/09/30/faut-il-craindre-une-crise-bancaire-en-europe_5006245_3234.html, consulté le 2/11/2016.
  • 2.
    Lastra R.-M., Cross-Border banking solvency, Oxford University Press, p. 431.
  • 3.
    Il s’agit essentiellement des banques italiennes, portugaises et grecques. Une situation due aux défauts de paiement des emprunteurs et au contexte de crise économique. Par exemple, Patrick Artus, directeur de la recherche de Natixis, estime entre « 80 et 100 milliards d’euros », le besoin de recapitalisation des banques italiennes.
  • 4.
    La dir. 2013/36/UE concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et le règl. (UE) n° 575/2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement.
  • 5.
    V. règl. (UE) n° 1024/2013 du Conseil du 15 octobre 2013 confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit.
  • 6.
    Ces textes européens ont été précédés par l’adoption aux États-Unis du Dodd-Frank Act, le 21 juillet 2010, renforçant les règles prudentielles bancaires.
  • 7.
    Contingent Convertible Securities.
  • 8.
    De Spiegeleer J. et Schoutens W., Multiple Trigger CoCos : Contingent Debt Without Death Spiral Risk, 2013, Financial Market, Institutions & Instruments, May 1, p. 129.
  • 9.
    V. Busch D. et Ferrarini G., « European banking union », 2015, Oxford university press, p. 219. V. aussi Cahn A. et Kenajian P., « Contingent Convertible Securities : From Theory to CRD IV », Institute for Law and Finance, Goethe universitat franckfurt am main, Working paper series n° 143/2014, p. 1.
  • 10.
    C. com., art.  L. 228-92.
  • 11.
    C. civ., art. 1841.
  • 12.
    Busch D. et Ferrarini G., European banking union, 2015, Oxford university press, p. 250.
  • 13.
    Le Code de commerce accordant à l’assemblée générale des actionnaires le pouvoir de supprimer le droit préférentiel de souscription à l’émission de nouvelles actions, nous estimons a fortiori que ce pouvoir vaut également pour l’émission d’obligations donnant accès au capital.
  • 14.
    V. Aktiengesetz, § 186 (3) et (4), § 203 (2).
  • 15.
    V. Bghz 71, 40, 44 et seq. (1978).
  • 16.
    Directive n° 2014/59/CE établissant le régime légal pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement.
  • 17.
    Moulin J.-M., Le droit de l’ingénierie financière, 5e éd, 2015, Gualino, p. 87.
  • 18.
    Il s’agit de clauses du contrat d’émission permettant de contraindre le souscripteur à convertir ses obligations en titre de capital.
  • 19.
    Mécanisme de renflouement interne des banques en difficulté introduit en droit européen par la BRRD.
  • 20.
    Minimun Requirement on Eligible Liabilities (MREL) et Total Loss Absorbing Capital (TLAC). Il s’agit de produits de dette de la banque qui peuvent être dépréciés ou convertis en actions lorsque celle-ci fait l’objet d’une procédure de résolution.
  • 21.
    C’est le cas lorsque la banque atteint son point de non-viabilité avant la conversion des CoCos. Il en sera ainsi chaque fois que la défaillance de la banque résulte d’une crise de liquidité ne découlant pas de son insolvabilité.
  • 22.
    Pnevmonidis I., Cross-Border bank resolution : old demons, current progress, Futur challenges, 2015, Schulthess, p. 201.
  • 23.
    Demartini A., Garrau P. et Rocamora O., « Risques – Les évolutions récentes du marché des Contingent Convertible bonds », Autorité des marchés financiers, Division Etudes, Stratégie et Risques, Lettre Économique et Financière 2014-3, p. 6.
  • 24.
    C. com., art. L. 228-55.
  • 25.
    La multi-notation désigne la notation d’un titre financier par au moins deux agences de notation.
  • 26.
    Le Cannu P., « Les obligations remboursables en actions : les enseignements de l’arrêt Métrologie Internationale », BJB juill. 1995, n° 50, p. 251.
  • 27.
    Les fonds propres minimum des établissements bancaires sont composés des fonds propres durs (Common Equity Tier 1) et des fonds propres complémentaires (additional Tier 1 et Tier 2).
  • 28.
    Dans ses réponses aux questions fréquentes sur les fonds propres complémentaires (Additional tier 1) publiées en octobre 2011, le Comité de Bâle a adopté le même seuil de déclenchement, « Basel III definition of capital-Frequently asked questions », oct. 2011, Comité de Bâle.
  • 29.
    Blimbaum J. et Girard O., « Les obligations contingentes convertibles : un nouvel instrument à l’épreuve de la régulation financière », RD bancaire et fin. 2012, étude 1.
  • 30.
    C. com., art. L. 225-140, al. 3.
  • 31.
    Debrut V., Le banquier actionnaire, 2013, LGDJ, p. 143.
  • 32.
    Même dans ce cas, il convient de reconnaître qu’en temps de crise les marges de manœuvre de l’autorité de contrôle prudentiel sont réduites. La conversion des CoCos étant destinée à absorber les pertes d’une banque déjà en difficulté, on peut penser que l’autorisation sera toujours accordée.
  • 33.
    Cahn A. et Kenajian P., « Contingent Convertible Securities : From Theory to CRD IV », Institute for Law and Finance, Goethe universitat Franckfurt am main, Working paper series n° 143/2014, p. 1.
  • 34.
    Seules les banques du continent africain n’émettent pas encore de CoCos. Cela s’explique peut-être par le faible impact qu’a eu la crise financière sur les systèmes bancaires africains.
  • 35.
    Bank of America Merill Lynch Company Update, « Deutsche Bank New AT 1 : Crossing the Rubicon ? », 16 mai 2014, disponible sur file : ///C :/Users/Microsoft/Downloads/2014-05-16 %20BofA-ML %20- %20Deutche %20Bank %20- %20New %20AT1_crossing %20the %20Rubicon.pdf, consulté le 05/11/2016.
  • 36.
    ECB Press Release « ECB to give banks six to nine months to cover shortfalls following comprehensive assessment », 29 avr. 2014, disponible sur https://www.ecb.europa.eu/press/pr/date/2014/html/pr140429_1.en.html, consulté le 05/11/2016.
  • 37.
    Flannery M.-J. et Perroti E., « CoCos design as a risk preventive tool », Vox : Research based Policy analysis 9 february 2011, disponible sur http://voxeu.org/article/coco-bonds-way-preventing-risk, consulté le 05/11/2016.
  • 38.
    Prudential Regulation Authority.
  • 39.
    Financial Stability Report, Issue n° 35, juin 2014, p. 34-35.
  • 40.
    Cahn A. et Kenajian P., « Contingent Convertible Securities : From Theory to CRD IV », Institute for Law and Finance, Goethe universitat franckfurt am main, Working paper series n° 143/2014, p. 20.
  • 41.
    Ventes précipitées des CoCos et des actions des établissements bancaires objet de la défiance des investisseurs.
  • 42.
    En février 2016, la crise de confiance des investisseurs à l’égard des banques a entraîné une chute vertigineuse du prix des CoCos sur les marchés financiers. Étaient notamment concernées les CoCos émises par la Deutsche Bank et Banco Santander.
  • 43.
    La course aux guichets des banques pour des retraits de dépôts.
  • 44.
    V. C. mon. fin., art. L. 533-12 et C. mon. fin., art. L. 519-4-1.
  • 45.
    http://www.esma.europa.eu/system/files/2014 944_statement_on_potential_risks_associated_with_investing_in_contingent_convertible_instruments.pdf, consulté le 5 nov. 2016.
  • 46.
    La Financial Conduct Authority est la nouvelle autorité britannique chargée de préserver la confiance dans le système financier, l’égalité de la concurrence, la liberté de choix des consommateurs et l’efficacité du marché.
  • 47.
    Demartini A., Garrau P. et Rocamora O., « Risques-Les évolutions récentes du marché des Contingent Convertible bonds », Autorité des marchés financiers, Division Études, Stratégie et Risques, Lettre Économique et Financière 2014-3, p. 7.
  • 48.
    Tel n’est pas l’avis de certains auteurs qui considèrent que le capital règlementaire devrait exclure les dettes et soutiennent que l’argument du coût plus élevé de la constitution de fonds propres uniquement par le capital de la banque est impertinent. V. Admati A. et Hellwig M., The Bankers’New clothes, 2013, Princeton University Press.
  • 49.
    Art. 52 du règl. (UE) n° 575/2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement.
  • 50.
    Les CoCos relevant des fonds propres complémentaires (additional Tier 1) ne peuvent être convertis en actions de préférence.
  • 51.
    Puiseux A., « Les CoCos bonds (Contingent Capital Obligations) Une nouvelle classe d’actif à fort potentiel », Gestion Financière Privée, janv. 2015. Disponible sur http://www.gefip.fr/wp-content/uploads/2015/10/Article-CoCos-Bonds-Gefip-Janv-2016.pdf, consulté le 06/11/2016.
  • 52.
    France Culture, « Le billet économique : crise financière larvée : panique sur les CoCo bonds », 10 févr. 2016. Disponible sur https://www.franceculture.fr/emissions/le-billet-economique/crise-financiere-larvee-panique-sur-les-coco-bonds, consulté le 7 nov. 2016.
LPA 23 Mai. 2017, n° 126q1, p.6

Référence : LPA 23 Mai. 2017, n° 126q1, p.6

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