Déclaration de performance extra-financière : soyez pertinent, concis et cohérent

Publié le 18/12/2019

L’association Ima France organise régulièrement des conférences petit-déjeuner sur des thèmes d’actualité touchant à l’information financière. C’est dans ce cadre qu’elle recevait, mardi 10 décembre dernier, Camille Noisette, chargée de mission à la Direction de la régulation et des Affaires Internationales de l’Autorité des marchés financiers (AMF), et Florence Priouret, Directrice de la Division Emetteurs (hors banques et assurances) de l’AMF, pour commenter le rapport de du régulateur boursier sur l’information RSE (Responsabilité sociale et environnementale) des entreprises cotées. Patrick Iweins, président d’IMA France
et associé du cabinet Advolis Orfis relate les principaux enseignements de la conférence. 

C’est un fait, les enjeux environnementaux et sociaux constituent désormais un élément clef de la communication et de la stratégie des émetteurs. S’il était besoin d’une preuve supplémentaire, l’AMF a décidé de faire de la finance durable un axe majeur de son action avec, par exemple, la création en juillet 2019 d’une commission climat et finance durable. Mi-novembre, elle a publié son 4ème rapport triennal sur la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des sociétés cotées. C’est ce rapport qu’étaient venues commenter Camille Noisette et Florence Priouret.  Il prend un relief particulier dans un contexte marqué par l’entrée en vigueur de nouveaux textes, dont la directive n°2014/95/UE qui a institué la déclaration de performance extra-financière (« DPEF »).

La DPEF, une changement de paradigme

Posons d’abord le décor. Grâce aux dispositifs Grenelle (1 et 2) les entreprises françaises avaient pris de l’avance dans l’information RSE. Tout ce travail est un atout. Mais la DPEF va néanmoins représenter une profonde révolution. On peut même parler de changement de paradigme car, comme l’ont souligné les conférencières, il ne s’agit pas de publier des indicateurs formels mais de les rattacher à la stratégie de l’entreprise. Chaque émetteur doit désormais réfléchir à son modèle d’affaires, définir les risques RSE qui y sont liés, concevoir les politiques appropriées et déterminer des indicateurs pertinents destinés à en évaluer l’efficacité.

C’est dans ce contexte qu’intervient le rapport de l’AMF. Il n’émet aucune nouvelle recommandation, mais propose un état des lieux de la réglementation et des pratiques actuelles. Son objectif consiste à accompagner les émetteurs français dans l’élaboration de leur DPEF 2020 en les aidant à identifier les bonnes pratiques. Il s’emploie également à répondre aux attentes du marché sur l’articulation des différentes exigences de reporting extra-financier. Lors de la conférence, les intervenantes ont attiré l’attention de l’assemblée sur les deux points les plus importants dans cette démarche : délivrer une information pertinente et assurer la cohérence des 4 piliers de la DPEF (modèle d’affaires, risques, politiques appliquées et indicateurs clefs).

Parmi les 12 enjeux clefs de la DPEF 2020, elles se sont arrêtées sur les 6 qui nécessitaient une attention toute particulière :

–           Privilégier la concision en limitant la déclaration aux seuls enjeux jugés matériels pour l’entreprise (le principe de matérialité présente un caractère déterminant et doit conduire à trouver d’autres moyens de communication pour satisfaire les attentes de toutes les parties prenantes pour limiter toute inflation des informations) ;

–           Communiquer sur le périmètre des comptes consolidés tout en s’interrogeant sur la pertinence de l’élargir en fonction du modèle d’activité (joint-venture, réseau de franchisé,…) ;

–           Proposer une note méthodologique décrivant le processus de collecte des données extra-financières, les périmètres retenus en fonction des indicateurs, les méthodes de calcul ainsi que leurs limites ;

–           Porter une attention particulière au processus d’identification des enjeux et risques extra-financiers, en précisant l’horizon de temps dans lequel ces risques potentiels peuvent se matérialiser ;

–           Choisir un nombre limité d’indicateurs clés de performance permettant de mesurer le suivi des objectifs et les justifier (50 % des émetteurs n’ont pas défini d’objectifs dans le cadre de la mise en place de leur politique) ;

–           Assurer la cohérence d’ensemble entre modèle d’affaires, risques identifiés, politiques mises en place et indicateurs clés de performance.

Face à l’exercice délicat de la mise en œuvre des principes de matérialité et de concision de la DPEF, la pédagogie du rapport et ses nombreux exemples constituent une aide précieuse  pour les émetteurs. Après une année 2019 de transition, la concision et la cohérence constituent les enjeux majeurs de la communication extra-financière 2020 des émetteurs nationaux.

Europe : le défi de la convergence

En l’état comme la matière est encore jeune, l’homogénéité de l’information extra-financière est loin d’être assurée. Les multiples cadres de reporting proposés au niveau international  (Task Force on Climate-related Financial Disclosures, – Global Reporting Initiative,…) ne facilitent pas la convergence des pratiques. Pour l’Europe, c’est un défi politique important : jouer un rôle pilote dans cette convergence afin de garder la maîtrise de la communication du 21ème siècle. La difficulté est double. D’abord le rôle du reporting extra-financier reste à clarifier. Ensuite, cet objectif se heurte à la philosophie de la directive qui invite l’entreprise à tailler sa stratégie RSE sur mesure par rapport à son business model. Pour autant, l’élaboration d’un langage technique commun et de guides méthodologiques de détermination des indicateurs constitueraient une avancée importante. Elles permettraient notamment d’assurer une comparabilité par secteur. Les conférencières ont rappelé l’importance de cet enjeu au travers de leur analyse d’entreprises du  secteur pétrolier. Elles ont ainsi montré que même si on parvient à retrouver des éléments communs dans la communication RSE de ces entreprises, le niveau de comparabilité de l’information reste limité. L’AMF appelle à une révision de la directive n°2014/95 UE pour faire évoluer le cadre de reporting extra-financier au niveau européen dans le sens de la complétude, la cohérence et la comparabilité.

Pour l’heure, la réglementation est en cours d’adaptation en vue d’intégrer la durabilité dans le conseil financier, de clarifier les devoirs/responsabilités des investisseurs et gérants d’actifs et d’élaborer des indices de référence durables. Ce sera peut-être l’occasion pour la France de promouvoir le rôle de ses organismes tiers indépendants, ou OTI, les prestataires qui ont pour mission d’attester les informations publiées par les entreprises. Les entretiens menés par l’AMF avec les entreprises ont révélé en effet que le rôle des OTI était perçu comme un vecteur de valeur ajoutée.

Gare au millefeuille des risques !

Parmi les éléments susceptibles de faire évoluer le reporting extra-financier figure la directive investisseurs précitée. En effet, celle-ci les invite à donner plus d’informations sur leur politique d’investissement en matière de RSE. L’investisseur étant ainsi obligé de communiquer, cela devrait naturellement inciter les entreprises à fournir les informations en réponse aux attentes des investisseurs et peser en faveur d’une meilleure comparabilité.
Reste une ombre au tableau, toujours la même: le poids excessif des contraintes pesant sur les entreprises. La directive prospectus leur demande de communiquer sur leurs risques. Voici que la DPEF impose une communication sur les risques RSE induits par le modèle d’affaires. Cette situation confère ainsi, au moins provisoirement, un aspect de millefeuille à cette communication.  Le défi va consister à les faire se rapprocher au plus près. C’est un travail de place qu’il convient de mener, L’AMF est parfaitement consciente de ce nouvel enjeu !

 

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