Sur fond de Brexit, l’AMF réclame plus d’Europe
Le nouveau président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), Robert Ophèle, a présenté pour la première fois le rapport annuel de l’institution le 17 mai dernier. Il regrette les difficultés auxquelles se heurte l’édification d’une supervision européenne des marchés financiers alors que celle-ci est rendue plus cruciale encore par la perspective du Brexit. Robert Ophèle a également dénoncé l’insuffisance des moyens alloués à l’Autorité.
Le marché parisien se porte bien ! Lors de la conférence de presse de présentation du rapport annuel 2017 de l’Autorité des marchés financiers, son nouveau président, Robert Ophèle, a qualifié 2017 d’année « de forte progression des valorisations boursières des sociétés, de retour des investisseurs sur les placements à risque et de rebond des introductions en bourse ». C’est ainsi qu’en 2017, l’AMF a délivré 400 visas sur opérations financières dont 41 portant sur des offres publiques ; elle a par ailleurs accordé 20 visas d’introduction en bourse pour un montant levé total de 2 milliards d’euros. S’agissant de la gestion d’actifs, 35 sociétés de gestion ont été agréées. Fin 2017, on dénombrait 10 222 fonds représentant un encours sous gestion de 1 642 milliards d’euros. La bonne nouvelle, c’est que les premiers mois de 2018 confirment cette tendance : « Depuis le début de l’année le CAC40 (…) a progressé de 6 %. Nous avons dans les tuyaux, à ce stade de l’année, autant d’introductions en bourse que ce qui a été enregistré pour l’ensemble de l’année 2017. Les émissions nettes d’actions cotées et les flux de collecte des OPCVM actions restent positifs », a précisé Robert Ophèle. Pour lui, il faut voir dans cette situation positive « au-delà d’une bonne orientation conjoncturelle de l’économie française, la force de ses écosystèmes innovants et la perception des investisseurs qu’une politique favorable au relèvement du potentiel de croissance de notre économie est effectivement mise en œuvre ». Toutefois, le président de l’AMF a mis en garde contre les risques mondiaux que constituent « la rhétorique protectionniste et les sanctions économiques décidées par les États-Unis », les valorisations boursières Outre-atlantique qui se situent très au-dessus des fondamentaux et le niveau élevé de l’endettement des agents économiques.
Des réformes tardives et limitées
Dans ce contexte globalement positif, l’une des principales préoccupations du président de l’AMF a trait à la supervision européenne qui, à son sens, avance trop lentement. Instituée après la crise de 2008 par la création d’un organisme dédié, l’ESMA, à qui l’on a attribué à l’époque quelques pouvoirs limités, notamment celui de gérer en direct les dossiers relatifs aux agences de notation, elle doit désormais prendre de l’ampleur. D’abord, parce que l’harmonisation de la réglementation financière en Europe ne sera pas complète tant que l’application des règles ne sera pas uniforme, ce qui implique un régulateur européen en mesure d’assurer cette harmonisation pratique des textes. Ensuite, parce que la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne va transformer cet État en pays tiers et que l’Europe doit aborder cette nouvelle configuration d’un front uni, sans quoi il y a un risque que tel ou tel pays n’accorde aux acteurs britanniques des facilités qui réduisent à néant les accords de sortie. Le problème, a expliqué Robert Ophèle, c’est que les propositions de réforme de la Commission européenne qui accroissent les pouvoirs de l’ESMA et les modalités de supervision des chambres de compensation alors même qu’elles sont modestes, ne recueillent qu’un soutien modéré des pays membres, « la plupart d’entre eux privilégiant le statu quo qui assoit leur légitimité nationale ». Et le président de l’AMF de mettre en garde : « On risque donc d’aboutir tardivement — c’est-à-dire vers la fin de l’année — à des réformes limitées qui ne permettront pas de mettre fin aux interprétations nationales des réglementations européennes et ne permettront pas une approche européenne cohérente des relations avec le Royaume-Uni ». Il n’a pas cité les pays récalcitrants, mais on sait que l’Allemagne est peu encline à déléguer ses pouvoirs de supervision à une instance européenne et que sa réticence fait le jeu de certains petits pays qui entendent garder la marge de manœuvre nécessaire pour attirer des acteurs financiers en leur offrant une vision plus souple de la réglementation européenne que les autres États membres. Autre sujet d’attention, certaines conséquences de MIF 2 (Directive marchés d’instruments financiers). Entrée en application début 2018, la directive avait pour objet notamment de corriger le faiblesses de MIF 1, or Robert Ophèle s’inquiète de ce que la réduction de la place des opérations hors marchés, et donc hors surveillance (dark pools et transactions OTC, se soit faite non au profit des plates-formes réglementées mais au bénéfice des internalisateurs systématiques (ou teneur de marché) et des plates-formes arrangeant des opérations bilatérales. L’effet recherché était une plus grande transparence, ce qui n’est pas le résultat obtenu. « Nous avons donc devant nous un important travail à conduire avec l’industrie pour analyser les évolutions dans la structure des marchés, l’efficacité des mesures prises et combattre les éventuels contournements. De même, il nous appartient de veiller à la bonne qualité des données transmises aux régulateurs et au marché », analyse Robert Ophèle.
Gare aux crypto-actifs
Enfin, le président a évoqué la lutte contre les placements toxiques. La mobilisation de l’AMF contre le développement des sociétés proposant sur internet aux particuliers des placements très risqués sur le forex (publicités de type « Devenez trader ») a porté ses fruits. L’Autorité a obtenu que la loi Sapin 2 prévoit l’interdiction de ces publicités. Résultat le nombre de dossiers a chuté de façon conséquente. Dans son dernier rapport annuel, Marielle Cohen-Brance, médiateur de l’AMF, constate une diminution de moitié des saisines de ses services concernant ce type de placement en 2017 et note que les publicités ont quant à elle diminué de 70 %. Mais déjà d’autres risques apparaissent sur de nouveaux produits. Au cours des quatre premiers mois de l’année, sur les plus de 4 000 demandes traitées par le centre « Épargne Info-services » de l’AMF, 700 ont concerné les crypto-actifs avec près de 250 réclamations ou signalements faisant état de plus de 9 millions d’euros de pertes. Les régulateurs ne sont toutefois pas totalement démunis. L’ESMA a décidé d’utiliser les pouvoirs nouveaux que lui confère MIF 2 d’interdire temporairement la commercialisation de produits dangereux contre les options binaires et les CFD (Contract for difference) les plus risqués, interdiction qui s’applique, que le sous-jacent de l’option binaire ou du CFD soit une devise ou un crypto-actif. « Le même texte donne ce pouvoir aux autorités nationales mais sans son caractère temporaire : nous verrons donc le moment venu comment nous prenons le relai de l’ESMA », a précisé Robert Ophèle.
Un budget insuffisant
Enfin, le président a attiré l’attention sur les problèmes financiers de l’AMF. En 2017, elle a collecté plus de 110 millions d’euros de contributions auprès de ses assujettis pour financer ses activités mais n’a été autorisée à n’en conserver que 94. Comme ses charges sont de plus de 100 millions, elle a clôturé l’exercice 2017 en perte de 7 millions. « Il y a là, à l’évidence, une situation insoutenable, inacceptable pour une Autorité dont la mission porte sur la surveillance du domaine financier, explique Robert Ophèle. Alors même que l’AMF a déjà des moyens sensiblement inférieurs à ceux de ses homologues étrangers et où ses besoins augmentent en raison de l’accumulation des nouvelles réglementations, de la recomposition européenne en cours et des défis posés par l’innovation financière et le traitement d’un nombre croissant de données — dans le seul cadre de la surveillance des marchés nous recevons actuellement plus de 5 millions de déclarations de transactions chaque jour —, c’est naturellement une augmentation de nos revenus nets de reversement à l’État dont nous avons besoin ». Pour compenser, l’État a autorisé l’AMF à recevoir des contributions volontaires destinées à financer des projets d’intérêt commun. C’est ainsi qu’elle a signé avec l’AFG (Association française de gestion) une convention qui se traduira par le versement de 6 millions d’euros par an, sur 5 ans, au titre du projet de refonte de l’application permettant à l’AMF de traiter les échanges réglementaires avec les sociétés de gestion. « Nos comptes 2018 devraient ainsi être proches de l’équilibre mais, à l’évidence, cela n’épuise pas le sujet et nous devons établir avec l’État un cadrage pluriannuel de nos ressources qui passe par un relèvement de notre plafond de ressources », conclut Robert Ophèle.