En 2023, les procédures amiables ont pris leur essor à Nanterre

Publié le 04/03/2024

Le tribunal de commerce du deuxième département de France par le PIB, premier département de France pour les entreprises de plus de 1 000 salariés, tenait son audience de rentrée le 2 février dernier. Si la vague de faillites souvent redoutée n’a pas eu lieu, l’année 2023 a été difficile pour les entreprises du département.

Dans les Hauts-de-Seine, l’année 2023 aura été difficile pour les entreprises et leurs salariés. Tel est le constat dressé par le procureur, Pascal Prache, et par le président du tribunal de commerce de Nanterre, Jacques Fineschi, lors de l’audience de rentrée du tribunal de commerce. « Si les difficultés sont liées à la rémanence des conséquences de la pandémie de Covid-19, à l’inflation des matières premières et aux coûts du transport, les entreprises font aussi état de difficultés nouvelles relatives à un accès au crédit plus restreint et au ralentissement de la reprise économique constaté en 2022 », a d’emblée posé Pascal Prache, à peine les remerciements d’usage terminés.

En conséquence, l’année du tribunal de commerce fut marquée par une très forte progression des ouvertures de procédures collectives. Après des années 2020 et 2021 marquées par une forte baisse, la recrudescence observée à partir de mars 2022 s’est poursuivie. Avec 1 123 procédures collectives ouvertes sur l’année, soit 46 % de plus qu’en 2022, l’activité dans cette matière dépasse le niveau de 2019 de 13 %.

La tendance à l’ouverture de procédures collectives au profit d’importantes PME, amorcée en 2022, s’est confirmée en 2023. Ces ouvertures ont porté sur des entreprises totalisant un chiffre d’affaires de 3,9 Md€ et un effectif d’environ 13 500 salariés. « Le nombre de personnes concernées par des procédures collectives ouvertes en 2023 a été multiplié par près de 3,4 en comparaison avec 2022. C’est une tendance lourde qui semble malheureusement se dessiner. Le nombre de salariés concernés est passé d’un millier en 2021, à 4 000 en 2022 et à 13 500 en 2023. La grande majorité de ces personnes étaient employées par des entreprises placées en sauvegarde ou redressement, a souligné Pascal Prache. « Les 915 liquidations judiciaires, certes importantes en nombre et parfois brandies comme un épouvantail, ne totalisent que 8 % du chiffre d’affaires total sous procédure collective et 15 % des effectifs totaux, soit 2,3 salariés par société en moyenne », a toutefois tempéré Jacques Fineschi. « Le taux des ouvertures de redressement judiciaires (+ 68 %) a été plus fort que celui des liquidations (+ 43 %), laissant une place plus importante aux chances de recours », a pour sa part précisé Pascal Prache.

En 2023, le tribunal a eu à gérer le cas « hors norme » d’Orpea. Pour ce dossier, le tribunal a mis en œuvre la procédure de sauvegarde accélérée issue de la réforme de septembre 2021. Celle-ci permet d’anticiper les difficultés des entreprises engagées dans une procédure de conciliation, en élaborant rapidement en moins de 3 mois un plan devant assurer sa pérennité. « Le dossier Orpea a permis aux juges des chambres des procédures collectives, mais aussi à certains membres des chambres de formation générale, d’étrenner ces nouvelles dispositions et d’en étudier les détails ».

En matière de contentieux aussi, l’activité a progressé. Le tribunal a enrôlé 2 470 nouvelles affaires, soit une progression de 19 % par rapport à 2022. Avec 12 000 nouvelles requêtes, les injonctions de payer ont connu une progression spectaculaire de 79 % par rapport à 2022 et de 140 % par rapport à 2019. Le président Jacques Fineschi a donné l’explication de ces chiffres étonnants : des garagistes non agréés par les assureurs ont procédé à des remplacements de pare-brise automobile, et réclamé à l’assureur de leur client le paiement d’un prix supérieur à celui que l’assureur verse à ses garagistes agréés.

L’année 2023 a aussi vu les procédures amiables et préventives prendre leur essor dans la juridiction. Avec 248 ouvertures, soit 2 fois plus qu’en 2022 et 5 fois plus qu’en 2019, les procédures de mandat ad hoc et de conciliation ont atteint un niveau record. C’est une spécificité de la juridiction des Hauts-de-Seine : sur le reste du territoire français, les procédures amiables n’ont progressé que de 4 %. Ce développement n’est pas le fruit du hasard : il était un des objectifs du président Jacques Fineschi, annoncé lors de son installation en 2020. « Cette progression exceptionnelle résulte notamment de l’effort d’information accompli au quotidien par tous les acteurs de la prévention des Hauts-de-Seine », s’est félicité Jacques Fineschi. « Cet effort doit être poursuivi, car si ces procédures préventives essaiment progressivement vers les PME, elles ne touchent encore que très rarement les TPE. Il s’agit là d’un chantier important pour l’avenir ». Le président du tribunal a rappelé les bons résultats de ces procédures : dans 70 % des cas, elles ont permis d’éviter l’ouverture d’une procédure collective. Le procureur Pascal Prache a lui aussi tenu à souligner l’engagement du parquet concernant la prévention des difficultés. Il a rappelé que ses magistrats ont rendu en 2023 plus de 160 avis dans le cadre de procédures de conciliation, tout en maintenant un contrôle rigoureux des conditions d’ouverture et de rémunération des conciliateurs et conciliatrices. S’il s’est réjoui de l’essor de ces procédures, il y a toutefois mis un bémol : « Les procédures amiables ont vocation à éviter ou préparer la procédure collective, mais ne doivent pas être utilisées à leur détriment », a-t-il rappelé. « Cette année, plusieurs procédures collectives ont été ouvertes au profit d’entreprises incapables de financer leur activité au-delà de quelques semaines, alors qu’elles faisaient l’objet de procédures amiables. Ces ouvertures ne sont pas satisfaisantes et nuisent à l’efficacité des procédures collectives ». Il a rappelé la nécessité d’examiner chaque dossier au cas par cas, sans systématisme. « Il ne faut pas inciter à la poursuite vaine d’une procédure préventive ni au contraire à son arrêt prématuré », a-t-il averti.

Malgré cette forte activité, le tribunal a tenu des délais raisonnables, a estimé le président Jacques Fineschi, précisant que « la durée des instances au fond terminées est ainsi tombée de 11,7 mois en 2022 à 10,2 mois en 2023 ». Le taux d’appel a poursuivi sa baisse, passant de 12,9 % en 2022 à 9,1 % en 2023. Seules 2,4 % des décisions ont été infirmées par la cour d’appel, a également rappelé Jacques Fineschi.

Les modes amiables de règlement des différends (MARD), conciliation et médiation, ont également poursuivi leur progression. 186 conciliateurs et 2 médiateurs en 2023 ont été désignés, soit 188 désignations au total contre 160 en 2022. Le taux de succès des conciliations clôturées en 2023 s’est établi à 55 %. « Un très bon taux », pour le président Jacques Fineschi, qui « s’explique par la qualité de l’équipe de 7 conciliateurs, tous anciens juges ayant à la fois une bonne connaissance de l’entreprise et du droit des affaires. Mais aussi par une adhésion croissante des avocats à ces modes de règlement qui, loin de les écarter, leur permet de continuer de jouer un rôle de conseil actif auprès de leur client aux fins de parvenir à une solution négociée, toujours plus efficace qu’une décision verticale du juge ».

2023 fut aussi l’année des expérimentations. Depuis janvier 2023, l’Institut national de la propriété intellectuelle (INPI) est en charge d’un nouveau registre national des entreprises, entièrement dématérialisé. L’INPI propose un guichet unique qui se substitue aux greffes des tribunaux de commerces et doit enregistrer, sous forme numérisée, toutes les déclarations des entreprises : création, modifications, cessation, dépôt d’actes, dépôt des comptes et déclaration des bénéficiaires effectifs.  « Des dysfonctionnements sont apparus dès le lancement de la plateforme : difficultés de connexion, bugs en pleine saisie, interruption d’accès, défaut de certaines fonctionnalités, engendrant parfois un « retour au papier pour pallier une informatique défaillante », a dénoncé le président Jacques Fineschi. « Ces dysfonctionnements ont de graves conséquences. Ils peuvent par exemple perturber l’obtention d’un prêt bancaire, retarder le début d’une activité ou, pire encore, amener des entreprises à démarrer leur activité sans payer ni TVA ni charges sociales, ou encore entraver le respect par les entreprises de certaines obligations légales comme le dépôt des comptes. Rien n’est encore résolu malheureusement aujourd’hui. Et il y a urgence ! ».

Avant de conclure sa présentation, Jacques Fineschi a, comme il le fait à chaque audience de rentrée depuis 4 ans, évoqué l’association APESA 92, qui compte environ 200 sentinelles – juges, greffiers, avocats, banquiers, experts-comptables, administrateurs et mandataires judiciaires, prêts à venir en aide à des dirigeants en souffrance psychologique après une faillite. « Elle dispose d’un réseau de 20 psychologues dans le département des Hauts-de-Seine. Depuis l’origine, 86 fiches d’alerte ont été émises et 58 chefs d’entreprise ont bénéficié d’un suivi psychologique », a rappelé Jacques Fineschi.

L’activité 2023 analysée, les chefs de juridiction se sont tournés vers l’année 2024. 12 nouveaux juges ont été installés lors de cette audience de rentrée. Le parcours de chacun a été détaillé, généralement marqué par une formation dans une grande école et de hautes responsabilités au sein de grands groupes français. « Vous rejoignez une juridiction hors du commun par l’importance des dossiers traités et la qualité des décisions », a souligné Pascal Prache à leur attention.

En fin d’audience, une nouvelle présidente, en la personne de Catherine Drévillon, a été installée à la tête du tribunal de commerce de Nanterre. Déjà vice-présidente du tribunal de commerce depuis 4 ans, Catherine Drévillon est désormais la première femme présidente de la juridiction. Cela fut rapidement évoqué, la présidente elle-même ne s’attardant pas sur ce symbole.

Elle a rappelé l’engagement collectif des 72 juges bénévoles qui composent le tribunal de commerce de Nanterre, et précisé qu’elle inscrirait son action dans la continuité de celle de son prédécesseur, en tournant le tribunal vers l’international. « Jacques Fineschi a beaucoup œuvré en ce sens, je suivrai le même chemin », a-t-elle assuré. Une de ses priorités est de continuer à faire connaître la chambre du contentieux international créée en 2019.

Alors que la loi de programmation et d’orientation de la justice du 20 novembre 2023 prévoit la mise en place à titre expérimental de tribunaux des activités économiques (TAE) qui auraient potentiellement vocation à remplacer à terme les tribunaux de commerce et les formations spécialisées en procédure collective des tribunaux judiciaires, une liste de 9 à 12 tribunaux qui expérimenteront ce nouveau dispositif devrait être bientôt publiée. Le tribunal de commerce de Nanterre espère être désigné pour compter parmi cette liste des 9 à 12 tribunaux qui expérimenteront le tribunal des activités économiques. Catherine Drévillon a assuré qu’elle ferait son possible pour pousser la candidature de la juridiction.

Autre expérimentation à laquelle le tribunal de commerce souhaite prendre part, celle de l’Observatoire des litiges judiciaires, créé à l’initiative de la Cour de cassation pour recenser et analyser certains contentieux au sujet desquels un partage d’informations serait utile : litiges sériels, contentieux émergents, ou encore situations de divergences de jurisprudence. « Trois cours d’appel sont en test, dont celle de Versailles, et nous participerons activement à cette veille juridique », a précisé Catherine Drévillon.

Enfin, elle a exhorté les juges à se former une obligation mais aussi et peut être surtout à rester curieux. « Le monde et les technologies changent sans cesse, peut-être même de plus en plus vite. Nous devons les comprendre et analyser les enjeux parce que de nouveaux litiges peuvent naître ou de nouveaux modèles économiques apparaître, qu’il faut savoir analyser ».

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