Enfin un droit de la restructuration efficace !

Publié le 28/08/2017

Avec sa proposition de directive du 22 novembre 2016, la Commission met à la disposition des États membres un cadre de restructuration préventif résolument moderne et efficace fondé sur les principes de l’analyse économique du droit et inspiré du fonctionnement du Chapter 11 américain. Cette nouvelle approche, faisant figure d’une petite révolution silencieuse, bénéficiera en premier lieu à la France qui doit s’en servir comme base pour construire notre droit de l’insolvabilité de demain.

La Commission européenne a pris la mesure de l’importance d’avoir un droit des entreprises en difficulté efficace. La plupart des États membres de l’Union ont entrepris ces dernières années une réforme de leurs procédures collectives. La France s’est montrée des plus actives en la matière, sans que l’on puisse réellement s’en satisfaire. Plutôt que de procéder à une réforme majeure d’ensemble, la France a procédé à de nombreuses petites retouches, rendant notre droit des entreprises en difficulté illisible du point de vue des investisseurs.

En dépit des ajustements récemment réalisés, l’économie française continue de subir les effets de la trajectoire prise par le législateur en 1985 avec la loi Badinter, c’est-à-dire celle d’une politique privilégiant la préservation de l’emploi à court terme plutôt que l’emploi pérenne, et ce, au mépris des règles élémentaires en économie et rappelées par le Conseil d’analyse économique dans une note au Premier ministre, datant de 2013 (et signée notamment par Jean Tirole)1.

Combien de temps allons-nous encore supporter les conséquences d’un système qui ne survit que grâce aux subventions publiques d’un État surendetté ? Ces subventions publiques prennent la forme :

1°) de prêts garantis par Oséo parce que, faute de sûreté efficace en procédure collective, les investisseurs privés refusent de prêter aux entreprises fragiles,

2°) d’un report du paiement des charges sociales, pratique pénalement sanctionnée en Allemagne, pour financer la période d’observation que ne veulent pas financer les investisseurs privés, compte tenu de l’imprévisibilité de l’issue de la procédure collective laissée à la discrétion du débiteur ou du tribunal.

Combien de temps devons encore nous satisfaire de ce que les prêts « new money » octroyés à l’issue d’une procédure de conciliation aient un taux d’intérêt à deux chiffres, alors que les taux d’intérêt ailleurs sont négatifs, grâce à la politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne ? Ces taux excessifs de la « new money » sont pourtant le signal d’alerte de l’incapacité des procédures dites « amiables », de permettre un désendettement suffisant de l’entreprise, rendant très risqué tout nouvel investissement. Les parties échouent en effet le plus souvent à construire un avenir durable pour l’entreprise surendettée, faute de pouvoir sereinement envisager une alternative crédible à la procédure de conciliation, si elles ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le montant des abandons de créances requis. L’effet épouvantail de la procédure collective conduit ainsi nécessairement les parties dans la phase amiable des négociations à aboutir à des accords nécessairement sous-optimaux.

Plutôt que de continuer la politique de la « rustine » commencée avec la loi de 1994 et de célébrer l’efficacité des procédures amiables sous prétexte que 70 % des négociations aboutissent à un accord, la Commission européenne nous offre l’opportunité de revoir en profondeur les fondements de notre droit et de faire les ajustements nécessaires à travers sa proposition de directive du 22 novembre 2016 (ci-après la « proposition de directive »). Saisissons cette opportunité qui placerait la recherche de l’efficacité économique des procédures collectives françaises !

La recherche de l’efficacité économique est en effet au cœur de la directive.

L’objectif de la directive

La proposition de directive vise à instaurer un cadre permettant aux entreprises en difficultés financières de poursuivre leur activité. Elle précise que ce cadre doit « optimiser la valeur totale pour les créanciers, les propriétaires et l’économie dans son ensemble et prévenir d’inutiles suppressions d’emplois et pertes de connaissances et de compétences » (cons. 2). Autrement dit, la proposition de directive cherche d’une part à maximiser la valeur des actifs de l’entreprise en difficulté et d’autre part à éviter les destructions de valeur inutiles.

Pour préserver et maximiser la valeur de l’entreprise, la proposition de directive (tout comme le droit français) prévoit utilement l’arrêt des poursuites individuelles et l’interdiction de mettre fin aux contrats en cours dès l’ouverture d’une procédure collective, circonstances qui pourraient la réduire.

La proposition de directive insiste par ailleurs sur la nécessité « de préserver et d’accroître la transparence et la prévisibilité des procédures » (cons. 39). L’une des composantes fondamentales de cette prévisibilité est d’empêcher qu’une restructuration aboutisse à une redistribution de la richesse produite par l’entreprise différente de celle prévue initialement par les parties. Le droit des procédures collectives doit se garder de favoriser une classe de créanciers au détriment d’une autre. La directive adopte cette approche en instaurant une règle de priorité absolue (équivalent à l’absolute priority rule du droit américain) selon laquelle une classe dissidente de créanciers doit être intégralement désintéressée avant qu’une classe de rang inférieur ne puisse bénéficier des répartitions ou conserver un intéressement dans le cadre du plan de restructuration (art. 2 (10)). Ce n’est pas le cas du droit français qui, au nom de la sauvegarde de l’entreprise et de la préservation de l’emploi, remet en cause l’ordre de priorité des paiements à travers les règles d’approbation des plans de restructuration, conférant un pouvoir de nuisance indu aux actionnaires et aux créanciers « junior ».

Ainsi, l’efficacité économique est une priorité de la directive. Elle se retrouve également dans les mesures proposées tout au long du processus de restructuration.

Le champ d’application de la proposition de directive

Auparavant, il convient d’éclaircir le champ d’application de la directive. Ce dernier a donné lieu en France à des discussions doctrinales alors que l’article 1er de la directive est clair : la directive recouvre « les procédures de restructuration préventives accessibles au débiteur en difficulté financière lorsqu’il existe une probabilité d’insolvabilité ».

Pour certains, la directive recouvre la procédure de conciliation. Sans doute y a-t-il là un amalgame entre les termes amiables et préventifs. Les procédures amiables que sont la conciliation et le mandat ad hoc ne sont pas contraignantes pour les créanciers, élément caractéristique des procédures collectives. Les procédures amiables sont simplement des cadres juridiques structurés facilitant la négociation, abandonnés à la bonne volonté des créanciers que le mandataire amiable sollicite.

Considérer qu’elles sont incluses dans le champ d’application de la directive reviendrait à créer une nouvelle procédure collective alors que la France en compte déjà cinq, si l’on prend en compte les variantes de la sauvegarde.

La directive doit s’appliquer à toute procédure collective produisant un effet coercitif sur les créanciers à l’exception de la liquidation judiciaire dont l’objet est de réaliser les actifs du débiteur dans les meilleures conditions afin de payer ses créanciers.

Cela ne signifie pas pour autant que le dispositif de la directive n’a pas d’effet sur l’efficacité de la liquidation, la directive établissant des mesures visant à accroître l’efficience des procédures de restructuration préventive ainsi que des procédures d’insolvabilité.

Cela inclut la sauvegarde, ses variantes et la procédure de redressement judiciaire. Le législateur français leur assigne d’ailleurs le même objectif. Il s’agit dans un cas comme dans l’autre de « permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif »2.

Certains considèrent que le redressement judiciaire ne peut être impacté par la proposition de directive dans la mesure où la procédure collective ne s’ouvre que postérieurement à un état de cessation des paiements. La proposition de directive contient cependant des garde-fous pour les créanciers forts utiles pour garantir que la procédure collective soit équitable, au regard de leurs droits. Penser que ces gardes fous, que l’on retrouve également en faillite bancaire, ne seront pas utilisés par les avocats des créanciers lésés en redressement judiciaire est présomptueux. Les garanties accordées en procédure de sauvegarde modifieront nécessairement la procédure de redressement judiciaire.

S’agissant maintenant des principes posés par la proposition de directive.

L’arrêt des poursuites

À l’ouverture de la procédure, les débiteurs devraient bénéficier d’une suspension des poursuites individuelles dans la mesure où elle est nécessaire pour permettre le bon déroulement des négociations relatives à un plan de restructuration (art. 6). La disposition permet aux débiteurs de préserver la valeur de leur entreprise en empêchant les créanciers de saisir des actifs qui pourraient être essentiels pour l’activité. Ainsi, elle sert les intérêts collectifs des créanciers.

Il est nécessaire que le principe de l’arrêt des poursuites soit réaffirmé avec force. Le principe n’est peut-être pas suffisamment rappelé par la Commission européenne dans un contexte où se multiplient en France les fiducies, les cessions Dailly, les gages sur stock avec dépossession ou encore les gages espèces, autant de moyens en France permettant aux créanciers d’échapper à la procédure collective en dépit de l’intérêt qu’elle doit présenter.

La durée de la suspension des poursuites doit être un juste équilibre entre les intérêts du débiteur et ceux de ses créanciers. Elle ne doit pas être trop longue. C’est pourquoi la directive limite sa durée à 4 mois (contre 6 en droit français), pouvant être renouvelée sans excéder 12 mois (contre 18 en droit français).

Le contenu du plan

La suspension des poursuites doit être utilisée pour faire la lumière sur la situation du débiteur et organiser les conditions de l’adoption d’un plan. Ce dernier voit son contenu détaillé à l’article 8 qui impose que le plan de restructuration soumis aux autorités judiciaires et administratives contienne « une évaluation de la valeur actuelle du débiteur ou de l’entreprise du débiteur », sans laquelle il ne pourrait être validé.

Par ailleurs, le plan doit faire état des « classes dans lesquelles les parties concernées ont été regroupées aux fins de l’adoption du plan, ainsi que la motivation de ce regroupement et dans des informations sur la valeur respective des créanciers et des membres de chaque classe » (art. 8 (d)).

Le regroupement des créanciers et des détenteurs de capital concernés dans un plan de restructuration est opéré de manière à refléter les droits ainsi que le rang des créances (art. 2 (6)).

De ce point de vue, le droit français n’est pas conforme à la proposition de directive, car la répartition se base sur la nature de la créance plutôt que sur son rang. Trois classes sont imposées : celle des établissements de crédits et assimilés, celle des principaux fournisseurs et celle des obligataires. Avec la proposition de directive, il ne sera plus exclu qu’une même classe regroupe des obligataires et des prêteurs bancaires s’ils sont pari passu.

L’adoption du plan

La répartition en classes vise à s’assurer que les règles d’approbation du plan ne viendront pas remettre en cause l’ordre d’absorption des pertes prévu initialement en fonction des sûretés réelles octroyées (conférant un droit de priorité à hauteur de la valeur des actifs sous-jacents) et des accords de subordination.

La définition des classes est ainsi déterminante pour l’adoption du plan et, par extension, pour les droits des investisseurs.

Lors de l’approbation du plan, l’approche économique prévaut puisque seules les parties affectées par le plan sont en situation de pouvoir voter. Ainsi, il suffit que le projet de plan soumis aux classes prévoit au bénéfice de l’un de ses membres le maintien des conditions contractuelles d’origine pour que ce créancier ne prenne pas part au vote et que sa créance ne soit pas prise en compte pour le calcul de la majorité. Ce principe existe en France à l’article L. 626-30-2 du Code de commerce depuis l’ordonnance du 12 mars 2014.

Aux termes de l’article 9.1, au sein de chaque classe, le plan est réputé adopté par les parties concernées à la condition d’une majorité sur le montant de leurs créances ou intérêts soit obtenue dans chacune des classes, sans que la majorité requise puisse excéder 75 %.

Prévoir une majorité en montant est non par tête permet de « garantir que les parties aient leur mot à dire sur l’adoption des plans de restructuration dans une mesure proportionnée à leurs participations dans l’entreprise » conformément au considérant 26 de la directive.

Confirmation du plan

Après son adoption par les classes de créanciers, le plan doit être confirmé par une autorité judiciaire ou administrative. La confirmation du plan est requise lorsque le plan affecte les intérêts des parties concernées ayant refusé d’approuver le plan et lorsque le plan prévoit de nouveaux financements ou des financements provisoires.

L’intervention d’une autorité à ce stade s’avère nécessaire dans la mesure où le plan peut être coercitif pour certains créanciers refusant de voter en faveur de celui-ci. L’autorité intervient pour certifier que le plan répond à certaines exigences.

L’intervention d’une autorité est tout aussi justifiée pour valider l’octroi de nouveaux financements ou de financements provisoires, lesquels peuvent, selon l’article 16, bénéficier d’une triple protection :

  • Ils ne peuvent pas être déclarés nuls, annulables ou inapplicables en tant qu’actes préjudiciables à la masse des créanciers dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ultérieure ;

  • Ils peuvent être assortis d’un privilège qui leur procure un rang au moins supérieur à celui des créances ordinaires non garanties ;

  • Les créanciers sont exemptés des responsabilités civiles, administratives et pénales en lien avec l’insolvabilité ultérieure du débiteur sauf en cas de fraude.

À l’image du debtor-in-possession financing américain, cette protection est strictement limitée aux financements « nécessaires pour mettre en œuvre un plan de restructuration » (financement nouveau, art. 2 (11)) et à ceux « nécessaires pour permettre la poursuite ou la survie de l’entreprise du débiteur, ou pour préserver ou accroître la valeur de cette entreprise dans l’attente de la validation d’un plan de restructuration » (financement provisoire, art. 2 (12)).

En cas d’approbation de la directive, la légalité du privilège de new money de l’article L. 611-11 du Code de commerce pourrait être ainsi remise en cause, car celui-ci concerne tout « nouvel apport en trésorerie au débiteur en vue d’assurer la poursuite d’activité de l’entreprise et sa pérennité ». Ce champ d’application est beaucoup plus large que celui prévu par la directive, ce qui est de nature à porter atteinte aux droits des créanciers antérieurs.

La confirmation du plan par une autorité diffère selon que le plan a été accepté par chaque classe (même si au sein d’une classe des créanciers dissidents existent) ou non.

Dans la première hypothèse, un plan ne peut être confirmé que si, notamment, il respecte au mieux l’intérêt des créanciers » (art. 10 (2)). Ce principe, équivalent au principe américain du « no creditors worse off » ou « best interest test », impose qu’aucun créancier dissident ne se trouve dans une situation moins favorable du fait du plan de restructuration que celle qu’il connaîtrait dans le cas d’une liquidation, que cette dernière s’opère au moyen d’une distribution des actifs ou par la cession de l’entreprise en activité (art. 2 (9)).

En pratique, cela implique pour l’autorité validant le plan de déterminer la valeur de l’entreprise en activité, un exercice difficile qui exigera le recours à des experts.

L’idée sous-jacente du critère du respect des intérêts des créanciers est que le redressement de l’entreprise n’est justifié que s’il crée un surcroît de valeur par rapport à la liquidation. Cela permet, là encore, de choisir l’option qui maximise la valeur des actifs de l’entreprise.

C’est un changement fondamental d’approche par rapport au droit français, de nature à davantage préserver les droits des créanciers.

Éviction d’une classe entière d’investisseurs

Lorsque le consentement de chaque classe participant au vote du plan n’est pas obtenu, il est possible, sur la base de la valeur de l’entreprise en redressement, d’évincer des classes entières de créanciers et même d’actionnaires à certaines conditions (art. 11 et 12).

Pour cela, le plan doit être approuvé par au moins une classe de créanciers affectés par le plan (autre que les actionnaires). Il est alors possible de ne pas tenir compte de l’opposition d’une classe de créanciers si, après détermination de la valeur de l’entreprise, cette classe de créanciers n’aurait rien perçu si l’entreprise avait été cédée à un tiers en liquidation, à un prix égal à la valeur d’entreprise retenue (nécessairement supérieure à la valeur liquidative si l’entreprise est viable).

L’idée fondamentale de cette disposition est de donner le pouvoir de décider du sort de l’entreprise à ceux dont les intérêts sont le plus alignés sur ceux de l’entreprise. Comme nous l’avons vu, les créanciers dont les droits ne sont pas affectés par le plan ne sont pas admis au vote. S’ils l’étaient, ils seraient en effet tentés de voter contre le plan de restructuration et en faveur de la liquidation immédiate, car la poursuite de l’activité rend toujours incertain le remboursement ultérieur de leurs créances.

De la même manière, ne doivent pas décider du sort de l’entreprise, les créanciers qui auraient tout perdu en cas de liquidation de l’entreprise à sa valeur d’entreprise en redressement, car ceux-ci, sont incités à faire courir des risques excessifs à l’entreprise, puisqu’ils ont déjà tout perdu au moment de l’approbation du plan.

Ainsi, les créanciers susceptibles de faire le meilleur choix et de maximiser la valeur de l’entreprise sont ceux dont la créance est en partie réglée par le plan puisqu’un euro marginal de valeur créée ou détruite se répercute intégralement sur la valeur de leurs créances.

La dernière condition est celle du respect de la règle de priorité absolue telle que définie plus haut. Il est important de comprendre que, pour que l’ordre de priorité soit respecté, les créanciers titulaires de sûretés réelles doivent être considérés comme prioritaires avant le reste des créanciers à hauteur de la valeur de l’actif sous-jacent.

En conclusion, la directive du 22 novembre 2016 apporte des propositions innovantes et efficaces économiquement, une base qui doit servir pour construire notre droit de l’insolvabilité de demain.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Plantin G., Thesmar D. et Tirole J., « Les enjeux économiques du droit des faillites », Les notes du Conseil d’analyse économique juin 2013, n° 7.
  • 2.
    C. com., art. L. 620-1 et art. L. 631-1.
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