La débitrice en procédure collective peut-elle contester la décision portée sur l’état des créances la condamnant à payer une créance antérieure ?

Pour la chambre commerciale de la Cour de cassation, la débitrice en procédure collective n’est pas un tiers intéressé au sens de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 du Code de commerce. Elle ne peut donc contester la décision portée sur l’état des créances la condamnant à payer une créance salariale antérieure Cette dernière est opposable à sa procédure collective. Cette décision est conforme à l’article L. 625-6 du Code de commerce et à la jurisprudence de la Cour de cassation considérant que l’action en contestation de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 du Code de commerce est réservée aux seuls tiers intéressés. Cette décision offre l’opportunité de rappeler la spécificité du traitement des créances salariales dans le cadre d’une procédure collective, afin de mieux en comprendre la teneur, ainsi que la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation dans ce domaine.
Cass. com., 23 mai 2024, no 23-12126
Cette décision de rejet de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 23 mai 20241 n’a semble-t-il suscité que très peu de commentaires2. Bien que rendue en formation restreinte de jugement, elle offre pourtant l’opportunité de rappeler la spécificité du traitement des créances salariales dans le cadre d’une procédure collective. Quels étaient les faits et la procédure ?
Faits et procédure. En janvier 2013, M. K., salarié de la SAS Flat Lease Group (FLG), est licencié par cette dernière. Il saisit en février 2016 le conseil des prud’hommes, auprès duquel il sollicite notamment des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il est débouté de ses demandes. Par jugement du 12 octobre 2016, FLG fait l’objet d’une procédure de sauvegarde. Le 6 juillet 2018, un plan de sauvegarde est arrêté par la cour d’appel de Bordeaux. La créance de M. K. est alors inscrite sur l’état des créances avec la mention « instance en cours ». Par arrêt du 29 janvier 2021 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence3, FLG, alors sous plan de sauvegarde en cours d’exécution, est condamné à payer diverses sommes à M. K. pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provenceétant devenu irrévocable4, la créance de M. K. est portée sur l’état des créances de FLG, de sorte que cette créance grève le passif de la débitrice. Par requête du 11 mars 2022, la débitrice FLG saisit, dans le cadre de l’article R. 624-8 du Code de commerce, le juge-commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux d’une demande visant à déclarer inopposable à sa procédure de sauvegarde la créance salariale de M. K. résultant de la décision de condamnation de 2021 de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, et à ordonner au greffe du tribunal de commerce de Bordeaux la modification de l’état des créances. Par ordonnance en date du 20 juillet 2022, le juge-commissaire dit que la société FLG a intérêt à agir5, qu’il est incompétent pour déclarer inopposable à la procédure de sauvegarde la créance salariale de M. K. et invite FLG à mieux se pourvoir. Le 4 août 2022, FLG fait appel de l’ordonnance du juge-commissaire. La cour d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 30 janvier 20236, confirme l’ordonnance du juge-commissaire et déclare irrecevable la demande de la débitrice FLG appelante de voir déclarer inopposable à sa procédure de sauvegarde l’arrêt de condamnation du 29 janvier 2021. La société FLG se pourvoit en cassation contre cet arrêt de la cour d’appel de Bordeaux. Les défendeurs à la cassation sont M. K. salarié, le mandataire judiciaire et le commissaire à l’exécution du plan de la débitrice.
Problème de droit. La chambre commerciale de la Cour de cassation a eu à connaître, dans cet arrêt du 23 mai 2024 (pourvoi n° 23-12126), du problème de droit suivant : La débitrice sous plan de sauvegarde peut-elle contester devant le juge-commissaire l’état des créances sur lequel a été portée une décision la condamnant à payer une créance salariale antérieure, sur le fondement des articles R. 624-8, alinéa 4, L. 625-6 et L. 622-21 du Code de commerce ?
Rappel. Pour rappel, l’état des créances se définit comme la liste des créances établie par le mandataire judiciaire, déposée au greffe, comprenant l’ensemble des décisions du juge-commissaire sur chacune des créances déclarées (griffe ou ordonnances). Cette liste pourra être complétée par le relevé des créances salariales et les différentes décisions concernant ces créances (décision rendue sur recours contre les décisions du juge-commissaire, tel l’arrêt en l’espèce de la cour d’appel de Bordeaux du 30 janvier 2023, décision rendue par la juridiction compétente, tel le présent arrêt de la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence de 2021…).
Moyen au pourvoi : un juge–commissaire compétent saisissable par tout intéressé d’une réclamation. La demanderesse au pourvoi, FLG, reproche à l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux d’avoir retenu l’incompétence du juge-commissaire pour statuer sur sa réclamation à l’encontre de l’état des créances. Sa réclamation visait à voir constater que l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence de 2021 n’aurait pas dû figurer parmi les relevés de créances salariales et que cet arrêt, et par voie de conséquence la créance salariale en résultant, du fait de la condamnation judiciaire de FLG à son paiement, étaient inopposables à sa procédure de sauvegarde. FLG invoque, au soutien de son pourvoi, la violation par la cour d’appel de Bordeaux des articles R. 624-8, alinéa 4, L. 622-21 et L. 625-6 du Code de commerce. D’abord, selon la débitrice, les articles R. 624-8, alinéa 4, et L. 625-6 du Code de commerce permettent à « tout intéressé », et donc a fortiori aussi à la débitrice, de saisir le juge-commissaire pour contester l’état des créances, dans le mois de la publication au BODACC de l’avis du dépôt au greffe de l’état des créances par le greffier7. Il entre donc, selon FLG, dans les attributions juridictionnelles du juge-commissaire de statuer sur sa réclamation à l’encontre de l’état des créances. En conséquence, la cour d’appel de Bordeaux a violé ces dispositions en décidant que le juge-commissaire n’est pas compétent pour statuer sur sa contestation.
Moyen au pourvoi : violation de l’article L. 622–21 du Code de commerce. Ensuite, la société FLG reproche aussi à la cour d’appel de Bordeaux, dès lors que son action en contestation, fondée sur l’article R. 624-8 précité, devant le juge-commissaire serait recevable selon elle, de ne pas avoir constaté que l’arrêt de la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 29 janvier 2021 était inopposable à sa procédure de sauvegarde, du fait de la violation de l’article L. 622-21 du Code de commerce. En effet, en la condamnant au paiement de créances salariales antérieures à sa procédure collective, l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux a violé l’article L. 622-21 du Code de commerce qui interdit, à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective, toute action en justice de la part des créanciers dont la créance est antérieure à ce jugement8. Selon FLG, la cour d’appel de Bordeaux aurait dû simplement constater qu’une créance salariale antérieure à l’ouverture de la procédure de sauvegarde ne pouvait donner lieu à aucune condamnation de FLG pouvant être inscrite sur l’état des créances, de sorte que la cour d’appel d’Aix-en-Provence aurait dû se contenter dans son arrêt du 29 janvier 2021 de seulement fixer le montant de la créance litigieuse et non de la condamner au paiement de celle-ci.
Moyen du pourvoi : motif d’incompétence inopérant. Enfin, selon FLG, la cour d’appel de Bordeaux, par motifs adoptés9 et par motifs propres, a déduit un motif d’incompétence du juge-commissaire qui n’est pas valable pour fonder le rejet de sa réclamation. Ce motif serait irrecevable, selon FLG. Par motifs adoptés, la cour d’appel de Bordeaux a jugé que l’application de l’article L. 624-2 du Code de commerce permettait seulement au juge-commissaire de se prononcer sur le rejet ou l’admission de la créance de Monsieur K. avec la mention « instance en cours » et, par motifs qui lui sont propres, elle a décidé que le juge-commissaire n’a aucun pouvoir juridictionnel pour admettre ou rejeter les créances salariales, en vertu des articles L. 624-210 et L. 625-6 du Code de commerce, alors que la cour d’appel, selon FLG, aurait dû seulement constater qu’une créance antérieure à l’ouverture de la procédure collective ne peut donner lieu à aucune condamnation pouvant être inscrites sur l’état des créances. Il n’était pas demandé au juge-commissaire de vérifier l’existence et le montant de la créance salariale, selon FLG.
Conséquence : violation des articles L. 622–21, L. 625–6 et R. 624–8, alinéa 4, du Code de commerce et inopposabilité. En raison de la violation des articles L. 622-21, L. 625-6 et R. 624-8, alinéa 4, du Code de commerce, comme démontré ci-dessus, le juge-commissaire aurait dû constater l’inopposabilité de l’arrêt précité de condamnation du 29 janvier 2021 et rejeter en conséquence la créance salariale résultant de cette décision portée ultérieurement sur l’état des créances. Cette décision était donc inopposable à la procédure de sauvegarde ouverte à l’égard de FLG, ce que n’a pas constaté la cour d’appel de Bordeaux.
Solution de la Cour de cassation : débitrice non titulaire du droit d’agir en contestation. À la question de savoir si la demanderesse au pourvoi, FLG, peut intenter une action en réclamation visant à déclarer inopposables à sa procédure la décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et la créance salariale antérieure résultant de cet arrêt de condamnation, la chambre commerciale de la Cour de cassation répond par la négative. La débitrice en procédure collective, condamnée par un arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence devenu irrévocable, à payer diverses sommes, faute d’être une personne habilitée à agir au sens de l’article R. 624-8, alinéa 4, précité, ne peut contester cette créance. Le pourvoi de FLG est rejeté.
Motivation et décision conforme au droit positif. La chambre commerciale de la Cour de cassation motive sa décision en considération de la seule qualité à agir et non de l’incompétence du juge-commissaire, comme l’avaient pourtant fait le juge-commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux et la cour d’appel de Bordeaux. En visant les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du Code de procédure civile, la haute cour substitue d’office un motif de pur droit à un motif erroné, tout en respectant le principe de la contradiction. Le motif substitué est tiré de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 du Code de commerce. Elle rappelle donc, sous le visa de cet alinéa 4 de l’article R. 624-8 précité, la règle selon laquelle tout intéressé peut, dans le délai d’un mois à compter de la publication de l’état des créances, former une réclamation devant le juge-commissaire contre l’état des créances, à l’exclusion notamment11 du débiteur en procédure collective qui n’est pas un tiers intéressé au sens de l’article R. 624-8, alinéa 4, comme le confirme d’ailleurs l’article L. 625-6 du Code de commerce excluant le débiteur de tout intéressé. L’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux attaqué par la demanderesse au pourvoi se trouve ainsi légalement justifié. La motivation de cet arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation se place au regard de l’existence même de l’action, la qualité à agir étant une condition de celle-ci, distincte de l’intérêt à agir. Pour rappel, l’article 31 du Code de procédure civile dispose : « L’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ». Or, le législateur a fait de l’action en réclamation de l’article R. 624-8, alinéa 4, une action attitrée, qui n’est attribuée qu’à certaines personnes ayant la qualité de tiers intéressé12 au sens de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 précité. C’est pourquoi la jurisprudence avait déjà jugé que l’action de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 précité est ouverte notamment à la caution13, à l’associé d’une SCI en procédure collective14 ou encore au dirigeant de fait d’une société qui, poursuivi en paiement des dettes sociales, agit en son nom personnel15. En revanche, n’a pas la qualité de personne intéressée le dirigeant d’une SCI débitrice agissant en son nom personnel, car ce dernier avait participé en qualité de dirigeant à la procédure de vérification des créances16. Toutefois, cette décision appelle certaines observations.
Une débitrice partie à l’instance judiciaire. En premier lieu, il convient de constater que la débitrice en procédure collective a pu valablement faire valoir son argumentation et ses prétentions tant devant le conseil des prud’hommes, en sa qualité de défenderesse, que devant la chambre sociale de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en sa qualité d’intimée, tous deux préalablement saisis par le salarié M. K. La décision de ces deux juridictions était précédée d’un débat judiciaire contradictoire au cours duquel la débitrice, en qualité de partie à chacune de ces instances, a pu exposer son argumentation et contester la créance salariale litigieuse. Autrement dit, il est logique que FLG, étant partie à l’arrêt qu’elle attaque ensuite par la voie de l’action en contestation de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 précité, ne puisse emprunter cette action, que la jurisprudence a assimilée à « une variété de tierce opposition »17. Il s’agit d’une application classique de la règle de l’article 583, alinéa 1er, sur la tierce opposition. L’alinéa 1er de cet article dispose qu’« est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque »18. La solution permet ainsi à la personne déjà partie à une instance, notamment prud’homale, de ne pas réitérer un nouveau procès, dans l’unique but d’obtenir une décision judiciaire plus favorable, alors même que la première instance prud’homale qui a déjà eu lieu a débouché sur un arrêt la condamnant devenu irrévocable. L’autorité de la chose jugée attachée à cet arrêt s’impose aux parties à cette première instance. En l’espèce, plus précisément, c’est l’irrévocabilité de la chose jugée attachée à l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence de 2021 qui s’impose aux parties en ne leur permettant pas, par l’usage d’une voie de recours, de remettre en cause cette décision.
Une débitrice présente à la vérification des créances ou plutôt une créance salariale fixée judiciairement ? En deuxième lieu, il pourrait être avancé a priori que la présence de la débitrice à la vérification des créances expliquerait aussi que ce recours en contestation lui soit en l’espèce fermé (C. com., art. L. 625-1). Un auteur19 indique à ce sujet, dans une autre espèce que celle présentement analysée : « Cette réclamation constitue toujours une variété de tierce opposition, réservée aux personnes qui n’étaient pas parties à l’instance de vérification de la créance contestée, et qui ne peut donc être formée, ni par le débiteur, ni par le créancier dont le droit est contesté, ni par le mandataire judiciaire, visés à l’article L. 624-3 du Code de commerce ». Mais la débitrice en l’espèce était-elle présente à la procédure de vérification des créances ? La réponse nous semble négative. La jurisprudence considère que les créances salariales qui sont l’objet d’une instance en cours devant la juridiction prud’homale à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective échappent à la vérification des créances salariales, car elles sont fixées judiciairement20. Or, en l’espèce, tel était le cas : un jugement du conseil des prud’hommes en date de février 2016 avait été rendu avant l’ouverture de la procédure collective prononcée en octobre 2016. L’instance était donc bien pendante devant la juridiction prud’homale : le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde datait lui d’octobre 2016 et c’est la même instance initiée en février 2016 devant le Conseil des prud’hommes qui continue devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, saisie au demeurant en mars 2016, bien avant le jugement d’ouverture de sauvegarde. Comme le précise un auteur, « c’est la même instance, introduite devant le conseil de prud’hommes, qui se poursuit devant la cour d’appel puis, le cas échéant, devant la Cour de cassation, peu important que l’appel, le contredit ou le pourvoi en cassation aient été formés après l’ouverture de la procédure collective21 ». Il en résulte que ce n’est pas parce que la débitrice était partie à la procédure de vérification des créances salariales que la Cour de cassation lui a refusé l’action en contestation des créances salariales de l’article R. 624-8 précité, puisque précisément en l’espèce cette débitrice n’était pas partie à cette procédure de vérification des créances salariales, sa créance ayant été fixée judiciairement par l’arrêt de condamnation de la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Autrement dit, l’argument, selon lequel la présence de la débitrice comme partie à la vérification des créances salariales expliquerait pourquoi cette dernière ne peut exercer l’action en contestation de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 précité, ne peut expliquer cette décision. Par ailleurs, il convient d’observer que la créance salariale litigieuse reste régie par les règles de la procédure collective.
Sur l’interdiction d’une condamnation de la débitrice au paiement d’une créance antérieure. En troisième lieu, concernant le principe d’interdiction d’une condamnation du débiteur au paiement d’une créance antérieure, il convient de rappeler d’une part que, par dérogation au droit commun des procédures collectives, les instances en cours devant la juridiction prud’homale22 à la date du jugement d’ouverture de la procédure sont poursuivies de plein droit, en présence du mandataire judiciaire et de l’administrateur lorsqu’il a une mission d’assistance ou ceux-ci dûment appelés (C. com., art. L. 625-3) mais ces actions restent soumises au droit des procédures collectives. Ainsi, la cour d’appel d’Aix-en-Provence ne pouvait condamner la débitrice employeur à payer la créance salariale antérieure, puisque le salarié bénéficie certes de la poursuite de l’instance prud’homale en cours, mais celle-ci ne peut donner lieu à condamnation (C. com., art. L. 622-21 et L. 622-22). Aucune condamnation de l’employeur, du liquidateur ou de l’AGS ne pourra être prononcée à l’issue de l’instance en cours, comme le note un auteur23 indiquant que « le salarié ne peut obtenir que l’inscription de la créance de salaire ou d’indemnité sur le relevé des créances salariales comme le prévoit expressément l’article L. 625-6 », et comme déjà jugé depuis longtemps24. D’autre part, dès lors que la chambre commerciale de la Cour de cassation s’est placée exclusivement sur le terrain de l’absence de qualité à agir de la débitrice en contestation de l’état des créances, laquelle ferme cette voie de recours à FLG, nul besoin pour la haute cour de répondre à la violation du principe d’interdiction du paiement des créances antérieures par l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence invoquée par la demanderesse au pourvoi. D’ailleurs, à ce titre, si la chambre sociale de la Cour de cassation25 a déjà jugé qu’une cour d’appel avait violé les articles L. 622-22 et L. 625-3 du Code de commerce, en condamnant au paiement d’une créance salariale antérieure le débiteur sous plan de redressement judiciaire, il n’en demeure pas moins que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la haute juridiction a décidé de rectifier l’arrêt de la cour d’appel, en constatant et en fixant le montant de cette créance au passif du débiteur. Il en résulte que l’argument de la violation de l’article L. 622-21 du Code de commerce aurait été aussi inopérant devant la chambre sociale de la Cour de cassation26 si un pourvoi en cassation avait été formé par FLG, dans les délais, devant cette chambre, à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Audit d’un recours. Force est de constater qu’un audit des chances de succès de la présente action en contestation au regard de la recevabilité pour agir du débiteur, lequel n’a pas la qualité de tiers intéressé au sens de l’alinéa 4 de l’article R. 624-8 précité, aurait permis d’identifier l’inanité d’un tel recours devant le juge-commissaire ou la cour d’appel, tout comme le caractère vain d’un recours en cassation dans cette espèce. Une analyse préalable de la jurisprudence précitée aurait permis d’aboutir à ce constat.
Compétence exclusive de la juridiction prud’homale et mesure administrative. En quatrième lieu, même si la haute cour, dans la présente décision, ne s’est prononcée ni sur la valeur juridictionnelle du visa apposé par le juge-commissaire sur le relevé des créances salariales, ni sur la compétence d’attribution de ce dernier qui lui aurait permis éventuellement de pouvoir trancher un contentieux afférent à un relevé de créance salariale27, il convient néanmoins de constater que la débitrice en procédure collective ne peut pas contester devant le juge-commissaire le relevé des créances salariales visé par ce dernier, celui-ci étant incompétent. D’une part, le conseil des prud’hommes est exclusivement compétent pour le contentieux des relevés de créances salariales (C. com., art. L. 625-1), ce qui exclut la compétence du juge-commissaire sur ce point. D’autre part, le juge-commissaire ne rend pas une décision d’admission d’une créance salariale dans ce cas28, son visa n’étant en principe qu’une simple mesure administrative, dépourvue de valeur juridictionnelle comme l’a jugé l’arrêt précité de la cour d’appel de Bordeaux du 30 janvier 202329, analyse partagée majoritairement par la doctrine30, mais contestée parfois en jurisprudence31. La cour d’appel de Lyon32 avait aussi précédemment jugé que l’objet du visa du juge-commissaire est de permettre un contrôle de l’état des créances salariales, le juge-commissaire n’ayant pas le pouvoir de décider de leur admission ou de leur rejet, ce dernier ne tranchant aucune contestation, de sorte que ce visa n’a aucune valeur juridictionnelle.
Une décision heureuse pour le salarié. Enfin, pour conclure, d’une part en se plaçant sur le terrain de la recevabilité de l’action, la chambre commerciale de la Cour de cassation préserve les droits du salarié. Quand bien même la cour d’appel d’Aix-en-Provence n’a pas régulièrement constaté et fixé dans son montant la créance salariale litigieuse, en condamnant au paiement d’une créance antérieure la débitrice sous plan de sauvegarde, cette créance continue d’être opposable à la procédure de sauvegarde de la débitrice. Cette dernière n’ayant pas qualité pour agir en contestation de cette créance, elle continuera de figurer sur l’état du passif et devra être payée.
Un paiement dans quel délai ? Mais, d’autre part, il convient de s’interroger sur le délai et les chances de paiement de cette créance. Or, comme la présente créance salariale antérieure a été portée sur l’état des créances de la débitrice postérieurement à l’arrêté de son plan de sauvegarde, il semblerait que cette créance salariale n’ait pas été inscrite audit plan. Il en résulterait que cette créance salariale antérieure devrait être payée dans le cadre du plan33, sauf si une partie de celle-ci, au visa de l’article L. 626-20 du Code de commerce ne peut faire l’objet de délais et doit être réglée immédiatement (créances salariales superprivilégiées ou privilégiées). Le licenciement sans cause réelle et sérieuse ayant eu lieu en l’espèce le 13 août 2013, soit bien avant le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde de 2016 de la débitrice, il semblerait que la créance salariale soit chirographaire. En effet, il a été jugé que le fait générateur de la créance de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est la rupture abusive du contrat de travail34, laquelle rupture datant de 2013 est antérieure à l’ouverture de la procédure collective de la débitrice de 2016, de sorte que cette créance est antérieure, étant précisé que cette dernière créance constituait en l’espèce majoritairement le montant de la condamnation35. Toutefois, la créance salariale de M. K. n’étant pas constituée exclusivement des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, il conviendra de déterminer le fait générateur des autres créances composant cette créance salariale et de vérifier son utilité pour la procédure, afin de savoir s’il s’agit d’une créance postérieure bénéficiaire du privilège de procédure. Ainsi, par exemple, le fait générateur de la créance de congés payés ou de salaire est la prestation effectuée par le salarié36, celle-ci est donc en l’espèce antérieure. Alors que pour la créance d’indemnité procédurale « article 700 » ou les dépens, le fait générateur est le jugement de condamnation37, en l’espèce il s’agit de l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence postérieur à l’ouverture de la procédure de sauvegarde38. Mais le critère d’utilité pour les besoins de la procédure de la créance pourrait s’opposer au caractère privilégié de cette créance postérieure39. Quoi qu’il en soit, le règlement du montant de la créance salariale ne risquera-t-il pas de mettre en péril l’équilibre financier du plan ? La réponse dépendra en grande partie de la capacité financière de la débitrice.
Interrogation. Par ailleurs, ce type d’espèce pourrait soulever d’autres questions. Par exemple, quid de la responsabilité de l’avocat qui intente une action, alors même qu’une étude de la jurisprudence permettait de constater que les chances de gain du client sont faibles ? Si l’avocat atteste de la volonté délibérée et insistante du client de recourir à l’action en contestation en l’espèce, malgré la mise en garde adressée par celui-ci à son client, dûment informé par ce dernier des risques de non-succès de cette voie de recours et que la preuve en est rapportée, sa responsabilité pourrait-elle être écartée ?
Notes de bas de pages
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1.
Cass. com., 23 mai 2024, nos 23-12124 et 23-12125 : décisions similaires.
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2.
V. toutefois les observations sur les décisions similaires précitées : « Contestation de créance – Le débiteur en procédure collective peut-il former une réclamation contre l’état des créances ? », Act. proc. coll. 2024 n° 13, alerte 150.
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3.
CA Aix-en-Provence, 29 janv. 2021, n° 18/01206, RG. Cet arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 29 janvier 2021 est intervenu à la suite de l’appel formé par M. K. contre le jugement du conseil des prud’hommes le déboutant de ses demandes à l’encontre de la débitrice dont le plan de sauvegarde était alors en cours exécution.
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4.
Irrévocabilité : aucune voie de recours n’est plus ouverte : H. Croze, JCl. Procédures Formulaires, V° Chose jugée, fasc. 10, § 75 ; Comparer à la force de chose jugée : aucun recours suspensif d’exécution n’est possible : H. Croze, JCl. Procédures Formulaires, V° Chose jugée, fasc. 10, § 76.
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5.
Selon l’exposé des faits de la présente décision de la chambre commerciale du 23 mai 2024. En revanche, l’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux du 30 janvier 2023 n° 22/03798, RG, indique que le juge-commissaire du tribunal de commerce de Bordeaux a jugé que la société FLG a qualité à agir tout en se déclarant incompétent, et a invité FLG à mieux se pourvoir. Les deux notions sont pourtant différentes : v. CPC, art. 31.
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6.
CA Bordeaux, 30 janv. 2023, n° 22/03798, RG.
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7.
Toute personne peut prendre connaissance au greffe du tribunal où il a été déposé de cet état des créances (C. com., art. R. 624-8, al. 2).
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8.
C. com., art. L. 622-21 dans sa version antérieure au 1er octobre 2021.
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9.
L’arrêt de la cour d’appel de Bordeaux confirme l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
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10.
Dans la version en vigueur du 1er juill. 2014 au 1er oct. 2021 de cet article.
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11.
Ce recours de l’article R. 624-8, alinéa 4, du Code de commerce est aussi exclu pour le salarié qui peut contester les relevés selon la procédure prévue à l’article L. 625-1 du Code de commerce, le débiteur, l’administrateur avec mission d’assistance, le représentant des salariés (C. com., art. L. 625-1), le mandataire judiciaire (C. com., art. L. 625-3) et l’AGS (C. com., art. L. 625-4).
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12.
Pour aller plus loin sur cette notion de tiers intéressé v. J-Cl., fasc. 2352, V° Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires – Déclaration et admission de créances, § 255.
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13.
Cass. com., 3 mai 1994, n° 92-16158 : Bull. civ. IV, n° 161.
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14.
Cass. com., 21 févr. 2012, n° 10-27594.
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15.
Cass. com., 28 sept. 2004, n° 03-10760: RJDA 4/05, n° 428.
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16.
Cass. com., 18 févr. 2003, n° 99-20631.
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17.
En ce sens P.-M. Le Corre, « Dissolution des sociétés en liquidation judiciaire et recours du dirigeant sur l’état des créances », Rev. sociétés 2009, p. 662 citant Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-00860.
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18.
L’alinéa 2 de l’article 583 du Code de procédure civile tempère la règle en précisant : « Les créanciers et autres ayants cause d’une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres ».
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19.
A. Martin-Serf, « Déclaration et vérification des créances. Notion de personne intéressée au sens de l’article 103 de la loi du 25 janvier 85 pouvant former une réclamation contre l’état des créances », RTD com. 2006, p. 660.
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20.
Cass. soc., 10 déc. 1996, n° 95-40485 : « Mais attendu que les créances salariales qui sont l’objet d’une instance en cours devant la juridiction prud’homale à la date du jugement d’ouverture du redressement judiciaire ne sont pas soumises à la vérification des créances salariales instituée par l’article 123 de la loi du 25 janvier 1985 et par les articles 76 et 78 du décret du 27 décembre 1985 ; que, par ce motif de pur droit substitué à celui critiqué par le troisième moyen, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ». Cette décision est transposable à la procédure de sauvegarde, rien ne s’y oppose.
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21.
En ce sens : Y. Chagny, « La situation des salariés de l’entreprise en difficulté », RJS 8-9/99, chron. § 18, citant à ce titre not. : Cass. soc., 16 mars 1999, n° 96-42850, société Vetter c/ Leuridan et a, l’auteur précisant que « pour l’application de l’article 124, alinéa 1er, précité, c’est la même instance, introduite devant le conseil de prud’hommes, qui se poursuit devant la cour d’appel puis, le cas échéant, devant la Cour de cassation, peu important que l’appel, le contredit ou le pourvoi en cassation aient été formés après l’ouverture de la procédure collective ». L’article 124, alinéa 1er, de la loi de 1985 est l’ancêtre de l’article L. 625-3 du Code de commerce.
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22.
Sur la notion « d’instance en cours devant la juridiction prud’homale » v. L. Fin-Langer, Fasc. 2440 § 28 indiquant « Cette exception ne vise que les instances prud’homales stricto sensu ainsi que les affaires pendantes devant la cour d’appel (Cass. soc., 17 sept. 2003, n° 01-41255 : Bull. civ. V, n° 234) ».
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23.
L. Fin-Langer, « Le particularisme des instances prud’homales dans les procédures collectives », Rev. proc. coll. 2012, dossier 5, spécialement n° 13.
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24.
Cass. soc., 6 juin 1989, n° 87-45172.
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25.
Cass. soc., 13 mars 2024, n° 22-11708, FS-B . Dans le même sens not. Cass. soc., 6 juin 1989, n° 87-45172.
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26.
La chambre sociale de la Cour de cassation compétente en la matière a aussi déjà jugé qu’il incombe au juge de modifier une demande en paiement d’une créance salariale en demande de fixation au passif dans pareille hypothèse : Cass. soc., 10 nov. 2021, n° 20-14529. V. toutefois contra : Cass. soc., 18 nov. 2020, n° 19-15795. Décisions citées par L. Fin-Langer, « Requalification par le juge prud’homal de la demande en paiement en demande en fixation au passif », Act. proc. coll. 2021 n° 20, alerte 278. L’auteur rappelle à ce sujet, s’agissant des demandes en paiement de créances salariales antérieures, que la jurisprudence précitée (Cass. soc., 10 nov. 2021, n° 20-14529) distingue les instances en cours au jour de l’ouverture de la procédure collective qui sont recevables, de celles ouvertes après qui sont irrecevables, en raison de l’article L. 622-21 du Code de commerce.
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27.
Cette dernière s’étant située exclusivement sur le terrain de la recevabilité de l’action de la débitrice au regard de sa qualité à agir.
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28.
Contrairement à la situation de l’article L. 624-2 du Code de commerce dans laquelle « le juge-commissaire décide de l’admission ou du rejet des créances ».
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29.
CA Bordeaux, 30 janv. 2023, nos 22/03798 et 22/03799.
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30.
En ce sens not. : P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 2023/2024, 12e éd., déc. 2022, Dalloz Action, p. 2789, § 696.211 ; D. Ronet-Yague et L. Fin-Langer, « Compétence-Juge de la procédure collective et contentieux social », Rev. proc. coll. 2023, dossier 38.
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31.
Contra : CA Agen, ch. soc., 17 mars 2015, n° 14/00577, RG : BJE juill. 2015, n° BJE112k2, note P.-M. Le Corre.
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32.
CA Lyon, 10 oct. 2004, n° 03/02270, RG.
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33.
Le salarié concerné ne peut en exiger un paiement sans délai, ni remise en exécution du plan et il ne pourra être payé qu’au terme du plan, de sorte qu’il doit attendre ce terme pour exercer son droit de poursuite individuelle : Cass. com., 14 nov. 2019, n° 18-15522.
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34.
TGI Castres, 12 mars 1998, n° 9800071 : LPA 2 juill. 1999, p. 20, note J.-P. Devesa.
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35.
V. dispositif de l’arrêt de la CA Aix-en-Provence, 29 janv. 2021, n° 18/01206, RG.
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36.
Cass. com., 2 mai 1990, n° 88-16527.
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37.
Cass. 3e civ., 12 juin 2002, n° 00-19038.
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38.
La dernière décision de condamnation de la cour d’appel devant être prise en compte : v. jurisprudence citée in P.-M. Le Corre, Droit et pratiques des procédures collectives, 2023/2024, 12e éd., 2022, Dalloz Action, p. 1274 § 443.421, note de bas de page n° 5.
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39.
A. Lienhard, « Créance de dépens : utilité pour les besoins de la procédure », Dalloz actualité, 25 oct. 2013 ss Cass. com., 15 oct. 2013, n° 12-23830 – D. 2013, p. 2461.
Référence : AJU015l6
