Le dirigeant de fait dans le droit des entreprises en difficulté : une convergence normative avec le régime du dirigeant de droit

Le dirigeant de fait est une notion construite en opposition à celle de dirigeant de droit, représentant légal de la société. Toutefois, cette distinction fondée sur la seule désignation formelle apparaît largement illusoire, dans la mesure où le droit des entreprises en difficulté tend à rapprocher les deux figures en ce qui concerne les sanctions susceptibles de leur être appliquées et les obligations auxquelles ils sont soumis.
1. Dans le contexte du droit des entreprises en difficulté, la jurisprudence relative au dirigeant de fait est particulièrement abondante, témoignant ainsi du dynamisme de la notion et de la récurrence du contentieux1. À l’instar de la société créée de fait, la direction de fait peut être définie comme « une sorte d’ersatz, une sorte de doublet d’une situation juridique bien connue et bien réglementée par la loi. À cette situation de fait, il manque l’une des conditions légales pour accéder, en principe, à la vie du droit selon le professeur Roger Houin »2.
2. Bien que saisie par la législation, l’élasticité de cette notion permet aux justiciables de s’en emparer aisément, la soumettant régulièrement à l’appréciation des tribunaux qui en précisent les contours. Traditionnellement, on distingue le dirigeant de droit – représentant légal de la société, désigné selon des modalités précises prévues par le droit des sociétés – du dirigeant de fait, qui adopte un comportement analogue à celui d’un dirigeant de droit sans pour autant avoir reçu de désignation officielle. Bien qu’il puisse, en apparence, se présenter comme un tiers à l’égard de la société en raison de son absence de statut formel, le dirigeant de fait exerce néanmoins une influence réelle et déterminante sur la gestion de l’entreprise. À ce titre, il prend part activement à la vie sociale, que ce soit de manière directe ou indirecte.
3. « À défaut d’une définition légale, la définition de la direction de fait et l’identification du dirigeant de fait passent par une analyse de l’activité déployée par la personne susceptible d’être qualifiée de dirigeant de fait »3. L’activité exercée par une personne qualifiée de dirigeante de fait se caractérise par une immixtion directe et significative dans la gestion et la direction de la société, en dehors de toute investiture régulière par les organes sociaux. Il ne s’agit pas d’un simple rôle d’influence ou de conseil, ni de l’exercice d’une fonction de contrôle mais bien d’une prise de décision effective, traduisant l’exercice d’un pouvoir propre. L’exercice de l’activité de direction s’accomplit de manière totalement indépendante sans lien de subordination, ni délégation informelle. Le dirigeant de fait est celui qui exerce une activité positive de gestion et de direction en toute souveraineté et indépendance4. Cette autonomie dans l’initiative et l’exécution des décisions distingue le dirigeant de fait d’un simple exécutant ou d’un collaborateur subordonné, justifiant qu’il soit soumis aux mêmes obligations et responsabilités que le dirigeant de droit.
4. Initialement issue du droit des sociétés5, la notion de dirigeant de fait s’est progressivement développée dans le cadre du droit des entreprises en difficulté6, où elle trouve une application renforcée à travers un prisme essentiellement répressif, notamment lorsqu’une faute de gestion est caractérisée. À travers les sanctions encourues (professionnelle ou financière), il s’agit de réprimer l’irrégularité de la situation du dirigeant de fait. Cette irrégularité ne saurait le soustraire aux effets juridiques attachés à l’exercice de fonctions dirigeantes. L’accomplissement effectif d’actes de gestion emporte en effet des conséquences de droit, au premier rang desquelles figure l’exposition à des sanctions, notamment à une responsabilité financière en cas de préjudice causé à la société. En droit des entreprises en difficulté, le dirigeant de fait est ainsi soumis au même régime de responsabilité que le dirigeant de droit, en particulier en ce qui concerne les fautes de gestion (I).
Toutefois, la jurisprudence ne se limite pas à cet aspect répressif et identifie également le dirigeant de fait par l’exercice effectif de prérogatives et de devoirs qui incombent habituellement au dirigeant de droit, notamment en ce qui concerne les obligations à l’égard de l’entreprise en difficulté. Derrière l’émergence de ces sujétions reconnues par les tribunaux se dessine la reconnaissance croissante d’une responsabilité, souvent financière, pesant sur le dirigeant de fait. Cette reconnaissance vise ainsi à prévenir toute tentative de dissimulation derrière une absence apparente de statut formel et à empêcher qu’une telle manœuvre serve à éluder les obligations inhérentes à la gestion effective de l’entreprise (II).
I – L’unité de régime du dirigeant de fait et du dirigeant de droit au regard des sanctions
5. La qualification de dirigeant de fait répond à un objectif précis : identifier toute personne qui exerce, en toute indépendance, une fonction de direction sans y avoir été officiellement investie. Toutefois, une telle identification serait vaine si elle n’entraînait aucune conséquence juridique. C’est pourquoi la qualité de dirigeant de fait emporte les mêmes sanctions financières que celles applicables au dirigeant de droit.
A – La fonctionnalité de la qualification de dirigeant de fait
6. La qualification de dirigeant de fait est appelée à avoir une certaine fonctionnalité au sein du droit des sociétés et du droit des entreprises en difficulté. Elle est reconnue à une grande variété de personnes physiques ou morales qui, sans être investies formellement d’un mandat social, interviennent de manière déterminante dans la gestion de la société. Il peut s’agir d’un associé majoritaire7 exerçant une influence prépondérante, d’un créancier imposant des choix de gestion8, d’un ancien dirigeant continuant à agir comme tel, d’un consultant prenant en réalité les décisions stratégiques, ou encore de cadres supérieurs tels qu’un directeur commercial9 ou une directrice salariée assumant pleinement la conduite des affaires sociales. Cette dernière peut notamment être qualifiée de dirigeante de fait si elle prend des décisions engageant l’entreprise, passe des commandes, dispose d’une procuration sur les comptes bancaires ou signe les chèques au nom de la société10. Peut également être considéré comme un dirigeant de fait un tiers n’exerçant aucune fonction dans la société, comme un avocat qui a joué un rôle décisionnel et dont le dirigeant de droit était dans une situation de dépendance et de soumission à son égard11, le directeur d’une agence bancaire12, etc. La direction de fait ne peut s’exercer que dans un contexte favorable à son émergence, généralement marqué par la carence, la passivité ou le désengagement du dirigeant de droit voire l’exercice d’une certaine influence sur ce dernier.
Ce vide dans l’exercice effectif du pouvoir ouvre la voie à une prise de contrôle informelle par une autre personne, « usurpateur décomplexé arguant d’une fausse qualité devant les tiers au dirigeant de fait de bonne foi »13, permettant ainsi une gradation dans l’intensité de la direction de fait, qu’elle soit totale – lorsque l’ensemble des décisions stratégiques et opérationnelles sont assumées par le dirigeant de fait – ou partielle lorsque ce dernier n’intervient que sur certains aspects significatifs de la gestion. Cette intrusion progressive ou circonstancielle dans les fonctions dirigeantes traduit une réalité de pouvoir qui l’emporte sur la forme, justifiant l’assimilation aux responsabilités du dirigeant de droit.
7. La reconnaissance de la qualité de dirigeant de fait vise à protéger les tiers contre une apparence trompeuse éloignée de la réalité. Cette protection constitue l’un des objectifs, mais elle répond également à la nécessité de sanctionner un comportement qui méconnaît les règles juridiques. La société étant un cadre strictement encadré par la loi et les statuts, toute personne qui exerce en fait les fonctions de dirigeant sans avoir été régulièrement désignée comme mandataire social, et qui a contribué aux difficultés de l’entreprise, doit pouvoir être tenue pour responsable et sanctionnée en conséquence. Ce qui est sanctionné, c’est l’exercice d’un pouvoir de représentation en s’étant affranchi des modalités de désignation tout en assurant une apparence erronée pour les tiers.
8. La qualification de dirigeant de fait permet de sanctionner les ingérences dans une organisation dotée d’une structure hiérarchique et juridique déterminée. Elle vise notamment les personnes qui, sans détenir la qualité de représentant légal, exercent en pratique les pouvoirs attachés à cette fonction. Une telle intrusion est susceptible de perturber l’équilibre de la gouvernance et de contribuer à la dégradation de la situation financière de l’entreprise. En l’absence de cette qualification, l’auteur de ces agissements pourrait échapper à toute responsabilité, malgré l’ampleur de son intervention. Sanctionner cette dernière lorsqu’elle a obéré le passif de la société n’est qu’une question d’équité. C’est la raison pour laquelle les diverses législations sur le droit des entreprises en difficulté ont toujours retenu une responsabilité financière et patrimoniale similaire entre le dirigeant de droit et de fait.
B – Des sanctions communes au dirigeant de droit et de fait
9. Le droit des entreprises en difficulté a toujours historiquement assimilé le sort du dirigeant de fait à celui du dirigeant de droit, à la différence du droit des sociétés14, que ce soit à travers les actions en responsabilité ou les sanctions professionnelles comme la faillite ou l’interdiction de gérer. Sans entrer dans le détail de ces actions développées et précisées par une éminente doctrine juridique15, il convient d’essayer de comprendre la légitimité de cette unité.
Ainsi, les dispositions relatives à la responsabilité pour insuffisance d’actif placent sur un pied d’égalité le dirigeant de droit et le dirigeant de fait16. Cette égalité de traitement permet de sanctionner efficacement les comportements fautifs, quel que soit le statut ou la qualité officielle du dirigeant concerné. Lorsque le dirigeant de droit ou de fait a contribué, par sa faute de gestion, à obérer la situation de la société ou à faire apparaître une insuffisance d’actif, il peut être tenu de combler le passif.
La notion de faute de gestion ne fait l’objet d’aucune définition normée, laissant à la jurisprudence la possibilité de définir ce qui relève ou pas de la faute de gestion. La faute de gestion recouvre un comportement, une imprudence dans le cadre de l’activité de gestion. Elle peut consister en une violation des lois, des règlements, des statuts, en la poursuite d’une activité déficitaire, l’absence de déclaration de cessation des paiements alors que la situation est compromise, l’attribution d’une rémunération par le dirigeant alors que la situation de la société est obérée, etc. En définitive, la faute de gestion concerne tout acte de gestion ayant un lien avec l’insuffisance d’actif qui peut être retenu comme fait générateur de l’action en responsabilité17. La loi prévoit qu’une condamnation solidaire est possible entre le dirigeant de fait et de droit.
10. La perméabilité de la faute de gestion permet d’envisager le cas où le dirigeant de droit laisse agir le dirigeant de fait. Le dirigeant de droit ne saurait se défaire de ses responsabilités en tolérant l’intervention autonome d’un dirigeant de fait. En effet, la fonction légale de direction suppose l’exercice effectif d’un pouvoir de contrôle et de décision, de sorte qu’elle est incompatible avec toute attitude passive ou de pure complaisance. La passivité du dirigeant de droit confronté à une usurpation de ses prérogatives constitue aussi per se une faute de gestion18.
11. Les sanctions prévues par la loi visent à responsabiliser le représentant légal de la société. Ces mêmes sanctions s’appliquent également au dirigeant de fait dont l’implication dans la gestion de l’entreprise se révèle par ses actes, alors que le dirigeant de droit engage sa responsabilité en raison de ses manquements ou fautes d’omission19. Cette unité de régime juridique est rendue possible par la consécration légale qui unifie le régime des sanctions applicables au dirigeant de droit et de fait. En effet, l’exercice d’une fonction de direction, même de manière irrégulière, implique des responsabilités importantes et expose à des conséquences juridiques, notamment en cas de difficultés économiques ou de procédure collective. La volonté du législateur et du juge est de ne pas laisser impunis les comportements dommageables quelle que soit la qualité du dirigeant.
12. En droit des procédures collectives, la personnalité morale d’une société est parfois insuffisante pour protéger ses dirigeants de toute responsabilité pécuniaire. Cela est particulièrement vrai pour les dirigeants de fait, qui, sans en avoir le titre officiel, exercent en réalité les pouvoirs de gestion. Ces derniers peuvent être directement concernés par une action en extension de procédure collective, notamment dans les hypothèses de confusion des patrimoines ou de fictivité de la société. Ainsi la fictivité d’une association a pu permettre l’extension de la procédure de liquidation judiciaire à l’égard du président, dirigeant de droit ainsi qu’à son épouse, salariée de l’association, dirigeante de fait20. L’action en extension s’apparente à une action en sanction pécuniaire contre les dirigeants sociaux21.
L’assimilation de régime concernant les sanctions se veut également une réponse à des stratégies de dissimulation ou de contournement des règles qui seraient contraires à l’intérêt de la société. L’activité de gestion et de direction est une activité entrepreneuriale qui n’est pas sans risques. Cette activité doit se faire dans la recherche et la poursuite de l’intérêt de la société. Il n’est pas évident que celui qui est reconnu comme dirigeant de fait soit porteur des intérêts sociaux de la personne morale22.
II – L’unification du régime applicable au dirigeant de fait et au dirigeant de droit en matière d’obligations sociales
13. L’exercice effectif d’une activité de direction constitue le fondement principal de l’assimilation du régime applicable au dirigeant de fait et au dirigeant de droit. Elle se justifie par la volonté du législateur d’éviter qu’une personne exerçant les fonctions de direction, sans avoir été régulièrement désignée conformément aux règles du droit des sociétés, puisse se soustraire aux responsabilités qui en découlent.
Permettre une telle échappatoire reviendrait à créer une inégalité de traitement entre ceux qui assument officiellement la direction et ceux qui, sans en avoir le titre, en tirent les prérogatives. Une telle situation heurterait les principes d’équité et de sécurité juridique, en ce qu’elle favoriserait l’opacité et la dissimulation dans la gestion des entreprises. Dès lors, le droit positif soumet le dirigeant de fait aux mêmes obligations que celles d’un dirigeant de droit dans le contexte d’une entreprise en difficulté, tout en consacrant une compétence de principe du tribunal de commerce.
A – L’identité des obligations pesant sur le dirigeant de droit et le dirigeant de fait dans une entreprise en difficulté
14. La qualité de dirigeant de fait repose sur l’exercice d’une activité de direction en toute indépendance. Cependant, sous l’impulsion du droit des entreprises en difficulté, la reconnaissance de cette qualité entraîne dans son sillage des obligations liées à la qualité de dirigeant.
Si la qualité de dirigeant est fréquemment appréhendée sous l’angle de la responsabilité et des sanctions qui y sont attachées, elle implique également, de manière indissociable, l’obligation d’adopter un comportement conforme à celui d’un dirigeant prudent, diligent et avisé. Ainsi la Cour de cassation avait précédemment jugé que l’obligation de déclarer l’état de cessation des paiements pesait sur le dirigeant de fait23. Par le biais d’une QPC24, la Cour de cassation est venue confirmer qu’un dirigeant de fait peut être sanctionné pour ne pas avoir demandé l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai légal applicable à compter de la cessation des paiements, qui sanctionne également les administrateurs de société pour s’être abstenus d’exiger du représentant légal de la personne morale d’effectuer la déclaration de cessation des paiements qui s’imposait25. La décision admet, de manière implicite mais nécessaire, la faculté pour un dirigeant de fait de solliciter l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Une telle position n’a rien de surprenant, dans la mesure où l’exercice concret de fonctions de direction permet à la personne concernée de prévoir les difficultés économiques de l’entreprise ou d’être à l’origine de celles-ci.
Permettre au dirigeant de fait de déclarer la cessation des paiements constitue un moyen de prévenir l’aggravation irrémédiable des difficultés de la société, notamment en cas d’inertie du dirigeant de droit, le dirigeant de fait pouvant alors se substituer à ce dernier dans l’intérêt de l’entreprise. Des sanctions extrapatrimoniales comme la faillite ou l’interdiction de gérer peuvent être prononcées à l’encontre du dirigeant de fait qui a omis de déclarer la cessation des paiements26. Le constat est que la Cour de cassation reconnaît que « le dirigeant de fait peut suppléer licitement le dirigeant de droit »27. Dans le même temps, la Cour de cassation reconnaît que commet une faute de gestion et est sanctionné au titre de la responsabilité pour insuffisance d’actif le gérant qui, contrairement à ses obligations de dirigeant de droit, n’a pris aucune disposition pour faire cesser les agissements du gérant de fait et le contrôler, ni pour mettre fin à son propre mandat28. Sans doute peut-il suppléer le dirigeant de droit en toute impunité lorsque l’intérêt de la personne morale l’exige, ce qui est le cas lorsqu’il s’agit d’éviter la cessation des paiements, même si le dirigeant de fait n’est pas porteur des intérêts sociaux de la personne morale29.
15. Pour une partie de la doctrine, il apparaît légitime d’imposer au dirigeant de fait l’obligation de déclarer la cessation des paiements, dès lors que son immixtion dans la gestion de la société est continue, effective et déterminante30. En effet, celui qui exerce un pouvoir de direction réel doit, en toute logique, assumer les responsabilités afférentes à cette qualité. Toutefois, une interrogation demeure : le dirigeant de fait a-t-il nécessairement conscience que son intervention, bien que dépourvue de fondement légal, emporte une exigence de vigilance équivalente à celle imposée au dirigeant de droit ? Si l’assimilation des deux figures se justifie sur le plan juridique, elle ne va pas toujours de soi dans les faits.
Le droit des entreprises en difficulté a tendance à considérer le dirigeant de fait de manière négative, mais lorsqu’une personne prend en main la direction ou la gestion d’une société pour l’aider, voire la sauver, ne faudrait-il pas, exceptionnellement, lui appliquer des règles plus favorables31 ?
16. Conformément à l’article L. 642-3 du Code de commerce, l’interdiction d’acquérir des biens dépendant d’une entreprise en liquidation judiciaire s’applique tant au dirigeant de droit qu’au dirigeant de fait. Cette prohibition vise à garantir l’impartialité et l’intégrité de la procédure collective, en évitant que le dirigeant – y compris celui qui exerce de manière occulte ou sans mandat social – ne tire un avantage indu de la cession des actifs sociaux, notamment en contournant les effets de la liquidation au détriment des créanciers. Le constat est que le dirigeant de droit comme de fait sont traités de la même façon.
Un autre exemple de cet alignement du sort du dirigeant de fait sur celui du dirigeant de droit peut être fourni avec les articles L. 631-10 et L. 631-19-1 du Code de commerce relativement à la possibilité pour le tribunal de rendre incessibles les parts sociales, titres de capital, valeurs mobilières détenus par un ou plusieurs dirigeants de droit ou de fait à l’ouverture de la procédure de redressement ou lors de l’adoption du plan de redressement. L’unité du régime ne saurait être pleinement assurée sans l’instauration d’une juridiction commune aux deux catégories de dirigeants.
B – La consécration de la compétence du tribunal de commerce
17. Selon l’article L. 721-3, 2°, du Code de commerce, le tribunal de commerce est compétent pour connaître des contestations relatives aux sociétés commerciales. Cette compétence ne s’arrête pas aux seuls actes posés par les organes sociaux régulièrement désignés. Elle englobe également les litiges mettant en cause des personnes ayant effectivement exercé une activité de gestion, même en dehors de toute nomination officielle.
La compétence du tribunal de commerce à l’égard du dirigeant de fait ne se conçoit que si est établi un lien direct entre les faits fautifs allégués et la gestion de la société32. À l’occasion d’une action en responsabilité, la haute juridiction a été amenée récemment à se prononcer sur la compétence du tribunal de commerce à l’égard du dirigeant de fait. Cette dernière affirme que le tribunal de commerce est compétent dès lors qu’est invoquée la qualité de dirigeant de fait sans rechercher si la personne s’était comportée en dirigeant de fait, question qui relève plutôt du bien-fondé de l’action dirigée contre elle33. Elle privilégie une analyse de la commercialité fondée sur la nature de l’obligation à la conception classique de la commercialité qui prend surtout en considération la qualité de la personne34.
L’intérêt d’affirmer la compétence du tribunal consulaire, tant à l’égard du dirigeant de droit que de fait, est de permettre à la juridiction d’apprécier la réalité des responsabilités entre le dirigeant de droit et de fait et d’éviter à ce dernier d’échapper à la justice sous prétexte de l’absence de statut officiel.
Notes de bas de pages
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1.
J. Heinich, « Les dirigeants de fait : du neuf dans l’ancien », RJ com. 2018, p. 373.
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2.
N. Dedessus-Le-Moustier, « La responsabilité du dirigeant de fait », Rev. sociétés 1997, p. 499.
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3.
N. Dedessus-Le-Moustier, « La responsabilité du dirigeant de fait », Rev. sociétés 1997, p. 499.
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4.
Cass. com., 10 janv. 2012, n° 10-28.067 : RJDA 4/12, n° 427 – Cass. com., 12 juill. 2005, n° 03-14.045 : Bull. civ. IV, n° 174 ; BJS janv. 2006, n° 4, p. 22, note B. Saintourens ; D. 2005, p. 2071, obs. A. Lienhard ; JCP E 2005, 1834, obs. J.-J. Caussain, F. Deboissy et G. Wicker – plus récemment, v. Cass. com., 20 avr. 2017, n° 15-10.425 : BJS juill. 2017, n° BJS116q1, note J. Heinich – Cass. com., 24 janv. 2018, n° 16-23.649 : BJS mars 2018, n° BJS117m8, note J. Heinich ; BJE mai 2018, n° BJE115v9, note T. Favario.
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5.
D. Tricot, « Les critères de la gestion de fait », Dr. & patr. mensuel 1996, n° 1, p. 24 ; N. Dedessus-Le Moustier, « La responsabilité du dirigeant de fait », Rev. sociétés 1997, p. 499 ; C. Delattre, « L’inlassable travail de la Cour de cassation quant à la détermination de la notion de direction de fait », JCP E 2007, 1872.
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6.
J.-L. Rives-Lange, « La notion de dirigeant de fait au sens de l’article 99 de la loi du 13 juillet 1967 sur le règlement judiciaire et la liquidation des biens », D. 1975, Chron., p. 41 ; G. Notté, « La notion de dirigeant de fait au regard du droit des procédures collectives », JCP G 1980, I 8560.
-
7.
CA Paris, 5-8, 24 janv. 2017, n° 16/03136.
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8.
Cass. com., 27 juin 2006, n° 04-15.831 : Bull. civ. IV, n° 151.
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9.
Cass. com., 24 janv. 2018, n° 16-23.649.
-
10.
Cass. com., 10 mars 2004, n° 01-10.015.
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11.
Cass. com., 15 févr. 2011, n° 10-11.781.
-
12.
Cass. crim., 22 sept. 2010, n° 09-83.274.
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13.
Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-14.525 : BJS mai 2021, n° BJS200b1, note P.-L. Périn.
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14.
L’action sociale ne peut être exercée pour engager la responsabilité du dirigeant de fait : ex. jurisprudentiel : Cass. com., 19 mars 2013, n° 12-14.213 : Dr. sociétés 2013, comm. 119, note M. Roussille ; BJS mai 2013, n° 159, p. 316, note J.-F. Barbièri – Cass. com., 29 mars 2017, n° 16-10.016 : Dr. sociétés 2017, comm. 101, note J. Heinich ; BJS sept. 2017, n° BJS116t6, note C. Coupet – Cass. com., 14 févr. 2018, n° 15-24.146 : GPL 26 juin 2018, n° GPL325d5, note A. Rabreau.
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15.
D. Demeyere, « Les fautes de gestion dans la responsabilité pour insuffisance d’actif des dirigeants sociaux », GPL 6 avr. 2013, n° GPL125v2 ; M. Germain, « L’action en comblement du passif social, entre droit commun et droit spécial », in Le Code de commerce 1807-2007. Livre du bicentenaire, 2007, Dalloz, p. 243 ; J. Lasserre Capdeville, « Réforme du droit des entreprises en difficulté : l’évolution des sanctions », BJE mai 2014, n° BJE111c2 ; C. Mascala, « Le comportement fautif du chef d’entreprise, de la sanction à la réparation ? », RLDA mars 2005, p. 71 ; C. Mascala, « Le nouveau régime des sanctions dans la loi de sauvegarde des entreprises », RTD com. 2006, p. 209 ; C. Mascala, « Les sanctions en droit des entreprises en difficulté : flux, reflux et incohérences », Dr. & patr. mensuel 2013, n° 223, p. 80 ; C. Mascala, « Les dirigeants : responsabilités et sanctions », BJE mars 2022, n° BJE200o3 ; H. Matsopoulou, « Réflexions sur la faillite personnelle et l’interdiction de gérer », D. 2007, p. 104 ; T. Montéran, « Les sanctions pécuniaires et personnelles dans la loi du 26 juillet 2005 », Gaz. Pal. 10 sept. 2005, n° F6849, p. 37 ; T. Montéran, « La réforme des responsabilités et sanctions », Gaz. Pal. 10 mars 2009, n° H3523, p. 59 ; I. Parachkevova, « La nouvelle responsabilité des dirigeants dans les procédures collectives : révolution ou évolution », LPA 19 déc. 2006, p. 4 ; APCEF, rapp., 2019, Les sanctions en procédures collectives, C. Saint-Alary-Houin (dir.) ; J. Vallansan, « Les sanctions influencées par la crise économique », BJE sept. 2012, n° 163, p. 319.
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16.
Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-15.984 : Bull. 2015, n° 833, Com., n° 1261 : « L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif prévue par l’article L. 651-2 du Code de commerce ne peut être intentée par le liquidateur que contre les dirigeants de droit ou de fait d’une personne morale de droit privé » – Cass. com., 17 juin 2020, n° 19-10.341.
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17.
D. Gibirila, « La faute de gestion dans la responsabilité pour insuffisance d’actif des dirigeants d’entreprises en difficulté », Dr. & patr. mensuel 2022, n° 322, p. 18.
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18.
T. Favario, « Laisser agir le dirigeant de fait : une faute de gestion du dirigeant de droit ? », note ss Cass. com., 1er juill. 2020, n° 18-24.804, BJE nov. 2020, n° BJE118e2 – CA Montpellier, 2e ch., sect. B, 18 janv. 2005, n° 03/00372 : Dr. sociétés 2005, comm. 214, note J.-P. Legros : « Le seul fait de laisser une autre personne diriger la société à sa place constitue une faute de gestion qui permet de lui attribuer la responsabilité de toutes les conséquences d’une gestion défectueuse ».
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19.
D. Tricot, « Les critères de la gestion de fait », Dr. & patr. mensuel 1996, n° 34, p. 24.
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20.
B. Brignon, « Extension aux dirigeants de droit et de fait de la liquidation judiciaire d’une association fictive », note ss Cass. 2e civ., 23 nov. 2023, n° 22-12.426, BJS févr. 2024, n° BJS202s5.
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21.
T. Favario, « Insuffisance d’actif : deux actions, deux échecs », note ss Cass. com., 22 janv. 2020, n° 18-19.930, BJE mars 2020, n° BJE117s4.
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22.
B. Saintourens, « Dirigeant de fait privé du bénéfice d’un avantage fiscal accordé au dirigeant de droit », note ss CE, 8e-3e ch. réunies, 21 déc. 2022, n° 465669, BJS mars 2023, n° BJS201u8.
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23.
Cass. com., 6 janv. 1998, n° 95-18.478 : Bull. civ. IV, n° 6.
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24.
Cass. com., QPC, 7 févr. 2024, n° 23-40.016.
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25.
Cass. com., 25 mars 1997, n° 95-10.995 : Bull. civ. IV, n° 85 – Cass. com., 31 mai 2011, nos 09-13.975, 09-67.661, 09-14.026, 09-16.522 : Bull. civ. IV, n° 87.
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26.
Cass. com., QPC, 7 févr. 2024, n° 23-40.016 : T. Favario, « Un dirigeant de fait peut demander l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire », BJS mai 2024, n° BJS203a1.
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27.
M. Laroche, « Être ou ne pas être dirigeant ? », GPL 11 juin 2024, n° GPL464n9.
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28.
T. Favario, « Laisser agir le dirigeant de fait : une faute de gestion du dirigeant de droit ? », BJE nov. 2020, n° BJE118e2.
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29.
CE, 3e ch. réunies, 21 déc. 2022, n° 465669.
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30.
P. Rubellin, « Constitutionnalité de l’interdiction de gérer prononcée contre le dirigeant de fait qui ne déclare pas l’état de cessation des paiements », note ss Cass. com., QPC, 7 févr. 2024, n° 23-40.016, LEDEN mai 2024, n° DED202h5.
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31.
J. Heinich, « Les dirigeants de fait : du neuf dans l’ancien », RJ com. 2018, p. 373.
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32.
Cass. com., 27 oct. 2009, n° 08-20.384 : Bull. civ. IV, n° 138 ; Rev. sociétés 2010, p. 30, note B. Saintourens ; D. 2010, p. 296, note B. Dondero ; D. 2009, p. 2679, obs. X. Delpech ; RTD com. 2009, p. 766, obs. P. Le Cannu et B. Dondero – Cass. com., 18 déc. 2019, n° 18-17.364 : Rev. sociétés 2020, p. 434, note A. Reygrobellet ; D. 2020, p. 1588, obs. J.-C. Galloux et P. Kamina – Cass. com., 18 nov. 2020, n° 19-19.463 : Rev. sociétés 2021, p. 165, note A. Reygrobellet ; D. 2020, p. 2342 ; BJS avr. 2021, n° BJS121x8, note D. Poracchia.
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33.
Cass. com., 30 mars 2022, n° 20-11.776 : D. Gibirila, « Compétence du tribunal de commerce pour connaître des actions en responsabilité intentées par des sociétés commerciales contre leurs dirigeants de fait », JCP G 2022, act. 709 ; A. Reygrobellet, « Action contre le dirigeant de fait d’une société commerciale : compétence du tribunal de commerce », Rev. sociétés, 2022, p. 430 ; Dalloz actualité, 19 avr. 2022, comm. B. Ferrari ; BJS mai 2022, n° BJS201a6, obs. B. Saintourens ; M. Stoclet, « Compétence du tribunal de commerce et responsabilité des dirigeants de fait d’une société », GPL 21 juin 2022, n° GPL437n1.
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34.
D. Gibirila, « Compétence du tribunal de commerce pour connaître des actions en responsabilité intentées par des sociétés commerciales contre leurs dirigeants de fait », JCP G 2022, act. 709.
Référence : AJU017m0
