L’incidence (contestable) de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif sur le recours de la caution contre le cofidéjusseur

Publié le 24/09/2021

Entreprises en difficulté_AdobeStock_336029625L’article L. 643-11, II, du Code de commerce, qui autorise les coobligés et personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à poursuivre le débiteur après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, s’ils ont payé à la place de celui-ci, ne permet pas à la caution qui a acquitté la dette principale d’exercer dans les conditions prévues par ce texte un recours contre un cofidéjusseur, en application de l’article 2310 du Code civil, à moins que le patrimoine de celuici soit confondu avec celui du débiteur principal.

Cass. com., 5 mai 2021, no 20-14672

1. La clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif place la caution dans une situation délicate. Si la caution est un tiers par rapport à la procédure, elle en subit néanmoins les effets. En témoigne l’arrêt rendu le 5 mai 2021 par la chambre commerciale de la Cour de cassation.

En l’espèce, une banque a consenti des prêts à une société civile immobilière (SCI) pour lesquels se sont rendues caution deux personnes physiques ainsi qu’une société. Les 14 décembre 2010 et 17 janvier 2012, la liquidation judiciaire qui avait été prononcée à l’égard d’une société le 26 octobre 2010 a été étendue à l’une des cautions puis à la SCI. Après l’admission au passif de la liquidation des créances de la banque, la société caution a réglé à cette dernière la totalité des sommes garanties. Après la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire étendue, la société caution a déposé une requête auprès du président du tribunal de la procédure pour obtenir, en application de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce, un titre exécutoire contre la caution à l’égard de laquelle la liquidation avait été étendue. Saisie de l’affaire, la cour d’appel d’Angers a déclaré sa demande irrecevable dans une décision du 28 janvier 2020. La caution solvens forma alors un pourvoi en cassation.

La société caution reprochait aux juges du fond d’avoir déclaré sa demande en paiement irrecevable au motif qu’« à défaut de démontrer la confusion des patrimoines de la SCI et [du cofidéjusseur], ce dernier ne pouvait être considéré comme le débiteur au sens de l’article L. 643-11 du Code de commerce ». Selon elle, « indépendamment de la confusion des patrimoines, le caractère accessoire du cautionnement implique que la notion de débiteur au sens de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce, soit dans le cadre d’une poursuite engagée au terme d’une procédure de liquidation judiciaire, inclut la caution du débiteur principal ». Dès lors, en ayant exclu cette qualification en dépit du caractère accessoire du cautionnement, la cour d’appel aurait violé les articles L. 643-11 et R. 643-20 du Code de commerce et l’article 2306 du Code civil.

La Cour de cassation devait répondre à la question de savoir si la caution qui s’est acquittée de la dette principale peut, sur le fondement de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce, exercer un recours contre l’un de ses cofidéjusseurs après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.

Par l’arrêt du 5 mai 2021, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Selon elle, « l’article L. 643-11, II, du Code de commerce, qui autorise les coobligés et personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à poursuivre le débiteur après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, s’ils ont payé à la place de celui-ci, ne permet pas à la caution qui a acquitté la dette principale d’exercer dans les conditions prévues par ce texte un recours contre un cofidéjusseur, en application de l’article 2310 du Code civil, à moins que le patrimoine de celui-ci soit confondu avec celui du débiteur principal, ce qui n’est pas le cas ». Par conséquent, le moyen qui postule le contraire n’est pas fondé.

2. Le droit des procédures collectives et le droit du cautionnement entretiennent des rapports complexes. La combinaison de ces deux droits s’opère parfois au détriment du droit du cautionnement. L’arrêt commenté montre ainsi que la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif a une véritable incidence sur le cautionnement en venant limiter les recours de la caution solvens (I), cette limitation apparaît cependant contestable (II).

I – Une limitation des recours de la caution solvens

3. Par cet arrêt, la Cour de cassation précise le champ d’application de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce et affirme que ce texte n’autorise pas la caution qui s’est acquittée de la dette principale à exercer un recours contre un cofidéjusseur (A). Un tel recours n’est possible qu’en cas de confusion des patrimoines du débiteur et du cofidéjusseur (B).

A – L’impossibilité d’exercer un recours contre un cofidéjusseur

4. La procédure ouverte à l’encontre du débiteur est clôturée pour insuffisance d’actif lorsque les opérations de liquidation judiciaire ne peuvent être poursuivies en raison de l’insuffisance d’actif1. À ce stade, la défaillance du débiteur est parfaitement avérée. Privé du droit de poursuite individuelle dès l’ouverture de la procédure2, le créancier va légitimement mettre en œuvre le cautionnement. Sous réserve de la solvabilité de la caution, le créancier pourra donc se désintéresser de la situation du débiteur principal. Toutefois, l’article L. 643-11, II, du Code de commerce permet à la caution qui a payé la dette à la place du débiteur d’échapper à l’effet extinctif de la clôture de la liquidation judiciaire et d’exercer un recours contre ce dernier.

En l’espèce, la caution soutenait que le caractère accessoire du cautionnement impliquant l’unicité de la dette, la notion de débiteur au sens de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce inclut la caution du débiteur principal.

5. L’article L. 643-11, II, du Code de commerce permet-il à la caution solvens d’exercer un recours contre son cofidéjusseur ? Rejetant le pourvoi, la chambre commerciale affirme que « l’article L. 643-11, II, du Code, qui autorise les coobligés et personnes ayant consenti une sûreté personnelle ou ayant affecté ou cédé un bien en garantie à poursuivre le débiteur après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif, s’ils ont payé à la place de celui-ci, ne permet pas à la caution qui a acquitté la dette principale d’exercer dans les conditions prévues par ce texte, un recours contre un cofidéjusseur, en application de l’article 2310 du Code civil ».

La solution repose sur une interprétation littérale de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce. Selon ce texte le garant solvens peut poursuivre « le débiteur » et non un cofidéjusseur3. La solution peut trouver une explication dans la nature des relations existant entre cofidéjusseurs. En effet, « l’originalité des relations nouées entre les cofidéjusseurs conduit à distinguer entre la créance de l’obligation principale qui est le fondement du recours en remboursement et l’obligation contributive de chaque caution au paiement de la dette cumulativement garantie qui sert de fondement de l’action de la caution solvens contre les cofidéjusseurs »4. En d’autres termes, les relations entre les cofidéjusseurs ne pouvant être assimilées à celles des coobligés et du débiteur principal, l’application de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce devait être écartée.

Pourtant, à y regarder de plus près, ce raisonnement paraît discutable. D’abord, l’article L. 643-11, II, du Code de commerce pose une exception à l’effet extinctif de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. En interprétant ce texte a contrario, la Cour de cassation considère que seul le recours contre le débiteur serait maintenu. Cette interprétation restrictive justifie la critique5. Il eût été préférable de retenir le procédé inverse, c’est-à-dire le système de l’extension par analogie6 : ubi aedem ratio, ibi idem jus. Ensuite, le recours des cofidéjusseurs ne semble pas concerné par l’effet extinctif de la clôture de la liquidation judiciaire puisqu’il s’agit d’une créance qui leur est personnelle. Enfin, comme l’a relevé un auteur, il existe une unité de la dette : « les cofidéjusseurs sont tenus, aux côtés du débiteur principal, de la même dette »7. Mais faisant preuve de sévérité à l’égard du garant, les hauts magistrats privent ce dernier de tout recours contre ses cofidéjusseurs. Un tempérament à ce principe est toutefois posé dans l’hypothèse où le patrimoine du cofidéjusseur se confondrait avec celui du débiteur principal.

B – Un recours possible en cas de confusion des patrimoines

6. Si la caution solvens est en principe privée de tout recours contre ses cofidéjusseurs, la chambre commerciale pose toutefois une exception à l’inapplicabilité de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce en cas de confusion entre le patrimoine du cofidéjusseur poursuivi et celui du débiteur principal8.

En l’espèce, la liquidation judiciaire avait été étendue notamment à la caution poursuivie en contribution par le solvens. Mais comme le relève la Cour de cassation, en l’absence de confusion des patrimoines, l’article L. 643-11, II, du Code de commerce ne pouvait s’appliquer.

Par cet arrêt, la Cour de cassation pose un tempérament à l’inapplicabilité de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce et permet à la caution solvens d’exercer un recours contre un cofidéjusseur en cas de confusion entre le patrimoine de ce dernier et celui du débiteur principal. Cette exception ne pourrait-elle pas être étendue au cas de fictivité ? En effet, qu’il s’agisse de fictivité ou de confusion de patrimoines, l’extension de la procédure collective est justifiée par le préjudice anormal causé aux créanciers. Énoncée par l’article L. 621-2, alinéa 2, du Code de commerce, l’extension de procédure conduit à soumettre une personne à une procédure collective déjà ouverte à l’encontre d’une autre personne. Cette mesure est prévue dans deux hypothèses : en présence d’une personne morale fictive et en cas de confusion de patrimoines. Une personne morale fictive est une apparence de société masquant l’activité d’une autre personne9. Quant à la confusion de patrimoines, elle est caractérisée par l’existence de relations financières anormales entre deux personnes juridiques, lesquelles se sont comportées comme si elles n’avaient qu’un seul patrimoine. En l’occurrence, la confusion des patrimoines ayant été écartée, l’extension de la procédure résultait probablement de la fictivité de la personne morale.

7. A priori, fictivité et confusion de patrimoines constituent deux causes distinctes d’extension de procédure. Ne pouvant être confondues l’une avec l’autre, elles devraient avoir des incidences différentes10. En permettant à la caution solvens d’exercer un recours contre un cofidéjusseur uniquement en cas de confusion de patrimoines, l’arrêt rapporté semble trancher en faveur d’une différenciation des conséquences de la fictivité et de la confusion de patrimoines. Pour autant, faut-il opérer une distinction entre fictivité et confusion de patrimoines ? En pratique, il n’est pas toujours aisé de différencier ces deux notions. L’étude de la jurisprudence montre que, statuant à propos de faits similaires, les juges retiennent parfois la fictivité et d’autres fois la confusion de patrimoines pour fonder une extension de procédure11. Ces difficultés montrent que fictivité et confusion de patrimoines sont étroitement liées ; l’une étant la conséquence de l’autre et inversement12. En l’espèce, la liquidation judiciaire prononcée à l’égard de la société fictive a été étendue au cofidéjusseur poursuivi en contribution par la caution solvens puis à la SCI. Dans cette hypothèse, la personne à l’égard de laquelle la procédure a été étendue est le véritable maître de l’affaire. En effet, l’écran de la personnalité morale est utilisé pour limiter le droit de gage général des créanciers en dissociant artificiellement son patrimoine. Dès lors, ne faut-il pas considérer qu’il y a confusion de patrimoines ? Il semblerait que la fictivité de la personne morale entraîne nécessairement une confusion des patrimoines. D’ailleurs, la fictivité et la confusion de patrimoines se rencontrent en présence du montage SCI – société d’exploitation13.

L’interprétation a contrario de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce et la distinction opérée entre la fictivité et la confusion de patrimoines conduisent à une limitation contestable des recours de la caution solvens.

II – Une limitation contestable des recours de la caution

8. L’ouverture d’une procédure collective place les créanciers dans une situation délicate. Aux aléas de la procédure s’ajoute une multitude de moyens de défense dont la caution peut se prévaloir pour essayer d’échapper à son engagement. Si l’obligation de la caution doit être maintenue afin de préserver au mieux les droits des créanciers (A), ses recours ne sauraient cependant être limités (B).

A – Le maintien de l’obligation de la caution

9. Les droits du créancier bénéficiant d’un cautionnement ne sont pas affectés par l’ouverture d’une procédure à l’encontre de son débiteur principal. En l’espèce, après l’admission au passif de la liquidation des créances de la banque, la caution a réglé à cette dernière la totalité des sommes garanties. Si le débiteur principal bénéficie de différentes mesures, la caution reste quant à elle tenue de son obligation.

10. Nonobstant le caractère accessoire de son engagement, la caution ne peut ainsi opposer au créancier l’arrêt des poursuites individuelles14. Comment expliquer la possibilité pour le créancier de poursuivre la caution alors qu’il ne pourrait poursuivre le débiteur principal ? La solution trouve une justification au regard du but poursuivi par le cautionnement, celui de protéger le créancier contre la défaillance du débiteur. Or l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire matérialise ce risque contre lequel le créancier a entendu se protéger en obtenant un cautionnement. L’impossibilité pour la caution de se prévaloir, par voie accessoire, de l’arrêt des poursuites individuelles s’explique également au regard de la distinction entre le devoir et le pouvoir de contrainte15. L’arrêt des poursuites n’affecte pas l’existence de la dette garantie par la caution mais seulement le droit de poursuite contre le débiteur principal16. Autrement dit, l’obligation de la caution est accessoire par rapport au devoir du débiteur mais autonome par rapport au droit de poursuite du créancier. Le créancier peut donc librement poursuivre la caution en paiement.

11. De même, le défaut de déclaration de la créance à la procédure collective ne fait nullement disparaître l’obligation de la caution17. Sous l’empire du droit antérieur à la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, le défaut de déclaration d’une créance entraînait l’extinction de celle-ci et donc la disparition des sûretés accessoires. Par trois arrêts rendus le 17 juillet 1990, la Cour de cassation avait admis la possibilité pour la caution d’opposer au créancier l’extinction de sa créance pour défaut de déclaration18. La dette principale étant éteinte, le cautionnement l’était également en raison de son caractère accessoire. Contestée, cette solution a été abandonnée par la réforme du droit des procédures collectives. Aujourd’hui, l’article L. 622-26, alinéa 2, du Code de commerce prévoit que la créance non déclarée n’est pas éteinte mais seulement inopposable à la procédure collective. Puisqu’il n’affecte que le droit de poursuite à l’encontre du débiteur principal, le défaut de déclaration ne peut être invoqué par la caution pour échapper à son engagement19. Cette dernière peut toutefois opposer au créancier l’article 2314 du Code civil si le défaut de déclaration l’empêche de se prévaloir par subrogation d’un droit préférentiel. Dans un arrêt du 19 février 2013, faisant preuve de souplesse, la Cour de cassation a cependant admis la mise en œuvre de l’article 2314 du Code civil alors que le créancier ne bénéficiait que d’un cautionnement20.

12. La caution ne peut encore opposer au créancier l’effet extinctif de la clôture de la liquidation judiciaire résultant de la clôture pour insuffisance d’actif21. De nouveau, la distinction entre le devoir du débiteur et le pouvoir de contrainte du créancier permet d’expliquer le maintien de l’obligation de la caution : le jugement de clôture paralyse le droit de poursuite des créanciers mais n’entraîne pas l’extinction de la dette22. Tenue de payer les sommes garanties, la caution solvens dispose de recours limités : elle peut poursuivre le débiteur principal et non son cofidéjusseur. S’il est fait exception à ce principe en cas de confusion de patrimoines, la solution retenue demeure sévère à l’égard de la caution.

En matière de procédures collectives, une atténuation des principes du cautionnement s’avère nécessaire afin de préserver les droits des créanciers. Pour autant, les intérêts de la caution ne sauraient être sacrifiés ; l’altération de ses recours apparaît alors contestable.

B – La nécessité de préserver les recours de la caution

13. L’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire est la constatation judiciaire de la défaillance du débiteur principal, ce dernier étant en cessation des paiements. Le cautionnement permet alors au créancier garanti de contourner l’arrêt des poursuites individuelles résultant du jugement d’ouverture et d’obtenir le paiement de sa créance. La question qui se pose alors est de savoir quels sont les recours de la caution solvens.

En l’espèce, la caution solvens soutenait « qu’indépendamment de la confusion des patrimoines, le caractère accessoire du cautionnement implique que la notion de débiteur au sens de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce, soit dans le cadre d’une poursuite engagée au terme d’une procédure de liquidation judiciaire, inclut la caution du débiteur principal ». L’argument ne convainc guère les hauts magistrats. Le pourvoi est rejeté au motif que l’article L. 643-11, II, du Code de commerce autorise la caution qui s’est acquittée de la dette principale à exercer un recours contre le débiteur principal et non contre un cofidéjusseur, à moins que le patrimoine de celui-ci ne soit confondu avec celui du débiteur principal.

14. Conformément à l’article L. 643-11, II, du Code de commerce, la caution solvens dispose d’un recours contre le débiteur principal ; le jugement de clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif ne fait pas perdre à la caution le droit de poursuivre le débiteur. Toutefois, à ce stade, le recours de la caution solvens contre le débiteur principal ne présente plus d’intérêt en raison de l’insolvabilité de ce dernier. Si un retour à meilleure fortune du débiteur est envisageable, l’exercice d’un tel recours n’est possible qu’à l’égard d’un débiteur personne physique dans la mesure où la liquidation judiciaire entraîne la dissolution de la personne morale23. En l’occurrence, le débiteur principal était précisément une société.

Au-delà de l’hypothèse de la confusion de patrimoines, ne devrait-on pas permettre à la caution d’exercer un recours en contribution contre ses cofidéjusseurs ? Un tel recours serait particulièrement utile lorsque le débiteur principal est, comme en l’espèce, une personne morale insolvable. En droit commun, la caution solvens dispose de deux recours contre ses cofidéjusseurs. S’agissant d’abord du recours personnel, celui-ci est prévu à l’alinéa 1er de l’article 2310 du Code civil. Selon ce texte, « lorsque plusieurs personnes ont cautionné un même débiteur pour une même dette, la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions ». Ensuite, s’agissant du recours subrogatoire, celui-ci n’est pas expressément prévu par les textes relatifs au cautionnement24. Son fondement se trouve dans le principe général de la subrogation posé par l’article 1346 du Code civil. Ayant payé une dette dont elle était tenue avec ses cofidéjusseurs, la caution se trouve subrogée dans les droits du créancier. Reposant sur la créance entre cofidéjusseurs née du paiement dépassant la part de la caution solvens, le recours en contribution ne devrait pas être concerné par l’effet extinctif de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. D’autant plus que l’obligation de la caution étant maintenue, les droits du créancier sont préservés. Dès lors, les exigences propres à la procédure de liquidation judiciaire ne justifient nullement une altération des recours de la caution.

15. Un tel recours serait, par ailleurs, mesuré. En effet, l’article 2310, alinéa 1er, du Code civil dispose que « la caution qui a acquitté la dette a recours contre les autres cautions, chacune pour sa part et portion ». Peu importe le recours exercé, la caution solvens ne peut demander à ses cofidéjusseurs davantage que leur part contributive dans la dette du débiteur. Autrement dit, la caution solvens doit diviser ses recours contre les cofidéjusseurs25. Admettre la possibilité pour la caution d’exercer un recours contre ses cofidéjusseurs permettrait de répartir l’insolvabilité du débiteur principal. Une telle répartition serait légitime, les cofidéjusseurs devant contribuer à la dette à proportion de leur engagement.

En effet, la caution n’est qu’un garant : elle ne contribue pas à la dette. La charge définitive de celle-ci doit reposer sur le débiteur principal. Si la caution solvens dispose d’un recours contre le débiteur principal, la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif rend bien souvent ce recours illusoire. C’est pourquoi la caution solvens doit pouvoir exercer un recours non seulement contre le débiteur principal mais aussi contre les autres cautions.

Par cet arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation précise le champ d’application de l’article L. 643-11, II, du Code de commerce. Ce texte autorise la caution solvens à poursuivre le débiteur principal et non son cofidéjusseur. Opérant une distinction entre les causes d’extension de procédure, les hauts magistrats autorisent cependant un tel recours en cas de confusion de patrimoines mais pas en cas de fictivité. En ce qu’elle restreint les recours de la caution, cette solution va à l’encontre de la nature même du cautionnement, lequel est un engagement de garantie : le tiers s’engage à garantir la dette du débiteur principal mais pas à la supporter définitivement. En cas de pluralité de cautions, la caution solvens devrait donc disposer d’un recours en contribution contre ses cofidéjusseurs. La combinaison des règles du cautionnement et du droit des procédures collectives excède ce qui est strictement nécessaire à la défense des droits des créanciers et sacrifie les intérêts de la caution. Sur ce point, l’avant-projet de réforme du droit des sûretés dans les procédures collectives publié par la Chancellerie le 18 décembre 2020 ne modifie pas l’article L. 643-11, II, du Code de commerce. Pourtant, la question de la pertinence de ce texte se pose. La situation de la caution ne devrait pas être affectée par la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif : son obligation étant maintenue, ses recours devraient l’être également.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. com., art. L. 643-9.
  • 2.
    C. com., art. L. 622-21.
  • 3.
    Sur la notion de cofidéjusseur : J. Mestre, « Les cofidéjusseurs », Dr. & patr., janv. 1998, p. 66 et avr. 1998, p. 64.
  • 4.
    L.-C. Henry, note sous Cass. com., 5 mai 2021, n° 20-14672 : Rev. sociétés 2021, p. 406.
  • 5.
    Le raisonnement a contrario doit être exclu lorsque la loi ne peut être réputée avoir disposé en contemplation de toutes les hypothèses envisageables (v. J.-L. Gardies, Archives de philosophie du droit, t. 24, p. 285).
  • 6.
    Sur l’extension par analogie : F. Gény, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif : essai critique, t. 1, 1919, LGDJ, p. 34.
  • 7.
    J.-D. Pellier, note sous Cass. com., 5 mai 2021, n° 20-14672 : Dalloz actualité, 25 mai 2021.
  • 8.
    Sur la confusion des patrimoines : F. Reille, La notion de confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures collectives, 2007, Litec, Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté, t. 74, P. Pétel (préf.) ; A. Bézert, Les effets de l’extension de la procédure collective pour confusion des patrimoines, 2021, LGDJ, Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté, t. 21, P. Pétel (préf.).
  • 9.
    Sur la fictivité : M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 33e éd., 2020, LexisNexis, nos 271 et s.
  • 10.
    Sur ce point : J.-F. Barbièri, « Confusion de patrimoine et fictivité des sociétés », LPA 25 oct. 1996, p. 9 et s. ; F. Derrida, P. Godé et J.-P. Sortais, Redressement et liquidation judiciaires des entreprises, 3e éd., 1991, Dalloz, n° 585 ; B. Saintourens, note sous Cass. com., 12 oct. 1993, n° 89-17509 : Rev. sociétés 1994, p. 326, spéc. p. 330 ; C. Prieto, note sous CA Paris, 29 sept. 1995, n° 95-5270, Frangil c/ Me Carasset-Marillier ès-qual. : BJS déc. 1995, n° 387, p. 1080, spéc. n° 1.
  • 11.
    Comp., par ex., CA Paris, 20 déc. 1994, n° 94-005047, SCI Machkouk c/ Me Jeanne ès qual. : BJS févr. 1995, n° 53, p. 189 – et CA Paris, 7 mars 1995 : RJ com. 1996, p. 109, note T. Bruguier.
  • 12.
    Sur ce point : B. Soinne, note sous Cass. com., 12 oct. 1993, n° 89-17509 : Rev. proc. coll. 1993, n° 1. V. aussi, G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, par P. Delebecque et M. Germain, t. 2, 15e éd., 1996, LGDJ, n° 2862 ; F. Gisserot, « La confusion des patrimoines est-elle une source autonome d’extension de faillite ? », RTD com. 1979, p. 49 ; P. Delebecque, « Groupes de sociétés et procédures collectives : confusion de patrimoines et responsabilité des membres du groupe », Rev. proc. coll. 1998, p. 129.
  • 13.
    Cass. com., 13 sept. 2011, n° 10-24536 : BJS janv. 2012, n° 18, p. 63, note E. Mouial Bassilana – Cass. com., 13 janv. 2015, n° 13-27868 : Rev. sociétés 2015, p. 313, note B. Saintourens.
  • 14.
    Cass. com., 27 mars 1990, n° 88-14925 : D. 1990, p. 494, note A. Honorat.
  • 15.
    M. Behar-Touchais, « Le banquier et la caution face à la défaillance du débiteur », RTD civ. 1993, p. 737.
  • 16.
    P. Pétel, Procédures collectives, 9e éd., 2017, Dalloz, p. 100, n° 185.
  • 17.
    La jurisprudence distingue le défaut de déclaration de la déclaration irrégulière d’une créance. À la différence du défaut de déclaration, la déclaration irrégulière n’emporte pas l’inopposabilité de la créance mais son extinction et donc l’extinction de la sûreté qui la garantit (Cass. com., 4 mai 2017, n° 15-24854 : Bull. civ. IV, n° 65 ; D. 2017, p. 975 ; D. 2017, p. 1941, obs. P.-M. Le Corre ; D. 2017, p. 1996, obs. P. Crocq ; RTD com. 2017, p. 687, obs. A. Martin-Serf ; RTD com. 2017, p. 704, obs. J.-L. Vallens). Le créancier qui ne déclare pas sa créance se trouve donc mieux traité que le créancier qui a mal déclaré sa créance. L’avant-projet de réforme des sûretés dans les procédures collectives propose toutefois de mettre un terme à cette jurisprudence critiquée : le nouvel article L. 624-2 précise que lorsque la déclaration sera irrecevable, la créance sera inopposable.
  • 18.
    Cass. com., 17 juill. 1990, nOS 89-13439, 88-15630 et 89-13138 : Bull. civ. IV, nos 214 et 215 ; D. 1990, p. 494, note A. Honorat ; JCP E 1991, I 46, spéc. n° 11, obs. M. Cabrillac ; JCP E 1991, II 101, note G. Amlon ; RD bancaire et bourse 1990, p. 246, obs. M.-J. Campana et J.-M. Calendini ; D. 1992, p. 11, obs. F. Derrida – Dans le même sens : Cass. com., 30 mars 1993, n° 91-15351 : Bull. civ. IV, n° 124 ; JCP 1993, IV 1430 – Cass. com., 23 juin 1998, n° 96-15731 : RTD com. 1999, p. 502, obs. A. Martin-Serf – Cass. com., 30 mars 1999, n° 96-14644.
  • 19.
    Cass. com., 12 juill. 2011, n° 09-71113 : JCP E 2011, 1628, note N. Disseaux ; Gaz. Pal. 8 oct. 2011, n° I7256, p. 15, obs. P.-M. Le Corre ; JCP E 2012, 1000, spéc. n° 7, obs. P. Pétel.
  • 20.
    Cass. com., 19 févr. 2013, n° 12-21126 : JCP E 2014, 1020, spéc. n° 9, obs. P. Pétel ; Act. proc. coll. 2013, comm. 212, obs. M.-P. Dumont-Lefrand.
  • 21.
    Cass. com., 8 juin 1993, n° 91-13295 : Bull. civ. IV, n° 230 ; JCP G 1993, I 3717, obs. P. Simler ; JCP G 1993, II 22174, note J. Ginestet ; JCP E 1994, II 525, note M. Lecene-Marenaud ; RTD civ. 1994, p. 360, obs. J. Mestre ; BJS sept. 1993, n° 265, p. 911, note M. Jeantin ; Defrénois 30 avr. 1994, n° 35786, p. 577, obs. J.-P. Sénéchal.
  • 22.
    J.-P. Delville, « Les incidences de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif sur le cautionnement », JCP G 1996, 3961, spéc. n° 39 ; B. Soinne, « La clôture de la liquidation judiciaire », Rev. proc. coll. 1993, p. 217, spéc. n° 28, p. 245.
  • 23.
    C. civ., art. 1844-7, 7°.
  • 24.
    L’article 2316 de l’avant-projet d’ordonnance portant réforme du droit des sûretés du 18 décembre 2020 dispose qu’« en cas de pluralité de cautions, celle qui a payé a un recours personnel et un recours subrogatoire contre les autres, chacune pour sa part ».
  • 25.
    C. civ., art. 1317.
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