La très morose rentrée d’Aéroports de Paris
Si le trafic n’a pas repris sa cadence habituelle, les tarmacs des aéroports franciliens retrouvent un peu d’activité. Mais la rentrée est morose pour le groupe, ses quelques usagers et ses salariés qui travaillent encore dans les terminaux.
À Roissy-en-France, on n’entend de moins en moins les oiseaux et le vieux clocher en ruine recommence de nouveau à trembler, chaque fois que le frôle un Boeing 737. Si certains vols restent toujours interdits sauf dérogations spécifiques (comme ceux qui viennent de Chine), le trafic a repris pour et depuis une soixantaine de destinations. Depuis juillet dernier, la majorité des boutiques et des restaurants ont donc rouvert, et le ciel parisien a retrouvé quelques zébrures, avec un trafic quotidien tournant autour des 70 000 passagers à Paris-CDG (seuls les terminaux 2A, 2C, 2F et 2E sont ouverts) et 50 000 à Paris-Orly, selon une source interne. Ce qui correspond peu ou prou aux baisses communiquées en juillet : – 77,6 % de trafic par rapport à l’année dernière.
Si les halls et autres voies de garage reprennent un tout petit peu vie, la situation n’est pas si reposante dans les couloirs des aéroports, ce qui est loin d’inciter au voyage. Certaines destinations imposent des quarantaines obligatoires à l’arrivée (comme le Royaume-Uni), d’autres n’imposent pas de test PCR négatifs (une attestation sur l’honneur suffit, à l’intérieur de l’espace Schengen notamment), mais la situation est chaotique pour celles et ceux qui doivent justifier d’un test PCR négatif datant de moins de 72 h (c’est le cas pour une trentaine de destinations). En effet, il est presque mission impossible de répondre à cette obligation à l’heure où les laboratoires franciliens sont surchargés. Pour remédier à cette situation, ADP a mis en place des procédures de test abritées dans ses aéroports, et un deuxième centre de dépistage va même être mis en place au terminal 2 d’Orly à la fin du mois de septembre pour les Français des DOM-TOM spécifiquement. Il n’en reste pas moins que le délai d’attente des résultats, de 24 h à 48 h au mieux, rend le voyage précaire : aux usagers la charge des nuits d’hôtels ou du rachat du billet, dans le cas où les résultats n’arriveraient pas à temps.
Depuis le 31 mars dernier, date à laquelle Orly a fermé ses portes et où Roissy s’est mis en mode avion, le ciel tarde à se dégager pour ADP.
Une année compliquée voire catastrophique
L’année n’avait pas très bien commencé pour le groupe ADP, quand l’État avait émis la possibilité de le mettre en vente, provoquant un lever de bouclier des parlementaires. Pour les Franciliens comme pour les Français, ADP reste un bien national dont il ne faut se départir. La porte-parole du gouvernement s’était félicitée de la décision de reporter cette privatisation, décision prise en mars dernier à la vieille du krach boursier qui annonçait la crise économique liée au Covid-19. Malgré cette décision salutaire, si l’État a décidé d’apporter son aide aux compagnies aériennes et aux constructeurs, ce n’est pas le cas pour les aéroports privés comme semi-publics, qui se trouvent dès lors dans une situation dramatique.
Les résultats semestriels 2020, communiqués en juillet dernier parlent d’eux-mêmes : baisse de 62,2 % du trafic sur l’année pour Roissy et Orly, chiffre d’affaires en baisse de 46,5 %. Face à ce bilan terrible, Augustin de Romanet, PDG du groupe ADP, s’est fendu d’un communiqué dans lequel il fait le dos rond : « L’EBITDA reste positif à 39 M€ grâce aux premiers effets d’un plan d’optimisation engagé sur l’ensemble du groupe. Le résultat net du groupe s’établit à – 543 M€, du fait notamment d’importantes dépréciations à l’international et dans le secteur des commerces et services, impacté par la crise. Dans ce contexte, la priorité du groupe a été d’assurer la sécurité de ses collaborateurs et de ses clients. À ce titre, il a joué un rôle essentiel dans la gestion de la crise sanitaire. Le groupe ADP a réussi à stabiliser sa situation financière ».
Quel atterrissage ?
Le PDG ne se laisse donc pas abattre et indique même au contraire que le groupe continue de parier sur l’avenir et a conclu une prise de participation dans le groupe aéroportuaire indien GMR Airports. « C’est la première fois depuis 50 ans que le trafic aérien connaît un à-coup aussi brutal et il est avéré que le rétablissement sera très progressif : un retour au niveau de trafic de 2019 à Paris est anticipé entre 2024 et 2027. Cette crise comporte des effets économiques structurels sur le transport aérien avec une menace sanitaire persistante. Dans ce nouvel environnement opérationnel et financier, le groupe ADP va revoir ses orientations stratégiques afin de redonner à l’entreprise la capacité de renouer avec une croissance rentable et durable », peut-on lire dans le communiqué.
Une promesse de stabilité qui laisse de marbre les salariés qui accusent le coup. Le groupe a entamé un bras-de-fer avec les syndicats dès le 26 août dernier et le 1er septembre 2020, ADP a annoncé le licenciement de 700 personnes, soit 10 % de ses effectifs. Une décision qui fait craindre à la CGT, dans un communiqué publié le 9 septembre dernier, qu’à terme ADP ne compte plus aucun salarié de plus de 58 ans, « une situation discriminatoire », s’alarme le syndicat. De son côté Laurent Garssine, secrétaire général de l’UNSA Aéroports de Paris, déplore à nos confrères du Parisien : « On demande aux salariés qui resteraient dans l’entreprise un effort financier à hauteur de 59 M€ par an. Cela a été violent comme annonce ». Le ciel francilien d’automne s’annonce donc plus chargé de colère que d’avions…