Le coup d’accordéon

Publié le 08/09/2021
Accordéon
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S’il est possible de soulever une QPC à propos de l’interprétation constante que la Cour de cassation fait d’un texte, il n’existe pas de jurisprudence constante selon laquelle l’article 1382, devenu 1240, du Code civil serait interprété comme impliquant qu’un actionnaire majoritaire puisse valablement décider, au cours d’une même assemblée générale extraordinaire, une réduction du capital à zéro et une émission de nouveaux titres de capitaux dont la souscription lui serait réservée, sous la seule condition qu’une telle opération serait nécessaire à la survie de la société.

Cass. com., 9 juin 2021, no 20-22246

Le coup d’accordéon1 peut être défini comme une opération ayant pour objet une baisse, souvent jusqu’à zéro, du capital, suivie d’une augmentation de ce dernier. Motivé par la volonté d’assurer le redressement de la société, il permet dans un premier temps de faire disparaître les pertes comptables du bilan par leur imputation sur le capital et de procéder, dans un second temps, à une recapitalisation grâce, dans la pratique, à l’apport d’argent frais par un nouvel investisseur. Cette opération produit des effets sur les associés en place lors de sa réalisation, notamment sur les minoritaires qui, selon le cas, se trouvent évincés de certains de leurs titres, de la valeur nominale de ceux-ci, ou de la société dans l’hypothèse d’une réduction du capital à zéro. La question se pose alors de leur protection, laquelle semble devoir être mise en balance avec l’intérêt de la société dont la survie peut dépendre de l’opération. La Cour de cassation, recherchant le point d’équilibre entre ces intérêts, a accepté que la pérennité de la société puisse justifier la réduction du capital à zéro, sous la condition suspensive d’une augmentation2, le droit préférentiel de souscription pouvant être supprimé au profit d’un investisseur disposé à recapitaliser la société3. Dans un contexte de pénétration du droit des affaires par les droits fondamentaux4, on ne s’étonnera pas de voir des minoritaires se plaindre de l’atteinte portée à leur droit de propriété.

Dans l’affaire rapportée, l’augmentation de capital avait été réservée à l’actionnaire majoritaire entré dans une société en cessation de paiement après une offre d’investissement qui avait permis la mise en place d’un plan de continuation. Le coup d’accordéon avait entraîné la diminution de la participation de 20 à 0,01 % du capital, participation détenue par un minoritaire, ce qui l’avait conduit à solliciter l’annulation de l’opération et la réparation du préjudice qu’il prétendait avoir subi. En particulier se plaignait-il d’un abus de majorité en soutenant que le coup d’accordéon avait eu pour seul objectif de diluer la participation des minoritaires au seul profit de ce majoritaire. La cour d’appel de Besançon avait rejeté ce grief en considérant que la société avait subi d’importantes pertes et que, dans ces conditions, la réduction du capital constituait une mesure d’assainissement financier justifiée, tout comme l’augmentation qui s’était avérée nécessaire à la survie de la société5.

C’est dans ce contexte que l’actionnaire minoritaire avait sollicité de la Cour de cassation la transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité rédigée dans les termes suivants : « L’interprétation constante de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil, par la Cour de cassation selon laquelle un actionnaire majoritaire peut valablement décider au cours d’une même assemblée générale extraordinaire une diminution du capital à zéro et une libération de nouveaux titres de capital qui lui sont réservés, dès lors qu’un tel coup d’accordéon est nécessaire à la survie de la société, est-elle conforme à l’article 17 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, lorsqu’il en résulte qu’un actionnaire minoritaire est privé de sa propriété sans juste et préalable indemnité ? ». La haute juridiction refuse la recevabilité de cette QPC en considérant qu’il n’existe pas de jurisprudence constante au terme de laquelle un actionnaire majoritaire pourrait décider d’un coup d’accordéon sous la seule condition que celui-ci soit nécessaire à la survie de la société.

Sans doute cette situation peut-elle justifier les sacrifices imposés aux minoritaires, et son absence révéler une fraude conduisant à l’annulation de l’opération6. Pour autant, la survie de la société ne saurait autoriser tous les comportements et notamment écarter toute responsabilité des majoritaires. Ainsi, la chambre commerciale a-t-elle jugé que constituaient un abus de majorité les réductions et augmentations imposées par un actionnaire ayant précédemment pris le contrôle de la société, dès lors que ce coup d’accordéon n’avait pas eu pour unique objectif de permettre une recapitalisation, mais avait également permis la disparition des titres d’un minoritaire, rendant ainsi caduque la promesse unilatérale d’achat dont ce dernier était bénéficiaire à l’égard du nouveau majoritaire7.

On ajoutera que la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser sa position à propos de la conformité de l’opération au regard du droit de propriété dont l’associé pouvait se trouver privé à la suite de la réduction du capital à zéro. Sans doute, la possibilité d’exercer son droit préférentiel de souscription permet-elle d’écarter tout grief en offrant à son titulaire la possibilité de participer à l’augmentation de capital ; pour autant, ce droit n’est légalement prévu que dans le cadre des sociétés par actions (C. com., art L. 225-132) et peut faire l’objet d’une renonciation. En particulier, l’article L. 225-138 du Code de commerce autorise-t-il l’assemblée générale extraordinaire à supprimer le droit préférentiel de souscription pour réserver une augmentation de capital à une ou plusieurs personnes nommément désignées. La haute juridiction n’y voit pas pour autant une atteinte au droit de propriété : elle considère que la diminution du capital à zéro, sans possibilité d’exercer un droit préférentiel écarté par l’assemblée générale extraordinaire, sanctionne l’obligation de l’actionnaire de contribuer aux pertes sociales dans la limite de son apport8.

L’acceptation des pertes qui caractérise la situation de l’associé permet donc de justifier « son éviction » de la société sans qu’on puisse y voir une contrariété au droit de propriété jusque-là détenu sur ses titres.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Pour une étude complète de la question : S. Sylvestre-Touvin, Le coup d’accordéon ou les vicissitudes du capital, P. Le Cannu (préf.), 2003, PUAM.
  • 2.
    Cass. com., 17 mai 1994, n° 91-21364 : Bull. civ. IV, n° 183 ; BJS juill. 1994, n° 219, p. 816, note J.-J. Daigre ; Defrénois 15 août 1994, n° 35881, p. 1035 et s., obs. H. Hovasse.
  • 3.
    V. G. Grundeler, « Le point sur la validité des coups d’accordéons », Dr. sociétés 2011, alerte 36.
  • 4.
    V. notre article, « Droits fondamentaux : quelle place pour l’entreprise ? », Horizons du droit avr. 2021, p. 23.
  • 5.
    CA Besançon, 1re ch. civ. et com., 6 oct. 2020, n° 18/01546.
  • 6.
    Cass. com., 11 janv. 2017, n° 14-27052 : Gaz. Pal. 20 juin 2017, n° 297s8, p. 77, note J.-M. Moulin ; BJS juin 2017, n° 116k2, p. 379, note S. Sylvestre ; Dr. sociétés 2017, comm. 62, obs. C. Coupet ; JCP E 2017, 1194, n° 15, note R. Mortier ; Rev. sociétés 2017, p. 294, note D. Schmidt – Cass. com., 7 mai 2019, n° 17-18785 : Gaz. Pal. 24 sept. 2019, n° 359u0, p. 44, note M. Stoclet ; BJS sept. 2019, n° 119z1, p. 29, note P.-L. Périn ; Dr. sociétés 2019, comm. 142, obs. R. Mortier.
  • 7.
    Cass. com., 28 févr. 2006, n° 04-17566 : Dr. sociétés 2006, comm. 75, note H. Hovasse (notons que cet auteur, dans son commentaire, critique la référence à l’abus de majorité puisque, selon une position constante depuis l’arrêt de la chambre commerciale en date du 18 avril 1961, celui-ci implique une décision « contraire à l’intérêt social » dans l’unique dessein de « favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires ». Comme le fait fort justement remarquer M. Hovasse, le coup d’accordéon était ici justifié par la situation de la société, l’auteur en concluant qu’il aurait été plus opportun de sanctionner cette décision sur la base de la fraude), RDC juill. 2006, p. 798, note F.-X. Lucas.
  • 8.
    Cass. com., 18 juin 2002, n° 99-11999 : Bull. civ. IV, n° 108 ; BJS nov. 2002, n° 259, p. 1221, note S. Sylvestre et BJB nov. 2002, n° 102, p. 621, note S. Sylvestre ; RD bancaire et fin. 2002, comm. 207, obs. A. Couret.
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