Le train Perpignan-Rungis sera-t-il remis sur les rails ?
En juillet 2019, le « train des primeurs » reliant Perpignan à Rungis a été supprimé. Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui plaident en faveur de son rétablissement.
Depuis 1986, c’était un ballet quotidien bien coordonné. Tous les soirs, jusqu’à trois fois par nuit, les 80 wagons réfrigérés du « train des primeurs », comme il était surnommé, chargeait plus de 1 200 tonnes de légumes et fruits du soleil en provenance du marché Saint-Charles de Perpignan, traversait la France et déchargeait sa cargaison directement sur les quais de Rungis. Le premier marché de France bénéficiait donc d’un système économiquement et écologiquement fiable pour vendre toute l’année la production maraîchère du Sud de la France.
En juillet 2019, la SNCF met un coup d’arrêt à ce système. Pourquoi ? Pour des raisons de rentabilité – à l’heure où la privatisation de la SNCF est chose actée – et tenant également à la vétusté des wagons, vieux de 40 ans, dont le remplacement coûterait de 20 à 30 Md€, ce à quoi s’ajoute le fait que le train circulait à vide (ou presque) pour le trajet retour. Quand le contrat entre le fret de la SNCF et les exploitants des quais a pris fin en juin 2019, le train est ainsi mis à l’arrêt. Les wagons sont stockés à la gare de triage de Nîmes, dans le Gard, une « gare cimetière » comme l’appellent les cheminots.
Résultat : un bal de camions réfrigérés a pris la suite du convoi. La CGT, opposée à la fermeture de la ligne, a fait ses calculs : l’arrêt du train a propulsé 25 000 camions sur les routes. « C’est une aberration écologique. Il vaut mieux un train que tous ces camions sur les routes », plaide à l’époque Jean-Christophe Sellin, conseiller régional d’Occitanie. « Il faut construire l’écologie avec des entreprises publiques fortes. On ne comprend pas ce gâchis », ajoute-t-il.
De son côté, la députée du Val-de-Marne, Mathilde Panot, déplorait également cette fermeture : « La fin du train des primeurs est une volonté politique. Jean-Baptiste Djebbari (alors député LREM et membre de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire) avait dit qu’il allait prendre des mesures pour faire repartir le train. Cela pose un problème écologique et un problème social, en termes d’emploi, c’est une aberration économique ».
Une solution intermédiaire, qui n’a pas su convaincre
En réaction à cette décision brutale, le collectif Sauvons le Perpignan-Rungis s’est créé. Son cofondateur, le cheminot Thomas Portes, a exprimé sa colère à notre consœur de Bastamag : « La SNCF et le gouvernement se renvoient la balle. Ils n’ont rien fait depuis des années pour rénover et personne ne veut payer aujourd’hui. Politiquement, ils ne peuvent assumer de supprimer un train et de le remplacer par des milliers de camions. C’est 44 tonnes de CO2 supplémentaires dans l’air à chaque convoi de camions qui remplacent le train. Si on veut lutter contre le réchauffement climatique, il faut refaire circuler ce train le plus rapidement possible ! ».
Face à ce tollé, la ministre de l’Écologie de l’époque, Élisabeth Borne, annonce alors un double objectif : un projet ambitieux d’autoroute ferroviaire reliant Barcelone à Paris pour 2022 et la réouverture de la ligne Perpignan-Rungis pour novembre 2019, avec une modification de trajet et pas des moindres ! Le terminus évolue : en lieu et place des quais de Rungis, qui ont fait l’objet de travaux de réaménagements en 2008-2009 pour 20 Md€, le train arrivait à la plateforme multimodale de Valenton, à 45 minutes de là. Une contrainte supplémentaire pour les clients. Le résultat ne se fait pas attendre : face à cet imbroglio, la SNCF fait circuler le train à vide pendant l’été, et ne reprend finalement pas la route en novembre… à cause d’une tempête. Une situation digne d’un « vaudeville », selon le cheminot CGT, Mickaël Meusnier, qui s’est exprimé au micro de de l’Indépendant. « Le train devait initialement disparaître au 30 juin. Mais l’État a finalement décidé de le faire circuler jusqu’à la mi-juillet, allant même jusqu’à le faire rouler à vide pendant une semaine… Début septembre, on nous annonce la remise en circulation pour novembre. Mais celle-ci est finalement reportée sous prétexte que la tempête a abîmé des voies que ce train n’a jamais empruntées, du côté de Béziers ! ».
Une réouverture pour 2021 ?
Dès les premiers jours de son mandat, le Premier ministre, Jean Castex, également élu municipal à Prades dans les Pyrénées-Orientales, place le fret ferroviaire dans ses chantiers d’urgence. En juillet dernier, il se rend à Bonneuil-sur-Marne et se penche sur l’avenir du Perpignan-Rungis arrêté un an auparavant : « Vous avez devant vous un Premier ministre qui a été meurtri par l’affaire du Perpignan-Rungis, le train des primeurs ». Il a également annoncé que le gouvernement avait la « ferme intention de rouvrir et développer les autoroutes ferroviaires », y compris la ligne spéciale entre Perpignan et Rungis et celle entre Calais et Turin.
Le 16 octobre dernier, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, s’est rendue de nouveau au marché de Rungis pour confirmer l’engagement de son chef de gouvernement. Alors que Stéphane Layani, le directeur du marché de Rungis rappelait combien l’annonce du retour du train pour l’été 2021 était capitale, la ministre a confirmé – sans trop s’avancer – ce calendrier. « C’est un objectif qui me paraît atteignable à ce stade mais je n’irai pas beaucoup plus loin pour l’instant », a-t-elle répondu, « hésitante », en raison de l’évolution incessante de la situation économique liée à l’épidémie de Covid-19. « L’État s’est engagé pour que cette ligne puisse revivre. Ce ne sont pas des paroles en l’air », a néanmoins rassuré Barbara Pompili.
Le directeur Stéphane Layani se veut pourtant optimiste car il travaille en collaboration avec l’autre côté du terminus : « On a un groupe de travail avec la région Occitanie. On réfléchit à un appel à une manifestation d’intérêt pour voir comment on peut rétablir la ligne Perpignan-Rungis de façon efficace, utile et rentable », a détaillé Stéphane Layani. De son côté, la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, a dévoilé le 20 octobre dernier au président de la SNCF, un plan rail de plus de 800 Md€ pour les dix prochaines années, avec au programme la relance « rapide » de la ligne de fret Perpignan-Rungis.