Les absents ont toujours tort
Dans une décision du 28 février dernier, la Commission des sanctions de l’AMF a infligé de lourdes amendes comprises entre 600 000 et un million d’euros aux auteurs d’un manquement d’initié à l’occasion d’une opération boursière sur le Club Méditerranée. Les mis en cause ont eu le tort de ne pas du tout coopérer avec la Commission ni même de se faire représenter lors de la séance.
Il arrive que certaines personnes n’estiment pas utile d’être présentes ou représentées lors d’une séance de la Commission des sanctions de l’AMF où elles sont mises en cause. La décision rendue le 28 février dernier montre que c’est une très mauvaise idée, à plus d’un titre.
L’affaire remonte à 2013. À cette époque-là, la société Club Méditerranée est inscrite au compartiment B d’Euronext Paris ; sa capitalisation boursière s’élève à 558 millions d’euros. Le 27 mai 2013, les deux principaux actionnaires de Club Med, une société d’investissement chinoise dénommée Fosun et Axa Private Equity, annoncent leur intention de déposer conjointement avec le management de Club Med un projet d’offre publique d’achat (OPA) sur les titres de la société, par l’intermédiaire de leur holding commune, Gaillon Invest, au prix de 17 euros par action et de 19,23 euros par obligation convertible échangeable en action nouvelle ou existante (OCEANE). Ce projet d’offre a été déposé auprès de l’AMF le 30 mai 2013, pour un prix unitaire relevé le 24 juin 2013 à 17,50 euros par action et 19,79 euros par OCEANE. À la suite du recours exercé contre la décision de conformité de l’AMF en date du 15 juillet 2013, ainsi que du dépôt de plusieurs contre-offres entre le 30 juin 2014 et le 2 janvier 2015, l’OPA de Gaillon Invest sur les titres Club Med a été clôturée le 5 mars 2015. Au terme de cette opération, Gaillon Invest détenait de concert 98,29 % du capital et 96,40 % des droits de vote de Club Med.
Manquement d’initié
Au cours de la période précédant l’annonce de l’OPA en date du 27 mai 2013, la direction de la surveillance des marchés de l’AMF a identifié plusieurs opérations suspectes sur le titre, de sorte que le secrétaire général a décidé d’ouvrir une enquête le 6 août 2013. En lien avec l’autorité boursière de Hong-Kong, la Securities and Futures Commission, l’AMF identifie dans un premier temps la société FWI et son dirigeant Guoliang Yao en 2015. Deux ans plus tard, elle adresse deux lettres circonstanciées, à la société et à son dirigeant, ainsi qu’à une troisième personne, Yan Lin. Les notifications de griefs leur sont adressées en décembre. L’AMF estime que l’information sur l’offre était privilégiée au plus tard le 10 avril 2013. Or elle reproche à la société FWI, d’avoir acquis à l’initiative de son directeur général, Guoliang Yao, les 29, 30 avril et 2 mai 2013, 70 000 actions Club Med à un cours moyen de 12,89 euros. FWI a cédé l’intégralité de ses titres le jour de l’annonce de l’OPA sur Club Med, soit le 27 mai 2013, à un cours moyen de 17,01 euros, ce qui lui a permis de réaliser une plus-value de 285 995 euros. Le dirigeant lui-même est accusé d’avoir acquis à titre personnel entre le 29 avril et le 7 mai 2013, 79 387 actions Club Med à un cours moyen de 12,96 euros. M. Yao a cédé tous ses titres le jour de l’annonce de l’OPA à un cours moyen de 17,02 euros, occasionnant une plus-value de 323 941 euros. Enfin, Yan Lin se voit reproché d’avoir obtenu l’information en qualité de directrice financière d’une filiale de Fosun, l’un des initiateurs et de l’avoir transmise à Guoliang Yao. Elle a acheté entre le 3 et le 22 mai 2013, 51 800 titres Club Med au cours moyen de 13,21 euros titres. Puis, elle a cédé la totalité de ses titres le jour de l’annonce de l’OPA à un cours moyen de 17,01 euros, engendrant ainsi une plus-value 196 095 d’euros.
Compte spécifique et caractère atypique de l’investissement
La Commission commence par analyser le caractère privilégié de l’information, ce qui n’appelle pas de commentaires particuliers. S’agissant de Yan Lin, elle relève un faisceau d’indices graves et concordants, permettant de présumer qu’elle détenait l’information et que c’est en considération de celle-ci qu’elle a investie. La décision en donne la liste suivante : « l’ouverture d’un compte spécifique pour acquérir les actions Club Med ; le caractère atypique des acquisitions au regard des habitudes d’investissement de Mme Lin ; les relations professionnelles existantes entre Mme Lin et, d’une part, Fosun, une des initiatrices de l’OPA, et, d’autre part, M. Yao, qui a investi opportunément sur le titre Club Med durant la même période ; et, enfin, le caractère peu convaincant des explications avancées par Mme Lin pour justifier ses acquisitions intervenues à un moment opportun ». Pour l’AMF, c’est elle qui a obtenu l’information. Reste à savoir comment. L’intéressée lors de son audition a indiqué qu’elle était à cette époque vice-présidente et directrice financière de la société chinoise de services financiers Tebon, qui comptait parmi ses actionnaires de contrôle Fosun. Pour l’AMF, c’est « un circuit plausible de transmission de l’information privilégiée ». Il se trouve également que Yan Lin connaissait Guoliang Yao car ils étaient cadres dans la même entreprise en 2008. L’enquête n’a pu démontrer cependant l’existence de contacts entre les personnes censées s’être communiqué l’information.
S’agissant de Guoliang Yao et de sa société, ce dernier a indiqué se rendre régulièrement en vacances au Club Méditerranée et donc bien connaître son modèle économique. Par ailleurs, à cette époque, Club Méditerranée renforçait sa présence en Chine. L’argument n’a pas convaincu l’AMF pas plus que le fait que les analystes aient recommandé à l’époque de se positionner sur le titre. La décision retient surtout que les deux personnes se connaissaient et qu’elles ont investi opportunément de manière atypique. « La spécificité de cette décision apparaît quand on a assisté à la séance, analyse Jean-Philippe Pons-Henry. Celle-ci s’est résumée en un échange entre le représentant du collège et la Commission puisque les mis en cause n’étaient ni présents ni représentés. Très logiquement, la Commission a suivi la seule position qui lui était présentée. On peut imaginer aussi qu’elle a peu goûté le fait que les intéressés ne daignent pas se déplacer ni même ne mandatent un avocat ».
Faisceau d’indices ou d’hypothèses ?
L’analyse du faisceau d’indices en effet interroge. Et en particulier l’un de ses éléments le plus essentiel qui est le circuit de transmission de l’information. « Que les transactions soient atypiques au regard de la stratégie habituelle d’investissement du mis en cause et réalisées dans un timing opportun ne suffit pas à condamner, et heureusement. Il faut également que l’existence d’un circuit ou d’un contact ayant permis la transmission de l’information soit plausible. Or l’accusation a ici objectivement eu du mal à démontrer l’existence de contacts entre les deux mis en cause, M. Yao ayant même investi avant celle qui est censée lui avoir transmis l’information… et entre l’un d’entre eux et la possible source de l’information. Le rapporteur avait même recommandé la mise hors de cause », observe ce spécialiste. Lors de la séance, le président de la Commission a d’ailleurs souligné la différence entre un faisceau d’indices et un faisceau d’hypothèses.
L’absence de coopération alourdit la sanction
Malgré tout, la sanction est tombée. La Commission a prononcé exactement les amendes que le collège avait réclamées en séance : 600 000 euros à Yan Lin pour une plus-value de 195 096 euros, un million à Guoliang Yao (323 941 de plus-value) et 800 000 euros à sa société (285 995 de plus-value). Reste à savoir si le Trésor, en charge de l’exécution de la décision, parviendra à récupérer ces sommes… La leçon de cette affaire, c’est qu’il vaut mieux se présenter à la séance de sanction ou à tout le moins s’y faire représenter. À défaut, la Commission ne dispose que d’une seule analyse, ce qui peut déséquilibrer son raisonnement. À cela s’ajoute l’irritation légitime suscitée par l’absence des intéressés. Elle le relève expressément au titre du calcul de la sanction dans les termes suivants : « Il sera tenu compte, en outre, de l’absence de coopération de Mme Lin qui n’a produit aucune observation écrite et ne s’est présentée ni devant le rapporteur de la Commission des sanctions ni à la séance de la Commission des sanctions. Enfin, aucun justificatif de ses ressources ou de son patrimoine ne figure au dossier ». Le même reproche est fait à Guoliang Yao. Reste à savoir si le Trésor public, en charge de recouvrer les sommes, parviendra à les récupérer effectivement…