Propos introductifs

Publié le 31/07/2018

« La société constituant une technique d’organisation de l’entreprise entendue comme une activité économique, il est possible d’affirmer plus largement que la fonction du droit des sociétés est de favoriser l’exercice d’une activité »1. Le droit des sociétés encadre le fonctionnement de cette technique d’organisation. Le droit des entreprises en difficulté, outil de gestion de crise, poursuit le but affiché de la sauvegarde de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif.

La confrontation de la société et de l’entreprise en difficulté peut être abordée sous différents aspects. D’abord, on peut mettre en opposition l’entreprise in bonis et l’entreprise en difficulté. Quel critère économique caractérise la transition de l’une à l’autre ? La différence entre l’entreprise in bonis et l’entreprise en difficulté résiderait dans la cessation des paiements. Le droit des procédures collectives a emprunté à la comptabilité la définition de la cessation des paiements. Dès lors, celle-ci réside dans l’impossibilité pour une entreprise de faire face au passif exigible avec l’actif disponible2. La seule comparaison entre ces deux valeurs permettrait de dire d’une entreprise si elle est ou pas susceptible d’être confrontée à procédure collective3. Mais cette notion de cessation des paiements, autrefois véritable critère de l’entreprise en difficulté, voit son territoire réduit à une peau de chagrin pour ne concerner que la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Désormais, le législateur, les pouvoirs publics favorisent, incitent à une démarche d’anticipation de la cessation des paiements, de prévention de la cessation des paiements de l’entreprise pour une prise en charge rapide et plus efficace.

Cette confrontation entre la société et l’entreprise en difficulté peut ensuite être envisagée à travers l’activité professionnelle concernée par la procédure collective. Indépendamment des activités commerciales, artisanales et agricoles, le droit des procédures collectives vise également depuis la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005, modifiée par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, toute activité professionnelle indépendante, y compris désormais les professions libérales soumises à un statut législatif, réglementaire ou dont le titre est protégé. Dans l’arrêt du 7 novembre 20004, la haute juridiction a reconnu que le professionnel libéral a un fonds libéral. Cette reconnaissance a participé du mouvement qui a permis l’extension du champ d’application du droit des entreprises en difficulté. L’activité libérale peut être exercée à titre individuel ou sous la forme sociétaire. Le travail exercé en toute indépendance, la déontologie qui préside à l’exercice de l’activité implique que l’activité libérale soit dotée de structures sociétaires particulières. Quel impact peut avoir l’ouverture d’une procédure collective sur une structure sociétaire libérale5 ? Forcément, la confrontation des professions libérales, de leur mode d’exercice avec le droit des entreprises en difficulté va faire émerger des spécificités.

La confrontation de la société et de l’entreprise en difficulté procède d’une relation quelque peu ambivalente essentiellement due aux dispositions qui les régissent respectivement. Une suprématie relative du droit des entreprises en difficulté se dessine, bouleversant les fondements du droit des sociétés. Ainsi l’associé, élément-clé du droit des sociétés, est éclipsé. À cet égard, la doctrine n’hésite pas à parler de lui comme un parent pauvre de la procédure collective au profit d’autres parties prenantes du droit des entreprises en difficulté. Dans le droit des sociétés, l’associé a un droit à l’information préalable et corrélé à toute assemblée générale. Ce droit fait partie de la multitude des droits qui viennent garantir son statut. Mais ce droit à l’information, lorsque l’entreprise est en difficulté est-il toujours effectif ? Un certain réalisme et pragmatisme incitent à penser que l’associé, qui a investi dans la société, soit informé derechef des difficultés de l’entreprise. Mais cette information peut entrer en conflit avec la nécessaire confidentialité des affaires si essentielle à la sauvegarde du crédit, de l’image, de la solvabilité de l’entreprise6.

À côté de ce droit à l’information, ordinairement, l’associé dispose d’un droit de vote qui s’exprime dans les assemblées et lui permet d’exercer un contrôle sans nul pareil. Ce droit de vote peut-il s’exercer de manière absolue lorsque l’entreprise est en difficulté ? N’y a-t-il pas un risque de confrontation entre des intérêts égoïstes et des intérêts plus nobles de sauvegarde et de maintien de l’emploi7 ?

Face aux difficultés de la société, l’associé peut vouloir se retirer. La rupture du lien qui l’unit à la société est-elle possible et ne risque-t-elle pas de bouleverser l’équilibre précaire de la société8 ?

Le dirigeant, représentant légal de la société, subit lui aussi les assauts du droit des entreprises en difficulté. Ordinairement doté des pouvoirs les plus étendus pour agir au nom et pour le compte de la société, il doit les partager dans les procédures collectives avec d’autres organes. La liberté du dirigeant de disposer librement de ses droits sociaux est aussi altérée lorsque l’entreprise est en difficulté9, en particulier celle de céder ses droits sociaux. Corrélativement la sauvegarde de l’entreprise peut justifier une cession forcée des droits du dirigeant. Le statut primaire du dirigeant défini par le droit des sociétés vient se superposer au statut complémentaire du dirigeant dont les contours sont précisés par le droit des entreprises en difficulté10.

Chacune des procédures collectives a une issue définie par la loi. La liquidation judiciaire, qui est essentiellement une procédure d’apurement du passif, connaît un cas de clôture pour insuffisance d’actif dont les conditions et les effets sont précisés légalement11.

Les responsabilités issues du droit des sociétés sont écartées au détriment de responsabilités plus spécifiques du droit des procédures collectives12. Ainsi, le non-cumul des actions en responsabilité du droit des sociétés, avec l’action en insuffisance d’actif, est de principe depuis quelque temps. Des raisons diverses et variées expliquent ce choix. L’ambivalence de la dialectique qui gouverne la société et l’entreprise en difficulté peut compliquer leurs relations. Il en est ainsi lorsque l’attention se porte sur la situation du droit pénal des sociétés mis en concurrence avec le droit pénal des entreprises en difficulté13.

Le droit des entreprises en difficulté instrumentalise le droit des sociétés afin de servir ses intérêts, parfois en orientant des figures emblématiques du droit des sociétés, souvent en détournant des règles du droit des sociétés pour satisfaire ces impératifs. C’est ce que la présente étude collective va tenter de démontrer.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Couturier G., Bibliothèque de droit des entreprises en difficulté : Droit des sociétés et droit des entreprises en difficulté, préface de Haehl J.-P., t. 2, 2013, LGDJ-Lextenso éditions, n° 3.
  • 2.
    C. com., art. L.631-1.
  • 3.
    Gibirila D., « La notion de cessation des paiements, critère de distinction entre société in bonis et entreprise en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135d4, p. 5.
  • 4.
    Cass. 1re civ., 7 nov. 2000, n° 98-17731, « Si la cession de la clientèle médicale, à l’occasion de la constitution ou de la cession d’un fonds libéral d’exercice de la profession, n’est pas illicite, c’est à la condition que soit sauvegardée la liberté de choix du patient. À cet égard, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain qu’une cour d’appel retient qu’en l’espèce la liberté de choix du patient n’a pas été respectée ».
  • 5.
    Brignon B., « Professions libérales et droit des entreprises en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135d7, p. 21.
  • 6.
    Rakotovahiny M., « L’information des associés d’une entreprise en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135d8, p. 24.
  • 7.
    Cerati-Gauthier A., « Droit de vote de l’associé : des atteintes mesurées », LPA 31 juill. 2018, n° 135d6, p. 16.
  • 8.
    Lebel C., « Le départ de l’associé d’une société en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135d9, p. 29.
  • 9.
    Maury F., « Incessibilité, cession forcée : les droits sociaux du dirigeant de société à l’épreuve du droit des entreprises en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135e0, p. 35.
  • 10.
    Favario T., « Le dirigeant de la société en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135e1, p. 40.
  • 11.
    Zio M., « La clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif », LPA 31 juill. 2018, n° 135e4, p. 58.
  • 12.
    Jambort S., « Que reste-t-il du non-cumul de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif et des actions en responsabilité du droit des sociétés ? », LPA 31 juill. 2018, n° 135e2, p. 45.
  • 13.
    Sordino M.-C., « Les relations complexes entre le droit pénal des sociétés commerciales et le droit pénal des entreprises en difficulté », LPA 31 juill. 2018, n° 135e3, p. 50.
LPA 31 Juil. 2018, n° 135d3, p.3

Référence : LPA 31 Juil. 2018, n° 135d3, p.3

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