Quelle est la nature juridique de la relation liant l’influenceur et l’annonceur ?

Publié le 22/10/2024
Quelle est la nature juridique de la relation liant l’influenceur et l’annonceur ?
Алина Бузунова/AdobeStock

L’émergence des influenceurs a sonné le glas des publicités traditionnelles. Le pouvoir de suggestion des influenceurs est prisé par les marques qui souhaitent atteindre, à moindre coût financier ou au moyen d’une rétribution en nature, un public spécifique, tout en augmentant leur exposition médiatique. Si la loi du 9 juin 2023 a offert une définition à l’influenceur et a encadré leurs pratiques, elle n’a pas pour autant levé les interrogations des praticiens quant à la nature juridique de la relation liant l’influenceur et l’annonceur (la marque). À ce jour, seule la cour d’appel de Paris s’est prononcée sur le lien entre un influenceur et son agence et n’a pas reconnu l’existence d’un contrat de travail. Rappelons toutefois qu’au cours des dernières années les juridictions françaises ont reconnu l’existence d’une relation de travail entre les livreurs et certaines plateformes de livraison, entre les participants d’émissions de téléréalité et des sociétés de production ou encore entre des sportifs professionnels et leurs sponsors.

Instagram, YouTube, TikTok, Facebook, X (ex-Twitter), etc. Les nouveaux espaces de partage digitalisé ont fait naître et grandir ces véritables leaders d’opinion et partenaires commerciaux privilégiés qui se démarquent par leur image, leur notoriété, la relation privilégiée qu’ils entretiennent avec leurs abonnés, fondée sur la confiance et la capacité de ceux-ci à s’identifier. Le pouvoir de suggestion des influenceurs est prisé par les marques qui souhaitent atteindre, à moindre coût financier ou au moyen d’une rétribution en nature, un public spécifique, tout en augmentant leur exposition médiatique.

Pour encadrer leur influence commerciale et lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, le législateur a entendu définir l’activité, ses acteurs, ses règles et son organisation, par la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023.

La loi a offert une définition légale à l’influenceur (art. 1er) et à l’agent d’influenceur (art. 7) et impose de nouvelles exigences de conformité, notamment l’obligation pour les influenceurs de mentionner de façon claire le caractère publicitaire de leur publication. En pratique, cela se traduit par la mention sur les publications des influenceurs de l’existence d’un « partenariat commercial » ou la précision qu’il s’agit d’un « produit offert ».

Si la loi impose dorénavant la conclusion d’un contrat écrit, elle n’a pas pour autant levé les interrogations des praticiens quant à la nature juridique de la relation liant l’influenceur et l’annonceur (la marque) et/ou l’agence d’influenceur.

S’agit-il d’un lien de subordination (impliquant la signature d’un contrat de travail) ? D’une relation entre prestataires indépendants (encadrée par un contrat de prestation de services) ?

La doctrine s’est interrogée sur la possibilité de faire un parallèle entre l’influenceur et le mannequin ou l’artiste-interprète. Certains auteurs considèrent en effet que l’influenceur réalise une prestation de travail visant à promouvoir un produit contre rémunération, ce qui laisse présumer l’application du droit du travail, et notamment lorsque :

• la marque définit le rôle joué par l’influenceur/la manière de participer au tournage d’une vidéo organisée par la marque et prévoit la diffusion de la vidéo sur les réseaux sociaux de l’influenceur. Il pourrait alors s’agir d’un contrat de comédien ou d’artiste interprète qui contribue à l’image de marque de l’entreprise, même si l’aspect promotionnel des produits apparaît au second plan ;

• l’exploitation de l’image de l’influenceur est au cœur de la promotion du produit/l’influenceur devra effectuer des séances de prise de vue organisées par la marque. Il pourrait alors s’agir d’un contrat de mannequin peu important la notoriété ou l’âge de l’influenceur, que l’activité soit exercée à titre occasionnel ou soit l’accessoire à une autre profession.

Rappelons qu’en cas de litige les juges ne sont pas tenus par les termes du contrat liant les parties, mais apprécient l’existence d’un lien de subordination en fonction des modalités d’application in concreto de la relation de travail.

C’est ainsi que les juridictions françaises ont reconnu ces dernières années l’existence d’une relation de travail entre les livreurs et certaines plateformes de livraison1, entre les participants d’émissions de téléréalité et des sociétés de production2 ou encore entre des sportifs professionnels et leurs sponsors3.

Dans le cas des émissions de téléréalité, les juges ont constaté l’existence d’un pouvoir de sanction, une participation imposée aux activités, l’obligation pour les participants de se conformer aux choix de mise en scène de la production (notamment des vêtements) pour reconnaître l’existence d’une relation de travail. Les juges ont ainsi conclu que les participants exerçaient « une prestation pendant un temps et dans un lieu sans rapport avec le déroulement habituel de leur vie personnelle, prenaient part à des activités imposées et exprimaient des réactions attendues, ce qui la distingue du seul enregistrement de leur vie quotidienne ».

Pour les sportifs et leurs sponsors, la Cour de cassation a considéré, sans même s’attarder sur le pouvoir de direction que l’athlète chargé de la présentation directe au public d’un produit, à l’occasion de diverses manifestations et notamment d’exhibitions sportives, avec ou sans compétition, exerçait une activité de mannequin, entrant dans le champ d’application de la présomption de salariat.

En cas de reconnaissance de l’existence d’un contrat de travail, les conséquences sont lourdes pour le bénéficiaire de la prestation : outre le paiement d’indemnités de rupture et de rappel de salaire, celui-ci s’expose à une condamnation pour travail dissimulé et un redressement URSSAF sur les sommes versées.

Le 23 février 2024, la cour d’appel de Paris4 a eu l’occasion, pour la première fois, de se prononcer sur la demande de requalification d’un contrat d’exclusivité entre un influenceur et son agence d’influence en contrat de travail.

L’influenceur considérait que le contrat conclu avec son agence afin que celle-ci devienne son représentant personnel et exclusif pour la gestion de sa participation aux campagnes de marketing sur les réseaux sociaux devait être requalifié en contrat de travail. Il prétendait être intervenu en qualité de mannequin ou, subsidiairement, en qualité d’artiste-interprète.

Constatant l’absence de lien de subordination, la cour d’appel a écarté les deux statuts :

• s’agissant du statut de mannequin : malgré l’existence de feuilles de route contenant des instructions et des consignes portant sur l’ensemble des caractéristiques de la campagne publicitaire (désignation des produits ou services à promouvoir, réseaux sociaux concernés, contraintes et exigences relatives aux contenus et les éventuels contenus annonceur à publier ou relayer), l’influenceur demeurait libre de réaliser des vidéos selon son propre style et de déterminer la manière selon laquelle il présentait le produit. Selon les juges, l’influenceur conservait une totale liberté de choix quant à la réalisation des campagnes et il était libre de refuser d’y participer ;

• s’agissant du statut d’artiste-interprète : la cour d’appel relevait que l’influenceur n’avait aucun rôle prédéfini à jouer, ni aucun texte à dire, et qu’il créait lui-même des mises en scène en vue de promouvoir les produits.

En définitive, les juges ont considéré qu’il s’agissait d’un acte de commerce et non un contrat de travail : l’influenceur exerçait une activité consistant à diffuser, à titre habituel, des messages de promotion publicitaire de produits, conçus et réalisés sous forme humoristique dans le cadre de vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, en contrepartie d’une « rémunération » prévue dans le contrat, versée par l’agent d’influence, pour le compte de l’annonceur.

Outre le fait qu’il s’agisse à ce jour d’une décision isolée, les juges ont qualifié la relation entre l’influenceur et son agence (qui bénéficie d’une présomption d’acte commercial au titre de la loi de 2023) mais ne se sont pas prononcés sur la relation entre l’influenceur et le bénéficiaire (la marque).

Dans la relation triangulaire entre l’influenceur, l’agence et la marque, c’est pourtant bien souvent cette dernière qui détermine un script, fournit des équipements aux couleurs de la marque, donne des instructions et sollicite l’influenceur afin qu’il modifie son post avant de le publier. Autant d’éléments susceptibles de caractériser un lien de subordination.

L’évolution rapide et omniprésente du phénomène d’influence par les réseaux sociaux présage donc d’un futur jurisprudentiel incertain. Une relative prudence s’impose donc aux marques souhaitant recourir aux services des influenceurs.

Si le cadre contractuel doit être choisi avec soin, c’est avant tout et surtout les modalités de réalisation du contenu commandé aux influenceurs qui devront être organisées avec précaution. Les scripts très précis, les allers-retours trop nombreux entre l’influenceur et l’annonceur, la participation à des formations en vue de réaliser les campagnes publicitaires sont autant d’éléments susceptibles de nourrir un contentieux.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. soc., 28 nov. 2018, n° 17-20079.
  • 2.
    Cass. soc., 3 juin 2009, n° 08-40981 – Cass. 1re civ., 24 avr. 2013, n° 11-19091, Île de la Tentation – Cass. soc., 25 juin 2013, n° 12-13968, Mister France.
  • 3.
    Cass. 2e civ., 12 mai 2021, n° 19-24610.
  • 4.
    CA Paris, 23 févr. 2024, n° 23/10389.
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