Affirmation du caractère non subsidiaire de l’action sociale ut singuli

Publié le 12/06/2025
Affirmation du caractère non subsidiaire de l’action sociale ut singuli
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Les associés disposent d’un droit propre d’agir pour réparer le préjudice subi par la société, droit qui n’est pas remis en cause par l’action parallèle de la société elle-même.

L’arrêt sous examen traite de la recevabilité de l’action sociale ut singuli exercée par des associés d’une SARL contre une ancienne gérante pour des irrégularités de gestion. La question centrale est de savoir si cette action est subsidiaire, c’est-à-dire conditionnée par l’inaction de la société ou si elle peut être exercée concurremment avec l’action de la société elle-même.

La cour d’appel de Basse-Terre, dans un arrêt rendu le 13 mars 2023, avait jugé que l’action sociale ut singuli est subsidiaire. Elle ne peut être engagée que si la société ne le fait pas. Les associés n’avaient pas d’intérêt légitime à agir puisque la société avait elle-même engagé une action en réparation du même préjudice.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel au motif que l’article L. 223-22, al. 3, du Code de commerce reconnaît aux associés un droit propre d’agir en responsabilité contre les gérants, sans subordination à une action préalable de la société. Aussi, en se basant sur l’article 31 du Code de procédure civile qui permet à toute personne ayant un intérêt légitime d’agir en justice, la Cour de cassation affirme que le fait que la société ait elle-même engagé une action ne prive pas les associés de leur droit d’agir ut singuli : « Il en résulte que les associés sont investis d’un droit propre d’agir en réparation du préjudice subi par la société, lequel n’est pas affecté par l’exercice concomitant de son action par la société ».

Cet arrêt rappelle avec force que l’action sociale ut singuli est un droit autonome des associés et non une simple action de secours. Il renforce ainsi les moyens de contrôle des associés sur la gestion des dirigeants, en particulier dans les SARL où les conflits entre majoritaires et minoritaires sont fréquents.

En effet, il convient de rappeler que l’action sociale ut singuli est une action en responsabilité intentée par un ou plusieurs associés d’une société (SARL, SA, etc.) pour le compte de la société contre ses dirigeants (gérants, administrateurs, etc.) en cas de faute de gestion. Ainsi, la question de son caractère subsidiaire se pose : si l’action est subsidiaire, les associés ne peuvent l’exercer que si la société ne le fait pas elle-même ; si l’action est non subsidiaire, les associés peuvent agir même si la société a déjà engagé une action.

I – Pourquoi certains pensaient-ils que l’action sociale ut singuli était subsidiaire ?

Tout d’abord, pour exercer l’action sociale ut singuli, il est nécessaire d’être associé1. C’est ainsi que les juges ont décidé que la cession des titres d’un associé s’accompagne de la perte de la faculté d’exercer cette action, même si celle-ci porte sur un préjudice né alors que l’intéressé était encore associé2. Cela étant, certaines décisions considéraient que l’action sociale ut singuli ne devait être utilisée qu’en dernier recours si la société, représentée par ses dirigeants, refusait d’agir. Ce qui revient à dire que l’interlocuteur juridique des tiers est la société, personne morale. Représentée par ses dirigeants, c’est elle qui contracte, c’est elle qui agit en justice. En conséquence, l’acte effectué par un associé n’engage pas, en principe, la personne morale, et l’associé ne saurait, sauf exception, agir en justice au nom de la société. Il en est ainsi d’une décision déniant à l’associé minoritaire non-gérant d’une société civile le droit de faire appel d’une décision préjudiciable à la société, en lieu et place des dirigeants3. Cette idée de la subsidiarité de l’action sociale ut singuli est une réponse à la crainte des abus : éviter que des associés n’engagent des actions multiples et contradictoires au nom de la société.

II – Pourquoi la Cour de cassation affirme-t-elle son caractère non subsidiaire ?

La Cour de cassation, dans l’arrêt sous examen, aux visas de l’article L. 223-22, alinéa 3, du Code de commerce et de l’article 31 du CPC, confirme qu’aucune condition de subsidiarité n’est prévue par la loi. Le texte permet aux associés d’agir, soit individuellement soit en se groupant sans restriction. Aussi, dès lors que les associés ont un intérêt à la réparation du préjudice social, leur action est recevable. Cette solution trace une logique claire de protection des associés. Si l’action était subsidiaire, un dirigeant fautif pourrait bloquer les poursuites en faisant agir la société de manière peu efficace. Cela permettrait aux majoritaires de protéger un gérant complice, au détriment des minoritaires. Par cette solution, les associés peuvent agir même si la société a déjà engagé une action. Ils n’ont pas besoin de prouver que la société a refusé d’agir, contrairement à l’action sociale ut universi où les associés doivent convoquer une assemblée générale. Mais il importe de souligner qu’ils doivent prouver un préjudice social et pas un préjudice personnel. Autrement dit, le succès de l’action ut singuli passe naturellement par la preuve d’un préjudice social juridiquement réparable4.

La solution confirme une tendance jurisprudentielle récente. Par exemple, il a été jugé que, pour agir, il n’est pas exigé que l’associé mentionne qu’il agit au nom de la société, son silence à cet égard ne rendrait pas son action ut singuli irrecevable5. Une autre précision apportée : « La seule intervention des représentants légaux de la société ne [peut] priver les actionnaires de leur droit propre de présenter des demandes au profit de celle-ci »6.

Ainsi, la Cour de cassation rejette définitivement l’idée que l’action sociale ut singuli serait subsidiaire. Cela renforce le pouvoir des associés, notamment minoritaires, de contrôler les dirigeants et d’agir en justice sans entrave. En pratique, un associé peut poursuivre un gérant même si la société l’a déjà fait. Cela évite les manœuvres dilatoires des dirigeants pour étouffer les poursuites. Mais attention : l’action doit viser la réparation du préjudice de la société, pas un préjudice personnel. Les gérants doivent être vigilants, car ils peuvent être attaqués simultanément par la société et les associés.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 24 juin 2020, n° 18-17.338 : GPL 29 sept. 2020, n° GPL387z0, note A. Rabreau.
  • 2.
    CA Caen, 31 mars 2022, n° 14/02837 : BJS juin 2022, n° BJS201b1, note J.-F. Barbièri.
  • 3.
    Cass. com., 22 nov. 2011, n° 10-23.088 : RJDA 2012, n° 293.
  • 4.
    V. dans le cadre d’une société civile, Cass. 3e civ., 12 mars 2020, n° 19-10.458 : BJS juill. 2020, n° BJS120z9, note G. Grundeler.
  • 5.
    Cass. crim., 29 janv. 2020, n° 19-80.924 : RJDA 2020, n° 428, p. 572.
  • 6.
    Cass. crim., 16 déc. 2009, n° 08-88.305, B.
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