Covid-19 : les commissaires aux comptes généralisent la procédure d’alerte

Publié le 20/04/2020

La crise sanitaire liée au coronavirus frappe les entreprises de plein fouet. Les auditeurs ont mis de côté les opérations de vérification des comptes pour apporter leur aide dans cette période difficile. Ils sont devenus en quelque sorte les urgentistes de l’entreprise. Explications.

Les délais, en cette période de confinement où tout est suspendu ou presque, constituent, sur le plan juridique, un sujet de préoccupation majeure. Le gouvernement l’a bien compris. C’est ainsi que l’ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020 sur les comptes dans le contexte de l’épidémie de Covid-19 a prorogé de trois mois les délais relatifs à l’arrêté des comptes et aux opérations d’audit. Une autre préoccupation consiste à pouvoir continuer de faire fonctionner l’économie en respectant les impératifs liés à la crise sanitaire. C’est pourquoi, l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion des organes des entreprises au Covid-19 a, quant à elle, autorisé les présences téléphoniques ou audiovisuelles pour la tenue des conseils d’administration et l’organisation des assemblées générales.

Les opérations d’arrêtés des comptes entravées par le confinement

Des dispositions saluées par les entreprises, mais aussi par leurs commissaires aux comptes. Car lorsque le confinement a été brutalement mis en place le mardi 17 mars à 12h, dans de très nombreuses entreprises, les opérations d’arrêté des comptes étaient en cours. Seuls les grands groupes avait terminé (pour ceux, majoritaires, qui clôturent au 31 décembre), mais pour eux se posait la question de la prise en compte dans les annexes des comptes de la crise sanitaire notamment dans ses conséquences sur la question des évaluations et de la continuité d’exploitation. En effet, si le Covid-19 est un événement post-clôture n’intéressant pas directement les comptes 2019, il est si grave qu’il est impossible d’en faire abstraction en présentant les comptes à l’assemblée générale dans plusieurs semaines comme si de rien n’était. Autant de complexités que les entreprises comme leurs auditeurs doivent désormais gérer en télétravail. Ce qui pose de nombreux problèmes. Les services comptables des entreprises n’ont pas forcément l’habitude de travailler à distance. Nombre d’entreprises ont fermé, donc ni les salariés ni a fortiori les auditeurs n’y ont accès. En l’état, les commissaires aux comptes indiquent qu’ils accomplissent toutes les diligences réalisables dans la situation actuelle de confinement et renvoient à plus tard ce qu’ils ne peuvent pas faire en situation de confinement. On comprend mieux dès lors l’importance d’offrir cette prolongation de trois mois supplémentaires pour accomplir toutes les opérations liées aux comptes annuels. Cela signifie par exemple que l’entreprise qui clôture au 31 décembre et doit en principe tenir son assemblée générale dans les six mois bénéficiera de trois mois de délai supplémentaire.

De très nombreuses questions aux enjeux très lourds

Pour accompagner les professionnels dans leur démarche d’audit des comptes dans cette période très complexe, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC) met à disposition sur son site une foire aux questions. Elle traite des aspects comptables, d’audit et juridiques de la crise sanitaire sur les opérations d’arrêtés des comptes 2019. On y trouve, par exemple, la confirmation que le Covid-19 est un événement post-clôture. En normes françaises, l’épidémie de Covid-19 n’étant pas liée à une situation existant au 31 décembre 2019, les montants comptabilisés au 31 décembre 2019 ne sont pas ajustés, précise le site. C’est plus subtil en normes IFRS : « L’épidémie de Covid-19 n’étant pas liée à une situation existant au 31 décembre 2019, les montants comptabilisés au 31 décembre 2019 ne sont pas ajustés, sauf en cas de continuité d’exploitation définitivement compromise ». Concernant les opérations d’audit, si à la date d’arrêté des comptes, la continuité d’exploitation n’était pas remise en cause, mais qu’elle l’a été par la suite, qu’écrire dans son rapport ? La CNCC propose le modèle suivant : « Sans remettre en cause l’opinion exprimée ci-dessus, nous attirons votre attention sur le point suivant : comme indiqué dans la note X de l’annexe, les comptes ont été arrêtés le (date) selon le principe de continuité d’exploitation. À cette date, la direction n’avait pas identifié d’incertitude significative sur la continuité d’exploitation. À la date du présent rapport, les événements survenus et les éléments connus postérieurement à la date d’arrêté des comptes relatifs à l’évolution des effets de la crise liée au Covid-19 font peser une incertitude significative sur la continuité d’exploitation. Ainsi, en cas d’évolution défavorable, la société pourrait ne pas être en mesure de réaliser ses actifs et de régler ses dettes dans le cadre normal de son activité ». Certaines questions demeurent en revanche en suspens. Par exemple, que faire si l’auditeur ne peut pas assister à l’inventaire physique ? À la date du 26 mars, qui correspond à la dernière mise à jour du document, celui-ci indiquait que la réponse était « en cours de finalisation ».

L’AMF met l’accent sur une communication exigeante

Précisons encore que s’agissant des sociétés cotées, l’Autorité des marchés financiers a publié des bonnes pratiques pour compléter les textes du gouvernement. Elle y invite les émetteurs à mettre en place « le plus tôt possible en amont de l’assemblée générale, une communication claire, précise et accessible à l’attention de l’ensemble des actionnaires concernant les modalités de tenue de l’AG, d’information des actionnaires, de participations possibles, de votes disponibles ». Elle y encourage également la transmission des informations aux actionnaires, par voie électronique s’agissant des modalités particulières de vote et de tenue de l’assemblée générale ou encore la mise en évidence sur la page d’accueil du site internet d’un lien vers les pages dédiées à l’assemblée générale. Par ailleurs, l’AMF rappelle aux émetteurs qu’ils ont la possibilité, « s’ils l’estiment opportun dans ce contexte exceptionnel de crise sanitaire, de reporter la date de leur assemblée générale, à condition notamment d’en informer dès que possible leurs actionnaires par un communiqué à diffusion effective et intégrale ».

Covid-19 : les commissaires aux comptes généralisent la procédure d’alerte
Olivier Le Moal / AdobeStock

La procédure d’alerte en première ligne

Mais depuis le début du confinement, les opérations d’arrêté des comptes sont passées quelque peu au second plan. Dès le 19 mars, le Haut conseil du commissariat aux comptes (H3C) a publié un communiqué sur la procédure d’alerte, dans le prolongement d’une réunion exceptionnelle tenue le 16 mars sous la présidence du H3C et de la CNCC avec des représentants de l’Autorité des marchés financiers (AMF), de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), de l’Autorité des normes comptables (ANC), de la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) et de la Direction générale du Trésor (DGT). « Compte tenu des circonstances actuelles, le H3C incite les commissaires aux comptes appelés à mettre en œuvre cette procédure à privilégier une phase initiale de dialogue avec le chef d’entreprise dite phase zéro, qu’il documentera dans son dossier », indique le communiqué. En clair, les autorités ont invité les commissaires aux comptes à contacter tous leurs clients pour savoir comment ils géraient la crise, quelles mesures ils avaient prises, et surtout dans quel état se trouvait leur trésorerie, ce qui constitue le point le plus sensible. Ceci dans le cadre d’un entretien totalement informel pour « instaurer un climat de confiance réciproque ». Le commissaire aux comptes devra notamment envisager avec son client toutes les mesures auxquelles celui-ci peut avoir recours (mesures gouvernementales exceptionnelles, report d’échéances, moratoires, médiation du crédit). C’est ainsi que de gendarme, le commissaire aux comptes devient, dans le cadre de cette phase zéro totalement informelle de la procédure d’alerte, une sorte de médecin urgentiste. Si l’entreprise apparaît très en difficultés, le commissaire aux comptes passe alors en phase 1. Cela consiste à écrire au dirigeant pour lui demander ce qu’il entend faire afin de résoudre les difficultés rencontrées. À défaut de réponse satisfaisante, c’est la phase 2 : le commissaire aux comptes alerte le tribunal de commerce des difficultés de l’entreprise. Le H3C précise à ce sujet : « Les phases successives de la procédure d’alerte conçues comme une progression dans le niveau de contrainte du dirigeant ou des organes de direction, doivent être, dans le contexte actuel, appréciées avec beaucoup de pragmatisme par le commissaire aux comptes, compte tenu des urgences existantes par ailleurs. À chaque étape de la procédure, le commissaire aux comptes doit exercer son jugement professionnel pour décider de mettre en œuvre de nouvelles mesures. S’il estime que l’information reçue est satisfaisante, il peut décider d’y mettre fin ». En pratique, au tribunal de commerce de Paris, deux magistrats sont joignables en permanence actuellement pour accompagner les entreprises en difficultés. Au demeurant, si le recours au tribunal de commerce a tendance à effrayer le dirigeant, cela peut constituer une aide précieuse dans ces circonstances difficiles.

Pour les commissaires aux comptes, la période est délicate. Il leur faut en effet arbitrer entre la compréhension des difficultés exceptionnelles traversées par les entreprises et la préservation de leur responsabilité professionnelle. C’est sans doute la raison pour laquelle le H3C, autorité normative mais aussi disciplinaire de la profession, prend soin de préciser à la fin de son communiqué sur la procédure d’alerte : « Le H3C appréciera les diligences mises en œuvre par les commissaires aux comptes au regard du contexte actuel d’une gravité exceptionnelle ».

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