La cessation immédiate des obligations de l’associé retrayant d’une société à capital variable

L’associé retrayant d’une société à capital variable cesse, à compter de son retrait, d’être soumis aux obligations découlant de sa qualité d’associé, indépendamment de la date à laquelle les conditions de la reprise de son apport seront, le cas échéant, satisfaites, par application de la combinaison des articles L. 231-1, L. 231-5 et L. 231-6 du Code de commerce.
Comme son nom l’indique, la particularité de la société à capital variable est d’avoir un capital social susceptible d’augmentation par des versements successifs des associés ou l’admission d’associés nouveaux et de diminution par la reprise totale ou partielle des apports effectués1. Cette particularité oppose les sociétés à capital variable aux sociétés à capital fixe pour lesquelles la modification du capital social obéit à des règles strictes et contraignantes tant dans les conditions à remplir que dans la mise en œuvre de cette modification du capital social.
La société à capital variable n’est pas une forme particulière de société car la variabilité du capital social illustre simplement une modalité de fonctionnement.
Bien que la variabilité du capital social ne soit pas très prisée par les associés, elle offre l’avantage de rendre plus aisé le retrait d’un associé, tandis que cette faculté n’est que rarement offerte par le droit commun des sociétés. À ce sujet, l’article L. 231-6 du Code de commerce énonce que « chaque associé pourra se retirer de la société lorsqu’il le jugera convenable, à moins de conventions contraires et sauf application du premier alinéa de l’article L. 231-5 »2.
L’arrêt de censure rendu par la Cour de cassation le 18 décembre 2024 se rapporte justement au retrait d’une société à capital variable.
I – Les éléments du litige
L’affaire concerne une société à capital variable ayant pour objet le transport aérien privé de personnes et la prise en location d’aéronefs. Ces deux associés ont notifié leur volonté de faire usage de la faculté de retrait mentionnée dans les statuts. À la suite de l’exercice de cette action, ils ont demandé le remboursement de leurs parts sociales sur la base des comptes de l’exercice social au cours duquel ils ont manifesté leur demande de retrait.
Confrontés au refus de leur retrait par l’assemblée générale votant à l’unanimité, les intéressés ont agi en nullité de leur résolution.
Statuant à son tour sur cette affaire, la cour d’appel de Montpellier, dans son arrêt du 18 octobre 20223 infirmatif du jugement du tribunal de commerce de Montpellier du 4 novembre 2020, n’a pas accordé gain de cause aux appelants. À l’appui de sa décision, elle se prévaut de l’article L. 231-6 du Code de commerce qui signale le caractère d’ordre public du droit de retrait des associés, tout en mentionnant les restrictions susceptibles d’être apportées à son exercice par la loi ou les statuts.
En l’espèce, il résulte de l’article 15.3 des statuts que les effets du retrait sont reportés au jour où des souscriptions nouvelles ou une augmentation de capital permettront la reprise des apports de l’associé retrayant, lorsque le retrait, à la date à laquelle il est notifié, conduirait à réduire le capital social à un montant inférieur à celui fixé par l’article 7.1, soit la somme de 22 200 € correspondant au capital social d’origine. Selon la juridiction d’appel, en vertu de cette stipulation statutaire, quand le retrait d’un associé provoque la réduction du capital social à un montant inférieur à celui fixé par les statuts, il ne prendra effet, par ordre d’ancienneté, que dans la mesure où des souscriptions nouvelles ou une augmentation de capital permettront la reprise des apports de l’associé retrayant. Dans cette hypothèse, le retrait ne prendra pas effet au jour de la clôture de l’exercice au cours duquel il a été notifié, mais prendra effet pécuniairement à la date de clôture d’un exercice ultérieur au cours duquel le montant du capital permettra la reprise des apports et que la somme due à l’associé retrayant au titre du remboursement de ses droits sociaux sera alors déterminée sur la base du bilan de l’exercice considéré.
Les intéressés forment un recours en cassation en faisant grief à la cour d’appel de Montpellier d’avoir considéré que les effets du retrait devaient être différés au jour où le montant minimal du capital social serait atteint du fait de la souscription de parts nouvelles ou d’une augmentation de capital.
II – La résolution du litige
A – La teneur de l’arrêt
« Coup d’essai et coup de maître » de la part des demandeurs au pourvoi, puisque, au visa des articles L. 231-1, L. 231-5 et L. 231-6 du Code de commerce, la chambre commerciale casse l’arrêt d’appel au motif qu’« il résulte de la combinaison de ces textes, lesquels sont d’ordre public, que, lorsque le retrait de l’associé d’une société à capital variable a pour effet de porter le capital social en dessous du minimum statutaire, la seule restriction aux effets immédiats du retrait régulièrement donné par l’associé qui en découle est de ne pouvoir reprendre ses apports tant que le montant minimal du capital social n’est pas atteint ». Par conséquent, « l’associé retrayant d’une société à capital variable cesse, à compter de son retrait, d’être soumis aux obligations découlant de sa qualité d’associé, indépendamment de la date à laquelle les conditions de la reprise de son apport seront, le cas échéant, satisfaites ».
Pour justifier sa position, la juridiction de seconde instance s’était fondée sur les dispositions statutaires selon lesquelles l’associé qui a exercé son droit de retrait, dont les effets sont différés au jour où, du fait de la souscription de parts sociales nouvelles ou d’augmentation du capital, le montant minimal du capital sera atteint et permettra la reprise des apports, conserve la qualité d’associé jusqu’à l’apurement des comptes et le remboursement éventuel de ses droits sociaux. En conséquence, il demeure obligé aux dettes sociales et tenu à ses engagements à l’égard de la société, tout en conservant le droit de participer aux bénéfices.
Cette solution est tout à fait conforme au droit de retrait tel que conçu par l’article 1869 du Code civil relatif aux sociétés civiles4. Dès lors, l’associé retrayant a droit au remboursement de ses parts sociales entraînant leur annulation et corrélativement la réduction du capital social. La perte de la qualité d’associé de sociétés civiles intervenant après le remboursement de la valeur des droits sociaux, cela revient à dire que la date du départ de l’associé correspond à celle du remboursement effectif de ses parts5.
Cette disposition commune aux sociétés civiles diffère de celle des sociétés commerciales à capital variable régies par les articles L. 231-1 et suivants du Code de commerce. À propos de ces dernières, cadre de la présente espèce, la chambre commerciale confère validité à un retrait, quand bien même il se traduirait par une chute du montant du capital social au-dessous du minimal statutaire6. Il s’ensuit une soustraction immédiate des associés retrayants aux obligations inhérentes à leur qualité d’associé.
B – La portée de l’arrêt
Cette solution suscite toutefois quelques observations.
Effectivement, aux termes de l’article L. 231-6, alinéa 3, du Code de commerce, l’associé qui n’est plus membre de la société en raison de sa propre volonté ou à la suite d’une décision de l’assemblée générale demeure tenu durant cinq années envers la société et les tiers de ses obligations existantes à la date de son départ volontaire ou forcé de la société. C’est de cette manière que la première chambre civile de la Cour de cassation a auparavant statué7. Il s’ensuit qu’au-delà de l’exonération des dettes sociales nées postérieurement à son départ de la société, en contrepartie, il ne peut bénéficier de ses droits patrimoniaux, notamment le droit de participer aux bénéfices ou aux économies, notamment le droit de percevoir les dividendes8, et de ses droits extrapatrimoniaux, en particulier le droit de participer aux assemblées générales, indépendamment de la date à laquelle les conditions de la reprise de son apport seront satisfaites.
L’associé ne saurait donc être condamné à payer à la société des sommes dues au titre de factures et frais divers, la qualité d’associé prenant fin immédiatement et ne pouvant se poursuivre jusqu’à l’apurement des comptes. En outre, même si le retrait a une incidence négative sur le montant minimal du capital social, l’associé ne peut reprendre ses apports tant que ce montant n’est pas atteint. Enfin, les effets du retrait ne sauraient donc être différés au jour où sera atteint le montant minimal du capital social fixé par les statuts, le droit de retrait d’un associé prévalant ainsi sur le respect des stipulations statutaires relatives au capital social. Seul peut être différé le remboursement de ses apports9, tant que le capital social n’a pas été entièrement reconstitué.
En définitive, afin de pallier certaines difficultés, il peut être judicieux d’indiquer dans les statuts d’une société à capital variable les conditions et les effets du retrait d’un associé. Pour autant, les conditions de mise en œuvre du droit de retrait ne sauraient entraver exagérément celui-ci. Ainsi, les statuts peuvent imposer à un associé le respect d’une forme particulière pour se retirer10, ou l’observation d’un délai de préavis11. En revanche, la cour d’appel de Paris a condamné la clause des statuts d’une société civile à capital variable prévoyant un retrait d’office lorsque l’associé ne répond plus aux critères posés pour l’appartenance à celle-ci12. Cette juridiction a estimé nécessaire de respecter les énonciations de l’article L. 231-6 du Code de commerce, l’intervention de l’assemblée étant une garantie pour l’associé même si, lors de ce type de retrait forcé s’apparentant à une exclusion, l’organe compétent n’a disposé d’aucun véritable pouvoir d’appréciation.
Notes de bas de pages
-
1.
C. com., art. L. 231-1 – L., 24 juill. 1867, art. 48 anc.
-
2.
J.-P. Bertrel, « Le droit de retrait dans les sociétés à capital variable », in Dialogues avec Michel Jeantin. Prospectives du droit économique, 1999, Dalloz, p. 127.
-
3.
CA Montpellier, 18 oct. 2022, n° 20/05495.
-
4.
D. Gibirila, « Le droit de retrait dans les sociétés civiles », Journ. sociétés janv. 2018, n° 159, p. 20 ; H. Le Nabasque, « Les droits des associés. À propos de leur droit de retrait », Rev. sociétés 2023, p. 767.
-
5.
Cass. com., 17 juin 2008, n° 06-15.045 – Cass. com., 17 juin 2008, n° 07-14.965 : Journ. sociétés nov. 2008, n° 1915, p. 10, note D. Gibirila ; Dr. sociétés 2009, comm. 176, note R. Mortier, à propos d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC).
-
6.
Contra CA Versailles, 10 févr. 2010, n° 09/2504 : RLDA 2011/4, n° 330, pour qui lorsque le retrait d’un associé de société à capital variable a pour conséquence d’entraîner une réduction du capital social à une somme inférieure à celle minimale autorisée par les statuts, ce retrait ne peut s’opérer que si les statuts ont été préalablement modifiés par une décision collective des associés concernant le montant du capital minimum autorisé.
-
7.
Cass. 1re civ., 18 déc. 2001, n° 99-18.044 : Rev. sociétés, 2002, p. 308, note B. Saintourens.
-
8.
Cass. 1re civ., 2 juill. 2014, nos 13-14.134 et 13-14.323 : BRDA 17/14, n° 3 – Cons. const., QPC, 16 sept. 2016, n° 2016-563 : BRDA 18/16, n° 3 ; RJDA 12/2016, n° 876 ; Lexbase Hebdo 13 oct. 2016, n° 483, éd. Affaires, note B. Brignon, même après la décision de retrait ou d’exclusion, l’associé conserve ses droits patrimoniaux et continue à percevoir les dividendes de ses parts sociales. Par ailleurs, il pourrait intenter une action en responsabilité contre ses anciens associés si la perte provisoire de valeur de la société résultait de manœuvres de leur part.
-
9.
Cass. com., 8 nov. 2023, n° 22-11.766 : BRDA 24/23, n° 5.
-
10.
CA Poitiers, 19 mars 1956 : D. 1956, p. 325.
-
11.
Cass. civ., 8 juin 1939 : S. 1939, 1, p. 249 ; Journ. sociétés 1940, p. 34.
-
12.
CA Paris, 24 sept. 1996, n° 95-014293 : BJS déc. 1996, n° 378, p. 1036, note B. Caillaud.
Référence : AJU017a5
