La force du droit de retrait en matière de société coopérative

Publié le 03/12/2020

Faute d’avoir notifié son retrait d’une société coopérative agricole dans les conditions définies par les statuts, un associé coopérateur conserve cette qualité bien qu’il ait cessé de coopérer.

Cass. 1re civ., 25 mars 2020, no 18-17721, F–PB

Les sociétés coopératives agricoles forment une catégorie spéciale. Elles ne relèvent ni des sociétés civiles, ni des sociétés commerciales comme l’a clairement énoncé le législateur1. Les particularismes sont en effet grands en la matière, à tel point que l’on pourrait parfois être tenté d’en trouver là où il n’y en a finalement pas. C’est à ce type de réflexion que le présent arrêt relatif au retrait de l’associé coopérateur, élément au cœur de nombreux litiges, nous conduit en précisant la force de ce droit.

En l’espèce, à la suite du placement en liquidation judiciaire d’une société coopérative agricole, le mandataire judiciaire avait assigné un associé coopérateur en paiement de certaines sommes au titre de la responsabilité de chaque coopérateur dans le passif de la coopérative. La demande fut accueillie par la cour d’appel de Poitiers dans un arrêt du 23 janvier 2018. Non content de cette solution, l’associé coopérateur, contestant précisément cette qualité au jour de l’ouverture de la procédure collective, forma un pourvoi. S’il reconnaissait certes avoir acquis la qualité d’associé coopérateur en 1971, par la souscription des parts dans la coopérative, cette qualité avait selon lui été perdue lorsqu’il avait cessé de livrer ses récoltes en 1995. La question était donc de savoir si un associé coopérateur perd cette qualité dès lors qu’il arrête de collaborer. La première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 25 mars 2020, répond par la négative et valide ainsi l’analyse des juges du fond ayant conduit à la condamnation au paiement de l’associé coopérateur.

Cet arrêt, qui a les honneurs d’une publication au Bulletin, a le mérite de mettre le doigt sur l’une des caractéristiques essentielles de la société coopérative agricole : la dualité du statut d’associé coopérateur, et le lien existant entre ces deux facettes d’un même individu. En conséquence, si le droit de retrait est certes un droit encadré (I), il se révèle également seul capable de permettre à l’associé coopérateur de perdre cette qualité de sa propre initiative (II).

I – Un droit encadré

Un droit d’ordre public. Dans les coopératives agricoles, un droit de retrait existe pour chaque associé. En effet, l’article L. 521-2 du Code rural dispose que « les coopératives et leurs unions sont obligatoirement à capital variable ». De ce point de vue, si les coopératives agricoles sont bien des sociétés spéciales, elles peuvent tout de même être classées dans une catégorie plus générale, celle des sociétés à capital variable. Or comme l’indique l’article L. 231-6 du Code de commerce, chaque associé d’une société à capital variable dispose d’un droit légal de retrait. Par ce biais, l’associé, sans avoir à proposer un cessionnaire, a la possibilité d’obtenir le remboursement de son investissement2. Par principe, le retrait a pour conséquence la perte de la qualité d’associé ainsi que la rupture du contrat coopératif liant le coopérateur à la coopérative3. Ce droit est d’ordre public, et, à ce titre, l’on ne saurait prévoir une clause statutaire annihilant totalement la possibilité de le mettre en œuvre. Une telle hypothèse est toutefois extrême. Il est parfaitement envisageable d’organiser des situations plus intermédiaires. La jurisprudence admet que l’on porte certaines restrictions au droit de retrait à condition de ne pas franchir certaines limites4. En tout état de cause, si le législateur instaure un droit de retrait dans ce type de groupement, les conditions de ce droit doivent être précisées pour permettre sa mise en pratique.

Un droit précisé dans les statuts. Qu’il s’agisse d’une restriction, ou, de manière plus générale, des conditions du retrait, c’est dans les statuts que des précisions sont apportées. Cette exigence est d’autant plus importante que l’article L. 521-3 du Code rural soumet la possibilité de prétendre à la qualité et à la dénomination de coopérative à la précision des conditions de retrait dans les statuts. D’ailleurs, en l’espèce, les statuts de la coopérative agricole concernée faisaient apparaître les conditions de mises en œuvre du droit de retrait de l’associé coopérateur. Mais ces dernières, qui comportaient notamment une nécessité de notifier à la société le retrait à des dates définies, n’ont manifestement pas été respectées. La logique commandait donc de considérer qu’aucun retrait de l’associé coopérateur concerné n’avait pu intervenir. Toutefois, le statut de l’associé coopérateur est tout à fait particulier. Comme son nom l’indique, celui-ci est à la fois associé et coopérateur, et le lien entre ces deux qualités peut se révéler, à certains égards, ambigu. C’est précisément de cela que l’associé coopérateur tentait de tirer parti, en mettant en évidence une autre issue en marge du cadre fixé relativement au droit de retrait. Or ce cadre est exclusif de toute autre voie susceptible de permettre à l’associé coopérateur de perdre cette qualité de son initiative.

Pictogramme de personnes reliées entre elles
snyGGG / AdobeStock

II – Un cadre exclusif

Un lien ambigu. Comme l’énonce l’article L. 521-1-1 du Code rural, le statut d’associé coopérateur repose sur « le caractère indissociable de la double qualité d’utilisateur des services et d’associé ». Par cette disposition, un lien est donc établi entre les deux qualités de l’associé coopérateur. Mais encore, ce lien défini comme étant indissociable peut laisser penser que la perte de l’une entraîne ipso facto la perte de l’autre. Aussi, l’on comprend parfaitement que cette brèche ainsi ouverte du fait de l’ambiguïté de ce texte ait pu être exploitée par un plaideur. Si les deux qualités en question sont effectivement indissociables, perdre la qualité d’utilisateur des services devrait logiquement induire la perte de la qualité d’associé. Au cas d’espèce, en ayant cessé de livrer ses récoltes dès 1995, celui-ci avait non seulement arrêté de collaborer à cette date, mais également perdu la qualité d’associé. Or le lien qui unit les qualités d’associé et de coopérateur sur la tête de l’associé coopérateur n’est pas de ce type. Adopter une position contraire aboutirait à remettre en cause la fonction du droit de retrait dans les sociétés coopératives, voie que les magistrats n’ont heureusement pas choisie.

Un lien clarifié. Si le droit de retrait permet de quitter la société coopérative, ses conditions de mises en œuvre encadrent cette possibilité. De la sorte, le droit de retrait permet aussi de garantir une certaine stabilité des membres de la société coopérative5. Il contribue à réguler les mouvements des associés coopérateurs, et, par conséquent, à assurer le bon fonctionnement de la coopérative, structure qui nécessite généralement d’importants investissements. Le droit de retrait et ses modalités répondent donc à un enjeu crucial en droit coopératif6. Or ce rôle n’est préservé que si ce droit demeure le moyen exclusif de l’associé coopérateur de perdre cette qualité de son initiative. C’est cette solution que les juges retiennent en l’espèce. Malgré le caractère indissociable des qualités d’associé et d’utilisateur des services, on constate alors que la perte de l’une n’entraîne pas nécessairement la perte de l’autre7. En dépit du particularisme des sociétés coopératives, une telle solution reste donc conforme aux règles du droit des sociétés et préserve la force du droit de retrait en la matière. Ce n’est pas le fait de cesser de coopérer, simple situation de fait, qui fait perdre la qualité d’associé coopérateur, mais seulement l’exercice du droit de retrait dans les conditions prévues par les statuts.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. rur., art. L. 521-1, al. 2.
  • 2.
    Cozian M., Viandier A. et Deboissy F., Droit des sociétés, 31e éd., 2018, LexisNexis, Manuel, p. 222, n° 498.
  • 3.
    Rakotovahiny M., « La qualité de membre d’une coopérative », LPA 25 avr. 2018, n° 135a0, p. 5, spéc. n° 21.
  • 4.
    Par ex., v. Cass. 1re civ., 3 juill. 1973, n° 72-10001 : Bull. civ. I, n° 228 – Cass. 1re civ., 27 avr. 1978, n° 76-14071 : Rev. sociétés 1978, p. 772 – Cass. 1re civ., 8 juill. 1986, n° 84-14758 ; Cass. 1re civ., 31 janv. 1989, n° 87-10092 : JCP G 1989, II 21294, note Barbièri J.-F. ; RTD com. 1989, p. 488, obs. Alfandari E. et Jeantin M. – Cass. 1re civ., 18 janv. 2000, n° 98-10378 : BJS mai 2000, n° 123, p. 560.
  • 5.
    Rakotovahiny M., « La qualité de membre d’une coopérative », LPA 25 avr. 2018, n° 135a0, p. 5, spéc. n° 21.
  • 6.
    Hérail M., « Régulation des mouvements des associés dans les sociétés coopératives », Dr. sociétés 2002, chron. 1.
  • 7.
    En revanche, en cas de perte de la qualité d’associé, il y a, en principe, perte de la qualité de coopérateur.