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La société de libre partenariat spéciale : insertion dans le Code monétaire et financier d’un nouveau type de société en commandite simple dotée d’un régime fiscal inédit

Publié le 02/09/2024
La société de libre partenariat spéciale : insertion dans le Code monétaire et financier d’un nouveau type de société en commandite simple dotée d’un régime fiscal inédit
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L’article 4 de l’ordonnance n° 2024-662 du 3 juillet 2024 portant modernisation du régime des fonds d’investissement alternatifs, publiée au Journal officiel de la République française du 4 juillet 2024, vient porter création d’une variante de la société de libre partenariat. Il s’agit de la société de libre partenariat spéciale, laquelle est dotée d’un régime fiscal inédit en droit français.

Ord. n° 2024-662, 3 juill. 2024, portant modernisation du régime des fonds d’investissement alternatifs

Un régime fiscal inédit modifiant le référentiel d’analyse des entités étrangères. La société de libre partenariat spéciale (SLPS) est elle aussi, et on peut le regretter, réservée à la constitution d’un fonds professionnel spécialisé1. Cela ne l’empêche pourtant pas d’être dotée d’un régime fiscal des plus concurrentiels en droit des sociétés international.

En effet, à la différence de la société de libre partenariat (SLP), la SLPS ne dispose pas de la personnalité morale, ce qui la rapproche d’un limited partnership anglo-saxon ou une société en commandite simple spéciale (SCSp) de droit luxembourgeois2. Cette nouvelle caractéristique portée par l’article L. 214-162-13 du Code monétaire et financier va permettre de combattre les situations de frottement fiscal qui impactent la SLP traditionnelle dans certaines situations.

Effectivement, lorsque des associés de la SLP sont des résidents fiscaux étrangers (hors UE), dont les états de résidence n’ont pas signé de convention fiscale évitant la double imposition avec la France, alors la SLP devient un outil de levée de fonds obsolète sur la scène internationale puisqu’elle se retrouve bien trop souvent qualifiée de société fiscalement opaque3.

En pratique, l’entrée en vigueur de la SLPS permet la modification du référentiel d’analyse fiscale des entités étrangères dont dispose la France. Celui-ci consiste, lorsqu’il faut déterminer le régime fiscal accordé aux sociétés de type limited partnership anglo-saxon, à procéder à leur assimilation à une société française selon plusieurs critères pour ensuite leur appliquer le régime fiscal français prévu pour cette société à laquelle ils sont assimilés4. Cette analyse prévaut uniquement en l’absence de convention fiscale leur prévoyant un traitement dérogatoire.

Or, le référentiel français se montrait jusqu’à maintenant désavantageux pour les limited partnership anglo-saxons à défaut de posséder en droit interne une société bénéficiant d’une transparence fiscale pure5. À titre d’exemple, l’administration fiscale assimile un limited liability partnership de droit britannique à une société de fait en droit français au regard de ses règles de constitution et de fonctionnement6. Cela conduit les différents partnerships de droit étranger à continuer d’être assimilés en France à des sociétés fiscalement opaques. Les effets sont désastreux pour l’investissement en France : des situations de double imposition perdurent pour leurs associés contrairement à ce qu’avait pourtant reconnu une instruction de l’administration fiscale en 2007 pour les revenus passifs de source française7.

Une qualification internationale de partnership au sens conventionnel. Les clauses dérogatoires réservées aux entités assimilées à des partnerships sur la scène internationale contenues dans les conventions de non double imposition conclues par la France, avec notamment le Royaume-Uni et les États-Unis d’Amérique ou encore avec l’Allemagne, trouvent à s’appliquer à la SLPS. Cela n’est pas le cas concernant l’actuelle SLP.

En effet, grâce à la transparence fiscale pure, la SLPS bénéficie des clauses destinées à éviter les situations de double imposition insérées dans bon nombre de conventions fiscales internationales. C’est notamment le cas de celle conclue entre la France et les États-Unis d’Amérique précitée avec son article 4, paragraphe 3, ou de celle conclue avec le Royaume-Uni via son article 4. Si de telles clauses permettent aux associés des sociétés assimilées fiscalement à des partnerships anglo-saxons de bénéficier d’une absence de double imposition, cela reste conditionné au fait que la société en question soit considérée dans son propre pays comme ne disposant pas d’une personnalité fiscale distincte de celle de ses associés. C’est-à-dire qu’elle doit être dotée d’un régime de pure transparence fiscale et non pas uniquement d’une entité exonérée d’impôts. Cela est le cas de la SLPS, sous couvert que les conditions de résidence des associés réclamées par les différentes conventions soient remplies.

De tels changements entraînent des conséquences positives quant à l’attrait de cette dernière envers les investisseurs étrangers. En outre, en étant assimilée fiscalement à une limited partnership, la SLPS peut acquérir des sociétés cibles dans les différents pays avec lesquels la France aura conclu une convention de non double imposition ; notamment lorsque des clauses seront réservées aux sociétés fiscalement transparentes. La recherche de capitaux peut alors s’effectuer à travers le monde entier. L’investissement aura également lieu dans des entreprises étrangères sans pour autant créer une situation de double imposition.

Un régime juridique souple comme attribut de concurrentialité internationale. Les doutes parlementaires soulevés à l’occasion de l’adoption du projet de loi de finances rectificative de 2010 sur l’opportunité en droit interne d’instaurer la transparence fiscale n’ont plus lieu d’être face à ce qui prévaut en droit étranger voisin8. Il s’agit du seul régime capable de rivaliser juridiquement avec ceux dont bénéficient les sociétés constituées sur le modèle du limited partnership anglo-saxon sans être assimilées fiscalement à une autre structure. De plus, les interrogations juridiques soulevées par la SCSp luxembourgeoise n’entachent pas la SLPS puisque celle-ci dispose de la personnalité juridique mais pas fiscale. Rien ne s’oppose donc à ce qu’elle puisse contracter ou ester en son propre nom. Il en ira de même concernant les incompréhensions juridiques soulevées par le Private fund limited partnership (PFLP) britannique.

La SLPS se rapproche du limited partnership de l’État du Delaware, lequel est doté de la personnalité juridique sans pour autant posséder la personnalité fiscale9. Les associés commandités comme commanditaires de ce dernier ne possèdent donc aucun droit direct sur les actifs détenus en portefeuille par le limited partnership10. Notons que ce véhicule d’investissement régi par le Delaware Code reste à l’heure actuelle le leader mondial des fonds d’investissement à risque11.

En termes d’actifs éligibles et d’organisation des droits des associés, sont réputés communs les biens mis à disposition de la SLPS par les associés ou acquis, soit par le remploi de ces biens, soit du fait de la protection de la loi12. De plus, sont également réputés communs les fruits et revenus procurés par ces biens13. Le même article précise en son second alinéa que la SLPS est autorisée à investir dans différents types de biens dans les conditions prévues à l’article L. 214-15414.

Autre point important : dès l’immatriculation de la société, les biens communs apportés par la communauté des associés ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie par les créanciers personnels d’un seul associé. Pas plus que les dispositions du Code civil relatives au régime légal de l’indivision et celles relatives au régime conventionnel de l’exercice des droits indivis ne sont applicables à la SLPS.

Ainsi, en toute logique, le texte affirme que dans les registres des tiers ou les actes visés au sixième alinéa de l’article L. 214-154 du Code monétaire et financier, la SLPS est désignée comme titulaire des droits sur les biens communs par son gérant ou la société de gestion de portefeuille. Son absence de personnalité morale ne l’empêche pas de détenir ses actifs en son nom propre. En ce sens, et à moins de dispositions contraires, celles applicables à la SLP sont applicables à la SLPS15 ; permettant ainsi de doter la SLPS d’un patrimoine compartimenté si cher aux acteurs du private equity.

À l’instar de la SLP, les engagements divers pris à compter du jour d’immatriculation de la société, cela en utilisant la dénomination de SLPS en formation, sont réputés nés du fonctionnement de la société. À défaut, demeurent tenues solidairement et indéfiniment responsables les personnes qui les ont souscrits16. En outre, à compter de l’immatriculation de la SLPS, il est fait masse des biens communs et des dettes et charges nées des besoins de leur administration et du fonctionnement de la société17. Ainsi, les biens communs répondent des dettes et charges nées de l’administration des biens communs et du fonctionnement de la société18.

Une organisation directionnelle stricte et sécurisante. Les associés commanditaires, tant qu’ils ne se sont pas immiscés dans la gestion externe de la société au sens de l’article L. 214-162-3 du Code monétaire et financier, ne sont tenus des dettes et charges nées de l’administration de la masse commune et du fonctionnement de la société qu’à concurrence de leurs droits dans la masse commune19. On remarque ici que le socle juridique de la SCS sur lequel repose la SLPS est bien présent, et il faut s’en féliciter. Les associés commanditaires qui sont en pratique des apporteurs de fonds dénués de compétence particulière voient leur responsabilité atténuée dès lors qu’ils ont un comportement passif au sein de la SLPS.

Le gérant de la SLPS, et cela par dérogation à l’article L. 221-5 du Code de commerce, administre la masse commune dans l’intérêt des associés et dispose librement des biens communs à cet effet20. Il engage ainsi les biens communs par les actes entrant dans l’objet social, passés sous la dénomination de la SLPS21. Le gérant représente les intérêts des associés dans la société à l’égard des tiers22. Il peut agir en justice pour défendre ou faire valoir les intérêts des associés, ce qui n’a rien de bien étonnant lorsque l’on regarde le fonctionnement d’une SCSp luxembourgeoise ou encore celui d’un PFLP britannique23.

En revanche, le gestionnaire de la SLPS, une société de gestion de portefeuille agréée AMF24, représente les intérêts des associés, sans que cette seule délégation lui confère la qualité de gérant25.

Le texte réaffirme donc l’étanchéité des fonctions de gérant de la société avec celle de gestionnaire, permettant ainsi aux deux fonctions de coexister et d’œuvrer ensemble dans l’intérêt de la SLPS.

Un règlement contractuel des difficultés en tant que FIA par nature. La SLPS, comme tout fonds d’investissement alternatifs par nature, n’est pas soumise au droit des entreprises en difficulté. L’ordonnance lui octroie une très grande liberté statutaire afin d’organiser les conditions de sa propre liquidation.

En effet, seulement lorsqu’elles ne sont pas prévues par les statuts de la SLPS, les conditions de liquidation de la masse commune sont déterminées selon différentes modalités légales26. Dans ce cas-là, le gérant, ou toute personne désignée à cet effet conformément aux statuts, assume les fonctions de liquidateur ; à défaut, le liquidateur est désigné en justice à la demande de toute personne intéressée27. Le texte précise qu’après paiement des dettes, le partage de l’actif est effectué entre les associés à concurrence de leurs droits dans la masse commune, cela sans grande surprise. Les règles concernant le partage des successions, y compris l’attribution préférentielle, s’appliquent aux partages entre associés28. Mais là encore, une grande liberté contractuelle est accordée aux associés, lesquels peuvent valablement décider, soit dans les statuts, soit par une décision ou un acte distinct, que certains biens seront attribués à certains associés29. À défaut, tout bien apporté qui se retrouve en nature dans la masse partagée est attribué, sur sa demande, et à charge de soulte s’il y a lieu, à l’associé qui en avait fait l’apport30. Cette faculté s’exerce avant tout autre droit à une attribution préférentielle31.

Faisant de la SLPS un véritable mutant juridique, bien plus encore que sa grande sœur la SLP, ses statuts fixent librement les conditions de répartition de tout ou partie des actifs mis en commun, y compris le remboursement d’apports aux associés ainsi que les conditions dans lesquelles la société peut en demander la restitution totale ou partielle32.

Désormais le droit de la gestion collective français n’a plus rien à envier à ses concurrents étrangers.

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. mon. fin., art. L. 224-154, al. 5.
  • 2.
    C. mon. fin., art. L. 214-154, al. 5.
  • 3.
    R. Feydel, Le refinancement d’entreprises en difficulté. Contribution à l’optimisation juridique du concept de capital-retournement, thèse, M. Bayle et T. Leobon (dir.), 2019, Université de Limoges, p. 195, n° 196.
  • 4.
    Pour le détail de ces critères, v. le commentaire de la convention fiscale franco-américaine présent au BOI-INT-CVB-USA-10-20-10, § 30 et § 40.
  • 5.
    M. Collet et B. Foucher, « Société de libre partenariat : un nouveau référentiel pour l’analyse des limited partnerships étrangers ? », LEXplicite, 30 nov. 2016. V. en ce sens : CE, 24 nov. 2014, n° 363556, Artémis – CE, 27 juin 2016, n° 386842, Emerald Shores L.L.C.
  • 6.
    Rescrit n° 2007/28 (FP), 7 août 2007.
  • 7.
    Instr. n° 4 H-5-07, 29 mars 2007, nos 12 et 13 s’appuyant sur l’arrêt CE, 13 oct. 1999, n° 191191, Diebold Courtage : RJF n° 1492.
  • 8.
    Sénat, rapp. n° 166, 13 déc. 2010, fait au nom de la commission des finances, titre IV, P. Marini.
  • 9.
    Delaware Code, § 17/201.
  • 10.
    Delaware Code, § 17/201.
  • 11.
    P. Schleimer, « Chapitre I. Réflexions sur le régime patrimonial de la société en commandite spéciale », in C. Boyer (dir.), Les commandites en droit luxembourgeois, 2013, Larcier, p. 14, n° 13 ; S. Jaecklin, F. Gamper et A. Shah, « Domiciles of alternative investment funds », Oliver Wyman Financial Services report, 2011.
  • 12.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-14, al. 1er.
  • 13.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-14, al. 1er.
  • 14.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-14, al. 2.
  • 15.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-13.
  • 16.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-17.
  • 17.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-15, al. 1er.
  • 18.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-15, al. 2.
  • 19.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-16.
  • 20.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-18, al. 1er.
  • 21.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-18, al. 2.
  • 22.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-18, al. 3.
  • 23.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-18, al. 3.
  • 24.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-19, al. 1er.
  • 25.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-19, al. 2.
  • 26.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-20, al. 1er.
  • 27.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-20, al. 2.
  • 28.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-20, al. 3.
  • 29.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-20, al. 4.
  • 30.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-20, al. 4.
  • 31.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-20, al. 4.
  • 32.
    C. mon. fin., art. L. 214-162-21.
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